Dire, ne pas dire

S’infatuer, s’entêter, être coqueluché, s’enticher

Le 3 octobre 2024

Nuancier des mots

Aujourd’hui, s’infatuer et s’entêter n’ont plus guère le sens de « s’engouer pour une personne ou pour une chose » qu’ils avaient naguère. S’infatuer a essentiellement celui de « devenir fat, se gonfler d’orgueil », tandis que s’entêter signifie « s’obstiner dans une opinion, dans une décision, ne pas vouloir en démordre ».

Littré explique cette différence dans son Dictionnaire : « D’après l’étymologie s’infatuer d’une chose, [rappelons que ce verbe est emprunté du latin infatuare, de même sens, lui-même composé du préfixe in-, qui marque un changement d’état, et de fatuus, « sot, extravagant »], c’est s’y attacher d’une manière folle ; s’y entêter, c’est la fixer dans sa tête d’une manière opiniâtre. Il y a donc dans infatuer une idée de folie qui n’est pas dans entêter : On peut s’entêter d’une idée vraie contre l’opinion commune ; on ne peut pas s’en infatuer. »

Infatuer avait aussi, dans la langue classique, le sens de « préoccuper, prévenir en faveur d’une personne ou d’une opinion », sens qui, nous dit Dupré dans son Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain, est tombé en désuétude. Il ajoute que l’on dit aujourd’hui : Il est coiffé de telle personne, il en est entiché.

Il faut en effet se souvenir qu’être coiffé de quelqu’un (on disait aussi être coqueluché) signifiait « en être épris ». Cette expression vient de ce qu’on pensait que les amoureux avaient comme un grand chapeau sur la tête, qui les empêchait de voir les défauts de l’être aimé. On retrouve cette image dans l’expression avoir le béguin ou un béguin pour quelqu’un, puisque, à l’origine, le béguin est lui aussi une coiffe, portée par les béguines.

En ce qui concerne enticher, ce verbe est un extraordinaire exemple des changements de sens que peut prendre un mot. Il n’est pour s’en persuader que de comparer ce qui est écrit à son sujet dans les première et neuvième éditions de notre Dictionnaire. On lisait, dans celle de 1694 :

« Il n’a guere d’usage que dans le participe Entiché, qui signifie : Commencé à estre gasté, à estre corrompu, & qui ne se dit proprement que des fruits. Ces fruits sont un peu entichez. Il se dit figurément Des personnes, & ainsi on dit, qu’Un homme est entiché du poulmon, pour dire, qu’Il commence à estre attaqué du poulmon, à en estre malade. Il se dit aussi en parlant des mauvaises opinions en fait de Doctrine & de Religion. On le soupçonne d’estre un peu entiché d’heresie. En ce sens on s’en sert aussi à l’infinitif. Il s’est laissé enticher de nouvelles opinions. »

Tous ces sens s’expliquent parce que ce verbe est tiré de tache, mais ce nom, aujourd’hui le plus souvent négatif et synonyme de « souillure », pouvait aussi désigner, en ancien et en moyen français, une qualité bonne ou mauvaise, qui était en quelque sorte la marque, la caractéristique d’un individu. On lit ainsi dans Le Roman de Mélusine, de Jean d’Arras :

« -Il faut vous marier a ung tel homme qui soit digne de vous gouverner et vostre pays ; et il n’est pas trop loing d’icy, qui est bon et beau, noble, preus et hardy.

-Par ma foy, bel oncle, dist la pucelle, ce sont foyson de belles taches et bonnes. »

Ce sont ces « bonnes qualités » qui expliquent le sens de « faire aimer, même déraisonnablement » qui est signalé dans l’édition actuelle de notre Dictionnaire. On y lit en effet :

1. Verbe transitif. Rare. Prévenir d’une façon excessive et peu raisonnable en faveur d’une personne ou d’une chose. Qui vous a entiché de cet homme ?

2. Verbe pronominal. Se prendre d’un goût excessif, d’une vive passion pour quelqu’un ou pour quelque chose. Comment a-t-elle pu s’enticher de cet individu ? Il s’est entiché de spiritisme.