Discours sur les Prix littéraires 2023

 

Chaque année, la séance solennelle de l’Académie française tient pour une large part d’une distribution des prix. L’assistance est donc priée de subir un Discours des Prix dans l’attente du régal que lui procurera le Discours sur la Vertu, confié à une académicienne ou à un académicien dont la compétence sur le sujet ne peut être mise en doute.

Le Discours des Prix, pour sa part, paraît n’être que la lecture d’un palmarès. Il rappelle aux plus âgés d’entre nous la distribution solennelle des prix qui venait clore jadis l’année scolaire, avec les professeurs en toge et l’inévitable discours, parfois prononcé par un académicien, voire deux, à en croire Bécassine :

                                                                                                                               

Inutile, au demeurant, de remonter dans le passé. Les demoiselles de la Légion d’honneur ici présentes savent parfaitement de quoi je parle.

Cependant, notre Discours des Prix ne se réduit pas à la lecture d’un palmarès. Il commente brièvement chacun des prix et chacune des médailles décernés par l’Académie française. Il s’en trouve allongé, certes. Il le faut bien pour rendre justice aux lauréats, pour donner une idée de leur œuvre, et pour dire aussi le bonheur qu’ils nous procurent en nous offrant tant d’occasions d’admiration. Rien de plus agréable que d’admirer et de découvrir chez autrui ce dont on serait incapable soi-même. Le bonheur de cette séance, qui est d’abord celui des lauréats, a été précédé par ce plaisir égoïste dont nous avons aujourd’hui l’occasion de les remercier.

Ce plaisir et cette admiration, nous vous invitons maintenant à les partager. À les partager, toutefois dans le respect de règles précises, afin que les débordements d’un juste enthousiasme n’allongent par trop la durée de cette séance.

Nous commencerons par les Grands Prix. Chaque lauréat voudra bien se lever à l’appel de son nom. Nous l’applaudirons, non pas dès cet instant, mais à la fin de son bref éloge.

 

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Grand Prix de la Francophonie : M. Thomas PAVEL

M. Pavel est né en Roumanie, dans une famille où on parlait français, mais à l’abri des oreilles indiscrètes. Ayant pu gagner la France, il soutient en 1971 à l’E.H.E.S.S. une thèse de linguistique avant de faire au Canada, puis aux États-Unis, une très brillante carrière dans les universités les plus prestigieuses, de Montréal à Princeton et à Chicago. En 2005-2006, il a occupé une des deux seules chaires annuelles qui existaient alors au Collège de France. Dans ses livres, presque tous en français et dont plusieurs sont des classiques, le linguiste et le philosophe qu’il est a relevé les transpositions approximatives ou métaphoriques de la linguistique à d’autres disciplines, avant de montrer comment la littérature entre dans la catégorie des « mondes possibles », notion féconde en mathématiques comme en philosophie.
Thomas Pavel joue depuis des décennies un rôle majeur dans la difficile défense du français aux États-Unis. Le français est en recul dans les universités américaines. Il l’est parce que les États-Unis se replient sur eux-mêmes et en même temps se tournent vers l’Asie. Il l’est aussi parce qu’en pâlissant, l’étoile des penseurs français de la seconde moitié du xx^e siècle a fragilisé la French Theory. Or, comment défendre la francophonie sans s’intéresser à la situation des études françaises dans les grandes universités américaines ? Ce combat pour le français sur le continent nord-américain, certains membres de l’Académie française y participent. Sur place, Thomas Pavel l’a mené pendant toute sa carrière avec un courage, une intelligence, une générosité et un désintéressement admirables. Son influence a été bénéfique. Elle a été considérable. Nous lui devons beaucoup.

Grande Médaille de la Francophonie : M. Camille LIMOGES

M. Camille Limoges, comme le souligne M. Frédéric Vitoux, a bien mérité de la Francophonie à un double titre, comme universitaire par son œuvre d’historien des sciences et de la technologie, comme homme public en mettant sa compétence au service de la politique de la recherche du Québec, dont il a été le vice-ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Après une licence de philosophie à l’université de Montréal, il a soutenu une thèse à la Sorbonne, sous la direction de Georges Canguilhem, choix philosophique et humain exigeant et fécond. Il est resté si fidèle à son maître qu’il est aujourd’hui le principal contributeur de la monumentale édition de ses Œuvres complètes chez Vrin. C’est dire qu’il mérite pleinement notre gratitude.

 

Grand Prix de Littérature : M. Daniel PENNAC, pour l’ensemble de son œuvre

Faut-il présenter Daniel Pennac ? Le catalogue de son œuvre occuperait le temps de cette séance. La seule énumération des genres où il s’est illustré serait déjà bien longue, observe M. Frédéric Vitoux. C’est un grand écrivain populaire. Populaire dans quel sens ? Dans tous les sens. Populaire comme l’adolescente qui est la star de sa classe de seconde. Populaire comme une chanson venue du fond des âges. Populaire comme ce qui est le bien de tous et s’adresse à tous sans condescendance. Populaire comme la démonstration par les enchantements de La Fée Carabine que toute forme de littérature peut être grande. Encore faut-il savoir lire. Comme un roman est un livre que les trente ans écoulés depuis sa parution rendent, hélas, chaque jour plus nécessaire.

 

Grand Prix de Littérature Henri Gal (Prix de l’Institut de France) : M. Jean-Christophe BUISSON, pour l’ensemble de son œuvre

M. Jean-Christophe Buisson est l’auteur d’une œuvre considérable consacrée à l’histoire contemporaine, dont le résultat est de fonder une typologie des grands mouvements politiques du
xx^e siècle. Dans Le Noir et le Brun, paru en 2022, il utilise ainsi son analyse du fascisme et du nazisme pour donner à comprendre les formes de dictature ou d’aspirations à la dictature qui existent aujourd’hui à travers le monde. M. Andreï Makine salue son érudition alliée à une absence de présupposés doctrinaires et au souci pédagogique d’être accessible à tous les lecteurs. Il souligne aussi son engagement humanitaire, en particulier pour la défense des populations arméniennes, victimes du conflit du Haut-Karabagh, et que nous n’avons pas su défendre.

 

Prix Jacques de Fouchier : M. Guillaume MARTIN, pour La Société du peloton. Philosophie de l’individu dans le groupe

Le Prix Jacques de Fouchier récompense un livre dont l’auteur n’appartient pas à une profession littéraire. C’est le cas de M. Guillaume Martin, titulaire d’un D.E.A. de philosophie de l’université Paris X, et de son état coureur cycliste professionnel, leader de l’équipe Cofidis et champion de très haut niveau, comme le montrent ses résultats dans le Tour de France et la Vuelta. À ce titre, et fort de sa compétence de philosophe, M. Guillaume Martin, déjà auteur de Socrate à vélo, nous livre une analyse subtile des rapports humains dans le milieu particulier du peloton, où chacun espère l’emporter sur les autres mais sait qu’il ne peut y parvenir que soutenu par eux. M. Guillaume Martin, avec le soutien de tout le peloton académique entraîné par notre propre philosophe sportif, M. Jean-Luc Marion, est le vainqueur du Prix Jacques de Fouchier.

 

Grand Prix du Roman : M^me Dominique BARBÉRIS, pour Une façon d’aimer

La sensibilité et la délicatesse du roman de M^me Barbéris, « à la fois limpide et voilé de mystère », note M. Patrick Grainville, ont été unanimement saluées. Une sensibilité et une délicatesse qui feraient presque oublier son habileté et son audace. Habileté de la styliste dans le registre constant de la sobriété et de la retenue. Tics de langage, expressions toutes faites, bribes de chansons de l’époque s’invitent sans crier gare dans un récit au ton neutre, et d’un coup, le lecteur comprend tout sans que rien n’ait été dit. Habileté de la composition du roman. La narratrice mêle les souvenirs de sa mère, de sa grand-mère, de sa tante et du mari de celle-ci. À travers quelques photos et quelques lettres, elle devine et reconstitue une part de vie qui lui échappe à Douala, à la veille de l’indépendance du Cameroun. Cette part de vie est à la fois le centre et la part de vide au cœur de l’histoire transparente d’une famille de la petite bourgeoisie provinciale au cours du xx^e siècle. Et l’audace ? Elle est d’éviter les thèmes massivement dramatiques et actuels qui jouent de l’indignation et de l’émotion. Cela n’empêche pas M^me Barbéris de jeter un regard acéré sur l’enfermement et l’aveuglement de la petite bonne société coloniale, mais là où la décolonisation s’est faite avec le moins de heurts. Elle se contente du secret d’un amour. Oui, mais quel secret ? Celui d’une brève passion inachevée, à peine consentie ? Celui d’un mariage inexplicable et de l’acceptation silencieuse de l’amour d’un brave homme ? Celui d’une femme réservée, banale et mystérieuse ? Comme disait je ne sais plus qui, on ne dit jamais à quoi on pense. C’est la banalité même. C’est le mystère des êtres.

 

Grand Prix Michel Déon : M. Pierre ADRIAN

En quittant pour la Bretagne l’Italie de ses premiers ouvrages,
M. Pierre Adrian renonce à l’appui d’un relatif dépaysement qui s’ajoutait à la juste simplicité du style, à la sensibilité retenue, à la légèreté douloureuse soulignées par M. Frédéric Vitoux. Ces qualités se retrouvent dans son dernier roman, alors même que le cadre et le thème pourraient donner une impression de déjà-vu. Une grande maison de famille où, le temps d’un été, on se retrouve, se croise, se quitte, le mélange des âges et des générations, la plage, le port, les cafés, les boîtes, les voisins, les cousines, les voisines. Banal, tout cela ? Les choses de la vie ? Lisez, si ce n’est déjà fait, Que reviennent ceux qui sont loin, et vous verrez ce qu’un vrai romancier, là encore, fait de la banalité et combien est déchirante la prière de ce titre.

 

Prix de l’Académie française Maurice Genevoix : M^me Sibylle GRIMBERT, pour Le Dernier des siens

Le roman de M^me Sibylle Grimbert ne saurait être soupçonné de banalité. « Le dernier des siens » est un grand pingouin, espèce aujourd’hui éteinte, dont elle fait, nous dit M^me Dominique Bona, « le héros d’un roman d’aventures et d’initiation – le héros perdu d’une histoire d’amour inconsolable… celle du chasseur qui s’éprend de sa proie, celle du savant qui s’éprend du sujet vivant de son étude, celle du petit garçon qui fait entrer dans sa vie le rêve. » Le récit se situe dans la première moitié du xix^e siècle, époque qui a vu disparaître le pinguinus impennis, chassé et massacré par les équipages des navires de pêche de l’Arctique, mais il a, ce récit, quelque chose d’intemporel. Entre le grand pingouin et Gus, le jeune zoologiste qui l’a sauvé et nommé Pops, naît une relation extraordinairement étroite, mais impossible à situer sur nos cartes de l’affectif. Heureuse dans sa bizarrerie, elle ne s’assombrit que quand elle est menacée par la présence de tiers. Pops est jaloux de la femme de Gus et repoussé par la dernière colonie de ses congénères. De toute façon, ils seront massacrés comme les autres et Pops mourra seul, le dernier des siens.

 

Grand Prix Hervé Deluen : M. Emmanuel DONGALA

On peut dire que la vie de cet écrivain de quatre-vingt-deux ans fut frénétique. Né en République centrafricaine, Emmanuel Dongala a passé la majeure partie de sa vie au Congo où se déroule son premier roman Un fusil dans la main, un poème dans la poche, paru en 1973. En 1982, il publie Jazz et vin de palme, devenu depuis un classique de la littérature africaine. Mais en 1990, le Congo miné par des luttes fratricides bascule dans le chaos. Grâce à son ami Philippe Roth, il peut sortir du pays et trouve un poste universitaire. Il continue à écrire en français, dans une langue rapide et âpre, des romans rageurs qui décrivent minutieusement, comme Johnny chien méchant, la plongée en enfer de son pays. L’un de ses derniers romans, Photo de groupe au bord du fleuve, montre un groupe de femmes qui gagnent leur vie à casser des pierres pour un salaire de misère. M. Dongala peint ces univers étouffants avec un humour féroce. Pour avoir promené la langue française sur toutes les routes d’un pays en crise, pour reprendre la belle formule de M. Dany Laferrière, Emmanuel Dongala mérite le Grand Prix Hervé Deluen.

 

Grand Prix de Poésie : M. Jacques ROUBAUD, pour l’ensemble de son œuvre poétique

Si on nous avait dit, vers le milieu des années soixante du siècle dernier, quand nous lisions avec passion ∈ (le signe d’appartenance) et découvrions grâce à lui le jeu de go, que Jacques Roubaud recevrait en 2023 le Grand Prix de Poésie de l’Académie française, nous aurions été indignés. En 2023 ! Nous avions vingt ans. « Dans un mois, dans un an », cela nous paraissait déjà beaucoup. Alors dans soixante ans… Depuis soixante ans, en effet, Jacques Roubaud lance à la poésie, au fond de la cellule où elle s’enferme parfois, les clés de sa liberté. Ces clés, ce sont les mathématiques, puisque la poésie est comme la musique une science du nombre. Ces clés, ce sont le jeu et la stratégie des mots et des langues : Japon, go, Oulipo ; et aussi le rire, relevé par M. Michael Edwards. C’est pourtant vrai que soixante ans, c’est long, et que nous sommes lents. Mais Jacques Roubaud est si vif !

 

Grand Prix de Philosophie : M^me Françoise DASTUR, pour l’ensemble de son œuvre

Le parcours universitaire brillant de M^me Françoise Dastur est peu de chose au regard de son œuvre qui éclaire celle des grands phénoménologues et qui débouche sur une pensée personnelle neuve et profonde. Après avoir relevé que M^me Dastur « reste aujourd’hui sans doute la meilleure continuatrice » de Ricœur, M. Jean-Luc Marion mentionne « ses recherches personnelles, très originales et novatrices, concernant les développements de l’herméneutique, la Daseinanalyse, le rapport entre la pensée occidentale et la pensée zoroastrienne. Mais l’essentiel, ajoute-t-il, est dans ses méditations profondes, sobres et éclairantes sur le temps et la mort, où la spéculation rejoint de manière rare aujourd’hui la plus haute éthique ».

 

Grand Prix Moron : M. Jean-Marie SALAMITO, pour Travailleuses, travailleurs ! Les Pères de l’Église et l’économie

Normalien, romain, professeur à la Sorbonne, M. Salamito, comme le rappelle M. Jean-Luc Marion, est un très grand spécialiste des Pères de l’Église. Le livre couronné aujourd’hui traite d’un sujet auquel il réfléchit de longue date, puisque sa thèse portait sur Agriculture et Commerce dans les représentations collectives et la théologie des chrétiens d’Occident (iii^e-vi^e siècle). Beaucoup plus accessible, Travailleuses, travailleurs est un livre érudit certes, mais aussi alerte, rapide et élégant, comme l’annonce le sourire de son titre. Il montre comment les premiers auteurs chrétiens ont contribué à la réhabilitation du travail manuel et à l’ébranlement de l’esclavage, comment ils ont concrètement abordé les échanges économiques et le salariat. C’est leur approche théologique originale qui a fini par modifier au sein de la société les conceptions et les catégories héritées de la cité antique.

 

Grand Prix Gobert : M. Georges VIGARELLO, pour l’ensemble de son œuvre et notamment son dernier ouvrage Une histoire des lointains. Entre réel et imaginaire

Directeur d’études émérite à l’E.H.E.S.S., M. Vigarello est un illustre historien des pratiques corporelles. Il réunit pour cela les compétences, puisque, professeur d’éducation physique, il a passé l’agrégation de philosophie et soutenu une thèse sur Le Corps redressé, culture et pédagogie qui a connu un grand succès, comme tous ses autres livres, Histoire de la fatigue, Le Propre et le Sale, Les Métamorphoses du gras, etc. Son Histoire des lointains, à l’illustration abondante et pertinente, se déploie aux confins du réel et de l’imaginaire sur plus de vingt siècles, de l’étroitesse du monde méditerranéen antique jusqu’à notre globalisation. M. Pascal Ory souligne la fécondité de la périodisation proposée par l’auteur.

 

Prix de la Biographie littéraire : M. Léonard BURNAND, pour Benjamin Constant

Nul n’était mieux placé que M. Léonard Burnand, directeur de l’Institut Benjamin Constant de l’université de Lausanne, pour écrire une biographie de Benjamin Constant. Ce Constant inconstant, ou du moins insaisissable, si diversement jugé par ses contemporains, malgré la fermeté de ses opinions et la profondeur de sa pensée, il lui fallait un biographe qui lui eût consacré sa vie au point de paraître vivre de la sienne. « Le seul reproche qu’on pourrait adresser à M. Burnand, écrit M. Maurizio Serra, est d’éprouver une telle passion pour son héros, et de le connaître si bien, que par moments on a l’impression que c’est celui-ci qui parle par son biographe interposé. » Voilà un reproche qui vaut bien des éloges.

 

Prix de la Biographie historique : M. Cédric MICHON, pour Henri VIII. La démesure au pouvoir

Professeur à l’université de Rennes, auteur remarqué pour ses travaux sur la vie de cour à la Renaissance et sa biographie de François I^er, M. Cédric Michon donne aujourd’hui un Henri VIII d’autant plus remarquable que le personnage a déjà été, on s’en doute, très étudié et les sources dépouillées. M. Pascal Ory souligne la capacité de l’auteur à justifier avec autant de finesse que de science le sous-titre, « La démesure au pouvoir ». Cette démesure, chacun la perçoit aisément dans le physique du personnage et dans ses mœurs conjugales à la Barbe-Bleue. Mais M. Michon sait la faire apparaître aussi dans son glissement vers la tyrannie, comme dans sa pensée religieuse complexe et entêtée, mêlant luthérianisme et liturgie catholique pour aboutir à cette réforme si particulière qui fait du chef de l’État celui de l’Église. La survie de l’anglicanisme jusqu’à nos jours n’allait pas alors de soi.

 

Prix de la Critique : M. Jean CANAVAGGIO, pour l’ensemble de ses travaux critiques

Jean Canavaggio, qui nous a quittés cet été, était, nous dit
M^me Florence Delay, « l’ami français le plus proche de Don Quichotte de la Manche, l’ami intime de Cervantès. » Il a fait connaître Cervantès au-delà de Don Quichotte « en retrouvant, précise M^me Delay, deux comedias disparues, en ressuscitant son théâtre, en dirigeant les deux volumes parus dans La Pléiade des Œuvres romanesques complètes ». Il a fait connaître en France le théâtre du Siècle d’or espagnol, et, au-delà, la littérature espagnole dans son ensemble, dont il a été un grand professeur, passionné, admiré, généreux, honoré par des académies du monde entier. Il n’est plus parmi nous aujourd’hui, mais il a su du moins que l’Académie lui avait décerné son Grand Prix de la Critique.

 

Prix de l’Essai : M. Maurice GOURDAULT-MONTAGNE, pour Les autres ne pensent pas comme nous

Il est inutile de présenter Monsieur l’ambassadeur de France Maurice Gourdault-Montagne. Il ne l’est peut-être pas de souligner qu’il est polyglotte à un point vertigineux. Cette compétence à elle seule suffirait à donner son poids et son sens à la constatation que « les autres ne pensent pas comme nous ». Son livre analyse avec rigueur et courage les grands événements diplomatiques qui ont marqué la France dans les quarante dernières années et trace des portraits passionnants des dirigeants que l’auteur a rencontrés, montrant à chaque page combien il est en effet difficile de comprendre et d’admettre une pensée différente de la nôtre et combien l’art du diplomate est spécifique et nécessaire. « Le livre se clôt, note M. Xavier Darcos, sur une vibrante défense de la spécificité du métier de diplomate… à un moment où l’explosion des rapports de force mondiaux demande plus de profondeur, d’agilité et de permanence dans l’analyse internationale. »

 

Prix de la Nouvelle : M. Franck COURTÈS, pour Les Liens sacrés du mariage

M. Courtès, photographe réputé, montre dans ce livre, et a encore confirmé récemment, qu’il sait donner une autre expression à l’acuité de son regard. Le titre, Les Liens sacrés du mariage, s’entend avec ironie, certes. Ironie de la lettre liminaire d’une mère à son fils pour le dissuader de se marier. Ironie, car les liens sacrés du mariage sont constamment menacés, distendus ou rompus. Ironie enfin dans le rendu des irritations, discussions et disputes, avec leurs mots attendus, leurs attitudes jouées, leurs péripéties. Mais l’ironie n’a pas le dernier mot. La chute de la nouvelle est plus indulgente ou tristement apaisée que persifleuse. Les écorchures superficielles et les blessures profondes, montrées avec une acuité comique, le sont aussi pour ce qu’elles sont, des épreuves et des douleurs. Ce titre ironique est juste. Est sacré ce à quoi on ne touche pas sans risque. Les liens du mariage sont sacrés.

 

Prix d’Académie :

1. M^me Claire RIFFARD, pour Jean-Joseph Rabearivelo. Une biographie

En consacrant un ouvrage à ce poète malgache mort en 1937, M^me Riffard peint toute une société et toute une jeunesse vivant dans l’exaltation de ses désirs d’indépendance et de littérature. Elle nous fait connaître, souligne M. Dany Laferrière, un grand poète jusqu’ici ignoré en France et offre à la nation malgache un motif de fierté.

2. M^me Clémence IMBERT, pour Les Couvertures de livres. Une histoire graphique

Ce livre, superbement imprimé et illustré, a ravi la curiosité de M. Pierre Rosenberg. Il traite avec pénétration, finesse et élégance un sujet auquel on ne prête pas toujours attention. Pourtant la couverture est ce qu’on voit d’abord du livre et elle aide si bien à sa vente qu’on a inventé la quatrième de couverture. Le livre de M^me Imbert nous en fait prendre conscience en nous mettant sous les yeux, en nous remettant en mémoire, en nous apprenant à regarder et à interpréter ces couvertures qui disent une mode, une collection, un éditeur, une époque.

3. M^me Yuriko JACKALL, pour Jean-Baptiste Greuze et ses têtes d’expression. La fortune d’un genre

M^me Jackall, qui a pour projet de publier le catalogue raisonné de l’œuvre de Greuze, traite dans ce volume ses têtes d’expression, exprimant des émotions variées, de préférence celles de la sensibilité féminine. « Richement illustré et intelligemment conduit, nous dit
M. Pierre Rosenberg, l’ouvrage de M^me Jackall se lit avec plaisir et éclaire un aspect de la peinture française du xviii^e siècle, à ce jour négligé. »

4. M. Yves HARTÉ, pour La Main sur le cœur

En septembre 1979, l’écrivain et journaliste bordelais Pierre Veilletet conduit M. Harté, au musée du Prado, devant le célèbre tableau du Greco dit « Le Chevalier à la main sur le cœur ». Plein d’une mélancolie soulignée par M^me Florence Delay, le livre de M. Yves Harté mêle l’enquête qu’il a menée sur l’identité de ce gentilhomme au récit de son amitié avec Pierre Veilletet, disparu il y a dix ans.

 

Prix du cardinal Grente : R. P. Michel FÉDOU, s. j., pour l’ensemble de son œuvre

Nul ne connaît ni ne comprend mieux Origène que le père Fédou, depuis sa thèse sur le Contre Celse et son essai sur la christologie d’Origène, La Sagesse et le Monde, jusqu’à son édition des dix livres du Commentaire sur l’Épître aux Romains. Mais l’œuvre immense de cet agrégé des lettres, doyen de la Faculté de théologie, puis président du Centre Sèvres des Jésuites, dépasse largement l’étude d’un auteur unique. Sa recherche et sa pensée « non seulement vivante, mais vivifiante », comme l’écrit M. Jean-Luc Marion, se sont élevées « au niveau de la théologie spéculative », avec Les Dogmes et Mémoire chrétienne et expérience de Dieu. Le sens des dogmes aujourd’hui. Le Prix Ratzinger a couronné son œuvre en 2022. En lui décernant le Prix du cardinal Grente, l’Académie ne fait donc qu’ajouter modestement le chapeau d’un cardinal à la tiare d’un pape (façon de parler, puisque les papes ne portent plus la tiare).

 

Prix du Théâtre : M^me Alexandra BADEA, pour l’ensemble de son œuvre dramatique

Dramaturge et romancière d’origine roumaine, M^me Alexandra Badea vit en France depuis 2003 et publie en français depuis 2008. Le bouleversement que la chute du régime de Ceaucescu a produit dans la vie de la petite fille qu’elle était, puis celui du changement de pays pour la jeune femme, qui a reçu la nationalité française en 2013 mais qui a découvert aussi que la migration vers le pays de la liberté et des droits de l’homme n’est pas pour tous aussi aisée qu’ils l’imaginent : tout cela nourrit son œuvre, en particulier son œuvre dramaturgique et son travail de mise en scène. Cette œuvre a pris une grande ampleur avec la publication entre 2018 et 2021 d’une trilogie qui appuie sur les points douloureux les plus récents de l’histoire de la France coloniale. « Son théâtre, souligne M^me Florence Delay, reflète l’expérience brutale du cours de l’Histoire, de la transition et du transitoire, historique et géographique, ainsi que celle d’une construction identitaire en mouvement. »

 

Prix du Jeune Théâtre Béatrix Dussane-André Roussin : M. Nicolas DOUTEY, pour l’ensemble de ses ouvrages dramatiques

« L’Académie, qui aime la jeunesse (je cite M^me Dominique Bona s’adressant à M. Nicolas Doutey), s’est laissé captiver par votre vision d’un Théâtre ouvert, participatif, tonique. Les frontières s’y effacent entre l’auteur, les comédiens et le public, voire le scénographe ou metteur en scène. Chacun est partout, ou nulle part, mais de cette étrange et trouble alchimie naît un spectacle – moment de communion et d’échange. » Qu’ajouter à un tel éloge ? M. Nicolas Doutey a le sens de la révolte en sourdine et de la provocation douce. Il aime inclure, mais non embrigader. Que demander de plus au jeune théâtre ?

 

Prix du Cinéma René Clair : M. Cédric KLAPISCH, pour l’ensemble de son œuvre cinématographique

Le Péril jeune nous aura tous accompagnés jusqu’à notre vieillesse. Qui, sous cette Coupole, oserait prétendre ne s’être pas un peu reconnu dans un ou plusieurs personnages d’Un air de famille ? Il a fallu que je voie L’Auberge espagnole pour découvrir le sens du verbe pipeauter, absent du Dictionnaire de l’Académie française, et dont la figuration n’est peut-être pas, d’ailleurs, le meilleur moment du film, à la différence du mouvement de gymnastique infailliblement séducteur. On n’oublie pas les films de Cédric Klapisch. C’est en soi un compliment qui en vaut beaucoup d’autres. Ces films ne se ressemblent pas entre eux, mais ressemblent tous à leur auteur. Chacun est dans l’air du temps et ce qu’ils ont en commun les rend indémodables. L’acuité impitoyable et généreuse. L’air de rire, mais pour mieux convaincre, sans en avoir l’air, que « mieux vaut pleurer de rien que de rire de tout », comme disait Gainsbourg. L’exactitude sous la désinvolture. Toujours le bon acteur pour le bon rôle. « Ce prix, dit M^me Dominique Bona, est le salut de l’Académie française à une très grande personnalité du cinéma. »

 

Grande Médaille de la Chanson française : LA GRANDE SOPHIE, pour l’ensemble de ses chansons

La grandeur de La Grande Sophie tient pour une part à sa modestie. La modestie d’aller droit à l’essentiel, non en faisant simple, mais en étant simple. La modestie de la kitchen miousic, avec une prononciation, cher Jean-Marie Rouart, qui efface toute trace d’anglais, cette musique de cuisine, qui n’a pas la prétention de s’élever au niveau de la musique de salle de bains. La modestie de savoir que, quand on s’aime, il faut bien s’aimer, parce qu’« une vie on n’en a qu’une, des soucis on en a plein ». La modestie de mettre sa confiance dans le groupe fidèle de ses musiciens. La modestie de ne pas revendiquer la poésie, alors que M^me Dominique Bona a raison de souligner « la poésie des textes et l’audace d’une artiste qui a consacré aux mots l’une de ses plus belles créations : “Où vont les mots… quand ils tournent autour du pot, quand ils se perdent et reviennent…, où vont les mots…” » La poésie et le roman, puisqu’on peut voir La Grande Sophie interpréter sa chanson Roman avec le concours de romancières – M^me Delphine de Vigan, M^me Marie-Hélène Lafon – qui s’agitent derrière elle avec l’entrain des regrettées Clodettes, quoique dans des tenues différentes. En apprenant que l’Académie française lui décernait sa Grande Médaille de la Chanson française, La Grande Sophie a écrit à M^me le Secrétaire perpétuel Hélène Carrère d’Encausse une lettre qui l’a tellement touchée qu’elle nous en a donné lecture en séance, sa dernière séance.

 

Prix du Rayonnement de la Langue et de la Littérature françaises :

1. M^me Valentina HRISTOVA, historienne d’art d’origine bulgare

Les travaux de M^me Hristova portent essentiellement sur la Renaissance italienne, comme le précise M. Pierre Rosenberg. Ils sont précis et décisifs. Elle a été pensionnaire à l’Académie de France à Rome, a également été chargée d’études à l’I.N.H.A., et a enseigné à l’École du Louvre.

2. M. Stenio SOLINAS, éditeur italien de textes classiques français

M. Solinas, écrivain, journaliste, voyageur et éditeur, fait dans ces diverses activités, souligne M. Maurizio Serra, une large place aux lettres françaises, en particulier dans les deux collections littéraires qu’il dirige à Rome et à Milan, comme dans ses propres ouvrages, en rendant disponibles en traduction italienne des textes classiques français qui ne l’étaient pas jusque-là.

3. M. Christian FULAŞ, écrivain et traducteur roumain d’auteurs français

Écrivain reconnu et admiré dans son pays, M. Fulaş, nous dit M. Frédéric Vitoux, a aussi mis son talent au service de la littérature française en traduisant Mallarmé et Proust, mais aussi des auteurs contemporains, parmi lesquels notre confrère Jean-Christophe Rufin, ce qui fait honneur à son goût.

4. M^me TRAN Thi Hao est une romancière vietnamienne de langue française et une passeuse de la culture française au Vietnam. Ses romans comme son Introduction à la connaissance du Vietnam ont été publiés en français.

5. M. Bernard MICHEL, rappelle M. Amin Maalouf, a grandement contribué à faire redécouvrir l’œuvre importante du romancier et poète martiniquais René Maran, dont le roman Batouala, dénonciation virulente des pratiques de la colonisation, a obtenu le prix Goncourt en 1921 et d’autres ouvrages, plus tard, des prix de l’Académie française.

 

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Après les Grands Prix, viennent à présent les Prix de fondations. Les lauréats se lèveront également à l’appel de leur nom, mais je leur demanderai de bien vouloir accepter d’attendre la fin de la proclamation pour recevoir ensemble nos applaudissements, d’autant plus nourris qu’ils seront collectifs et semblables à l’amour d’une mère : chacun en a sa part et tous l’ont tout entier.

 

PRIX DE POÉSIE

 

Prix Théophile Gautier : M. Hubert HADDAD, pour Portiques de l’instant

L’œuvre considérable de M. Hubert Haddad est traversée tout entière par les questions de l’errance et de l’identité. Son dernier recueil de poèmes, un recueil somptueux, jette un regard calme et inquiet sur la multiplicité, la simplicité, la fugacité du monde, des êtres, de l’amour.

 

Prix Heredia : M^me Marie ÉTIENNE, pour Sommeil de l’ange

Longtemps collaboratrice d’Antoine Vitez, M^me Marie Étienne conçoit sa poésie comme une architecture théâtrale où l’on se déplace au gré d’une « dérive onirique » précise, où l’absurde se mêle à l’angoisse, le cocasse à la terreur. Sommeil de l’ange est le dernier d’un ensemble de cinq volumes intitulé Les Couloirs de la prose.

 

Prix François Coppée : M. Étienne FAURE, pour Vol en V

Poète cultivé, maître de la forme et du langage, M. Faure aime les citations avouées ou cachées, les allusions, les jeux de l’intertextualité convoquant des poètes de toutes les langues et de toutes les époques, en un jeu savant, touchant, prenant et surprenant.

 

Prix Paul Verlaine : M. Bernard CHAMBAZ, pour E bientôt muet

Lui aussi attentif à la forme, M. Chambaz aime invoquer les poètes, mais très différemment. Ses inventions et ses constructions formelles ont quelque chose de méticuleux et de joueur. Les résonances de son univers sont faites du quotidien, du familier, du souvenir qui devrait être apaisant, mais est disloqué par le pire des drames intimes. Tout cela sur ton désabusé mais non détaché, et finalement confiant dans la poésie.

 

Prix Henri Mondor : M^me Federica LOCATELLI, pour Stéphane Mallarmé, l’homme poursuit noir sur blanc

Professeur à l’université de la Vallée d’Aoste, spécialiste de la poésie française symboliste et moderne, M^me Locatelli analyse le mouvement métaphorique qui soutient le poème mallarméen (images, échos sonores, relations syntaxiques) et qui se donne à voir comme un objet volumétrique (astre, bloc de cristal, diamant), d’où le « signe adamantin » que, selon M^me Locatelli, Mallarmé cherche d’une manière obsédante.

 

Prix Maïse Ploquin-Caunan : M. Olivier BARBARANT, pour Séculaires

Les recueils de poésie de M. Barbarant, d’autre part éditeur des poèmes d’Aragon en Pléiade, passent rarement inaperçus. Séculaires, qui recourt à des formes très variées, fouille d’abord dans « le grenier en désordre » de la mémoire, puis, dans une « Complainte à la charnière du temps », suit, de part et d’autre de la césure du siècle, les quarante années qui vont de 1981 à 2021 en mêlant événements publics et vie privée.

 

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PRIX DE LITTÉRATURE ET DE PHILOSOPHIE

 

 

Prix Montyon : M. Olivier ROY, pour L’Aplatissement du monde. La crise de la culture et l’empire des normes

Le politologue et spécialiste du monde musulman qu’est M. Olivier Roy livre une réflexion précieuse sur la crise de la culture dans le monde occidental, un peu dans la lignée de Hannah Arendt. Les débats actuels (communautarisme, genre et sexe, racisme, véganisme, immigration, décroissance…) ont pour point commun d’entretenir une sorte de guerre culturelle permanente et de réduire la culture à un système de codes oppressants. Le danger n’est pas l’individualisme, comme on le répète, mais la facilité avec laquelle, renonçant à penser par nous-mêmes, nous nous soumettons à ces codes.

 

Prix La Bruyère : M^me Nathalie HEINICH, pour La Valeur des personnes. Preuves et épreuves de la grandeur

M^me Heinich étudie les critères qui déterminent l’évaluation de la valeur attribuée aux personnes et entraînent en corollaires hiérarchies et inégalités. Cet ouvrage dense et savant expose rationnellement des questions souvent débattues de façon passionnelle.

 

Prix Jules Janin : M^me Claude SEBAN, pour l’ensemble de ses traductions de Joyce Carol Oates, à l’occasion de la parution de Respire… et de Mélancolie américaine

M^me Seban se consacre depuis trente ans à la traduction française des livres de Joyce Carol Oates, tâche qui exige un talent particulier, doublé d’une grande finesse quand il s’agit de traduire les poèmes de Mélancolie américaine.

 

Prix Mabillon : Frère Raffaele FASSETTA, o.c.s.o., pour sa traduction de la Vie de saint Bernard, abbé de Clairvaux (Vita prima), de Guillaume de Saint-Thierry, Arnaud de Bonneval et Geoffroy d’Auxerre

Le prix Mabillon est un nouveau prix de traduction, fondé grâce à la générosité de dom Jean-Éric Stroobant de Saint-Éloy. Il récompensera chaque année « la traduction d’une œuvre obéissant à l’esprit de l’humanisme bénédictin qui allie la culture profane et les valeurs spirituelles », et il ira de préférence à une traduction d’une œuvre grecque ou latine d’une époque allant des premiers siècles chrétiens à l’époque moderne.Bernard de Clairvaux a été le personnage le plus influent de son temps, une personnalité complexe, un écrivain au génie littéraire et spirituel unique. D’où l’intérêt de sa Vie écrite à plusieurs mains, et d’abord par son disciple et ami Guillaume de Saint-Thierry. La traduction du frère Fassetta la rend accessible. À ses remarquables qualités de traducteur, il ajoute, dans l’introduction et les notes, une érudition minutieuse et intelligente, qui rectifie même parfois légèrement l’établissement, pourtant magistral, du texte par le regretté père Verdeyen. Et il manifeste une compréhension extraordinairement fine des auteurs de la Vita prima, comme de Bernard lui-même.

 

Prix Émile Faguet : M. Sébastien LAPAQUE, pour Vivre et mourir avec Georges Bernanos

Le livre de M. Lapaque est en apparence une biographie qui suit Bernanos du Brésil au port de Toulon. Mais c’est surtout un hommage passionné et fervent au romancier et à l’éclaireur des consciences, à sa foi sombre et passionnée, à son combat contre la technique destructrice de la liberté et de la spiritualité. L’auteur fait sienne la cause de Bernanos, il écrit comme à sa place un livre inspiré contre le conformisme mental moderne.

 

Prix Louis Barthou : M. Philippe BORDAS, pour Le Célibataire absolu. Pour Carlo Emilio Gadda

Entre l’essai littéraire et la biographie, le livre de M. Bordas est une sorte de longue méditation sur Gadda, écrivain profondément original dont la langue mêle le toscan, le milanais (il est de Milan), le langage technique (il est ingénieur) et ses propres néologismes.
M. Bordas, fou de cet écrivain depuis toujours, mêle l’histoire de son enthousiasme à celle de son modèle, au point de finir lui-même par écrire comme lui.

 

Prix Anna de Noailles : M^me Clémentine DABADIE, pour Dog

L’héroïne du premier roman de M^me Clémentine Dabadie veut marcher sur les traces de son père, colonel de gendarmerie à Satory, et même entrer au G.I.G.N., tâche ardue pour une jeune mère de famille. Une épreuve dramatique, qui n’a rien à voir avec le G.I.G.N., mais beaucoup avec le passé de son père dans les services secrets en Afghanistan, complique singulièrement le parcours de la combattante. M^me Dabadie sait de quoi elle parle, écrit avec fermeté et sait peindre caractères et situations avec vérité.

 

Prix François Mauriac : M^me Stéphanie BOULAY, pour À l’abri des hommes et des choses

Dans ce premier roman, M^me Boulay dit la pauvreté avec charme et donne des couleurs vives aux nuits glacées des longs hivers québécois. Elle raconte une adolescence, la vie rude d’une mère et de sa fille. Elle le fait dans une langue imagée, vivante, piquante, riche d’inattendu et dont on voudrait retenir toutes les trouvailles.

 

Prix Georges Dumézil : M^me Henriette WALTER, pour Deux Mille Mots pour dire le monde

La très grande linguiste qu’est M^me Henriette Walter ajoute à sa science l’art de la simplicité. Rien de pédant chez elle. Elle parcourt les deux mille mots qu’elle a choisis, les classe et les commente avec son savoir limpide, avec son sérieux distancié, et avec le sourire et la liberté que donne le sentiment du devoir accompli. Le livre est préfacé par son fils, et le lecteur en est ému.

 

Prix Roland de Jouvenel : M. Denis GROZDANOVITCH, pour La Gloire des petites choses

Le discret M. Grozdanovitch essaie en vain de faire oublier au désert sa carrière de joueur professionnel de tennis, de champion de squash et d’échecs, enfin le talent d’un écrivain dont l’élégance et la légèreté voilent tant bien que mal le savoir et la profondeur. Ce styliste sensible à la saveur des lettres vit discrètement, en sage, au pied du Morvan, sans chercher ni la renommée ni les récompenses, qui le rattrapent tout de même de temps en temps.

 

Prix Biguet : M. Yann DIENER, pour LQI. Notre langue quotidienne informatisée

Dans ce livre court, M. Diener montre de façon décisive comment le langage né de l’informatique modifie le nôtre, et du même coup notre rapport à la parole et à nous-mêmes, de même que Victor Klemperer constatait qu’il finissait, à force de l’entendre, par parler le nazi et non plus l’allemand. L’intelligence artificielle est défectueuse parce qu’elle est parfaite et qu’il lui manque les hésitations, les erreurs, les névroses qui font l’humain. Psychanalyste, M. Diener sait de quoi il retourne.

 

Prix Jacques Lacroix : M. Allain BOUGRAIN DUBOURG, pour le Dictionnaire amoureux des oiseaux

Il n’est pas surprenant que M. Bougrain Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux, soit l’auteur d’un Dictionnaire amoureux des oiseaux, lui qui passe sa vie à les défendre. On devine tout ce que nous apprend ce livre érudit et vivant. Qu’attendre d’autre de ce défenseur passionné et talentueux dans tous les domaines, et pas seulement dans celui des oiseaux, d’une nature plus menacée que jamais aujourd’hui ?

 

 

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PRIX D’HISTOIRE

 

Prix Guizot : M^me Iris de RODE, pour François-Jean de Chastellux (1734-1788). Un soldat-philosophe dans le monde atlantique à l’époque des Lumières

M^me Iris de Rode a tiré de sa thèse une belle monographie de ce général philosophe, auteur en 1771 d’un De la félicité publique avant d’être élu en 1775 à l’Académie française grâce à Voltaire et au parti des « philosophes », puis de participer à la guerre d’indépendance américaine, d’où il rapportera ses Voyages dans l’Amérique septentrionale. M^me de Rode a eu accès aux importantes archives familiales des Chastellux, longtemps inaccessibles, au château de Chastellux et à Lucy-le-Bois. Ces documents inédits lui ont permis de remplir le programme qui fait la nouveauté de son livre : « étudier le rôle que Chastellux a joué dans la diffusion des Lumières à travers son réseau transatlantique ».

 

Médaille d’argent du Prix Guizot : M. Bertrand TILLIER, pour La Disgrâce des statues. Essai sur les conflits de mémoire, de la Révolution française à Black Lives Matter

Toutes les civilisations ont, à la lettre, renversé ou détruit les statues de grands hommes qui avaient à leurs yeux cessé de l’être. En soulignant que ces violences symboliques, souvent accompagnées de violences réelles, relèvent de l’iconoclasme plus que du vandalisme,
M. Tillier se donne les moyens d’analyser les passions collectives, spontanées ou suscitées, mais aussi de s’interroger sur la signification des statues offertes à la vue dans l’espace public. Il montre que ce qui suscite la contestation est l’interprétation de la statue comme une célébration du personnage représenté. Il met en lumière à l’inverse les dangers d’une damnatio memoriae absolue qui, en effaçant le passé, interdit de le comprendre. Il souligne que la démarche muséale, à l’inverse, permet de conserver la mémoire réfléchie du passé sans contraindre pour autant à l’admirer.

 

Prix Thiers : M. Jean-Marc TICCHI, pour Pie VII. Le pape vainqueur de Napoléon ?

M. Ticchi a le don de dire clairement la complexité des faits et des esprits dans cette biographie d’un pontife où l’on ne voit souvent qu’une victime impuissante, instrumentalisée par Napoléon. La profondeur spirituelle de ce bénédictin devenu évêque, puis pape, donne une cohérence à des contrastes parfois interprétés comme des contradictions. Finesse, habileté, voire reculs diplomatiques pour protéger les fidèles de son diocèse, mais fermeté sans faille quand sa personne même est menacée, et pour finir âpreté à défendre les intérêts de l’Église face aux vainqueurs de son vieil adversaire et attention charitable portée au sort de ce dernier.

 

Prix Eugène Colas : M^me Juliette RENNES, pour Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900

L’énorme documentation rassemblée par M^me Rennes ne nuit pas à la vivacité du récit. Dans ce gros livre, elle fait surgir et vivre sous les yeux du lecteur émerveillé, qui a l’impression de se promener dans un film, les rues d’un Paris grouillant de petites gens qui tirent comme ils le peuvent leur subsistance de petits métiers. De petites gens et de petits métiers que l’autorité ne cesse de recenser et de surveiller.

Médaille d’argent du Prix Eugène Colas : M. Christian LAMOUROUX, pour La Dynastie des Song. Histoire générale de la Chine (960-1279)

Aussi passionnant que savant, le livre de M. Amouroux est le premier ouvrage à paraître en français sur cette dynastie qui a suscité, malgré les difficultés et les revers, un bond en avant (véritable celui-là) de la civilisation chinoise : invention du papier-monnaie, diffusion de l’imprimerie, organisation de l’administration et des examens lettrés qui y donnent accès, gestion efficace des infrastructures et de l’économie, richesse de la pensée philosophique et religieuse, raffinement des lettres et des arts. Après l’histoire politique de la dynastie, règne après règne, M. Amouroux consacre à ces différents domaines la seconde partie de ce livre important.

 

Prix Eugène Carrière, constitué aujourd’hui de deux prix grâce à la générosité de M. Étienne BRÉTON et de M. Kamel MENNOUR :

1. M. Joseph ASSÉMAT-TESSANDIER, pour Louis Lagrenée (1725-1805)

La monographie que M. Assémat-Tessandier consacre à Lagrenée est scrupuleuse, exhaustive et d’une lecture agréable. Il manquait un catalogue raisonné de l’œuvre de cet exact contemporain de Greuze. Mais le livre de M. Assémat-Tessandier est aussi, surtout peut-être, une étude savante et pénétrante du genre de la peinture d’Histoire.

2. M^me Laure SCHNAPPER, pour Musique et musiciens de bal. Isaac Strauss au service de Napoléon III

Alsacien et sans lien de parenté avec ses illustres homonymes de Vienne, Isaac Strauss, violoniste, chef d’orchestre et compositeur, fut l’ordonnateur efficace des bals de la cour impériale, avant de se retirer de la vie musicale pour se consacrer à sa collection de judaïca. Celle-ci devait un jour intéresser son arrière-petit-fils, Claude Lévi-Strauss. C’est ainsi que le livre savant, charmant, précis dans l’ordre musical et joliment illustré de M^me Laure Schnapper s’ouvre sur un texte écrit en 1981 par notre éminent et regretté confrère.

 

Prix Georges Goyau : M. Antoine PROST, pour Orléans 1911

Ce livre illustre la méthode du grand historien de la société française du xx^e siècle qu’est M. Antoine Prost : une analyse fondée sur une approche finalement empathique de toutes les sources statistiques disponibles. Orléans, type de la « ville moyenne », reflète la France entière à la veille de la Grande Guerre. Sous une forme modeste, un tour de force.

 

Prix du maréchal Foch : M. Rémy HÉMEZ, pour Les Opérations de déception. Ruses et stratagèmes de guerre

La ruse de guerre n’a disparu ni avec le cheval de Troie ni avec le professeur Chotard du Livre de mon ami d’Anatole France. M. Hémez, officier supérieur, breveté de l’École de guerre, le montre pour la période qui s’étend de la guerre de 1914 à celle d’Ukraine. Ses démonstrations s’appuient sur un appareil de notes qui représente le tiers du volume. La ruse est de toujours, mais (je le cite) « ce qui change, c’est l’intensité de son emploi, son degré de formalisation et de théorisation et son niveau de valorisation culturelle ».

 

Prix Louis Castex : M. Marc SAGNOL, pour Voyage en Europe extrême. L’Ukraine

Il s’agit d’un voyage, non en Ukraine même, mais dans l’Ukraine des écrivains, ukrainiens ou étrangers, que M. Sagnol convoque en grand nombre. Cette flânerie d’une lecture très agréable nous fait connaître l’Ukraine, à laquelle nous avons aujourd’hui tant de tristes raisons de nous intéresser, à travers ceux qui y ont écrit et ont écrit sur elle.

 

Prix Monseigneur Marcel : M. Paul-Alexis MELLET, pour Les Remontrances. Discours de paix et de justice en temps de guerre. Une autre histoire des guerres de Religion (France, v.1557-v. 1603)

M. Mellet, professeur à l’université de Genève et historien de la Réforme, donne savamment à comprendre les guerres de Religion en France à travers les « Remontrances », discours transcrits et parfois imprimés qui proposaient des solutions à des difficultés ou à des conflits publics. Ces Remontrances offrent une image très éclairante de l’opinion et des opinions.

 

Médaille d’argent du Prix Monseigneur Marcel : M^me Déborah BLOCKER, pour Le Principe de plaisir. Esthétique, savoirs et politique dans la Florence des Médicis (xvi^e-xvii^e siècles)

Dans ce gros livre, à l’ample documentation minutieusement décryptée, M^me Blocker, professeur à l’université de Californie à Berkeley, reconstitue les réseaux de sociabilité des élites florentines, qui, éloignées du pouvoir par la domination des Médicis, se livrent dans un cadre académique à une activité poétique et intellectuelle effrénée aux formes parfois surprenantes.

 

Prix Diane Potier-Boès : M. Olivier BOUQUET, pour Pourquoi l’Empire ottoman ? Six siècles d’histoire et Vie et mort d’un grand vizir. Halil Hamid Pacha (1736-1785). Biographie de l’Empire ottoman

Les deux livres de M. Bouquet se complètent. Pourquoi l’Empire ottoman ? est une excellente introduction à l’histoire de cet empire si important et souvent mal connu. Vie et mort d’un grand vizir est une brillante illustration, dans les deux sens du terme, car ce beau livre est en effet très bien illustré, des usages, du rôle et du fonctionnement de la Sublime Porte. M. Bouquet a pu utiliser les archives détenues par les descendants d’un grand vizir tout puissant, puis tombé en disgrâce et décapité, sort fréquent des détenteurs de cette haute fonction.

 

Prix François Millepierres : M. Pierre PELLEGRIN, pour Des animaux dans le monde. Cinq questions sur la biologie d’Aristote

M. Pellegrin montre combien la pensée d’Aristote sur les animaux est originale au regard de celle des autres auteurs de l’Antiquité. Aristote met en lumière la perfection de chaque espèce sans supposer d’intention, de hiérarchie ni de cause finale dans l’organisation de la Nature. L’auteur fait apparaître les points de convergence entre les thèses d’Aristote et celles des premiers biologistes modernes (Lamarck, Cuvier).

 

Prix Augustin Thierry : M^me Claude GAUVARD, pour Jeanne d’Arc. Héroïne diffamée et martyre

Encore un livre sur Jeanne d’Arc ? Mais celui-ci est vraiment nouveau. Il met en évidence les divergences de vue entre les Anglais, qui voulaient condamner Jeanne comme sorcière, et l’évêque Pierre Cauchon qui, légaliste et soucieux d’une apparence de procès équitable, voyait qu’il ne pouvait espérer la faire condamner que comme hérétique. Minutieux et retors, il y parviendra en accumulant des ruses juridiques légales que M^me Gauvard, qui connaît mieux que personne la justice criminelle de la fin du Moyen Âge, était la seule à pouvoir détecter et est la première à mettre au jour.

 

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PRIX DE SOUTIEN À LA CRÉATION LITTÉRAIRE

 

Prix Henri de Régnier : M. Kerwin SPIRE, après Monsieur Romain Gary. Écrivain-réalisateur

M. Spire s’intéresse à des tranches successives de la vie de Romain Gary. Après le consul général de France à Los Angeles, voici le cinéaste, metteur en scène de son épouse Jean Seberg. M. Spire a les qualités du biographe : le sens de la synthèse et du récit vivant, une approche personnelle et poétique.

 

Prix Amic : M. Miguel BONNEFOY, après L’Inventeur

Les trois précédents romans et le recueil de nouvelles de M. Bonnefoy ont été remarqués. C’est qu’il a la plume chamarrée et le verbe malicieux. Son « inventeur » est Augustin Mouchot (1825-1912), né à Semur-en-Auxois, dénué d’apparence mais non de génie, précurseur de l’énergie solaire, un moment reconnu, fêté et aidé avant de retomber dans l’obscurité et la misère.

 

Prix Mottart : M. Erwan BARILLOT, après Moi, Omega

Ce roman de science-fiction, d’un auteur de trente ans, brille par son style et son humour. C’est l’histoire d’un jeune homme qui, bouleversé par la lecture de Teilhard de Chardin, se croit destiné à être l’Omega de l’évolution et le point final de l’aventure humaine.

 

C’est aussi le point final de notre palmarès. Les lauréats des Prix de fondations sont à présent invités à se lever tous ensemble et nous leur rendrons hommage en les applaudissant.