Les verbes détoner et détonner ont des sens bien éloignés : détoner, emprunté du latin detonare, « tonner fortement », signifie « s’enflammer subitement avec bruit ; faire explosion », tandis que détonner, dérivé du nom ton, signifie « sortir du ton qu’on doit garder pour chanter ou pour jouer juste » et, figurément, « ne pas s’accorder avec ce qui est autour de soi, avec l’ensemble dont on fait partie ; produire un contraste désagréable ». S’ils sont homonymes, ils ne sont pas homographes, et il ne faut pas prendre l’un pour l’autre. Mais celui qui ferait cette faute pourrait se consoler en disant qu’il est probablement né trop tard, tant les orthographes des deux mots, que l’étymologie n’explique pas vraiment, a varié. Qu’on en juge : détoner s’est d’abord rencontré, chez Richelet, sous la forme détonner, puisqu’il la rattachait, fort justement, à tonnerre. Napoléon Landais adopte aussi cette orthographe dans son Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français (1834), en précisant qu’ainsi on la distingue de détoner (qui est aujourd’hui notre détonner). Féraud fait de même dans son Dictionnaire critique de la langue française. Quant à l’Académie française, dans les trois premières éditions de son Dictionnaire, elle écrivait détonner, pour « ne pas être dans le ton » ; ce verbe perdit brièvement un n dans la quatrième édition pour le retrouver dès la cinquième, sans doute car c’est dans cette cinquième édition que son homonyme fit son apparition. Ces variations font que, depuis plus d’un siècle et demi, des exégètes se demandent quel sens donner au détone de Verlaine dans « Nevermore », un des Poèmes saturniens :
« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone. »