Réception de Henri Massis
Tandis que la Coupole, sous un masque d’échafaudages, suit une cure de rajeunissement, l’Académie française, recevant le fastueux accueil de l’Université, vient d’entendre votre remerciement, au sein de cette Sorbonne, où vous fîtes, en votre jeunesse, un si beau tapage.
Ho ! il ne s’agissait pas de ces claquements de pupitres, ou de ces vocalises fortement scandées, à quoi les étudiants recourent pour affirmer leur joyeuse indépendance. L’affaire relevait de plus importants soucis.
Peut-être y retrouverait-on un écho, fort lointain, de ce bruit mené jadis par maître François Rabelais contre un certain formalisme de l’Illustre Maison. Cette rencontre avec l’auteur de Pantagruel n’est pas sans pittoresque, et, si la gravité de votre style ne le rapproche guère des facéties du Curé de Meudon, l’humanisme vous apparente incontestablement à lui.
Et c’était bien de cela qu’il s’agissait.
La rumeur, d’abord mystérieuse, parcourut la presse sous le vocable d’Agathon. On crut qu’il s’agissait de quelque intellectuel grisonnant qui se divertissait à vider son carquois, du fond de sa retraite. L’on fut assez longtemps à découvrir le secret. L’intention d’Agathon n’était pas de se cacher indéfiniment, mais d’éveiller la curiosité avant de démasquer la jeunesse des auteurs que désignait ce nom collectif : vous-même et Alfred de Tarde, dont vous m’avez souvent rappelé la brillante activité dans cette campagne.
Parisien de Paris, s’il en fut, puisque vous êtes né, comme vous le dites, « à Montmartre au temps des peintres », vous avez d’ailleurs quitté le lycée Condorcet pour tâter de l’Ecole des Arts Décoratifs, mais sans beaucoup insister. Retourné à Condorcet, vous assistez au cours d’Alain, que vous nommez si justement « un incomparable éveilleur d’esprit ». C’est lui qui vous donne le premier élan. Et vous voici en Sorbonne où vous acquérez la licence de philosophie. Là se sont formés vos griefs.
Ayant franchi la même étape, deux ou trois années avant vous, je les aperçois clairement. De la philosophie, il ne subsistait guère, en dehors de l’histoire des systèmes, que ce que l’on appelait du nom rébarbatif de psychophysiologie, une parente pauvre de la médecine ! La métaphysique était le fruit défendu. Cela signifiait la primauté donnée à l’observation scientifique sur l’interprétation personnelle. Mais, vous adressant à un public étendu, c’était sur l’ensemble des études littéraires que vous portiez le débat.
Vous les montriez en train de devenir un laboratoire de philologie, le commentaire des idées s’effaçant devant l’érudition et les spécialités, le raisonnement, devant la boîte à fiches et la discussion grammaticale. Il ne fallait pas sentir, là, où l’on pouvait savoir.
Quant à l’Histoire, désormais élevée à la dignité de science, elle ne devait pas entretenir plus de rapports avec la littérature que la physique ou la chimie. Les historiens, dites-vous, ont la phobie de l’esprit littéraire, le spectre de Michelet les hante !
La polémique fut très ardemment suivie. D’un côté, il y avait une jeunesse portée à conclure trop vite. De l’autre, les représentants du plus haut enseignement séculaire de la France, peu disposés à goûter tant d’audace !
En réunissant dans un volume les articles de cette campagne, vous eûtes la loyauté de publier les réponses et surtout le discours, resté célèbre, du doyen Croiset, dont vous respectiez le prestige de grand humaniste. Il eut l’habileté de rapprocher les contraires. Il disait : « Jamais la méthode n’a défendu de réfléchir. Elle ne donne pas l’intelligence, mais elle lui permet de ne pas s’égarer. La bibliographie, la paléographie, nos programmes les appellent des sciences auxiliaires. Mais comment goûter un texte, en percevoir les finesses sans beaucoup d’étude et de savoir ?
« L’étude des méthodes est la préface naturelle des travaux que vous pourrez entreprendre plus tard.
« Efforçons-nous d’être des savants, des érudits, parce que c’est indispensable et que c’est honnête. Mais soyons aussi des lettrés parce que c’est une jolie chose et bien française. »
D’ailleurs, tout en frondant ce que vous nommiez l’« esprit de la nouvelle Sorbonne », vous eûtes l’élégance de montrer ce que vous pouviez en tirer vous-même. C’est ainsi que se détache, tout au début de votre carrière, fort différent de vos autres ouvrages, le livre intitulé Comment Emile Zola composait ses romans. Le titre révélait aussitôt cette méthode dont vous alliez pourfendre les abus.
Il révèle autre chose encore, malgré cette campagne animée, un fond d’attachement personnel à ces maîtres dont votre évocation d’Émile Faguet nous donnait tout à l’heure, une preuve délicate. Mon propre souvenir rejoint encore le vôtre. Quelle spontanéité, quelle simplicité humaine et gentiment distraite chez ce bon Faguet ! Comme vous, j’ai tiré sa sonnette, et, venu lui parler, entre l’écrit et l’oral de ma dissertation de licence, je reçus des félicitations sur un certain passage : « C’est vraiment très bien », dit-il.
Il s’agissait d’un fidèle écho de son propre cours ! Je n’ai pas osé le lui dire. J’ai eu tort, il en aurait ri tout le premier.
Revenons à votre ouvrage qu’il encouragea. Vous ne prétendiez point examiner le fond de l’œuvre de Zola, sa portée sociale, mais seulement les procédés de l’auteur. La méthode, l’énorme documentation, le souci des sources scientifiques, le plan général de l’œuvre minutieusement établi, l’influence prédominante de l’hérédité sur les personnages.
« Tous ces moellons, le fondateur du roman naturaliste les assemble, les soulève de son souffle puissant et en fait de la vie. »
Plein d’ambition et de confiance, il s’avoue à lui-même
« J’ai trouvé l’outil de mon époque. »
Tel est, observez-vous, ce labeur d’un homme que vous nommez « un infatigable ouvrier des lettres et le plus honnête des artistes ». Après tant de luttes politiques où Zola s’était jeté à corps perdu, ces lignes venant d’un camp opposé témoignent, de votre part, d’une solide loyauté intellectuelle.
Dans le volume, sur grand papier, que vous m’avez prêté, s’était glissée une lettre autographe, modeste et touchante, de la veuve du romancier vous remerciant de votre entreprise.
Entre deux autres feuillets, j’ai trouvé une lettre de Jacques Bainville sous le pseudonyme d’Henri Dartevel, s’excusant, avec une courtoisie raffinée, du malentendu qui l’avait porté à malmener quelque peu, dans l’Action française, cet ouvrage d’ « un certain M. Massis ». Il devait plus tard s’établir entre vous, une parfaite entente d’esprit et une inaltérable amitié. Il y a beaucoup d’imprévu dans votre existence. Mais votre doctrine ne vit pas en vase clos. Elle garde de vastes ouvertures sur le monde.
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Cependant, après avoir excellé dans l’érudition critique, vous refusez d’y persévérer. Et cette controverse d’Agathon, toujours menée par vous-même et Alfred de Tarde, en éveillant l’attention de nombreux lecteurs, vous donne à tous deux l’idée d’une enquête sur la jeunesse, d’où vous tirez une double conséquence, l’une à l’égard du public, pour élargir le débat, l’autre pour le resserrer à votre propre égard.
C’est par un profond renouvellement de ses vues sur l’existence que la jeunesse pensante marqua le début du XXe siècle. Elle se révolta contre la prétendue antinomie de la pensée et de l’action. Contre le dilettantisme, du haut duquel tant de ses aînés regardaient dédaigneusement passer la vie, elle dressa une volonté toute neuve.
L’histoire, disiez-vous, ne doit pas faire de nous des spectateurs. Il faut y entrer. Les années ne se comptent point par des fiches. Elles se marquent de résolutions. Les intellectuels ont assez regardé par la fenêtre de leur tour d’ivoire. Qu’ils descendent jusqu’au chemin, qu’ils marchent devant la foule. Et vous cherchiez la guérison contre ce que vous nommiez le mal de Renan, l’aimable doute, l’ironie caressante dont l’auteur de la « Prière sur l’Acropole » enveloppait une vie qu’il ne voulait qu’harmonieuse.
« Son incontestable génie littéraire ne masquait-il pas la débilité de sa pensée, à une époque plus soucieuse d’être séduite que d’être conduite ? »
Telle est votre heureuse expression.
Il vous fallait conquérir la certitude. Vous la trouviez déjà sur un premier échelon : la fierté nationale agissante, l’incorporation aux destinés de la patrie, et vous rendiez à cette notion de service, faussement interprétée comme un abaissement, sa vraie place, à côté de la notion d’honneur.
Péguy disait, près de vous
« Nous assistons indéniablement en ce temps-ci à une profonde et violente renaissance française. »
Tous les intellectuels ne vous suivaient pas et le choc des idées est un aspect de la libre France. Mais ceux qui vous accusaient d’aspirer à la guerre ne la voyaient pas venir d’en face et ne devinaient pas votre souci de vous préparer seulement à la soutenir.
Autour d’Agathon s’étendait la controverse. Et vous pouviez recueillir, d’un homme d’Etat, bien éloigné de votre horizon, Edouard Herriot — qui devait apporter sa renommée à notre compagnie — ce témoignage :
« Sur tant de ruines accumulées, un jeune Dieu surgit et s’impose, il se nomme le Courage. S’il faut en croire Agathon — et j’y suis disposé — la jeunesse contemporaine honore le caractère, la personnalité, l’empire de soi. Pui elle est, cette jeunesse patriote. Ah ! comme elle a raison. »
D’autres, bien mal inspirés, affectaient de ne tenir que pour verbal ce courage qui allait bientôt signer, d’un sang généreux, son authenticité.
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Mais, avant de vous retrouver en action, parmi cette jeunesse, poursuivons un moment, votre voyage intérieur.
Vous aviez atteint un premier palier de certitude, la réalité nationale. Elle ne vous suffisait pas, bien que des maîtres, vers qui montait votre admiration, s’en fussent contentés : un Barrès, que nous retrouverons tout à l’heure, un Maurras, à qui j’ai eu le grand honneur de succéder sous la Coupole. Mais celui-ci n’avait-il pas dit : « En esthétique, en politique, j’ai connu la joie de sentir dans leur haute évidence, des idées mères, en philosophie pure, non. »
Il lui fallut attendre ses derniers jours.
Pour vous, la nécessité apparaissait de dépasser le monde expérimental. Et vous écriviez : « L’homme a besoin pour vivre d’une vérité qui ne soit pas relative. »
Le christianisme qu’un Maurras admirait, mais ne retenait que dans ses applications uniquement humaines, c’est à sa théologie tout entière que vous attachiez définitivement votre conviction. Vous ne comptiez que vingt-sept ans ! Pour rapide qu’elle fût, cette ascension vers la certitude totale, vers la fixité de l’esprit, ne s’était pas accomplie sans angoisse, ni peine.
« Là où nous sommes, nous n’y sommes pas arrivé sans débat, nous l’avons payé », confiez-vous.
Émile Henriot, dont nous déplorons la perte si soudaine, et qui devait être l’un de vos parrains, a laissé, parmi ses derniers écrits, un article sur votre livre De l’homme à Dieu. Il s’affirmait votre ami, bien que n’ayant rien d’autre en commun avec vous que « la recherche passionnée de la vérité ». Il aimait votre rectitude, votre dignité, votre désintéressement, ce qui ôte toute malignité à la boutade que voici. Il disait de vous :
« Quel inquisiteur il eût fait, sans avoir à changer seulement de visage, émacié au regard ardent, comme est le sien, propre à être peint par le Greco ou par Zurbaran. »
Inquisiteur de vous-même ? On peut le soupçonner par cette sévérité que vous exercez sur votre propre esprit. Inquisiteur à l’égard des autres ? Il y aurait là une ardeur à punir qui ne fut jamais, de votre part, qu’une ardeur à convaincre.
Pour parvenir à cette fermeté de pensée avez-vous suivi un maître ? Je ne le crois pas. Je ne vous vois complètement le disciple de personne, sauf de l’orthodoxie catholique. Sans doute, comme tout écrivain, avez-vous subi, accepté, recherché des influences, et, dans ce sens, connu des maîtres, non un seul, des auxiliaires de pensée.
Dans la plupart de vos ouvrages : Visage des idées, Jugements, Evocations, Maurras et notre temps, De l’homme à Dieu, vous marquez ce souci qui vous est particulier, de ne pas enfermer vos idées à la manière d’un Descartes, dans le labyrinthe de la pure abstraction, mais de partir à la recherche de ceux que vous appelez « les écrivains d’influence ».
On a fort discuté le titre de Jugements que vous avez donné à l’un de vos ouvrages. Les jugements littéraires se peuvent répartir en trois sortes : Ceux que prononcent les aînés sur les cadets. Souvent péremptoires, ne sont-ils pas fragiles ? Ceux des contemporains entre eux ? La perspective manque ! Enfin, les jugements des cadets sur les aînés. Bien qu’ils paraissent téméraires, ils ont le plus souvent les faveurs de la postérité.
Dans ce qu’André Lang nomme un «tumulte contenu avec effort», vous les avez exercés tous les trois, suivant une règle d’or : respecter la liberté d’expression de l’artiste, réserver tout le poids de la critique à la pénétration d’une œuvre dans les consciences.
De là une série de rencontres où de grandes ombres se mêlent aux présences vivantes, aux fortes amitiés. Suivons-en quelques-unes.
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Maurras détestait Pascal qui, néanmoins, le hantait : « Plus je le lis, plus il me fait horreur, lui, sa sœur, sa nièce, toute la bande ! Ils sont durs, perdus d’orgueil. Leur charité est toute hérissée de haine. »
Vous les aimez, vous les admirez l’un et l’autre. Et vous écrivez sans trouble : « Bien de plus libre, de plus stimulant que le climat familial où grandit le jeune Blaise... Une société heureuse, brillante et polie. Une telle vie émerveille par le triomphe des facultés raisonnables, conduites avec rigueur jusqu’à ce point où elles connaissent et acceptent leurs limites. »
Mais quand vous dites : « Pascal combat au poste de solitude. Il se dresse seul et nu, toute l’âme hors de son corps blessé », ne semble-t-il pas que ces nobles expressions s’appliquent aux dernières années de Maurras et qu’ainsi vous rapprochez ces deux « grands écrivains d’humeur ». Mais vous marquez combien le point de départ de l’auteur d’Antinéa est différent de l’intuition et de ce que nous pourrions appeler la saisie du divin chez Pascal. Celui-ci se fonde sur la mystique et le monde intérieur. Celui-là, sur une esthétique, révélée par deux paysages, son horizon natal, colonie grecque de Martigues, et la colline de l’Acropole, pour remonter « aux lois spécifiques qui gardent de la mort l’homme en société » ! Les voilà néanmoins qui se rejoignent :
« Grandeur de l’homme, misère de l’homme, voilà ce qu’un Maurras, tout comme un Pascal, découvre dans le spectacle du monde. »
Puis-je m’arrêter un instant à une controverse, sans la moindre animosité, où l’humour se mêlait à la dialectique ? Le philosophe du Parthénon, recourant à sa méthode empirique, posait que les lois de la vie politique se révèlent plus efficaces qu’une morale individuelle, pour secourir la faiblesse humaine, et atteignent, indirectement, mais sûrement, le même résultat.
Et de vous insurger contre ce que vous nommiez une « doctrine mécaniste » qui niait un peu trop l’initiative, l’ « effort cornélien ». Voici la réplique de Maurras : « Peut-être croyez-vous, mon cher Massis, que l’on fait des enfants ? Détrompez-vous, on embrasse sa femme ! Les enfants viennent quand ils viennent, comme ils peuvent venir ! »
Et vous vous laissâtes convaincre, je ne dirai point par cette boutade, mais par des démonstrations fort savantes, qu’un certain moralisme individualiste ne présentait rien que d’illusoire, à vouloir se passer des grandes lois de l’univers, de l’espèce et de la politique, au sens aristotélicien du mot.
Non que vous fussiez ainsi amené à nier le perfectionnement intérieur, la libre énergie personnelle, mais à les ramener, de la démesure idéologique à des proportions efficaces, à les insérer dans la trame des événements.
« On ne substitue rien ni à la nature, ni à Dieu. »
Pendant ce temps se poursuivait le dialogue entre ces deux penseurs : Barrès, Maurras. Barrès, lui-même, se définissait ainsi : « Chacun a son rôle. A Maurras la forme didactique de la leçon, des conseils à autrui, des polémiques, du système. Qu’on me permette ce que je me surprends à faire sans en avoir le projet : la méditation. »
Cette méditation barrésienne vous la montrez : « Orientant les jeunes hommes, les excitant à vivre, leur communiquant un certain ébranlement de l’âme, dont son art avait le secret. »
Entre les deux, se place Anatole France, pour l’excellence du langage et le grand cas que l’un et l’autre faisaient de lui. Ceux-là vous communiquèrent leur flamme, celui-ci vous toucha de la grâce de son esprit.
Il vous accueillit « villa Saïd, sur un siège de prélat, enveloppé dans une robe de bure, le chef couvert d’une calotte de soie écarlate ». Ce qu’il dit de Bergson ne vous plut guère : « M. Bergson essaie de mettre un nouveau corset à l’infini. » Mais vous l’entendîtes parler de Racine « comme personne ne le fit ».
Vous aviez devant vous « le gardien et le prêtre du parler aux douceurs souveraines ». Un incident de mince apparence vous frappa : « J’ai vu M. France recommencer jusqu’à cinq fois une lettre à un fournisseur pour en chasser les répétitions de verbes auxiliaires, c’est la plus belle leçon de français qui m’ait été donnée. »
Vos écrits témoignent combien vous en avez tiré profit !
Lors de cette visite, vous n’en étiez pas encore au parti délibéré qui restera le vôtre, et vous preniez le divertissement de lui offrir un petit conte Pyrrhonien de votre façon, qu’un de vos auditeurs eut, plus tard, la malice de vous resservir.
« Vous veniez de parler — raconte Yves Ganelon — de la vérité imprescriptible. Un jeune homme s’avance alors et vous demande la permission de lire un texte, sur la vérité, ainsi conçu :
— Prenez toujours son parti, sans être bien sûr qu’elle soit autre chose qu’un mot.
Ces lignes, ajoute le lecteur, sont extraites du Puits de Pyrrhon de M. Henri Massis.
Alors, sans vous déconcerter un instant, vous décochez cette réponse :
— Et voilà ce que j’appellerai revenir de loin !
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Regardons une autre grande figure de la galerie de vos livres.
« Dans notre bagne matérialiste, Bergson introduisit la liberté. » Et cette fois, ce qui est rare dans vos peintures, c’est par quelques traits physiques que vous présentez la personne morale :
« A cinq heures le maître parait, un grand recueillement, un silence parfait s’établit aussitôt. Petit, sec et comme immatériel, le col fermé, en redingote et cravate noire, M. Bergson porte, sous un large front limpide, un visage effilé, au nez en bec d’aigle. Sous la voûte de ce front chauve, modelé pour la méditation et les soins intellectuels, des yeux d’une étrange fixité, qui ressemblent à ceux des oiseaux nocturnes, habitués à voir dans les ténèbres, des yeux vifs qui se cachent sous l’ombre des sourcils, mais jettent des lueurs brusques lorsque jaillit le mot attendu, où l’idée soudain devient intelligible. Tout ce qu’il dit n’est qu’indication, que vérité murmurante.
De quoi parle-t-il ? De la personnalité.
— Notre personne nous apparaît comme une anticipation sur l’avenir. Notre moi est fait de notre passé, de notre présent, mais il est surtout penché sur le futur.
Plus bas, il ajoute :
— La personnalité c’est un élan qui est emprisonné par une force pesante : aussi est-elle essentiellement un effort. »
Vous écrivez dans Evocations : « Je me souviens encore de ce soir de décembre où Henri Franck avait obtenu de la Comtesse de Noailles qu’elle assistât à un cours de Bergson. Toute menue, serrée, à peine assise au milieu du groupe de normaliens, elle contemplait de son regard d’aigle royal, le merveilleux artiste pour qui la métaphysique n’était qu’une réflexion sur l’art, et l’art, lui-même, une métaphysique figurée.
« Quand nous sortîmes et qu’avant de franchir la grille du Collège de France, nous osâmes lui demander son impression sur ce qu’elle venait d’entendre :
— Mais je sais tout cela depuis que je suis née ! s’écria-t-elle. Admirable privilège de la poésie !
« A nous, étudiants de Sorbonne, pour qui le réel n’était plus qu’abstraction et sèche analyse, cette philosophie nous restituait la richesse de la vie intérieure, de la sensibilité et c’était comme un souffle frais qui passait sur nos âmes. »
Toutefois, d’une rencontre de hasard au détour du boulevard Exelmans, surgit, avec le philosophe, un entretien inattendu et déconcertant. Il vous parla de vos études, s’informa de vos travaux et aborda enfin le sujet où depuis le début de la rencontre, vous cherchiez à l’attirer.
« La vérité, reprit-il, doucement, elle se fait... elle se fait dans l’ordre de la physique. Oui... elle se fait dans d’autres ordres, elle en approche et, sans doute... plus tard. » Plus tard... mais déjà vous n’entendiez plus. Contre ces deux mots votre esprit butait. Il vous fallait l’absolu.
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C’est avec Maritain, avec Claudel, avec Péguy, avec Psichari que vous l’avez trouvé.
Le Moyen Age, cette époque où l’Europe formait un seul peuple — et dont vous parler avec tant de pénétration —, revivait en vous, dans sa plus haute spiritualité, dans son unité splendide.
L’Occident tout entier est aujourd’hui à la recherche de cette union perdue qui fut pratiquée et sentie dans chaque poitrine humaine, sous le signe de la croix. Et, comme ces chevaliers au cœur tranquille, ignorant l’inquiétude, bardés de confiance, plus encore que de fer, vous vous êtes, vous et vos amis, véritablement croisés. Vous n’étiez ni des cénobites, ni des anachorètes, vous alliez devenir des moines guerriers, obéissant à cet appel des armes que faisait retentir Ernest Psichari, votre guide, votre compagnon dans les étapes de la spiritualité.
De quelle main ferme élevait-il le gonfanon ! Il parait ! votre plume l’évoque : « Au physique toute sa personne s’affirmait en vigueur, en santé, en exubérance. Quel singulier garçon ! On eût dit que tous ses ancêtres se levaient, se querellaient, les Bretons, les Hollandais, les Orientaux et les Celtes, les Hellènes et les Vénitiens, les catholiques et les protestants, les mystiques et les téméraires. »
« Et l’on voudrait, s’écriait-il, que je ne mette pas de l’ordre dans ce désordre qu’en naissant j’ai trouvé en moi ? Je n’ai qu’un moyen, un seul, me rattacher à un ordre donné parmi les hommes, et, pour devenir libre, me faire dépendant. »
A lui aussi, il en avait coûté ! Le lieutenant Psichari, petit-fils de Renan, allait devenir un Père de Foucauld resté sous l’uniforme.
Votre groupe de jeunes écrivains relevait ce double défi qui eût paru insoutenable, quelques années auparavant, parmi la jeunesse :
Porter la religion, que les esprits forts traitaient de murmure de femmes, et le patriotisme, d’image d’Epinal, à une position intellectuelle incontestable.
Et le maître du scepticisme qui régnait alors sans partage sur les lettres françaises, devait bientôt vous rendre un hommage émouvant. Ayant lu un article de vous dans l’Opinion, Anatole France vous écrivait, le 22 avril 1915 :
« Vous avez peint en traits ineffaçables « cet héroïsme devenu une attitude constante et humble » et « cette amitié, cette communion humaine » devant l’action terrible que vous avez pratiquée d’un si grand cœur. Permettez à un vieux Français de vous embrasser. »
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En effet, depuis huit mois, la France était entrée dans la première guerre mondiale.
Le sang de vos amis et le vôtre s’était déjà répandu
Le 22 août 1914, Ernest Psichari est tué à l’ennemi.
Le même jour, tombe Alain Fournier.
Le 5 septembre, Péguy !
Le 15 janvier 1915, le caporal Massis, du 3’ Bataillon de chasseurs à pied sous les ordres du commandant Léon Madelin, frère de l’historien, est blessé devant Notre-Dame de Lorette à l’attaque d’une tranchée allemande et cité à l’ordre du corps d’armée, reçoit la croix de guerre.
Le 9 juin devait tomber Paul Drouot, votre frère de bataille dont la noblesse d’âme a laissé son empreinte sur toute votre vie.
Nommé sous-lieutenant en juillet 7915, vous rejoignez le 66’ Bataillon de chasseurs à pied en Argonne. Et pour aller jusqu’au bout de votre périple guerrier, nous apprenons, par une nouvelle citation, qu’au retour d’une mission navale en Grèce, le bateau qui vous ramenait en France avant coulé, votre sang-froid et votre courage ont été pour tous un exemple.
Permettez-moi d’ajouter, Monsieur, que de tels souvenirs ne vous dépayseront pas dans notre Compagnie.
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Cette première guerre mondiale laisse, aujourd’hui, dans le temps, assez de perspective pour offrir à l’Histoire quelques traits essentiels.
Peut-on contester qu’elle ait atteint l’un des sommets les plus hauts et les plus purs de notre existence nationale ? On chercherait en vain, à travers nos siècles, une trêve plus loyale, dans la déconcertante et persistante querelle française que, malheureusement, les dangers n’ont pas toujours suffi à contenir. Elle semblait alors vraiment éteinte, dans ce qu’on a si justement nommé l’union sacrée, l’union profonde des pensées et des cœurs, dans un consentement général à une même action, dans la clarté du but, dans l’orgueil lucide et ensanglanté de plusieurs millions de soldats vivants, appuyés sur plus d’un million de ces « Croix de bois » chantées par Roland Dorgelès, pour barrer l’entrée de nos vallées à l’ennemi — même dans leurs murmures où la fière indépendance de la race ne perdait pas ses droits — dans l’allégresse du sacrifice, dans l’aveu sublime et presque naïf d’une gloire incomparable et totalement désintéressée.
L’ardeur toujours si vive, en ce pays, des opinions politiques, était mieux qu’étouffée, elle participait à un souffle unique. Lorsque Charles Maurras intitulait un livre Quand les Français ne s’aimaient pas, n’était-ce point pour affirmer que désormais ils s’aimaient, qu’ils voulaient continuer à s’aimer. Et les plus fervents royalistes marchaient de tout leur cœur sous les drapeaux de la république.
C’est ce qu’il faut souligner.
Le Maréchal Joffre avait coutume de dire que, s’il avait perdu la première bataille de la Marne, personne ne lui en aurait envié la responsabilité. Ce qui est vrai pour cette bataille est vrai de toute la guerre. Admirateur convaincu d’un millénaire de monarchie constructive, je me sens à la fois plus libre et plus obligé de reconnaître la signature de la Ille République dans cette guerre gagnée.
C’est la république de Poincaré qui a mis le pouvoir aux mains de Clemenceau, le bâton étoilé aux mains de Joffre, de Foch, de Pétain, de Franchet d’Esperey, de Fayolle, de Lyautey et la baïonnette ou le sabre aux mains des Psichari, des Péguy, des Alain Fournier, de tant de leurs émules, et jusque parmi nous !
C’est elle, avec Barthou, qui a élaboré la loi de trois ans, c’est elle qui, mieux que de se faire obéir, s’est fait écouter d’un grand peuple ombrageux. Sans doute devait-elle s’effriter par la suite et sombrer, vingt ans après, sous l’invasion. Mais laissons-lui, parmi les gloires de Versailles, la grande journée qu’elle y a vécue. L’humiliation de 1871 est effacée sous les mêmes lambris. C’est une apothéose du prestige français...
L’ascension s’arrête là. Les mêmes parchemins qui consacrent la victoire consomment aussitôt la perte de la paix. La confiance un peu mesurée de nos alliés ne va pas jusqu’à nous accorder, malgré les efforts de Clemenceau, des garanties naturelles, remplacées par un traité fragile et plein d’explosifs.
La paix n’est pas seulement perdue pour la France, elle l’est aussi pour l’Europe, pour le monde, par l’éviction des Habsbourg, dont la nouvelle orientation, marquée par l’empereur Charles, vers une politique libérale et respectueuse des nationalités fédérées pouvait seule garantir l’Europe centrale des intrigues de l’Anschluss et du démantèlement fatal à ses libertés.
Notre confrère Jacques Chastenet, au cinquième tome de son Histoire de la Troisième République, nous confie un mot de Clemenceau :
« Ce traité sera un perpétuel devenir à moins qu’il ne soit un fiasco complet. »
L’attention des anciens combattants qui auraient pu avoir une influence massive sur la politique nationale, fut endormie par une idéologie brumeuse. Abusant de leur générosité, on leur fit accroire qu’ils s’étaient battus pour la paix du monde, alors qu’ils s’étaient donnés à quelque chose de beaucoup plus simple et de beaucoup plus vrai, la protection de leur terre et de leurs foyers. L’illusion et la déception réveilla, chez nous, la vieille querelle gauloise. Le jeu des partis, que la France d’avant 1914 avait assez allégrement supporté, rompit l’équilibre civique, tandis qu’à l’Est remontait une menace que le pays ne voulait plus voir.
Alors, Monsieur, sans vous décourager, vous reprenez votre poste. La Revue Universelle où vous secondez Bainville, relance la bataille des idées. Cet historien, si sûr et si informé de la continuité française, et, de surcroît, un prestigieux écrivain, disparaît prématurément. Vous lui succédez. Dès 1927, vous aviez publié cette Défense de l’Occident, cri d’alarme révélateur des dangers qui s’approchent, et en môme temps, vaste spectacle des idées-forces qui allaient se disputer le monde. Vous nommez les périls : germanisme, bolchevisme, asiatisme.
Le ressort dangereux du germanisme — dont nous voyons aujourd’hui l’Allemagne de l’Ouest, avec Adenauer, se dégager loyalement pour se souder à l’Occident — c’est qu’il substitue à la notion de l’être celle d’un perpétuel devenir, portant en soi et comme par nature, la fluidité des engagements et la surprise des lendemains.
Quant à l’Asie, elle se caractérise en une tendance de la personne à se défaire, à se fondre dans le mystérieux ensemble des choses, pente sur laquelle les Asiatiques savent se retenir par accoutumance, et qui est fatale à l’Européen.
Le bolchevisme est le véhicule de ce double danger, et son peuple, à l’image de la steppe, ne connaît pas de limite à ses impulsions et à ses sensations, sinon celle de la force.
Ces courants étrangers circulent parmi les esprits français, curieux de ce qui ne leur ressemble pas et de ce qui les trouble.
C’est sur une France en désarroi qu’éclate la seconde guerre mondiale. Certes le courage individuel, l’abnégation des sacrifices cachés, l’héroïsme secret des missions dangereuses, le refus de consentir à l’étouffement du pays, l’obstination plus forte que la force, ces vertus ne le cèdent en rien à celles de la génération de l’autre guerre. Mais les misères de l’occupation ont extirpé des cœurs cette union sacrée qui fut la grande consolation des anciens sacrifices et le mot d’ordre des vieilles batailles.
Forts de l’Appel du 18 Juin, les uns affirmaient ce vers de Corneille : « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis. »
Les autres restaient dans l’hexagone pour l’empêcher de se dessécher et devenir stérile. L’Histoire, dans sa sérénité, ne les opposera pas.
Vous avez, non sans mérite ni dangers de toutes sortes, à travers les contradictions et les tourmentes, gardé fidélité à l’héritage intellectuel de l’Occident, qu’il fallait sauver pour l’avenir.
Mais, quand les armées françaises, sous des chefs dignes de leurs aînés eurent reconquis par tant de génie militaire, de bravoure et de sacrifices, leur propre sol meurtri, les âmes, longtemps, sont demeurées farouches !... Les événements n’étaient guère de nature à leur rendre le calme.
Les armes nouvelles avaient affreusement mêlé le sang des populations pacifiques à celui des soldats. Et lorsque la victoire eut couronné l’héroïque ténacité de la France et de ses Alliés, la paix de l’univers, comme après 1918, fut encore manquée. Ce n’était, il faut bien le dire, ni de la faute de la France, ni celle de l’Angleterre si, derrière les ruines de l’hitlérisme, trop d’illusion généreuse chez l’ami d’Outre-Atlantique avait laissé grandir dans les traités, un panslavisme menaçant et par son idéologie et par ses armes.
Quant au premier enjeu, qu’était-il devenu ? Après avoir commencé une juste guerre pour sauver la Pologne, on ne lui laissait que de nouvelles chaînes !
Cependant, il fallait bien, au milieu des solutions provisoires, émerger du désarroi, et non seulement réapprendre à vivre, mais réapprendre à penser. D’ailleurs, il est juste de reconnaître les efforts que ne cessent d’accomplir, aujourd’hui, les Etats du monde libre, pour obtenir ce redressement essentiel.
Quant à vous, Monsieur, pour la troisième fois vous retournez à votre tâche, celle-là même que vous venez de définir si fortement devant nous. Il faut refaire la personne humaine, selon les conditions de vie de l’Occident, sinon périr.
« Nous sommes les héritiers d’une civilisation que nous n’avons pas faite et qui nous a faits. »
Elle est issue du monde gréco-latin et du christianisme. Ses mots de ralliement sont : personnalité, unité, stabilité, autorité, continuité. La France en est redevable au monde. Ainsi vous exprimez-vous.
Quand le torrent des découvertes semble vouloir tout arracher des siècles accomplis, vous proclamez que les idées restent et que l’on est dans le vrai ou dans le faux quelle que soit l’antiquité ou la nouveauté d’une théorie. Vous êtes, selon votre propre aveu, un homme d’opinion définie, non pour épouser le drame du monde, mais pour y faire face. Clamez-vous dans le désert ? Adoptez-vous une attitude d’isolement que d’aucuns vous reprochent ?
Nous venons de vous écouter et nous voyons bien que votre résolution est tout le contraire d’un beau désespoir. Je la vois plutôt confiante, non point mesquine, aux dimensions d’une école, mais adressée à tout l’univers intellectuel.
Lui aussi est menacé, comme l’univers matériel, d’une sorte de bombe atomique qui tend à faire éclater la pensée et à disperser, sur un horizon sans rivage, les débris de la personne humaine. Voilà pourquoi votre œuvre dresse devant la subversion de l’intelligible, l’indépendance et l’unité du roseau pensant.
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Votre prédécesseur, dont vous avez su faire revivre, comme si vous l’aviez personnellement connu, la noblesse d’âme, la richesse d’intelligence, la vaste culture, la sincérité apostolique, les positions solides devant le problème du monde, se serait plu, n’en doutons pas, à rapprocher deux titres de vos livres pour en faire une devise et il aurait pu dire : Les idées restent pour la défense de l’Occident.
On pouvait lire sur son visage toute l’étendue de sa personnalité visage sculpté en force, mais adouci par une expression de bonté et de courtoisie, éclairé d’un regard perçant qui n’empruntait rien à la violence et tout à la conviction. Quelle force morale en sa bonne grâce ! C’est lui qui disait : « Il faut mourir aimable si l’on peut. »
Cet homme d’étude n’eut aucune peine à devenir un homme d’action. Grand voyageur, on le vit, tour à tour, en Palestine se pencher sur le berceau du christianisme, puis au Canada, saluer la tradition catholique la plus fervente du nouveau monde. Et surtout, pendant quarante ans, il visita ses paroisses, leur insuffla sa vigueur spirituelle, parce qu’il savait se faire aimer.
Quand on lit ce qu’il écrivit du Curé d’Ars, on découvre vraiment la fibre apostolique de son âme.
Sa vie académique n’était pas moins active que sa vie pastorale. Elle s’affirma non seulement par ses propres ouvrages, mais par ce Dictionnaire des Lettres auquel il appela nombre d’entre nous à participer. Le plan qu’il en conçut ne consiste pas seulement à diriger vers les sommets, la lumière, mais à l’étendre à toutes les activités intellectuelles de chaque siècle, de manière à saisir le mouvement général.
Un de ses derniers écrits est une préface au volume sur le XVIIIe siècle. Il y montre pertinemment les qualités fortes de cette époque, trop oubliées pour sa grâce légère. Les caractères, d’une apparente insouciance, s’y sont forgés, capables de supporter les chocs et les remous de la Révolution.
Qu’il me soit permis d’ajouter à mon tour un souvenir personnel. C’était au cours d’une audience que m’avait accordée le Pape Pie XII. Le Souverain Pontife vint à évoquer l’élévation de notre confrère à la pourpre.
« Nous avons, dit-il, appelé d’abord Mgr Grente au Cardinalat pour son mérite et la longue confiance que Nous mettons en lui, mais Nous désirions, en même temps honorer, en sa personne, l’Académie française qui Nous est si chère. »
Ainsi se rejoignaient, en cette illustre promotion, la valeur personnelle et la valeur représentative.
L’Académie ! Comme le Cardinal la connaissait bien ! Il avait le sens très fin de cette diversité des valeurs françaises en laquelle notre compagnie affirme, respecte et harmonise la libre expression d’un même génie national.
C’est dans cet esprit, Monsieur, nous le savons, que vous partagerez notre tâche séculaire, cette veille discrète et attentive sur le trésor du langage qui, en vérité, est œuvre commune, reçoit ses apports de tous les métiers, de toutes les tendances, de tous les cœurs et dont il s’agit seulement d’écarter les altérations en favorisant sa florissante continuité.