Dans un chapitre du livre II des Essais, intitulé De la Colère, Montaigne rapporte qu’à un esclave qu’il faisait fouetter et qui lui reprochait d’agir ainsi alors qu’il avait toujours expliqué qu’il était laid de se courroucer, Plutarque répondit : « Rougis-je ? escume-je ? m’eschappe-il de dire chose dequoy j’aye à me repentir ? tressaux-je ? fremis-je de courroux ? car, pour te dire, ce sont là les vrais signes de la colere. » Cette étrange forme tressaux, bien sortie d’usage aujourd’hui, mérite notre intérêt. C’est l’ancienne première personne de l’indicatif présent du verbe tressaillir. Ce verbe est parfois source de problèmes, comme saillir, dont il est issu. Tressaillir apparaît vers 1100 dans notre langue, avec le sens de « franchir d’un bond » (on tressailt un fosset dans La Chanson de Roland), puis, vers 1140, avec celui d’« éprouver une secousse musculaire sous l’effet d’une émotion » et on lit, dans Le Pèlerinage de Charlemagne, une chanson de geste qui parodie La Chanson de Roland : « Tuz li cors li tressalt de joie. » Ces sens se sont conservés aujourd’hui, mais on employait aussi le participe présent de ce verbe, au xiiie siècle, pour qualifier qui semble sauter d’un sentiment, d’un amour à un autre et l’on parle ainsi dans Le Dit de la contenance des femmes d’un « cuer müable et tressaillant ».
À partir du milieu du xvie siècle, tressaillir est en concurrence avec tressauter ; ces verbes sont des synonymes et de nombreux dictionnaires glosent, à juste titre, l’un par l’autre. On peut cependant trouver entre eux quelques nuances. Tressaillir s’emploie plus pour évoquer les mouvements intérieurs de l’âme, tandis que tressauter s’emploie surtout pour caractériser la manifestation physique de ce tressaillement. Le tressaillement peut n’être qu’à peine perceptible, mais le fait de tressauter est plus évident. Cette nuance explique aussi que tressaillir s’utilise essentiellement quand on parle de personnes, tandis que tressauter semble plus fréquent quand on parle d’animaux ou de choses.
Si tressauter se conjugue sans problème, il n’en va pas de même pour tressaillir. Littré en rend compte dans son Dictionnaire : « Quelques écrivains ont dit au présent Il tressaillit au lieu d’il tressaille. C’est une faute. Le futur est je tressaillirai. » Notre auteur signale que, dans son édition de 1798, en pleine période révolutionnaire, l’Académie française écrivait que le futur était je tressaillerai, avant de revenir, dès 1835, à je tressaillirai.
Ajoutons pour conclure qu’en français la distribution entre les formes tirées, comme tressaillir et tressauter, de saillir et de sauter (ou de saut) est étrange et ne semble obéir qu’aux caprices du hasard. Si l’on a tressaillir et tressauter, tressaillement et tressautement (le nom tressaut n’est plus employé que par affectation d’archaïsme), on a assaillir, mais non assauter, sursauter, mais non sursaillir, tandis que l’on a assaut, mais non assaillement.