Dire, ne pas dire

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Outdoor, indoor

Le 29 août 2013

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le monde des sports est friand d’anglicismes. Quelques-uns sont parfaitement intégrés à notre langue, en particulier ceux qui désignent les sports eux-mêmes : boxe, football, basket-ball, water-polo. Il en existe aussi un grand nombre pour lesquels le français a des équivalents couramment employés, et qui sont donc parfaitement inutiles. C’est le cas des adjectifs outdoor et surtout indoor, employés trop fréquemment, en particulier en athlétisme, pour désigner des compétitions en plein air ou des compétitions en salle.

 

On dit

On ne dit pas

Une compétition en plein air

Les championnats de France en salle

Une compétition outdoor

Les championnats de France indoor

 

Dominique M. (Nice)

Le 29 août 2013

Courrier des internautes

En discutant avec ma grand-mère, nous sommes tombés sur un problème pour le mot « oignon ». Elle prononce [wagnon], alors que ça se dit [ognon]. Je lui ai expliqué qu’il y avait deux orthographes possibles, mais que ça ne changeait pas la prononciation. Pourquoi l’i ne se prononce-t-il pas comme dans « poignet », par exemple ?

Dominique M. (Nice, 7 mai)

L’Académie répond

Le nom oignon, que l’on peut aussi écrire ognon, est issu du latin unionem. Son orthographe a beaucoup varié. Au XIIe siècle, on écrivait unnium, au XIIIe siècle, oinum et oingnum. Les différentes éditions du Dictionnaire de l’Académie française témoignent aussi de ces hésitations. Dans les éditions de 1718 à 1762, on écrivait oignon ; en 1798, ognon, en 1835 et 1878, on proposait les deux formes ; en 1935 oignon ; dans l’édition actuelle, on écrit oignon en signalant qu’ognon est accepté.

En ce qui concerne oignon, on constate qu’il y a eu longtemps une hésitation pour l’orthographe des mots dans lesquels on trouvait le groupe -gn. Dans de nombreux cas on a écrit avec un i la voyelle qui précède. On a eu des formes montaigne, campaigne, aigneau. On a en français les formes poigne et pogne, et on hésite entre encognure et encoignure.

Déroulé pour Déroulement

Le 8 juillet 2013

Emplois fautifs

Il arrive souvent, en français, que d’un même verbe on tire un nom dérivé en -ment et un participe passé substantivé. L’un désigne une action et l’autre le résultat de cette action ou la personne qui a, selon les cas, bénéficié de cette action ou l’a subie. On distingue donc l’affranchissement de l’affranchi, l’abrutissement de l’abruti, l’abrègement de l’abrégé. Mais cette double dérivation n’est en rien systématique et il arrive qu’un terme unique désigne à la fois l’action et le résultat comme, parmi tant d’autres, le terme déroulement. On se gardera donc d’employer le néologisme récent Déroulé dont le sens ne diffère en rien de celui de Déroulement.

 

On dit

On ne dit pas

Voici le déroulement de la journée

Parfaire le déroulement de la cérémonie

Retracer le déroulement d’une carrière

Voici le déroulé de la journée

Parfaire le déroulé de la cérémonie

Retracer le déroulé d’une carrière

Différentiel

Le 8 juillet 2013

Extensions de sens abusives

Le goût pour une langue faussement technique et, par là, faussement moderne que nous avons évoqué plus haut peut aussi conduire à des contresens : la preuve avec l’usage incorrect qui est fait aujourd’hui du mot Différentiel. Ce nom appartient au vocabulaire de l’automobile et désigne un dispositif permettant à la roue extérieure motrice d’un véhicule de tourner, dans un virage, plus vite que la roue intérieure. On trouve aussi, au féminin, dans la langue des mathématiques, une différentielle, ellipse de quantité différentielle, qui désigne un « accroissement infiniment petit d’une fonction lié à un accroissement infiniment petit de la variable ». C’est donc un grave contresens que de faire de Différentiel un synonyme de Différence, et l’on veillera à ne pas l’employer hors des domaines spécialisés auquel il ressortit.

On dit

On ne dit pas

Il y a une légère différence d’âge entre eux

La différence est exorbitante

Il y a un léger différentiel d’âge entre eux

Le différentiel est exorbitant

J’appelle du 39

Le 8 juillet 2013

Extensions de sens abusives

Nous avons regretté ici il y a peu que les noms soient trop fréquemment remplacés par des sigles. Ils le sont aussi parfois par des nombres. C’est, par exemple, le cas des départements. On peut parfaitement comprendre que, d’un point de vue administratif, l’usage d’un numéro soit plus clair et plus simple que celui d’un nom pour les désigner. Mais ce n’est pas le cas dans la vie courante. Ces noms ont un sens et donnent des informations géographiques sur chaque département, indiquant le nom d’une montagne qui s’y trouve, Jura, Pyrénées-Atlantiques, le nom d’un fleuve ou d’une rivière qui le traverse, Rhône, Saône-et-Loire. D’autres sont plus mystérieux, comme le Calvados, qui tire son nom du latin calva dorsa, « collines chauves », en référence aux hauteurs sans végétation qui servaient de repère aux marins naviguant dans la Manche. Ne nous privons donc pas de ces noms qui sont tellement plus évocateurs que de simples nombres.

On dit

On ne dit pas

J’appelle du Jura

Je suis né dans la Manche

Je vais en vacances dans les Côtes d’Armor

Je travaille en Seine-Saint-Denis

J’appelle du 39

Je suis né dans le 50

Je vais en vacances dans le 22

Je travaille dans le 9.3

 

Ardre ou ardoir, arsis et arsin

Le 8 juillet 2013

Expressions, Bonheurs & surprises

Les mots français Ardeur et Ardent sont empruntés du latin ardor et ardens, qui l’un et l’autre dérivent du verbe ardere, « brûler ». De ce verbe est issu l’ancien verbe français Ardoir ou Ardre. Mais sa conjugaison était si compliquée (il avait, en plus de ses deux infinitifs, deux subjonctifs présent, deux indicatifs imparfait, etc.) qu’il a été remplacé par Brûler. Ardoir et ardre avaient de nombreux dérivés en ancien français, parmi lesquelles on trouve ardeeur, arseur, « incendiaire », arsion, « embrasement », d’où est tiré l’anglais arson, « incendie volontaire ».

Ces dérivés ont presque tous disparu aujourd’hui. Il n’en reste que dans les domaines particulièrement conservateurs que sont la gastronomie, la toponymie et l’ancien droit.

De nombreux hameaux s’appellent Les Arsis ; il s’agit, à l’origine, de portions de forêt qui ont été brûlées pour devenir des terres cultivables. Le vin arsis désigne, lui, un vin qui a un fort goût de brûlé. Quant à l’arsin ou, mieux, le privilège des arsins, c’était le droit de mettre le feu à la maison d’une personne qui habitait hors de la ville, appelée alors forain ou horsain, et qui avait offensé un bourgeois, c’est-à-dire un habitant de la ville (si l’offenseur habitait la ville, il ne s’exposait pas à cette sanction, car on aurait craint d’embraser toute la cité…). Quand les différentes procédures de conciliation n’avaient pas abouti, une procession se rendait à la demeure de l’offenseur, en tête de laquelle se trouvaient les magistrats, précédés des bannières et drapeaux et suivis des bourgeois de la ville. Une fois sur place, après une dernière sommation, le prévôt mettait le feu à la maison et donnait un coup de hache aux arbres de la propriété. Ensuite les bourgeois étaient invités à tout détruire, à tout arracher. Quand l’incendie était terminé, quand la propriété était ravagée, on regagnait la ville, toujours en procession et dans le même ordre qu’à l’aller.

Adel F. (Montpellier)

Le 8 juillet 2013

Courrier des internautes

Je me demandais pourquoi l’arbre de la pêche ou de l’orange ne sont pas formés comme les autres (oranger alors qu’on dit olivier) ? Existe-t-il une règle de bonne formation ?

Adel F. (Montpellier)

L’Académie répond

Le suffixe de formation des arbres est –ier : olivier, pommier, poirier, etc. C’était aussi le cas pour oranger et pêcher. Oranger apparaît d’abord sous la forme orangier, au xive siècle. On trouve encore cette forme sous la plume de Rabelais, au xvie siècle : des fleurs d’orangiers. Pêcher s’est d’abord écrit peskiers.

Si dans les deux cas le i est tombé, c’est pour une raison phonétique. Ch et g/j sont des consonnes palatales, c’est-à-dire articulées dans la partie dure du palais. I, qui dans ce cas n’est pas une voyelle mais une semi-consonne, est aussi une palatale. L’articulation de deux palatales demande un effort articulatoire plus grand qu’une seule. C’est pourquoi le i est tombé. On a eu la même chose avec, entre autres, les formes mangier→manger, allongier→allonger, arengier→arranger, archier→archer, lechier→lécher, assechier→assécher, etc.

Bernard L. (France)

Le 8 juillet 2013

Courrier des internautes

Les médias sportifs utilisent souvent l’expression « jouer telle équipe » au lieu de « jouer contre telle équipe ».

Quelle est la bonne expression en français ?

Bernard L. (France)

L’Académie répond

On dit aujourd’hui « Jouer contre telle équipe ». Mais, en parlant de son adversaire, on disait autrefois, au jeu de paume : Jouer quelqu’un par-dessus la jambe.

Il peut aussi s’agir d’analogie avec des formes comme boxer un adversaire.

Dominique M. (Nice)

Le 8 juillet 2013

Courrier des internautes

Je tiens, à tort ou à raison, pour barbare ou, à tout le moins, incorrect, ce début de phrase que j’entends parfois : « Je ne sache pas que ... ».

Il me plairait de savoir ce qu’il en est exactement. Grand merci à vous de bien vouloir m’éclairer.

Dominique M. (Nice)

L’Académie répond

Cette forme n’est pas incorrecte ; elle est vieillie ou littéraire et signifie Je suis certain que. On trouve ainsi, dans la correspondance de Chateaubriand : « Je ne sache pas que jusqu’à présent, on eût jamais vu en France, sous la monarchie légitime, des chambres, des ministres responsables, un budget… »

On emploie en effet, dans une langue soignée le subjonctif présent à la première personne du singulier quand le verbe porte sur une restriction, une affirmation ou une négation atténuée.

Éloge du vouvoiement (ou du voussoiement)

Le 6 juin 2013

Bloc-notes

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Oublions un instant cette vieille querelle byzantine entre les partisans du vouvoiement et ceux du voussoiement ! Les premiers font observer à bon droit que le terme « voussoiement » a vieilli (le Grand Robert le souligne) et que le vouvoiement, plus euphonique et compréhensible, est par ailleurs lui aussi d’un usage très ancien ; les seconds soulignent que les mots « vouvoiement » ou « vouvoyer » sont mal formés, et d’appeler Littré à la rescousse : « “Vous” ne peut amener la syllabe “voy”, tandis que “tutoyer” est fait de “tu” et “toi”. »

À propos de Byzance, on considère généralement que le passage du tutoiement au vouvoiement pourrait venir de Dioclétien (245-313), qui divisa l’Empire romain entre Orient et Occident, chacun des deux nouveaux Auguste étant assisté lui-même d’un César. Quand l’un des souverains parlait non pas en son nom propre mais encore au nom des trois autres, il renonçait à l’ego, première personne du singulier, pour le nos, première personne du pluriel, et on lui répondait par le vos, deuxième personne du pluriel…

Dont acte !

Je voudrais simplement déplorer ici le recul progressif du vous, dans la conversation courante, ou, plus exactement, la violence que les partisans du « tu » imposent à nos rapports sociaux. Il ne s’agit pas bien entendu de pleurer l’âge classique où le « vous » s’imposait quasiment à tous, où l’on ne tutoyait guère que les valets, les gens de basse condition (ce qui était une autre forme de violence), mais de regretter cette déferlante du tutoiement consécutive à l’esprit de mai 68, quand on s’est efforcé de bannir toute hiérarchie, toute barrière entre les individus, leurs âges, leurs fonctions, entre les élèves et les professeurs… Roland Barthes s’affligea le premier de cette calamité. « Le tutoiement, ruine de mai », disait-il.

Je pense à ce journaliste de télévision qui connut il y a quelques années une éphémère notoriété et s’était fait gloire de tutoyer les hommes politiques, ministres, députés ou présidents, qu’il interrogeait. La tristesse venait moins de sa goujaterie, assez fréquente au demeurant dans le monde audiovisuel, que de la docilité des personnalités invitées, trop heureuses de s’exprimer, même à de telles conditions !

En vérité, l’hésitation, le choix, le balancement entre le « vous » et le « tu » offre quelque chose de délicieux et d’infiniment significatif dans la conversation, dans cette politesse ou, mieux, dans cette délicatesse des rapports humains, dans l’établissement de ces nuances entre la courtoisie et l’intimité, la déférence et l’amitié, le respect et la complicité. Il faut aimer tout autant le « vous » de la séduction que le « tu » qu’échangent ensuite les amants ; il existe un érotisme du vouvoiement ou de son abandon comme il y en a un du dévoilement… Plaignons, plus généralement, ceux qui méconnaissent ces subtilités, et malheur aux langues qui les ignorent !

Le « tu » qui prévaut de plus en plus aujourd’hui simplifie ou, pis, uniformise le langage et les rapports entre les individus. On ne se méfie jamais assez des uniformes. Du tutoiement obligatoire des « camarades », comme des bourreaux et de leurs victimes. De ce qui rend en bref la société unie, semblable, obéissante, obligatoire. Au risque d’inventer un néologisme intrépide, je dirais que le tutoielitarisme est un totalitarisme.

Frédéric Vitoux
de l’Académie française

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