Dire, ne pas dire

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Guillaume de V. (France)

Le 2 juin 2016

Courrier des internautes

J’ai le souvenir de mes cours de grammaire d’enfant, il me semble que les prépositions à utiliser pour les verbes partir et aller sont respectivement « pour » et « à ».

Néanmoins je vois très souvent écrit « partir à », cette utilisation est-elle correcte ?

Guillaume de V. (France)

L’Académie répond :

Partir à a longtemps été condamné par les puristes.

Littré écrivait Il ne faut pas dire partir à la compagne, mais partir pour la compagne.

L’académicien et professeur de lettres Émile Faguet qualifiait partir à « d’affreux provincialisme de Paris ».

Abel Hermant le présentait comme un solécisme ignoble. Mais partir à, dont la construction est analogue d’aller à, se trouve aujourd’hui chez de nombreux auteurs et dans le Dictionnaire de l’Académie française quand le complément n’est pas un lieu précis.

On considère que la forme correcte demeure partir pour ; partir à, sans être franchement incorrect, est considéré comme familier.

Bertrand B. (France)

Le 12 mai 2016

Courrier des internautes

Il me semble qu’on dit couramment : LE Maine-et-Loire. De même, on parle du département de LA Lozère alors que son nom dérive DU mont Lozère. Qu’en pensez-vous ?

Bertrand B. (France)

L’Académie répond :

Il est vrai que l’on dit couramment Le Maine-et-Loire, mais il s’agit d’une erreur ; ce département doit son nom à deux cours d’eau féminins, la Maine et la Loire et il faudrait dire La Maine-et-Loire.

Il est exact que le département de la Lozère tire son nom du mont Lozère, mais le département s’appelle Lozère et non Mont-Lozère.

​L’ordre, l’invitation, la prière

Le 4 mai 2016

Bloc-notes

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​L’ordre, l’invitation, la prière

« Va vite t’habiller ! », dit ma fille un matin à son fils, âgé de six ans. L’enfant aime qu’on l’aide à enfiler ses chaussettes, à boutonner sa chemise – exercices de haute voltige – et en a pris l’habitude. Aussi ajoute-t-elle, par souci de clarté, pour mieux faire appel à son esprit d’initiative, « tout seul ! »

« Habille-toi tout seul ! »

Mon petit-fils fond en larmes. La voix de sa mère est douce. Mais cette injonction, son urgence l’affolent. C’est que le « tout seul » le renvoie à sa solitude. Il a peur. Il éprouve aussi du chagrin : sa mère l’abandonne soudain à un univers inconnu, où il sera privé d’elle. Comment peut-elle avoir cette cruauté ? Il y a tout cela dans les pleurs de Camille, entraînés par l’emploi hâtif du mode impératif.

Un « Habille-toi ! » aurait été moins dramatique. Quoique, à six ans, on possède déjà à la fois le sens de la hiérarchie et le désir de ne pas s’y conformer. L’autorité agace à tous les âges. Et commence d’agacer dès le berceau.

Ma fille préfère opter désormais pour une expression modulée, toujours aussi pressante : « Habille-toi par toi-même », dit-elle à l’enfant rêveur.

Miracle : ni pleurs, ni révolte. Camille accepte d’enfiler ses chaussettes « par lui-même », fier et même assez heureux de déployer son savoir-faire. Sa mère lui a bien signifié de s’habiller, mais comme dans un jeu où il faut, sans prendre trop de risques, prouver ses capacités. En s’habillant « par lui-même », Camille aide sa mère : il lui rend service. Elle n’aura plus qu’à le féliciter, l’exploit accompli.

 

L’impératif est un mode simple, qui par cette simplicité même peut se révéler brutal. « Va, cours, vole, et nous venge » est l’exemple le plus souvent cité dans les ouvrages de grammaire.

Réduit au verbe, conjugué à trois personnes uniquement (2e du singulier, 1re et 2e du pluriel), il se caractérise par l’absence du pronom personnel, ce qui lui donne cette allure ramassée, minimale, du guerrier prêt à attaquer. Avec pour lance, l’inévitable, l’indispensable point d’exclamation, dont il est suivi.

C’est le mode de l’ordre, du commandement, de l’autorité. On peut cependant le nuancer, de plusieurs manières, dont la subtilité donne le vertige.

La première manière, à l’oral, est le ton de la voix. Il n’est pas besoin d’être de la Comédie-Française pour en jouer : en chacun de nous, c’est un moyen spontané, parfaitement naturel, de se faire comprendre. L’impératif se décline, pourrait-on dire, sur tous les tons. Impérieux, il peut se faire aimable, voire caressant ou suppliant. Essayez « par vous-même » ! La voix renforce, module ou adoucit l’injonction. De l’ordre, on peut ainsi passer, en usant du même mode, à l’invitation, à la prière, à la supplique, voire à l’exhortation.

À l’écrit, la variation des gammes demande des changements de syntaxe ou des rajouts : l’intonation doit être relayée par des outils. C’est plus lent, plus lourd, mais on peut tempérer un impératif. Le rendre plus civilisé, plus courtois.

Avec une formule de politesse, il perd son agressivité : « Habille-toi, s’il te plaît » ou « je t’en prie ».

On peut aussi lui juxtaposer une phrase et obtenir la gamme des nuances attendues : « Habille-toi, sinon tu seras en retard à l’école » (avertissement), « ..., ou tu n’auras pas de chocolat au goûter » (menace), enfin « ..., et je serai contente » ou « tu me feras plaisir », que j’ai entendus tant de fois (véritable plaidoyer de la mère, en mal d’arguments).

On peut même changer de temps, pour mieux marquer l’antériorité de l’accomplissement espéré. « Sois habillé, quand je viendrai te chercher » : on tient alors le résultat pour acquis.

 

Il y a mieux cependant que ces longs discours. Tel le recours à la forme interrogative : elle permet de déguiser un impératif. « Veux-tu bien aller t’habiller ? » n’est qu’une manière adoucie – un peu hypocrite, car l’ordre demeure sous-jacent –, de commander de le faire. Le point d’interrogation a ici le plein sens d’un point d’exclamation – dans ce cas, ils sont interchangeables.

 

Plus pervers selon moi, l’emploi du conditionnel, dit de politesse, dans la forme (faussement) interrogative. « Voudrais-tu t’habiller ?! » ou, plus suave, « Pourrais-tu t’habiller ?! » qui expriment la même intention profonde, un brin exaspérée :

« Qu’il s’habille, enfin! »

Mais dans ce cas, on a changé de mode. On est passé au subjonctif ! Lequel vient admirablement relayer l’impératif, pour lui permettre d’installer cette distance que l’impératif ignore : la troisième personne du singulier.

De guerre lasse, on peut en finir avec un : « Que ne s’habille-t-il ! » où la tournure négative de l’injonction renforce l’expression du sentiment. On est épuisé, on n’en peut plus. Il y a un soupir, un découragement dans cet impératif de regret.

 

Subtilités françaises.

L’impératif, quoi qu’il en soit, ouvre une fenêtre sur le futur. L’ordre, modulé ou non, est immédiat. L’acte qu’il commande survient, lui, dans un temps décalé. C’est un jeu entre toi et moi, entre nous et vous - un jeu que soutient un rapport de forces.

Ma fille le sait bien, puisque chaque matin, ayant opté pour son « Habille-toi par toi-même ! », qui semble plaire à Camille, elle ajoute un  invariable « Je t’aime », profession de foi qui n’a pas besoin de point d’exclamation et se conjugue à l’indicatif le plus simple.

 

Dominique BONA
de l’Académie française

Des bonshommes bien bonhommes

Le 4 mai 2016

Emplois fautifs

Le mot bonhomme n’a pas le même pluriel selon qu’il est nom ou adjectif. Dans le premier cas, les deux éléments qui le composent, bon et homme, portent tous deux la marque du pluriel, particularité que notre bonhomme partage avec gentilhomme, madame, mademoiselle, monsieur et monseigneur. On dira donc Deux bonshommes (bon-z-hommes) passaient sur la route. Quand bonhomme est adjectif, seul le dernier élément prend la marque du pluriel, et l’on dira donc avoir des manières bonhommes (bon-hommes). On acceptera cependant les formes bonshommes de neige et bonhommes de neige, en sachant que la première est de meilleure langue.

on dit

on ne dit pas

De gentils bonshommes

Ils ont des allures bonhommes

De gentils bonhommes

Ils ont des allures bonshommes

 

Le livre de Antoine

Le 4 mai 2016

Emplois fautifs

Dans certaines prépositions et conjonctions de subordination, certains pronoms et certains articles, la voyelle finale s’élide quand le mot qui suit commence par une voyelle ou un h muet : un livre d’histoire, je sais qu’il viendra, il l’aime, l’orange. Ce phénomène est indépendant de la nature du mot qui suit : il convient de faire l’élision même quand ce mot est un nom propre. On dira ainsi le livre d’Antoine et non le livre de Antoine. Les quelques cas où l’usage hésite sont ceux où ledit nom propre – mais le problème est le même avec un nom commun – commence par un h dont on ne sait s’il est muet ou aspiré ; ainsi il arrive que le h initial d’un même nom soit muet en français et aspiré dans une langue étrangère. Si l’on doit dire Le cheval blanc d’Henri IV, on peut dire Les six femmes d’Henri VIII ou de Henri VIII. Et on trouve aussi, chez les meilleurs écrivains, de Hanoï et d’Hanoï, de Hitler et d’Hitler.

 

on dit

on ne dit pas

Les prouesses d’Hector

Le médecin qu’Albert a consulté

Un film d’Arnaud Desplechin

Les prouesses de Hector

Le médecin que Albert a consulté

Un film de Arnaud Desplechin

 

Indiquer au sens de Déclarer

Le 4 mai 2016

Extensions de sens abusives

Indiquer et index sont des mots de la même famille. L’index est le doigt qui sert à montrer, et indiquer c’est également montrer, que ce soit d’un geste ou avec des explications. Ainsi ce verbe peut avoir comme synonymes aussi bien « désigner » que « révéler » ou « apprendre », mais on se gardera bien d’affaiblir son sens, en le transformant en équivalent un peu pompeux de « dire » ou « déclarer ». On pourra ainsi dire L’agent m’a indiqué la direction de la gare, mais non L’agent m’a indiqué que j’aurai une contravention parce que mon véhicule était mal garé.

 

on dit

on ne dit pas

Le maire a déclaré que le problème était résolu

Il m’a dit qu’il s’ennuyait

Le maire a indiqué que le problème était résolu

Il m’a indiqué qu’il s’ennuyait

 

 

Prévenir de ce qui s’est passé

Le 4 mai 2016

Extensions de sens abusives

Le préfixe pré- de prévenir indique nettement que ce verbe sert à informer d’un fait à venir et non d’un fait passé. On veillera donc bien à ne pas employer ce verbe pour annoncer ce qui est déjà advenu. On pourra donc dire Il m’a prévenu qu’il arriverait demain, mais non Il m’a prévenu qu’il était déjà allé en Angleterre.

 

on dit

on ne dit pas

Il m’a informé de la naissance de sa fille

Il m’a annoncé que notre équipe avait gagné

Il m’a prévenu de la naissance de sa fille

Il m’a prévenu que notre équipe avait gagné

 

 

Les questionnaires doivent être répondus

Le 7 avril 2016

Emplois fautifs

Le verbe répondre connaît quelques emplois transitifs directs. Le plus souvent c’est le texte de la réponse qui est le complément d’objet : Il a répondu : « Je ne veux pas ». Cette réponse peut être au style indirect et introduite par que : Il a répondu qu’il ne voulait pas. Il existe également quelques domaines spécialisés où le complément d’objet direct peut être un nom : on disait ainsi dans la langue de la justice répondre une requête et l’on dit encore, dans le langage religieux, répondre la messe. En dehors de ces cas, le complément de répondre est construit indirectement : on répond à une question, à un interrogatoire. On évitera donc absolument la forme passive : les questionnaires doivent être répondus, (et les formulaires doivent être renseignés) qui malheureusement commence à s’entendre et à se lire, et que l’on remplacera par on doit répondre aux questions ou les questionnaires doivent être remplis.

Perd-t-il ? Vend-t-il ?

Le 7 avril 2016

Emplois fautifs

Dans les mots terminés par un d et qui se lient aux mots qui suivent, c’est-à-dire quand ceux-ci commencent par une voyelle ou un h muet, ce d se prononce « t ». On dit ainsi quan-t-il viendra ; un gran-t-homme ; c’est aussi le cas pour fond dans l’expression de fon-t-en comble. Ces mots étaient plus nombreux à l’époque de Littré qui, dans son Dictionnaire, écrit à l’article Brigand : « Le d ne se lie pas dans le parler ordinaire ; dans le parler soutenu on dit un brigan-t-armé ». On trouve les mêmes remarques aux articles Fécond (un fékon-t-écrivain) et Profond (un profon-t-archéologue). Si ces formes ne s’entendent plus guère, la prononciation en « t » de d final se maintient quand on a un verbe à la forme interrogative : Que vend-elle ? Que perd-il ? On rappellera donc que, puisque le d se prononce « t », il est interdit d’en rajouter un, comme on le voit hélas trop souvent sur les bandeaux déroulants de telle ou telle chaîne télévisée.

on écrit

on n’écrit pas

Que prend-elle ?

Qui attend-on ?

Que prend-t-elle ?

Qui attend-t-on ?

 

Une promenade en chiens de traîneau

Le 7 avril 2016

Emplois fautifs

Le développement des activités sportives et de loisir liées à la montagne ne doit pas se faire au détriment de la langue française ; or on trouve malheureusement de plus en plus d’annonces invitant à des promenades en chiens de traîneau. Il s’agit d’un raccourci hasardeux pour « des promenades en traîneau à chiens (de traîneau) », ces chiens de traîneau étant des chiens d’origine nordique, appartenant à plusieurs races et servant d’animaux de trait sur la neige et sur la glace. On évitera donc cette expression qui pourrait amener à croire que ceux qui font ces promenades les feraient juchés sur ces pauvres bêtes : on la remplacera par promenade en traîneau à chiens, expression qui suppose bien sûr que les chiens en question sont des chiens de traîneau.

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