De tous les noms liés à l’odorat, odeur est le terme le plus général ; il n’est en soi ni péjoratif, ni mélioratif. Ce point le distingue de senteur, qui désigne toujours, à moins de parler par antiphrase, une odeur agréable. Entre ces deux noms, Littré établissait une autre différence, qui ne semble plus perçue aujourd’hui. Il écrivait en effet : « L’odeur est dans les objets qui l’exhalent ; la senteur est ce qui est senti par le sujet, l’impression qu’il reçoit. » Ainsi l’odeur serait consubstantielle à ce qui la produit, tandis que la senteur dépendrait de qui la perçoit.
De plus, si senteur a toujours un sens propre, odeur, lui, peut s’employer au figuré, comme dans odeur de jeunesse, de mystère, odeur de vertu, odeur de crime, de débauche, de mensonge, odeur de mort, de sang, de trahison. Dans ces emplois, il est concurrencé par le nom parfum.
Le terme littéraire fragrance est emprunté du latin chrétien fragrantia, qui désigne une odeur suave et il a conservé ce sens. Ce mot est attesté depuis le xiiie siècle, mais il ne se rencontre vraiment que depuis le xixe siècle. Il était encore suffisamment rare dans les années 1870 pour que Littré le présente, dans son Dictionnaire, comme un latinisme. On le lit en particulier dans La Physiologie du goût, de Brillat-Savarin, où celui-ci fait de fragrance un synonyme d’arrière-goût : « Le goût n’est pas si richement doté que l’ouïe ; celle-ci peut entendre et comparer plusieurs sons à la fois : le goût, au contraire, est simple en activité, c’est-à-dire qu’il ne peut être impressionné par deux saveurs en même temps. Mais il peut être double, et même multiple par succession, c’est-à-dire que, dans le même acte de gutturation, on peut éprouver successivement une seconde et même une troisième sensation, qui vont en s’affaiblissant graduellement, et qu’on désigne par les mots arrière-goût, parfum ou fragrance ; de la même manière que, lorsqu’un son principal est frappé, une oreille exercée y distingue une ou plusieurs séries de consonances, dont le nombre n’est pas encore parfaitement connu. »
Ainsi la fragrance ne serait pas simplement l’odeur suave que nous connaissons mais aussi, et il faudrait alors préférablement employer ce terme au pluriel, les odeurs accessoires qui accompagnent une odeur principale. Ce texte de Brillat-Savarin nous montre, si besoin était, combien goût et odeur sont liés. Il est quelques autres mots qui en témoignent. L’arôme, l’odeur émanant de substances animales ou végétales, est d’un usage fréquent dans le domaine de la cuisine. Il peut être synonyme de fumet, un nom de même origine que parfum, pour parler des aliments solides, et de bouquet, qui est en quelque sorte le parfum du vin. Par extension, fumet s’emploie aussi, dans la langue de la chasse, pour désigner l’émanation qui se dégage du corps des animaux et des lieux fréquentés par eux. On donne aussi parfois ce nom, le plus souvent de façon ironique, à toute odeur corporelle forte.
Parfum est un déverbal de parfumer, un verbe emprunté de l’italien. S’il n’est pas employé de manière ironique, ce nom renvoie à une odeur agréable. À la différence d’odeur ou de senteur, parfum désigne aussi le produit extrait de certaines fleurs ou substances naturelles, ou obtenu par des procédés chimiques, et qu’on utilise, seul ou en mélange, pour sa senteur.
Tous ces termes sont, ordinairement, ceux d’odeurs agréables, mais il en existe d’autres désignant de mauvaises odeurs, comme miasme, qui s’emploie surtout au pluriel et désigne l’émanation malsaine provenant de matières organiques en décomposition. Ce nom, qui s’utilise parfois au sens figuré pour stigmatiser l’état des mœurs, est emprunté du grec miasma. En passant de cette langue au français, il s’est édulcoré puisque miasma désignait particulièrement la souillure provoquée par un meurtre. Ce nom est dérivé de miainein, qui signifie « teindre, imprégner », puis « souiller ». Nous retrouvons ce même champ sémantique dans le nom latin infectio, « action de teindre, teinture », puis « déshonneur », à l’origine de notre infection, nom qui, quand il ne désigne pas la pénétration et la multiplication de germes pathogènes dans un organisme ou l’état d’un organisme infecté, est celui d’une odeur repoussante et, par métonymie, de ce qui répand cette odeur.
Ces deux derniers noms unissent mauvaise odeur et maladie. Il en va de même avec pestilence, un nom lié à peste. C’est d’ailleurs avec ce sens que ce mot s’est rencontré avant de désigner une odeur nauséabonde, insupportable.
À cette liste, on aurait pu jadis ajouter effluve, qui fut d’abord un terme de médecine et, comme l’écrit Littré, le « nom de substances organiques altérées, tenues en suspension dans l’air, principalement aux endroits marécageux, et donnant particulièrement lieu à des fièvres … » Mais effluve s’est arraché de ces miasmes pour être aujourd’hui employé comme synonyme d’odeur délicieuse et subtile.
Relent et remugle sont assez proches. Ils désignent l’un et l’autre une odeur désagréable, mais l’un et l’autre s’emploient surtout au figuré. Relent, lié au latin lentus, « visqueux tenace », désigne une odeur désagréable et persistante. On dira ainsi : un relent d’égout, des relents de cuisine, mais aussi, figurément, Cette politique a des relents de colonialisme. Remugle, tiré de l’ancien scandinave mygla, « moisissure », s’est d’abord rencontré comme un adjectif signifiant « humide, qui sent le moisi », puis comme un nom désignant une odeur de renfermé, de moisi et, par extension, toute odeur désagréable et tenace. Comme relent, il s’emploie surtout au figuré et l’on pourra dire ainsi Les remugles de cette affaire empoisonnent le débat politique.
Un hyperonyme englobe tous ces termes, le mot puanteur.
À côté de tous ces noms existent quelques verbes : exhaler et embaumer ont des sens assez proches, mais il y a entre eux une nuance indiquée par leur préfixe : exhaler signifie « répandre au dehors, émettre, dégager », on dira donc : exhaler un parfum, un arôme, une odeur ; En automne, la terre exhale des odeurs d’humus ou Cette roseraie exhale son parfum, tandis qu’embaumer signifie « remplir d’une odeur suave, parfumer » et l’on dira que ce bouquet embaume toute la pièce ou que l’air est embaumé par l’odeur des arbres en fleurs. Notons aussi que ce dernier, contrairement à exhaler, peut s’employer absolument, comme dans cette rose embaume, un mets, un plat qui embaume.
Pestilence a pour pendant le verbe empester, qui a d’abord appartenu à la langue de la médecine et qui avait pour sens, dans la langue classique, « infecter de la peste ou d’autres maladies contagieuses, contaminer ». Figurément, ce verbe a pris ensuite le sens de « corrompre, pervertir » et, par affaiblissement, « imprégner d’odeurs désagréables, empuantir », mais aussi « dégager une odeur désagréable, fétide ».
Sentir est neutre, une chose sent bon ou sent mauvais. Mais alors que senteur renvoie à une odeur agréable, sentir quand il est employé seul, est un euphémisme pour dire puer, l’hyperonyme de tous ces verbes. On en a un exemple dans l’Évangile de saint Jean (11, 39), quand la sœur de Lazare dit à Jésus, qui vient ressusciter son frère mort depuis quatre jours : « il sent déjà ». Cet emploi spécialisé d’un verbe neutre pour signifier « puer » se trouvait déjà dans le texte grec êdê ozei, proprement « il a déjà une odeur ». Notons que le texte latin canonique est jam fetet, « il pue déjà », mais qu’il existe aussi une variante beaucoup plus neutre, jam olet, « il sent déjà ».
Concluons avec fleurer, un dérivé de l’ancien français fleur, non pas le nom féminin qui désigne la partie des plantes supérieures, ordinairement colorée et souvent odorante, mais un nom masculin signifiant « odeur », issu du latin populaire flator, altération de flatus, « souffle ». Ce verbe fleurer, d’emploi littéraire, signifie à la fois « répandre, exhaler une odeur, le plus souvent agréable » et « sentir, flairer ».