Ce court texte de Balzac, emprunté à La Vieille Fille (1836), donne un parfait exemple de la nature, de la fonction, de l’usage du point-virgule.
Il s’agit d’une seule phrase qui propose l’illustration et le commentaire d’une vérité d’expérience : la rareté des jeunes filles disponibles en province. La phrase se développe en plusieurs parties, à la fois séparées et reliées par des points-virgules. Notons que ces parties de longueur égale ne sont pas sur le même registre. Illustration et commentaires ne sont pas sur le même plan ; ils sont cependant réunis et mis à égalité par un même point-virgule.
D’où une série de questions. La virgule aurait-elle été préférable ? Non. Qu’on l’essaie : on verra qu’elle enlève toute structure à la phrase. Le point, alors ? Qu’on l’essaie aussi : et on verra qu’il donne au récit un ton d’énumération laconique et brutale qui ne convient pas à un propos fait de distance et d’ironie légère.
Le point-virgule non seulement convient, mais il est indispensable. Il laisse à la phrase le temps de s’épanouir, il évite de rompre l’unité de la pensée par la multiplication des phrases courtes. Il respecte la phrase, mais il la construit, au lieu d’en juxtaposer les éléments comme le fait la virgule.
Le point-virgule est le signe de ponctuation par lequel on peut donner à la phrase une certaine ampleur, autrement que par la molle et paresseuse succession de virgules. Le point-virgule confère à la phrase une rigueur sans excès, il en module le ton, et fait ainsi entendre la voix de l’auteur.
Dans son Traité de la ponctuation française (Tel, 1991), Jacques Drillon écrit : « Le point-virgule atteste un plaisir de penser. »
C’est si vrai qu’on ne saurait se résigner facilement à sa disparition partout annoncée.
Danièle Sallenave
de l’Académie française