Aimons-nous la langue française ?

Le 4 mai 2017

Michael EDWARDS

bloc-notes du mois de mai 2017

 

Nous connaissons les premières phrases du Discours de la méthode, de Descartes, qui ne commence pas ainsi :

 

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun et chacune pensent en être si bien pourvu(e), que ceux et celles mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils et elles en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous et toutes se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger […] est naturellement égale en tous les hommes et toutes les femmes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns et les unes sont plus raisonnables que les autres […].

 

En écrivant ainsi, Descartes serait devenu l’homme, ou la femme, le/la plus absurde de son époque. Pourtant, nous entendons tous les jours cette langue dénaturée. Et malade : un certain français moderne a le hoquet. « Ceux (hic !) et celles parmi les habitants (hic !) et les habitantes de notre commune qui voudront savoir s’ils (hic !) ou elles sont éligibles à ce poste… » J’exagère à peine. Écoutez surtout les politiques. De nombreuses voix se sont élevées contre cette langue barbare, politiquement correcte et moralement assommante, mais son vrai danger serait de briser le rythme du français. Une langue qui sait avancer avec une cadence souple et une respiration aisée se trouve continuellement empêtrée. Il s’agit de la survie d’un français agile et harmonieux.

Si le corps sonore de la langue souffre de ce comportement obsessif, une autre forme de novlangue présente un défaut encore plus inquiétant : on ne peut pas la lire à haute voix. Pour éviter sans doute les répétitions cheminant à la queue leu leu, on a inventé une nouvelle orthographe. La voici :

 

Le (la) président.e élu.e par l’ensemble des citoyen.ne.s sera celui/celle de tou.te.s les Français.es. Il/elle aura à tenir compte des opposant.e.s à son élection, car aucun.e de ses compatriotes ne doit se sentir méprisé.e par le/la chef.fe de l’État.

 

Ce français également défiguré, atteint d’une maladie qui couvre la page d’une sorte d’eczéma, nous amènerait à rédiger à nouveau certains articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’article premier commencerait, en utilisant l’autre recours typographique de cette glossomanie, par : « Les hommes/femmes naissent et demeurent libres et éga-ux-les en droits » ; l’article 7, par : « Nul-le homme/femme ne peut être accusé-e, arrêté-e ni détenu-e que dans les cas déterminés par la Loi ». Comment lire ce charabia, cette écriture sans parole, même en le prononçant silencieusement dans sa tête ? Chacun point e de mes ami point e point s sait que je préfère une approche irénique, et que je répugne à invectiver les ennemi trait d’union e trait d’union s de la raison ; mais enough is enough. C’est la chair même du français qui est ainsi rongée, et son esprit qui se trouve frappé d’une sorte de bégaiement cérébral.

Le pire : non seulement ce français décadent perd son rythme, sa « longue coulée mélodique » (Claudel), ou devient un langage aphone offert uniquement aux yeux, mais il invite aussi à commettre des erreurs de français. Un candidat récent s’adressa ainsi à nous sur la feuille où il expliquait son programme : « Cher.e.s compatriotes ». Où était parti l’accent grave sur la forme féminine de cher ?

Je ne vise pas l’idéologie féministe. L’objection contre un français saccadé, muet ou fautif est strictement linguistique. C’est aux partisans de la féminisation de la langue à proposer un moyen d’y arriver qui évite cette intolérable laideur. Qui ne produise pas une langue que l’on n’aurait plus envie de parler ni d’écrire, et que les étrangers ne voudraient plus apprendre.