Dire, ne pas dire

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Merci monsieur Ménudier : « Dire, Ne pas dire » au XVIIe siècle

Le 4 février 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

Il est des bienfaiteurs de l’humanité dont le nom a sombré injustement dans l’oubli. Au nombre de ceux-ci un certain J. Ménudier, qui fit paraître en 1677, à Iéna, L’Art de faire des lettres, des billets et des compliments ou les Étrangers trouveront dequoi fournir à une conversation serieuse & galante, & ou ils pourront apprendre en peu de tems par regles et par exemples, à faire toutes sortes de lettres & de billets & les difficultés de nôtre prononciation & de nôtre construction & plusieurs remarques curieuses. On y trouve quelques modèles de lettres « pour souhaitter une heureuse année », que l’auteur a eu la délicatesse d’assortir de réponses types. On lit ainsi : « Je prie le ciel de vous faire passer doucement cette année, & d’y ajouter un siecle de santé & de prospérité. » À quoi l’on pourra répondre : « Vous en demandés assés pour tous deux & si vos prieres sont exaucées, je vous en offre la moitié. » Ou encore : « Je vous souhaite une heureuse annee & prie le ciel de vous la donner », avec cette éventuelle réponse : « J’avais déja fait les mêmes vœux pour vous, mais vôtre civilité m’a prévenu la-dessus. » Cet aimable auteur a d’autres mérites qui lui valent notre reconnaissance. Un peu moins de trois siècles et demi avant l’Académie, il écrivit, lui aussi, une forme de Dire, Ne pas dire. En effet, les dernières pages de son ouvrage, consacrées aux Différences du genie de la langue française & de l’allemande, sont en fait d’un manuel de langue où sont recensées des fautes commises régulièrement par des germanophones, mais aussi par des locuteurs natifs. On peut ainsi y lire :

 

Dites

Non

Attendés moy

Trois jours de suite

Il a dit cela à table

Il est blessé au bras

Servir quelqu’un

Charger d’une commission

Attendés après moy

Trois jours en suite

Il a dit cela sur la table

Il est blessé à son bras

Servir à quelqu’un

Charger avec une commission

 

Ce type de recommandation, on le sait, est toujours un pari sur l’avenir et, parfois, l’usage emprunte d’autres voies que celles qu’avait tracées la norme. Ainsi Ménudier condamnait remercier pour, mais on lit dans notre Dictionnaire : Remercier quelqu’un de son obligeance, pour son obligeance. Il recommandait six vints pour cent et vint, Henri quatrième pour Henri le quatrième : l’usage n’a retenu aucune de ces formes, même si on trouvait encore au xviiie siècle, chez Diderot par exemple, des noms de souverain suivis d’un ordinal au-delà de Ier. On lisait aussi Dites 20 sols, 40 sols, cent sols et non un franc, 2 francs, 5 francs, pourtant les francs l’emportèrent, même si les sols, devenus des sous, se maintinrent fort longtemps. Notre auteur condamne aussi Jules, un marchand suédois, tour courant aujourd’hui, car il n’admet que Jules, marchand suédois. Si de nos jours on continue à dire les pensions d’Italie sont…, on emploie maintenant, sans faire de faute, les pensions en Italie sont… ou Votre voyage en Suède a été…, phrases qu’il condamnait, tandis que Votre voyage de Suède a été…, qui avait sa faveur, est senti comme un archaïsme.

On lit aussi que l’on doit dire « Il est plus grand que moi » et non « Il est plus long que moi ». Pourtant l’Empereur répondit facétieusement un jour à son valet Constant, à qui il faisait porter ses chaussures pour les assouplir et qui se plaignait de cette tâche en arguant qu’il était plus grand que lui : « Non, vous êtes plus long. » Notre auteur conclut, à juste titre, en nous signalant que l’on ne doit pas dire une paire d’œufs frais mais une couple d’œufs frais. On notera avec plaisir que notre Dictionnaire complète Ménudier en insistant sur la différence d’emploi entre paire et couple en signalant, à l’article couple, que ce mot « ne s’emploie pas pour des choses qui vont nécessairement ensemble ; on dit une paire de souliers, de bas de gants, etc. ».

Valérie C. (Londres)

Le 4 février 2021

Courrier des internautes

Je fais actuellement une petite étude sur les macrophytes et médias filtrants des eaux usées. Le coir, enveloppe fibreuse de la noix de coco, fait partie de ces médias filtrants. J’ai cherché son étymologie et ne l’ai pas trouvée. Et ce mot ne figure pas dans le Dictionnaire de l’Académie française. Il n’a pourtant pas l’air récent.

Bien cordialement,

Valérie C. (Londres)

L’Académie répond :

Le français emploie plutôt « fibre de coco ». Coir se rencontre surtout en anglais. Ce nom est issu d’un mot indien, kayaru, qui signifie « corde ».

Elle s’est fait gronder

Le 7 janvier 2021

Emplois fautifs

Quand il est suivi d’un infinitif, le participe passé fait est toujours invariable. On dit et on écrit la maison qu’il a fait construire (et non qu’il a faite construire) ou elle s’est fait construire une maison (et non elle s’est faite construire une maison). On dira de même elle s’est fait mordre par son chien (et non elle s’est faite mordre).

on dit, on écrit

on ne dit pas, on n’écrit pas

Elle s’est fait gronder par la maîtresse

Ils se sont fait surprendre par la nuit

Elle s’est faite gronder par la maîtresse

Ils se sont faits surprendre par la nuit

Il est de nature inquiet ou Il est de nature inquiète

Le 7 janvier 2021

Emplois fautifs

La locution être de nature suivie d’un adjectif signifie le plus souvent qu’une personne possède le trait de caractère signalé par cet adjectif. Ce dernier s’accorde avec le nom qui constitue le noyau de cette locution, nature : Il est de nature inquiète, ils sont de nature joyeuse. Dans certains cas, le nom nature peut être précédé de l’article : Il est d’une nature soupçonneuse. Mais de nature peut aussi s’employer de manière autonome avec le sens de « par nature » et ce n’est plus alors nature qui commande l’accord mais le sujet de la phrase : Il est de nature inquiet. Signalons cependant que, dans ce type de phrase, l’usage préfère, pour éviter toute ambiguïté, postposer cette locution : Il est inquiet de nature, ou la placer entre virgules : Il est, de nature, inquiet.

Upgrader

Le 7 janvier 2021

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Upgrader est la francisation du verbe anglais to upgrade, dans lequel on reconnaît la préposition up, qui indique une élévation, et grade, tiré du latin gradus, « marche, degré » ; son sens varie légèrement en fonction du contexte, mais, dans tous les cas, ce verbe porte en lui l’idée d’une amélioration. Dans le monde du travail, en parlant d’une personne, il signifie « promouvoir », dans le monde du transport aérien, au sujet d’un passager, « surclasser » ; il en va de même dans l’hôtellerie pour indiquer que l’on attribue à un client une chambre d’une qualité supérieure à celle qu’il avait réservée. Enfin, s’agissant du matériel informatique, upgrader signifie « apporter des mises à jour pour le rendre plus performant ». C’est essentiellement dans ce dernier domaine que nous rencontrons l’anglicisme upgrader, mais le participe passé upgradé commence aussi à être employé pour parler d’êtres humains que la science rendrait plus performants. Il convient pourtant de noter que le français dispose d’assez de verbes ou de locutions verbales rendant compte de ce qu’exprime l’anglais to upgrade pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y recourir.

On dit

on ne dit pas

Améliorer les performances d’un ordinateur ; mettre à jour, mettre à niveau un ordinateur

L’homme augmenté

Upgrader un ordinateur


L’homme upgradé

Déposition pour Dépôt

Le 7 janvier 2021

Extensions de sens abusives

Le nom dépôt désigne le fait de placer quelque chose en un lieu (le dépôt d’une gerbe), mais aussi ce qu’on dépose (un dépôt bancaire), le lieu où l’on dépose quelque chose (les poudrières étaient des dépôts de munitions ; les autobus sont rentrés au dépôt) et enfin ce qui se dépose quelque part (un dépôt de tartre). C’est ce mot, entendu dans son sens premier, que l’on emploie dans le vocabulaire de la politique, pour désigner la procédure consistant à soumettre un texte législatif au Parlement : on dit le dépôt d’une proposition de loi (ou d’un projet de loi si le texte émane du gouvernement). Il convient de ne pas confondre ce terme avec déposition, qui n’a pas les mêmes sens, puisque ce nom peut désigner la destitution d’un haut personnage (la déposition de l’empereur Henri IV par le pape Grégoire VII, en 1076) ou la déclaration faite par un témoin devant l’autorité judiciaire (le témoin a signé sa déposition). Enfin, dans la langue religieuse, l’expression déposition de croix s’emploie pour désigner le moment où le corps du Christ, descendu de la croix, est déposé sur les genoux de Marie et, par métonymie, un tableau représentant cette scène. On veillera à conserver à chacun de ces mots les sens qui lui sont propres et l’on évitera donc l’expression déposition d’une proposition de loi puisque c’est dépôt qu’il faut employer.

on dit

on ne dit pas

Le dépôt d’un projet de loi par le gouvernement

La déposition d’un abbé par le pape

 

La déposition d’un projet de loi par le gouvernement

Le dépôt d’un abbé par le pape

La grand-mère et la disparition du « e » qui n’existait pas

Le 7 janvier 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

Le mot grand-mère est bien étrange puisque l’adjectif et le nom qui le composent ne s’accordent pas. Il en va de même quand on les intervertit pour faire le nom mère-grand, Le Petit Chaperon rouge nous l’a appris il y a bien longtemps. Au sujet de cette forme Littré écrit d’ailleurs : « On dit quelquefois mère-grand, mais très familièrement et surtout dans les contes d’enfants. » Un peu moins de deux siècles auparavant, le Dictionnaire de l’Académie française était plus sévère : « On dit bassement & populairement, Mere grand. » Littré précise encore que « Grand devant un certain nombre de substantifs féminins ne prend pas l’e », et ajoute : « L’erreur qui a mis et maintient une apostrophe à grand en ces cas a produit la ridicule anomalie d’écrire des grand’mères sans s, et des grands-pères avec s. » (Rappelons qu’aujourd’hui ni la forme ancienne grand-mères, ni la forme plus récente grands-mères ne sont considérées comme fautives.) L’erreur évoquée par Littré était encore commise par Ferraud dans son Dictionnaire critique de la langue française (1787) : « Il y a des mots féminins devant lesquels on retranche l’e de grande : on dit Grand’Mère, Grand’Messe. C’est grand’pitié. Il m’a fait grand’peur. Nous l’avons obtenu à grand’peine. Remarquez pourtant qu’excepté Grand’Mère, Grand’Messe, la Grand’Chambre du Parlement, ces mots reprennent l’e quand ils sont précédés de l’article une. Ainsi l’on dit, à grand’peine et j’ai eu une grande peine ; j’ai eu grand’peur, et j’ai eu une grande peur. » Il conclut ensuite ainsi : « Cela signifie que le féminin est maintenant en grande, sauf dans les expressions figées. » Une vingtaine d’années plus tôt on lisait peu ou prou la même chose dans la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie française : « Lorsque le mot de Grande est mis devant un substantif qui commence par une consonne, on supprime quelquefois l’e dans la prononciation, même en écrivant, & l’on en marque le retranchement par une apostrophe, comme dans ces phrases : Faire grand’chère. C’est grand’pitié. La Grand’ Chambre. Il hérite de sa grand’mère. » Mais, comme l’avait écrit Littré, c’était une erreur. En effet, à l’origine, la forme grand s’employait aussi bien pour le féminin que le masculin, les textes d’ancien français en attestent. Ce point, qui peut sembler étrange, s’explique comme souvent par l’origine latine de notre langue. Il y avait en latin deux types de déclinaisons pour les adjectifs : la première avec des masculins en -us, des féminins en -a et des neutres en -um (bonus, bona, bonum). Dans la deuxième, le neutre était en -e tandis que le masculin et le féminin, en -is, étaient semblables (fragilis, fragilis, fragile). Ces adjectifs, épicènes en latin, le sont restés en français : fragilis a donné fragile et frêle, gracilis, gracile et grêle, humilis, humble, etc. Il en allait de même pour l’adjectif talis, « tel », ce qui explique que l’on trouve, au xiie siècle, dans le Roman de Troie, de Benoît de Sainte-Maure : « tel jor […] tel semaine […] Que la joie ert si granz ! », des vers où tel garde la même forme devant le féminin semaine et le masculin jour. Ce texte est aussi intéressant parce que grand, attribut du nom joie, garde une forme semblable à celle du masculin. On lit aussi dans La Chanson de Roland : « Puis si s’escrie [Charlemagne] à sa voiz grant et haute. »

C’est au xve siècle que, par analogie avec le couple antonyme petit/petite, on commence à lire la forme grande, d’abord comme attribut. On trouve ainsi, dans les Mémoires de Philippe de Commynes, à quelques lignes d’intervalle à la fois la forme ancienne, « En grant richesse », et la forme de féminin, « les mutations sont grandes ». Un siècle plus tard, seules les locutions figées mentionnées plus haut conservent la forme épicène ancienne et, dans tous les autres cas, le féminin est grande.

Claude T. (France)

Le 7 janvier 2021

Courrier des internautes

Bonjour,

Pouvez-vous me préciser la différence entre : aspirer vers et aspirer à ?

Je vous en remercie.

Claude T. (France)

L’Académie répond :

Ces deux locutions verbales sont synonymes, mais aspirer vers, plus littéraire, est moins employé qu’aspirer à. De plus, aspirer vers ne peut se construire qu’avec un nom, tandis qu’aspirer à peut se construire avec un nom ou un infinitif. On lit ainsi dans Cinna, de Corneille (acte II, scène 1) :

« Et comme notre esprit, jusqu’au dernier soupir,

Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,

Il se ramène en soi, n’ayant plus où se prendre,

Et, monté sur le faîte, il aspire à descendre. »

Le tour il aspire vers descendre (sans même noter le fait que la syllabe -re, à la fin d’aspire, serait placée devant une voyelle et devrait être prononcée, ce qui fausserait le vers) serait incorrect.

Gérard G. (France)

Le 7 janvier 2021

Courrier des internautes

Bonjour Mesdames les Académiciennes, Messieurs les Académiciens,

Pouvez-vous me dire si, pour les pluriels en -ou pour les sept noms communs chou, joujou, bijou, pou, hibou, genou et caillou, il est vrai que lors de l’impression du premier ou du second dictionnaire, une faute s’était glissée et que, depuis, nous utilisons un x pour le pluriel de ces mots ?

Je vous remercie.

Gérard G. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

Au Moyen Âge, les noms terminés en -l voyaient cette consonne se vocaliser en u devant le s de pluriel. Quand ce l était précédé d’un i, celui-ci tombait au pluriel. On avait donc un cheval, des chevaus ; un chevel, des cheveus ; un genouil, des genous ; un rossignol, des rossignous. Ce groupe -us était ordinairement noté par une abréviation qui ressemblait beaucoup à la lettre x, avec laquelle elle fut bientôt confondue. Et ces formes devinrent chevax, chevex, genox, et rossignox, mais comme le u se faisait toujours entendre et qu’on ne savait plus qu’il était noté par le x, on le conserva, ce qui donna chevaux, cheveux (c’est par analogie avec ce pluriel que cheveu remplaça la forme ancienne chevel), genoux, rossignoux (refait ensuite en rossignols par analogie, ici, avec le singulier).

Le nom pou, anciennement pouil (d’où sont tirées les formes pouilleux et épouiller), suivit la même évolution. À ces deux noms au pluriel en -x l’usage ajouta, sans véritable raison, bijou, caillou, chou, hibou et joujou.

Léo D. (France)

Le 7 janvier 2021

Courrier des internautes

Madame, Monsieur,

Une question m’est venue après les annonces du chef de l’État : à partir de ce samedi, la distance autorisée pour la promenade et les activités physiques passe de un à vingt kilomètres. Je me demandais s’il existait un verbe indiquant une multiplication par vingt. Lorsqu’une chose a été multipliée par cinq, on dit qu’elle a quintuplé. La même expression existe-telle pour vingt ?

Léo D. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

On trouve parfois la forme vingtupler. Elle est rare, mais figure cependant dans le Dictionnaire de Littré, où l’on peut lire : « Multiplier par vingt. Vingtupler un nombre. » Dans les multiples de dix, il n’y a que dix, vingt et cent qui ont ce type de dérivé en -upler. Ajoutons également que si centupler existe, ce verbe est beaucoup moins répandu que la locution « au centuple », employée particulièrement dans l’expression Rendre au centuple.

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