Discours prononcé pour l’inauguration de la stèle érigée à la mémoire de René Bazin à Angers

Le 12 avril 1986

Jean GUITTON

René Bazin n’est pas à la mode. On lui oppose l’axiome fameux qui interdit aux bons sentiments d’inspirer une bonne littérature. À ce compte, il faudrait proscrire Homère, Virgile, Dante, Hugo ! Ce qui est vrai, c’est que pour traduire le mal dans les Lettres, un grand talent suffit. Mais pour traduire le bien, il y faut du génie... J’ai eu le privilège de connaître René Bazin au début de ma carrière et de recevoir une sorte d’investiture, comme s’il avait fait le signe de croix sur mon front. À l’heure où j’ai dépassé l’âge de sa mort, je vais lui rendre un hommage équitable. Je me souviendrai toujours de ce gentilhomme qui semblait fait d’acier flexible, unissant la vigueur à la tendresse. Il m’avait fait son testament.

Avec cette mélancolie de la fin d’une vie (où l’on compare ce qu’on a voulu à ce qu’on a fait), il m’avait dit souffrir des interprétations de son œuvre. Car il entendait dire qu’il avait écrit pour défendre les traditions de la bourgeoisie. Son désir était tout autre : dans ses romans, il avait posé les problèmes cruciaux de la patrie, de la civilisation, du christianisme. Le problème de la France après la défaite de 1870 et l’amputation de l’Alsace (les Oberlé) ; le problème de la paysannerie (La terre qui meurt) ; le problème de l’école laïque confrontée aux grands mystères de la souffrance et de la mort (Davidée Birot). Puis, me disait-il après un long silence, à la fin, plus proche de son éternité, il avait osé aborder les problèmes de la vie spirituelle, du sacrifice, du sacerdoce. Il écrivait alors son roman ultime, le Magnificat, où il peint la vocation d’un paysan à la prêtrise, unissant la mystique de la terre à celle du ciel. Et il achevait son œuvre par la vie de Charles de Foucauld. Puis-je ajouter que, sachant que j’aimais à peindre, il me donna un petit ouvrage appelé « Notes d’un amateur de couleurs », où je compris qu’il était un paysagiste de la lumière argentée, tamisée,

fraîche, nuancée ; celle de son Anjou, celle qui baignait sa maison familiale des Rangeardières : celle de son style. Il devait m’arriver de parler de René Bazin avec François Mauriac ; ces écrivains, également catholiques et si contraires. L’un avait exprimé, comme Corneille, la conscience ardente et pacifiée ; l’autre, comme Racine, la conscience déchirée... Ils s’unissaient par un égal amour de ce que Bazin appelait le « doux parler de France ». Ils se retrouvaient dans ce haut lieu de nos convergences qu’est, depuis trois siècles, une Compagnie à laquelle ils étaient fiers d’appartenir. Et c’est au nom de l’Académie française que je lui rends hommage.<?xml:namespace prefix = o />