Funérailles de M. AUGUSTE-ARMAND DE CAUMONT
Duc de La Force
AU CIMETIÈRE DE FRESNAY-SUR-SARTHE
Fresnay, le 7 octobre 1961
Messieurs,
Un nouveau deuil nous frappe au moment où nous reprenons nos travaux. Notre confrère, Auguste-Armand de Caumont, duc de La Force, est mort voici trois jours dans sa résidence sarthoise, après une longue maladie qui, depuis plusieurs mois déjà, le tenait éloigné de nous. Il était entré à l’Académie en 1925, et ce rang faisait de lui notre second doyen d’élection. Homme de traditions, il avait toutes les vertus qui permettent de remplir un tel rôle. On aurait dit, à l’arrivée des nouveaux venus, qu’il les recevait — avec quelle discrétion ! — dans cette Maison parce que, depuis trente-six ans, elle était sienne. L’ancienneté et l’illustration de sa famille semblaient l’avoir doté de l’exquise courtoisie dont nous gardons tous souvenance. Cet enracinement dans notre Histoire par l’histoire des siens, par cette illustre lignée qui, fabuleusement prétendait remonter jusqu’aux compagnons d’Hercule, mais qui comptait, à coup sûr, les onze ducs de La Force qui l’avaient précédé à travers ces quatre cents dernières années, avait fait de lui un historien.
Cet historien semblait écrire l’histoire en mémorialiste comme s’il avait vraiment vécu le passé qu’il tentait de faire renaître. On aurait dit qu’il était le contemporain des personnages dont il nous retraçait la vie, l’architrésorier Lebrun, gouverneur de la Hollande; le beau marquis de Puyguilhem, que la Cour appelait Pequilain et que nous connaissons sous le nom de Lauzun et, naturellement, la Grande Mademoiselle; le grand Conti; le Maréchal de La Force, cet ami du Béarnais, ce rude guerrier qui dormit si souvent sur la dure, dans le buffle, échappa à la Saint-Barthélemy et vit tant de batailles et de sacres... D’autres encore qui vécurent aux temps des malheurs ou des plaisirs... En revivant leur vie, et par une grâce peu commune, notre confrère était à la fois homme du XVIIe et du XVIIe siècles.
Mais ce mémorialiste, qui semblait ne parler que de ce qu’il avait vu, était pourtant un historien véritable. Il n’était pas de ceux qui se bornent à répéter ce que d’autres historiens ont déjà dit avant eux. Il n’était pas de ceux qui n’écrivent l’histoire qu’avec de l’histoire écrite. Il avait le goût du document, de la référence exacte et du travail patient des Archives. Celles de sa famille qui plongent de toutes parts dans le passé de la France ont servi de base à la plupart de ses travaux. Mais il était aussi familier de tous nos grands dépôts de documents, de la Bibliothèque nationale, des Archives, des Ministères -de la Guerre et des Affaires étrangères et de Chantilly.
Qu’il soit permis au gardien des Archives nationales d’insister sur cet aspect de l’œuvre de notre confrère. Le goût du document n’est-il pas celui de la vérité ? Ne fait-il pas la preuve, du moins, du goût pour la vérité de celui qui se penche ainsi sur les sources ? Le duc de La Force aimait, à coup sûr, se pencher sur elles, dans l’espoir de découvrir cette vérité. Mémorialiste et chercheur de documents, il unissait ainsi les deux grandes vertus de ceux qui veulent écrire l’histoire. Puis-je ajouter qu’il les liait l’une à l’autre par ce charme qui, plus que la science, fait le savant? Ce charme lui venait-il de cette Charlotte Rose de Caumont La Force qui écrivit de « pures imaginations » et jusqu’à des contes de fées, à l’époque de Henri IV ? D’où qu’il le tint, ce charme un peu irréel était bien à lui, discret, souriant, avec, peut-être, une pointe de scepticisme fait de connaissance des hommes et aussi d’indulgence à leur égard.