Déclaration adoptée par les membres de l’Académie française
dans sa séance du jeudi 21 mars 2013
Le Conseil des ministres a examiné le mercredi 20 mars un projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche qui contient une disposition propre à dégrader la situation de la langue française dans l’enseignement supérieur.
L’actuel article L121-3II du Code de l’Éducation dispose que la langue de l’enseignement supérieur est le français, sauf deux exceptions justifiées par les nécessités pour l’enseignement des langues étrangères ou pour les enseignements des professeurs étrangers invités.
Le projet de loi ajoute à cet article deux exceptions supplémentaires :
- lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale ;
- ou dans le cadre de programmes européens.
La première exception est beaucoup trop large. Dans sa rédaction actuelle, elle favoriserait le jumelage entre universités françaises et étrangères et le mécénat international de chambres de commerce ou d’institutions professionnelles en faveur d’universités françaises. Qui peut contester le bien-fondé d’une telle intention ? Mais avons-nous bien mesuré la contrepartie exigée : l’enseignement obligatoire en langue étrangère ?
Ce ne serait plus une exception, mais une suspension du principe général.
Il ne paraît donc ni opportun, ni même possible d’adopter pareille disposition de loi dont la valeur symbolique serait d’autant plus grande qu’elle serait plus vague, et qui inaugurerait de véritables franchises linguistiques dans les universités françaises.
La deuxième exception constitue une menace tout aussi importante pour la situation de la langue française dans l’enseignement supérieur.
Sans nullement méconnaître les nécessités des adaptations et de l’ouverture aux langues étrangères, le principe constitutionnel selon lequel la langue de la République est le français ne doit souffrir, dans le domaine de l’enseignement supérieur, que des exceptions rigoureusement justifiées et précisées, donc limitées.
Tel n’est pas le cas de l’exception mentionnée plus haut.
Lier une exception en faveur des langues étrangères à un programme européen est un contresens et ouvre la porte à des interprétations dangereuses, et pas seulement dans le domaine de l’enseignement. Contrairement au terme « accord », précédemment utilisé, le terme « programme » est tellement général qu’il ne peut fonder à lui seul des dérogations en matière de langue.
Les considérations qui précèdent relèvent d’une application pratique et de bon sens d’un principe fondamental auquel il ne doit être touché qu’avec une grande prudence. La disposition législative envisagée, de caractère général, présente le risque d’être utilisée trop largement et, en dernier ressort, de porter atteinte au principe lui-même.
L’Académie française, fidèle à sa vocation de gardienne de la langue et de son évolution, souhaite attirer l’attention sur les dangers d’une mesure qui se présente comme d’application technique, alors qu’en réalité elle favorise une marginalisation de notre langue. En conséquence, l’Académie française demande instamment au législateur de renoncer à introduire dans la loi une disposition portant atteinte au statut de la langue française dans l’Université.