SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
tenue le jeudi 15 décembre 1955
Rapport sur les prix de vertu
DE
M. le Duc de LÉVIS MIREPOIX
directeur de l’Académie
Messieurs,
L’Académie française, faisant sienne cette idée que lui a transmise M. de Monthyon, s’est donné pour coutume immuable de réunir, dans un même hommage, les œuvres de l’esprit et les œuvres du cœur.
M. le Secrétaire Perpétuel vient d’évoquer, avec cette connaissance profonde qu’il en a, une année de la vie littéraire française. M. Léon Bérard, en l’absence de notre confrère, a prêté à cette lecture sa voix de grand orateur. Il me reste à accomplir l’autre tâche que vous confiez chaque année à l’un d’entre nous.
Tâche toujours redoutée parce que, dans sa simplicité, dans sa vérité, la vertu semble inaccessible aux éloges les plus spontanés. La fleurir, c’est la farder. Et parce qu’elle vit cachée, elle éblouit, dès qu’on la découvre. Combien discrète est la source qu’elle prend dans l’égalité morale.
S’il existe tant de controverses au sujet de l’égalité, c’est peut-être que beaucoup de gens s’obstinent à la chercher là où elle n’est pas, tandis qu’ils la trouveraient facilement où elle est.
Aucune doctrine sociale ou politique ne saurait empêcher le sort de favoriser différemment les hommes, aucune organisation politique, de subordonner les emplois.
N’est-ce pas un mouvement très naturel qu’une génération cherche à transmettre à une autre le fruit de son effort ? Et quand toute hiérarchie aurait disparu, ne resterait-il pas celle de la chance ?
Et pourtant, il existe au fond de l’âme, une égalité pareille à la salamandre, que rien ne saurait consumer.
Des passants traversent la rue. Celui-ci est avantagé par la fortune, celui-ci par la position, celui-là par le talent, celui-ci est un livreur qui pousse en sifflotant sa machine, celui-là est un pauvre diable qui traîne le pas, sous ses vêtements élimés, sans trop savoir où il va !
Or, chacun d’eux, indistinctement, peut aimer, vivre, pleurer, haïr comme les autres, et il est un homme au même titre que les autres, dans l’inconnu de son cœur.
Tous ces revêtements ou même ces dons de l’intelligence et du caractère, qui créent des différences de diverses sortes, ne sauraient plus compter devant ce mystère de la conscience ou de la sensibilité, devant cette ombre impénétrable où se produisent la joie, la douleur, la colère, la tendresse, la responsabilité ! Aucun de tous ces êtres n’a le monopole. Chacun en a le dépôt.
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Mais, cela est évident, nul ne le conteste ! dira-t-on. Peut-on nier que l’on fasse quelquefois comme si on l’oubliait ? Que de malaises sociaux proviennent de ces malentendus.
Ceci ne veut nullement dire que l’homme, revêtu d’une autorité, n’ait le devoir de la soutenir et de la faire respecter en sa personne. Ce qui est terrible, c’est de confondre ! C’est de paraître — même sans y songer — oublier cette égalité morale qui, d’un homme à un autre, reste constante.
Qu’est-ce qu’un serviteur, en somme ? Qu’est-ce qu’un subordonné, qu’est-ce qu’un chef ? L’un est celui qui obéit, l’autre celui qui prend la responsabilité au mieux de l’intérêt commun.
Il y a quelque chose dans les mots, dans le ton, dans le regard qui fait qu’une supériorité de fonction, de circonstance ou même de caractère peut s’affirmer sans affecter la dignité humaine, dont chacun porte en soi comme un sanctuaire sur lequel il lui appartient seul de veiller.
Cela est déjà vrai à l’égard des enfants qui, d’instinct, savent distinguer entre la réprimande et le dédain.
On remarquera fort justement que le christianisme et la chevalerie ont introduit, dans la conscience humaine, cette notion que le monde antique, à part quelques philosophes, ignorait. Mais, cette égalité proclamée devant le divin, on ne la fera jamais assez passer en pratique, en la vie de chaque jour, les uns vis-à-vis des autres.
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Or, elle est complètement distincte, indépendante des situations acquises. Et, de telle sorte, que si l’on peut relever quelquefois, et souvent par inadvertance, une désinvolture déplacée ou un ton protecteur de la part de ceux qui occupent des postes importants à l’égard de ceux qui en occupent de moindres. La contrepartie n’est pas sans exemple. Regardons encore ces hommes dans la rue. Celui qui est parcimonieusement servi par le destin peut se trouver, aussi, porté par une mauvaise humeur explicable, à considérer l’homme qu’il rencontre, mieux pourvu, comme recélant une valeur humaine d’autant moindre que ses avantages sociaux sont plus grands. C’est méconnaître, d’une autre manière, l’égalité morale, c’est porter un jugement préconçu dans le mystère insondable, dans l’enclos inviolable du for intérieur.
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Certes, nous n’irons pas prétendre qu’une simple disposition à ne jamais froisser la conscience, où qu’on la rencontre, suffise à résoudre aujourd’hui tant de contestations matérielles, tant d’animosités de doctrine.
Cependant, lorsque, dans une foule, à une terrasse de café, dans tous les endroits où les professions se mêlent, on se met à suivre un peu cette idée, en regardant de droite et de gauche, un grand malentendu se dissipe, et il est difficile de ne pas éprouver une sérénité devant l’égalité morale qu’on sent rayonner, autour de soi, et, au lieu de se barricader dans ce qu’on s’imagine avoir de mieux que les autres, ou de plus méritoire de ne point se sentir épanoui par ce partage de la dignité humaine avec tous ces êtres que l’on ne connaît pas.
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Telle est l’ouverture par où il m’a semblé le mieux pouvoir aborder ces exemples, où, devant la brutalité du monde, persiste, sous les plus modestes apparences, mais avec la pureté du diamant, l’acte désintéressé.
Entendons-nous bien. Notre compagnie qui a, depuis son origine la mission de définir les mots, en se réglant sur le bon usage, ne saurait confondre, avec la vertu, cette attitude ostentatoire ou revêche qui fait le geste des bonnes actions sans en avoir l’esprit et qui ne se penche sur la faiblesse que pour lui donner des leçons.
Il faut avouer qu’on se heurte trop souvent à de tels artifices et que, si le mot de vertu suscite quelquefois le sourire ou l’éloignement, c’est parce que les pharisiens le détournent de son véritable sens.
Mais, que l’on rencontre des êtres qui exercent le bien sans arrière-pensée, on ne se défend plus de subir une sorte de charme.
Est-ce à dire qu’il n’y ait dans la vertu qu’une pente heureuse et qu’on la pratique comme on la respire ? Qu’il n’y ait enfin qu’à se laisser aller, selon le conseil de Mathurin Régnier, « à la bonne loi naturelle ». On voit où nous conduirait l’éloge trop poussé de la vertu qui s’ignore.
Ne lui ôtons pas le courage, la claire vision de l’effort. N’oublions pas que le don de soi, le sacrifice, c’est aussi de l’amour. Ne confondons pas la maîtrise avec l’affectation.
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Dans le palmarès de ces récompenses, je dirais plutôt de ces hommages rendus, vous avez le souci, je le vois, de rechercher le bien qui s’accomplit dans la grisaille des jours ordinaires dans l’application constante du dévouement aux tâches quotidiennes.
N’est-ce pas ce qui distingue, en effet, de l’héroïsme, la vertu ? Encore faut-il reconnaître que, si l’héroïsme n’a pas nécessairement besoin de vertu, on ne saurait dire que la vertu se puisse, le cas échéant, dérober à l’héroïsme. Et nous l’allons bien voir.
N’y a-t-il pas deux manières de sacrifier sa vie !... en la perdant ou en la consacrant on veut louer une œuvre d’art, on dit qu’elle est dépouillée, on dit que sa ligne pure s’allège de vains ornements. Ainsi de ces ou plutôt de ces longues patiences, de ces dons de soi qui ne se reprennent jamais.
Tous les êtres de cette académie de la bonté — devant qui la nôtre s’incline aujourd’hui —, respirent, loin de toute vanité, loin de toute recherche, l’idée de famille.
Et cela sous trois aspects différents et aussi beaux. Les serviteurs, les enfants, les œuvres.
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Henri IV, en manière de réponse, avait coutume d’adresser à ceux qui le saluaient, ce simple mot : « Serviteur ! serviteur ! » Sa suprême dignité s’exprimait, en dernière analyse, par le service. Et, si nous reportons cette pensée, du roi au sujet, du chef aux subordonnés, servir, c’est s’ennoblir, dans toutes conditions. C’est honorer le lien d’extension familiale que la Providence a marqué, du maître au serviteur, et, du serviteur au maître.
Ne cherchez pas pourquoi Mlle Alexandrine Couilleaud de la commune de Vallet dans la Loire-Inférieure, a passé quarante-trois ans au service de la même famille, de 1910 à 1953, promettant à M. Fournier, mourant, de ne pas abandonner sa femme, paralysée de tout le côté gauche. La ruine survient, Mlle Couilleaud continue non seulement d’assister la malade — infirmière de jour et de nuit — mais trouve le moyen de faire des ménages au dehors pour assurer la subsistance de Mme Fournier et la sienne propre !
Comme l’a dit si justement Mlle Françoise Saint-Maur, « l’esprit de travail et l’accomplissement chrétien du devoir, — disons plus que le devoir —, avait pénétré une âme assez grande pour en faire la ligne de conduite de toute sa vie ».
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Les mêmes sentiments ont animé Mlle Louise Gerest à Dinan qui, après avoir donné trente ans de dévouement à Mme Thomas et à son fils jusqu’à leur mort, s’est consacrée aux soins d’un vieillard — qui ne pouvait lui assurer aucun salaire.
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Mlle Denès, une Bretonne, sortie d’une famille nombreuse et courageuse, fait preuve d’une véritable vocation de dévouement à l’égard d’un vieillard et de sa fille qui ne peuvent rien pour elle que l’aimer et l’appellent « le bon ange de la maison ».
Ces traits, si simples, et, redisons-le, si purs, sont d’abord à l’éloge de ceux qui servent, mais ne laissent de demeurer tout à l’estime de ceux qui ont mérité d’être ainsi servis.
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C’est aussi à l’égard de ceux qui ne le méritent pas que la vertu véritable et sublime trouve occasion de s’affirmer.
Ainsi Mlle Suzanne Couret — qui, à l’âge de vingt ans s’étant consacrée à huit orphelins, loin de se laisser détourner par les déceptions que lui causent certains de ceux qu’elle protège, se penche sur les misères morales, comme sur les autres, subit épreuves sur épreuves, triomphe du découragement et demeure toujours la même, soutenue toute sa vie, comme l’expriment ceux qui la connaissent, par un haut idéal.
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Il s’est agi jusqu’ici, en quelque sorte de la famille, œuvre spontanée du cœur, soit par le service, soit par la protection.
Dira-t-on que l’abnégation et le dévouement attirent moins le regard, quand il s’agit des liens du sang ? Les exemples du contraire, ne sont malheureusement pas assez rares pour nous empêcher de retenir ces marques du respect des commandements divins.
D’ailleurs, il s’agit toujours, en cette journée, de ceux qui ont été plus loin que leur devoir.
Mlle Julie Alcôve renonce à une situation assurée dans une étude pour se consacrer, pendant trente ans, à deux sœurs infirmes de sa mère. À leur mort, elle demeure auprès de son père que terrasse une attaque de paralysie. Tous deux, jusqu’à la mort du vieillard à go ans, trouvent leur joie dans une tendresse sans nuage, et cette Antigone a mis un rayon de bonheur dans un foyer menacé par la plus noire mélancolie.
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M. Joseph Merkine forme en quelque sorte, à l’égard de sa mère paralysée le diptyque de ce dévouement filial absolu.
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Et voici deux jeunes filles :
A 22 ans Mlle Notheaux est fiancée. Et qui pourrait lui reprocher de réserver la plus grande part de son temps à ces jours heureux et pleins d’espoir ? Or, il n’en est rien. Cinquième d’une famille de sept enfants, elle retarde son mariage pour prolonger ses soins à sa mère malade et au retour de son propre travail prend à sa charge toute la maisonnée, six personnes vivant encore au foyer.
Quant à Mlle Pioger, à 18 ans, depuis l’âge de 14 ans, elle assume, dans des circonstances dramatiques, toute la responsabilité d’un chef de famille. Elle voit avec désespoir les progrès de la maladie de son père, dont le caractère irascible augmente à mesure que diminue sa responsabilité. Sa mère, gravement malade, s’affaiblit et meurt, son père est hospitalisé. Il reste cinq enfants, dont elle est la force et l’âme, travaillant au dehors, travaillant à la maison. Puis la vie les disperse. Mais elle sait maintenir entre eux le lien du courage, du souvenir, toujours prête à les soutenir de ses modiques ressources et de sa richesse morale.
Nous ne saurions mieux dire que Mme Léturmy, dont notre éminent confrère, le Cardinal Grente, nous a transmis la lettre :
« Avec une simplicité souriante, elle sacrifie sa jeunesse, trouvant tout naturel cet héroïsme quotidien qui transforme les plus humbles travaux en un pur chant d’amour. »
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Vous avez voulu, Messieurs, non seulement honorer les personnes, mais aussi les œuvres et, certaines d’entre elles, vous paraissent si dignes de votre estime que vous en renouvelez chaque année la preuve.
Ainsi l’Armée du Salut.
Sa célébrité à travers le monde est pure de toute ostentation encore que nulle organisation ne craigne moins qu’elle d’affirmer son apostolat et sa passion de secourir les détresses morales et matérielles dans les bas fonds où la misère et le désespoir rendent parfois si difficiles à approcher ceux qu’ils accablent.
Et pourtant, la coiffe célèbre de ses jeunes filles, l’uniforme de ses officiers invitent sans effort, se mêlent sans crainte à la foule, au milieu de laquelle ils tracent des sillages de respect.
Son asile flottant sur la Seine, quai St-Bernard, où les errants reçoivent un accueil si chaleureux, jouit d’une immense popularité. Mais, il n’est pas la seule forme d’activité de cette œuvre si variée, si étendue, avec ses maisons de rééducation, ses maternités, ses hôpitaux. ses écoles.
Dans 94 pays, elle parle Si langues et sert 20.000 millions de repas ! C’est une armée, mais une armée qui combat le malheur et pacifie les hommes !
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Au « Livre de l’Aveugle » vous avez tenu aussi à renouveler votre haute estime. Cette œuvre, née en 1917 et présidée par notre confrère de l’Institut, M. Gabriel Marcel, a transcrit en braille 50.000 volumes qui se répartissent en ouvrages de mathématiques, de sciences naturelles, de philosophie, de littérature ancienne et moderne, de littérature étrangère, de livres scientifiques et de romans.
On ressent la plus vive émotion en apprenant que, grâce à cette œuvre magnifique, des aveugles peuvent exercer la plupart des professions de ceux qui voient : ingénieurs, magistrats, professeurs ! Et grâce à elle, beaucoup d’aveugles de guerre ont pu retrouver la confiance, le goût de la vie, voir diminuer cette nostalgie de la lumière, que leurs doigts peuvent toucher quand leur regard ne l’atteint plus.
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Vous avez aidé ceux qui souffrent de la nuit. Vous voulez aussi encourager ceux qui offrent à la jeunesse la joie des cimes claires et neigeuses, dans le col de Tamié qui domine la vallée de l’Isère.
Quel joli nom porte cette colonie de vacances, « les Florimontains », fleurs de montagne ! Et ses buts sont vraiment quatre étoiles qu’il a été donné à ces jeunes gens, à ces jeunes filles de saisir de leurs mains, sur les hauteurs !
La discipline,
la volonté,
la solidarité,
la joie.
À côté de la colonie de vacances s’est ouverte une maison familiale offrant aux foyers, qui veulent et peuvent rester réunis dans le loisir, les bienfaits exaltants de la montagne.
Sur cette œuvre plane le souvenir d’un héros. L’abbé Ferrand était un jeune professeur à l’école St-Jacques de Joigny lorsqu’il fonda les Florimontains en 1925. L’Académie française lui décerna un prix Monthyon en 1936. Au moment de la guerre, malgré une vue diminuée qui le rendait presque aveugle et inapte au service militaire, il s’engage dans la Résistance et devient chef de secteur.
Les termes de sa citation sont épiques :
« A rendu à ce poste les plus éminents services en recrutant des agents de premier ordre, en assurant les liaisons interrégionales et en cachant, à son domicile, du matériel de guerre.
Arrêté par la Gestapo en plein travail, le 22 septembre 1943, a été transféré au camp de Schirmett où il a largement contribué à soutenir le moral des codétenus de la baraque 10, en disant clandestinement la messe. A été massacré au Struthof le 1er septembre 1944. »
Son souvenir continue à vivifier son œuvre. Et, comme il l’a écrit à 25 ans, elle s’adresse à tous les milieux sociaux. Elle ne tient compte que de la valeur morale. « Riches et pauvres ont leur place, car le soleil de Tamié brille pour tous et le bon air doit être accessible à tous. »
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Votre sollicitude pour les orphelins continue à s’exercer.
Dans le rapport du Directeur général des « Orphelins d’Auteuil » je lis ces mots qui sont à méditer :
« Qui connaît bien la portée de l’action des œuvres privées ? Qui sait qu’elles économisent au pays 200 milliards ; qu’elles possèdent 350 000 lits et qu’elles font bénéficier 3 millions de citoyens de leurs bienfaits ? »
Quant à cette œuvre elle-même, au-dessus de laquelle se dresse la figure légendaire du Père Brottier, elle ne cesse de justifier sa renommée universelle. Elle abrite dans ses vastes maisons à la ville et à la campagne, 3.500 déshérités, et a permis, l’année dernière, à plus de 400 jeunes gens d’entrer dans la vie active, armés et confiants, riches d’un métier dont ils sont déjà fiers, alors que les plus tristes mésaventures guettaient leur enfance éprouvée.
Combien donc demeure puissante, en ce pays, l’idée de la famille, en dépit des atteintes qu’elle reçoit. Les foyers rayonnants que les prix Cognacq-Jay ont la noble mission de nous faire découvrir n’en portent-ils pas le témoignage justement célèbre ?
Mais la famille se révèle présente jusque dans ses absences. Vous la voyez dans cette réussite miraculeuse des orphelinats.
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Puis-je retenir encore, parmi ceux que vous avez distingués, celui d’Elancourt, en Seine-et-Oise, fondé en 1849 par un jeune curé de campagne de 24 ans, Auguste Méquignon.
L’honneur qui m’est échu de participer à son activité me rend particulièrement heureux de saluer aujourd’hui son rayonnement. Et que de fois, cependant, ses prévisions budgétaires se sont résumées en cette devise : « Dieu y pourvoira. » Et sa foi transporte des montagnes.
Les enfants sans parents, les orphelins de père et de mère y trouvent réconfort, mais aussi les enfants « victimes de cas sociaux », enfants cachés, enfants abandonnés, enfants du hasard !
Ensuite, pour un certain nombre d’entre eux, non loin de là, s’ouvre une école de jardiniers dans un cadre paisible, à l’ombre de l’abbaye de Notre-Dame de La Roche, un des plus vieux monuments de l’Ile-de-France.
En 1959, l’orphelinat fêtera son centenaire. Depuis sa fondation c’est par milliers que des enfants en ont connu les bienfaits. Les anciens se plaisent à y revenir, avec les familles qu’ils ont fondées.
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Vous n’auriez garde d’oublier, Messieurs, la sollicitude que doit inspirer à l’Académie française ceux qui se dévouent et souvent se sacrifient à la vie de l’esprit et vous le marquez en honorant l’Orphelinat des Arts, à Courbevoie, où les enfants d’artistes trouvent une chaleur de foyer et sont orientés vers les professions que leurs aptitudes semblent désigner.
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Voilà bien des œuvres qui se penchent sur l’innocence, comme on aurait dit au XVIIIe siècle. Pour compléter en quelques mots cet aperçu très sommaire des prix nombreux et justement mérités qui figurent à votre palmarès, moins par leur trop modeste apport que par leur signification, saluons deux œuvres vouées, l’une à la détresse morale, l’autre à la misère physique.
Par la main de quel fantôme fus-je amené à soumettre à votre attention l’œuvre de Sainte-Marie-Madeleine, pour le relèvement des anciennes détenues ? Vous m’aviez confié l’honneur de vous représenter au 3e Centenaire de la mort de Saint-Simon, célébré à La Ferté-Vidame où il passa les trente dernières années de sa vie, penché sur ses « Mémoires ». Dans le parc de son château, entièrement disparu, niais où sa mince silhouette s’est si souvent dessinée parmi les arbres, quelques bâtiments, d’une ligne fort noble, abritent le R. P. Jean Le Courtois et ses ouailles.
Il me donna l’hospitalité, et, pendant le dîner que nous prenions tète à tête, il me laissa comprendre que toutes les habitantes, y compris celles qui servaient et préparaient le repas, étaient d’anciennes condamnées de droit commun, souvent pour les peines les plus graves à qui l’on voulait rendre le sentiment de la personne humaine.
À franchement parler, je ne crois pas que l’ombre de Saint-Simon s’en soit offensée. N’a-t-il pas réservé ses rigueurs pour la cour ? et ne vivait-il pas aux champs, dans la plus chrétienne simplicité, dans le complet abandon de ces orgueils terrestres qu’il a passionnément ressentis sans doute, mais qu’il a résolument dépouillés pour se recueillir devant la mort.
Il aurait passé, peut-être, en murmurant cette parole découragée qui lui échappait quelquefois :
« Tout bien à faire est impossible. »
Mais il eut aussitôt accepté un démenti venu de cette charité du cœur qu’il a toujours si finement montrée. Ne l’appelait-on pas, à La Ferté, « le Père des pauvres ».
Sans doute une telle entreprise demeure-t-elle menacée par de cruels retours. L’étrange nostalgie de la rechute ne se guérit que par des soins infinis. Mais la dignité humaine a aussi sa force d’attraction. C’est dans ce combat intérieur, si souvent victorieux, qu’est toute la valeur de l’œuvre.
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On ne parle guère aujourd’hui d’un mal qui hantait le Moyen Age et qui, pourtant, sévit encore, contenu dans d’étroites limites par une attention constante et généreuse.
L’Académie française mandataire de la Fondation Raoul Follereau, a décerné deux prix de cent mille francs destinés à un médecin et à un missionnaire, qui, par leurs travaux ou par leur exemple ont pris une part efficace à la « Bataille de la lèpre ».
Le médecin général Pierre Richet a le premier appliqué les méthodes de traitement à domicile — qui permettent d’« arracher un lépreux à la lèpre, sans qu’il devienne socialement un lépreux ». L’ampleur de son activité en Afrique équatoriale française s’exprime dans deux chiffres éloquents :
En juin 1951, nombre de malades soignés : 2.261
En février 1955, nombre de malades soignés : 97.924
M. le Pasteur Philadelphe Delord qui consacra une grande partie de sa vie aux lépreux d’Océanie, a laissé un fils qui dirige actuellement le Sanatorium hansénien de la Valbonne, dans le Gard. C’est la première institution qui se soit consacrée en France au problème social de la lèpre. Elle compte aujourd’hui cinquante pensionnaires, pour la plupart originaires de la France d’outre-mer. Plus de cinq cents malades ont bénéficié de ses soins.
On ne saurait rendre hommage à de tels animateurs sans évoquer près d’eux, M. Raoul Follereau, lui-même, dont l’activité admirable, l’éloquence créatrice, en développant les Fondations Charles de Foucault — fait actuellement sortir de terre à Adzope (Côte d’Ivoire), une ville de 700 maisons destinées à 700 familles de lépreux.
Grâce à de tels hommes, la France est à la tête de la bataille contre la lèpre — ce qui démontre assez à quelles inclinations elle obéit en affirmant sa présence dans les territoires d’outre-mer.
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Messieurs, bien d’autres exemples non moins remarquables, non moins touchants, illuminent vos récompenses. Il fallait se borner.
Permettez-moi, en prenant congé de ces lauréats de la bonté, de déplorer que tant de bruit soit fait autour des crimes, tant de place à leur histoire, si peu autour des bonnes actions.
Au moins notre compagnie par ce rite annuel s’applique-t-elle à leur rendre ce qui leur est dû.
Si, comme le dit Platon, le beau, le vrai, et le bien se confondent, on ne célébrera jamais assez de tels gestes, qui détournent, de la laideur, le regard des hommes.