Quand l’on rapproche ces deux termes, c’est en général pour les opposer. Au banquier on prête une image de sérieux et l’on en fait un personnage qui n’est guère éloigné de la fourmi ou du financier de La Fontaine ; le saltimbanque, lui, serait insouciant comme l’étaient le savetier ou la cigale du fabuliste. À l’origine, pourtant, l’un et l’autre eurent pour outil de travail un banc, et ce banc est resté inscrit dans le nom de leurs professions. Banquier est en effet emprunté de l’italien banchiero. Ces noms, français et italien, désignaient à l’origine un changeur installé sur un banc. Banc, qui nous vient du germanique bank, a d’abord été un endroit où l’on s’assoit, puis un endroit où l’on commerce, un étal.
Quand un changeur ou un banquier faisait faillite, perdait tout ou partie de l’argent de ses clients et associés, on cassait symboliquement le banc où se traitaient ses affaires. Et c’est de ce banc cassé, « banca rotta » en italien, vite soudé en bancarotta, que nous vient le nom banqueroute.
Le saltimbanque tire lui aussi son nom du banc sur lequel il réalise ses exploits et ce nom, une fois encore, nous arrive d’Italie. Le saltimbanque, saltimbanco, c’est, proprement, celui qui saute (saltare, en italien) sur un banc (banco). Le français n’a parfois conservé qu’un des éléments de ce nom : au Moyen Âge, ces saltimbanques et acrobates étaient parfois appelés simplement sauteurs, et dans une de ces nouvelles, Le Philtre, Stendhal écrit encore : « [Mayral] témoigna plusieurs fois la crainte que je voulusse me moquer de lui, à cause de son métier d’écuyer voltigeur dans une troupe de sauteurs napolitains. » La langue populaire les appelle aussi banquistes, ce qui les rapproche formellement un peu plus du nom banquier et se trouve être une anagramme phonétique de cambiste, une fois de plus un nom d’origine italienne qui désigne un autre type de banquier, celui qui est chargé des opérations de change, (cambio en italien). Ainsi les mots semblent nous dire que le saltimbanque et le banquier ne semblent ni pouvoir ni vouloir se quitter.
On le vérifiera si nous abandonnons le français et l’italien pour nous intéresser à la langue grecque. Le comptoir des changeurs s’appelait trapezion, « petite table », et, aujourd’hui encore, banque en Grèce se dit trapeza, et trapezônomai signifie « s’installer à table, dîner », ce qui nous aide à nous souvenir, mais ceci est une autre histoire, que banque et banqueter ont la même origine. Voilà pour le banquier.
Mais on n’oubliera pas que le trapèze, lui aussi tiré de trapezion, est un des instruments les plus spectaculaires des acrobates de nos cirques, de nos saltimbanques. Et si nous employons le terme trapéziste, comment ne pas le rapprocher du trapezitês de la Grèce ancienne ? Mais quand Lysias ou Démosthène l’évoquaient, ce n’est pas d’un saltimbanque qu’ils parlaient, mais bien d’un banquier.
Ces deux-là, décidément sont inséparables et l’on peut se demander si c’est par nostalgie de leur origine commune et du temps où leurs bancs voisinaient sur quelque place italienne que la langue a créé, pour rapprocher leurs activités, l’expression acrobaties financières.