Dire, ne pas dire

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Écoutes ! et regardes !

Le 5 juillet 2018

Emplois fautifs

Les verbes des deuxième et troisième groupes ont des formes identiques à la 2e personne du singulier (comme du pluriel) de l’indicatif et de l’impératif : tu finis/finis, tu dors/dors, tu prends/prends, et tous les verbes du premier groupe ont des formes identiques à la 2e personne du pluriel de l’indicatif et de l’impératif : vous aimez/aimez, vous mangez/mangez. Aussi arrive-t-il que, mêlant ces différentes formes, on crée, pour les verbes du premier groupe, des impératifs incorrects comme écoutes ou regardes. Des fautes facilitées par le fait que, quand ces impératifs ont comme complément les pronoms en et y, on leur adjoint un s euphonique, comme dans manges-en, restes-y. Mais quand bien même des effets d’analogie pourraient expliquer cette faute, elle n’en reste pas moins une faute, facilement évitable.

On écrit

On n’écrit pas

Regarde attentivement cette scène

Travaille avec soin

Porte cette galette à ta grand-mère, mais ne t’arrête pas en chemin

Regardes attentivement cette scène

Travailles avec soin

Portes cette galette à ta grand-mère, mais ne t’arrêtes pas en chemin

Émouler pour Émoudre

Le 5 juillet 2018

Emplois fautifs

Le verbe émoudre n’est assurément pas le plus employé de la langue française. Il est vrai que l’on n’aiguise plus guère les couteaux ou d’autres outils sur une meule et que l’on trouve peu de rémouleurs (aussi appelés autrefois émouleurs). Émoudre se rencontre aujourd’hui essentiellement au participe passé, émoulu, qui signifie, au sens propre, « affûté, fraîchement aiguisé à la meule » ; il arrivait ainsi que dans certains tournois, plutôt que d’employer, selon l’usage ordinaire, des armes émoussées et rebattues, on combatte à fer émoulu, c’est-à-dire avec des armes particulièrement affilées et tranchantes. Au sens figuré, ce même participe qualifie une personne qui est tout récemment sortie d’un établissement d’éducation. Mais on se rappellera que si le français dispose d’un couple moudre/mouler, il n’existe pas un pendant *émouler à émoudre. Employer la forme *émouler est un barbarisme dont il faut bien se garder.

S.N.C.F. pour La S.N.C.F., Crédit agricole pour Le Crédit agricole

Le 5 juillet 2018

Emplois fautifs

Les noms de marques ou d’entreprises sont essentiellement de deux catégories : des noms dépourvus de sens, soit parce que c’est celui du fondateur de l’entreprise : Renault, Peugeot, soit parce qu’il s’agit d’une création simple : Vivendi, Canon, etc. Mais il arrive aussi que le nom de l’entreprise indique son activité, ou que celui-ci en soit un élément. C’est par exemple le cas pour la Régie autonome des transports parisiens (R.A.T.P.) ou la plupart des banques, dans le nom desquelles figurent souvent des termes comme crédit, société, etc. Quand le nom de l’entreprise a pour élément principal un nom commun, donc porteur de sens, ce nom doit être précédé de l’article défini. On évitera donc des tours comme S.N.C.F. vous accueille, quand c’est La S.N.C.F. qu’il faudrait employer. Cette mauvaise habitude, fréquente en particulier dans le monde de la Bourse, doit être combattue.

Arborigène pour Aborigène

Le 7 juin 2018

Emplois fautifs

L’adjectif et nom aborigène a été emprunté, sous l’influence d’indigène, du latin aborigines, qui désignait les premiers habitants du Latium, qui y vivaient ab origine, « depuis leur origine ». Aborigène, souvent employé au pluriel, désigne les premiers habitants d’un pays, en particulier ceux de l’Australie, par opposition à ceux qui vinrent s’y établir plus tard. C’est un synonyme d’autochtone, un mot d’origine grecque signifiant proprement « issu du sol même », et d’indigène.

Mais comme les représentations que nous nous faisons de nos plus lointains ancêtres ne sont pas toujours nettes ou exactes, il arrive fréquemment qu’on se les figure vivant ou se réfugiant dans des arbres. De cette image, et par souci de cohérence avec elle, on tire parfois la forme arborigène, étonnant mélange d’aborigène et d’arboricole. Création ingénieuse, certes, mais qui n’en reste pas moins fautive.

On dit

On ne dit pas

Les aborigènes d’Australie

La faune aborigène de cette région doit être préservée

Les arborigènes d’Australie

La faune arborigène de cette région doit être préservée

Argumentez votre point de vue

Le 7 juin 2018

Emplois fautifs

Aujourd’hui, le verbe argumenter est intransitif : on argumente pour ou contre quelqu’un, pour ou contre une proposition ; on le trouve aussi parfois absolument avec le sens de « discuter sans fin ». Ce verbe avait cependant jusqu’au xixe siècle un emploi transitif et, dans ce cas, le complément d’objet direct était la personne à laquelle on s’opposait : Argumenter quelqu’un, nous dit Littré signifie « lui adresser des arguments » ; il existe aussi de cet emploi des formes pronominales. On lit ainsi dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau : « On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre; [on] n’a qu’à mettre ses mains sur ses oreilles et s’argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte en lui de l’identifier avec celui qu’on assassine. L’homme sauvage n’a point cet admirable talent ; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment de l’humanité. » Mais, de nos jours, ces tours ne sont plus en usage et s’il en subsiste quelque trace, c’est dans des formes passives, senties comme adjectivales, comme dans : Un discours bien argumenté, une copie mal argumentée. On évitera de dire, ce qui commence hélas à s’entendre : Argumentez votre point de vue.

On dit

On ne dit pas

Argumentez pour défendre vos idées

Argumentez vos idées

Rerentrer

Le 7 juin 2018

Emplois fautifs

Le préfixe re- est particulièrement productif en français. Il indique généralement la répétition, comme dans revoir, redire ou rentrer. Ce dernier peut aussi signifier « pénétrer à l’intérieur », mais avec une nuance d’effort, de difficulté, comme dans mon frère est rentré à Polytechnique ; ce livre ne rentre pas dans mon sac. Rentrer s’emploie aussi avec le sens de « mettre à l’abri ce qui était à l’extérieur : rentrer les foins, rentrer les chaises de jardin. La langue courante substitue volontiers rentrer à entrer. C’est un péché véniel dont il faut tout de même se garder ; il convient en revanche d’éviter à toute force d’ajouter à rentrer un nouveau préfixe re- pour en faire l’ampoulé rerentrer, à moins que ce ne soit dans une intention plaisante, auquel cas on pourra multiplier sans fin ce préfixe.

Solutique

Le 7 juin 2018

Emplois fautifs

Le nom et adjectif informatique est dérivé d’information sur le modèle de mathématique et d’électronique. La place grandissante prise par cette science dans nos sociétés a fait la fortune du suffixe -tique, que l’on trouve, entre autres, dans bureautique ou mercatique, productique, robotique ou domotique. Mais ce suffixe semble tellement porteur de promesses d’efficacité et de modernité, qu’avec son aide on crée aujourd’hui de nouveaux termes amenés à se substituer à d’autres déjà existants, qui, à cause de leur ancienneté dans l’usage, sont sans doute jugés un peu désuets et, partant, moins efficaces. C’est ainsi que certains jettent aujourd’hui aux orties le nom solution, qu’ils doivent juger trop vieillot pour résoudre tel ou tel problème, et le remplacent par le clinquant et tape-à-l’œil solutique, un triste écho à problématique déjà évoqué dans cette rubrique.

Carapaçonner pour Caparaçonner

Le 4 mai 2018

Emplois fautifs

Les noms carapace et caparaçon ont des sens assez proches. Le premier a d’abord désigné le tégument dur, plus ou moins épais, protégeant partiellement le corps de certains animaux, puis, par analogie, tout système de protection. On parlera ainsi de la carapace osseuse du tatou et l’on dira qu’une carapace de béton abritait les pièces d’artillerie. Le second, caparaçon, désignait, au Moyen Âge, l’armure de guerre d’un destrier, puis la housse d’apparat dont on couvrait les chevaux pour les tournois et les cortèges. Aujourd’hui, c’est le nom que l’on donne à la housse rembourrée qui protège le cheval dans les courses de taureaux.

Ces deux mots sont aussi très proches par l’étymologie. Carapace est emprunté de l’espagnol carapacho, probablement dérivé d’un radical préroman *kar(r)-, « coquille ; abri ». Caparaçon nous vient de l’espagnol caparazon, altération de carapazon, nom qui a la même origine préromane que carapace. On sera donc indulgent avec qui emploie les formes carapaçon et carapaçonner, mais on rappellera cependant que seuls caparaçon et caparaçonner sont corrects.

 

On dit

On ne dit pas

Le cheval du picador porte un caparaçon de cuir

Il s’est caparaçonné contre les critiques

Le cheval du picador porte un carapaçon de cuir

Il s’est carapaçonné contre les critiques

Extension du domaine du « E » muet

Le 4 mai 2018

Emplois fautifs

Il existe en français un e dit muet, que l’on appelle aussi instable ou caduc. Il est noté par la lettre e et n’est pas accentué. Ce e muet ne se prononce pas à la finale d’un mot sauf parfois en poésie, quand il est à l’intérieur d’un vers et suivi d’un mot commençant par une consonne ou un h aspiré. Ainsi, dans le premier vers de La Beauté, de Baudelaire : Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, les e finaux de belle et de comme ne se font pas entendre, contrairement à celui de rêve. Dans la langue courante, ce e peut tomber aussi à l’intérieur d’un mot ; ainsi petit peut se prononcer « p’tit » ; je le sais, « je l’sais » ou melon, « m’lon ». Ces prononciations familières ne sont pas incorrectes. Mais on se gardera bien d’étendre ce système d’élision à des formes notées par eu. On ne prononcera donc pas déj’ner le mot déjeuner, et, en dehors du cas où la sagesse normande se fait l’héritière du scepticisme pyrrhonien en montrant avec son fameux p’têt ben que oui, p’têt ben qu’non, qu’il existe des propositions indécidables, on dira toujours peut-être et non p’têt.

 

On dit

On ne dit pas

Le petit déjeuner

Il viendra peut-être demain

Le petit déj’ner

Il viendra p’têt’ demain

Les trombes d’eau qu’il a plu, L’idée qu’il m’est venu

Le 4 mai 2018

Emplois fautifs

Nous avons signalé plusieurs fois dans cette même rubrique l’erreur consistant à ne pas accorder certains participes passés qui devraient l’être. Mais cette erreur a son pendant, qui consiste à faire des accords qui n’ont pas lieu d’exister. Cela arrive assez souvent quand des phrases où le pronom il est sujet apparent, comme dans il est venu des gens ou il est arrivé une catastrophe, sont à un temps composé et que le sujet réel est antéposé ; ainsi dans les gens qu’il est venu ne sont pas restés ou la catastrophe qu’il est arrivé les a tous abattus, le pronom relatif qu’, qui reprend les noms « gens » et « catastrophe », n’est pas le complément d’objet direct du verbe, mais son sujet réel. On écrira donc Tous les efforts qu’il a fallu ou Les heures qu’il lui a manqué et non Tous les efforts qu’il a fallus ou Les heures qu’il lui a manquées. Le fait d’accorder ou non le participe permet d’ailleurs de signaler que l’on a affaire à un emploi personnel ou impersonnel de tel ou tel verbe. On distinguera ainsi la tournure impersonnelle du verbe prendre dans l’idée qu’il lui a pris, c’est-à-dire « l’idée qui s’est manifestée soudainement chez lui », de la tournure personnelle dans l’idée qu’il lui a prise, c’est-à-dire « l’idée qu’il lui a volée ».

 

On écrit

On n’écrit pas

Les trombes d’eau qu’il a plu

L’idée qu’il m’est venu

Les trombes d’eau qu’il a plues

L’idée qu’il m’est venue

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