DISCOURS
Prononcé le Samedi 28. Septembre 1726.
Par M. MIRABAUD Secrétaire ordinaire de Monfeigneur le Duc d’Orleans, lorfqu’il fut élû par Meffieurs de l’Académie Françoife, à la place de feu M. le Duc de la Force.
MESSIEURS,
Je n’avois point efpéré que les Mufes reconnoîtroient un jour avec tant d’éclat les foins que je leur rendois en fecret : une couronne fi brillante n’eft pas le prix qu’elle réferve d’ordinaire à ceux qui ne leur offrent que d’obfcurs hommages. L’honneur que je reçois aujourd’hui, eft d’autant plus flatteur pour moi, que je m’étois moins promis de recevoir.
Pour plaire à un Prince plus refpectable encore par fa vertu que par fon augufte naiffance, j’ai voulu faire un effai de ce goût, que j’avois taché de me former, MESSIEURS, par la lecture des vos Ecrits. La gloire d’être avoué de celui à qui je confacrois mon ouvrage, écartoit alors de mon efprit toute autre penfée : cette vûe rempliffant mes defirs, elle étouffoit dans mon cœur toute autre vûe ambitieufe. Mais un Prince en qui les faveurs des Mufes font comme héréditaires ; un Prince dont l’efprit & les talens naturels ont été cultivés dès fon enfance par d’habiles mains, pouvoit-il ne pas juger comme vous ? C’étoit afpirer tacitement à vos fuffrages, que de vouloir obtenir le fien.
Un fuccès leger a auffi-tôt élevé mes efpérances. L’occafion nous dévoile à nous-mêmes. Auffi tôt j’ai découvert au fond de mon cœur des fentimens que je n’y avois point encore apperçûs ; j’ai reconnu, MESSIEURS, que l’honneur d’être admis parmi vous faifoit l’objet des defirs, ou développés ou confus, de tous les Gens de Lettres ; comme c’eft auffi le plus noble but que puiffe fe propofer leur ambition.
L’Augufte Prince à qui mon devoir & mon inclination m’attachent également, n’a pas défapprouvé mon audace. Telle eft, MESSIEURS, l’idée qu’il a de votre illuftre Compagnie. Amateur des Lettres que vous cultivez, il fçait quel avantage elles tirent de vos foins. Protecteur chéri des Mufes que vous fervez, il connoît parfaitement le prix des récompenfes qu’elles donnent ; il regarde le Laurier que votre main difpenfe, comme la couronne la plus précieufe dont elles ceignent le front de leurs favoris.
Qui ne feroit en effet charmé de fon éclat ? quels défirs ambitieux n’exciteroit pas l’image feule de cet honneur que je reçois ?
Chez la Nation la plus fpirituelle & la plut polie de la Terre, un petit nombre d’hommes choifis font les dépofitaires du bou goût. Leurs difcours, leurs ouvrages en donnent fans ceffe des modéles. C’eft moins par des préceptes que par des exemples qu’ils inftruifent. Non contens de rendre dans leur Langue les mêmes beautés que tous les fiécles ont admirées dans les Ecrits des Anciens, ils en ajoûtent de nouvelles : leur plume fçavante, ingénieufe, en fçait produire que l’antiquité la plus éclairée, ou n’a jamais connues, ou n’a connues qu’imparfaitement, & qu’elle defavoueroit point.
Ce qu’il y a de plus diftingué dans les differens Ordres de l’État forme cette Compagnie célébre. Le lieu où elle s’affemble donne une idée du féjour de la Divinité. Là paroiffent confondus les rangs, la naiffance, les dignités. Ceux qui font revêtus des plus grands titres, y viennent reconnoître quelque chofe de fupérieur encore à cette pompe qui les accompagne. Tout cet éclat dont les yeux font éblouis au dehors, paroît comme obfcurci dans ce lieu, par une lumiere plus vive.
Quelle eft donc, MESSIEURS, cette Lumiere fi pure ? quelle eft cette puiffance fecréte qui fait difparoître chez vous la naiffance & les titres ?
L’efprit feul a droit de donner entrée dans votre Compagnie. Comme vous en fentez tous également le prix, il fait régner entre vous une égalité parfaite. Il eft cette lumiere intérieure qui vous éclaire : il eft cette puiffance invifible, à laquelle les plus hautes dignités ne refufent point de faire le facrifice de leur grandeur.
C’eft lui qui de nos plus auguftes Tribunaux, qui du fanctuaire même, fait venir en ce lieu les hommes les plus refpectables de l’Etat, pour lui rendre un hommage d’autant plus fincére qu’ils le lui rendent volontairement.
C’eft lui qui invite nos plus fameux Généraux à venir partager avec vous ce Laurier paifible, mais précieux, qui feul peut ajoûter un nouveau luftre à ceux qu’ils ont ceuillis à la tête de nos armées.
Mais ce qui ne reléve pas moins fon pouvoir ; c’est lui, MESSIEURS, qui autorife le fimple Citoyen, celui qui n’a rien en lui de recommandable que fon goût pour les Lettres, à demander la place qu’occupoit parmi vous un homme de premier rang. Si ce n’eft l’efprit, ce font du moins vos ufages qui lui ont infpiré cette audace heureufe, que votre choix juftifie.
De quel amour, de quelle eftime pour les Mufes ne devoit pas être pénétré celui qui le premier conçut le deffein de former une Compagnie, dont elles tirent leur plus grande gloire ! C’eft à votre Fondateur, MESSIEURS, que la France eft redevable de cette fupériorité de goût dans les Lettres qu’elle a fur les autres Nations ; comme elle dût à ce grand Miniftre la fupériorité de la puiffance. L’Europe ne ceffera d’admirer en lui l’élévation de fon efprit, la fermeté de fon courage, l’étendue & la jufteffe de fes vûes. La Nature avoit fait part à cet homme extraordinaire des mêmes talens qui ont illuftré les noms des premiers Académiciens : il fe déclara leur Protecteur ; il pouvoit être leur Confrére.
Animé d’un même zéle, le Chef de la Juftice voulut être après lui le foûtien des Mufes. Il étoit en effet digne de l’être. Cet appui cependant qu’on lui vit donner à votre Compagnie naiffante, ce foin de vous proteger dont il fe chargea, n’étoit qu’un dépôt que le Génie de la France confioit en fes mains, jufqu’à ce qu’on vît paroître l’inftant marqué pour votre gloire.
LOUIS LE GRAND ne regnoit point alors : cet enchaînement de prodiges, qui ont fignalé fon regne, n’avoit point encore furpris l’Univers. C’étoit lui, MESSIEURS, qui vous étoit deftiné pour Protecteur : c’étoit fous un des plus grands Rois qui euffent paru dans le monde, que l’Académie Françoife devoit commencer à mettre tout fon appui dans la feule perfonne de fes Rois.
Les Mufes reconnoiffantes & équitables ont à l’envi, pendant près de quinze luftres, célébré les vertus, les exploits de ce Heros. Jamais Prince n’a reçû de plus magnifiques, ni de plus légitimes louanges. A-t il ceffé de regner : la gloire de fon nom s’augmente à mefure que le tems de fon regne s’éloigne. Cette génération d’hommes que la France a vû naître depuis fa mort, s’éleve dans une Admiration pour lui, qui furpaffe encore, fi j’ofe le dire, celle de fes Contemporains. Le nom de LOUIS XIV. devient comme ces noms fameux après lefquels nous ne voyons plus marcher un inutile Éloge : il fuffira déformais de le prononcer.
Quel fujet d’émulation pour le fuceffeur d’un fi grand Roi ! ou plûtôt, MESSIEURS, quel avantage pour un jeune Prince en qui le Ciel favorable a mis les difpofitions les plus heureufes, que d’avoir de pareils exemples comme préfens à fes yeux ! Tout l’invite à les fuivre : tout nous annonce qu’il les fuivra.
L’autorité Royale maintenue avec gloire pendant fon enfance, a paffé dans fes mains telle que l’avoit laiffée fon augufte Bifayeul ; & c’eft pour regner comme lui, qu’il veut employer cette autorité. Elevé dans le refpect pour fa mémoire, déjà il témoigne une noble impatience de marcher fur fes traces. Dans un âge où la docilité fait encore le plus grand mérite des Rois, il prend en main les rênes du Gouvernement de fon Etat : mais en même tems il déclare qu’il ne les veut prendre, que pour fuivre en tout la conduite de fon Predeceffeur.
Le regne de l’aimable Prince, qui nous gouverne aujourd’hui, ne fera donc, MESSIEURS, qu’une continuation du regne précedent. Les mêmes merveilles qui nous ont furpris fi long-tems, ne cefferont point de s’offrir à nos yeux. Que vos Mufes également protégées s’apprêtent à chanter de nouveau les héroïques vertus qu’elles ont déja tant célébrées. Que la France, toujours floriffante, ne craigne point de voir diminuer ni fon bonheur ni fa gloire. C’eft LOUIS LE GRAND qui regne encore fur nous.
Telle eft l’impreffion que des exemples fi beaux & fi récens ont faite fur l’efprit de notre augufte Monarque. Tel eft le fruit des fages confeils qu’il écoute, & des maximes falutaires qu’on a femées dans fon cœur.
Avant que nos Rois fe fuffent déclarés les Protecteurs de l’Académie Françoife, il manquoit à votre Compagnie, MESSIEURS, que l’entrée en pût être ouverte à des hommes, que leur naiffance & leurs dignités, fembloient en exclure, parce qu’elles ne leur permettoient pas d’avouer des Protecteurs dans leurs égaux.
Le plus grand luftre d’un homme de lettres lui vient de fon efprit & de fes talens. Les foins qu’il rend aux Mufes lui font honneur. C’eft par-là que fe faifant connoître, il fe tire de l’état où fa naiffance l’avoit placé. Son nom paffera peut-être un jour à la poftérité, mais il n’y peut paffer qu’à la faveur de fes Ecrits.
Il eft des hommes d’un autre ordre, qui décorent les Lettres en les cultivant, qui ennobliffent les Sciences & les Arts, aufquels ils s’adonnent. Les Mufes, dont ils ne font point nés fujets, leur fçavent gré des fervices volontaires qu’ils leur rendent ; & par un jufte retour elles font graver dans leurs immortelles Archives les noms de ces illuftres Etrangers qui n’ont pas dédaigné de contribuer à leur gloire.
Il falloit, MESSIEURS, que dans votre Compagnie l’entrée fût ouverte à des hommes d’un mérite fi diftingué. Il étoit jufte que le droit de citoyen fût offert dans l’empire des Mufes, à des étrangers, dont les fervices étoient également utiles & honorables. Mais l’Académie françoife avoit une raifon particuliére pour les admettre.
L’ufage du monde nous apprend que les hommes qui compofent le premier Ordre de l’Etat, font ordinairement ceux qui parlent mieux notre Langue. C’eft dans leur bouche que fe trouvent ces tours aifés, fins, naturels, élégans, qui font toute la grace du difcours. Leurs expreffions fe reffentent prefque toutes de la nobleffe de leur fang. Ils acquiérent fans peine ce point parfait auquel il eft rare de voir un homme de lettres parvenir ; à moins qu’il ne forte de fa fphére, & que le commerce des perfonnes qui parlent bien ne rectifie fon étude.
La Langue Françoife eft pour celui qui ne veut l’apprendre que par la lecture de nos meilleurs livres, ce que font pour nous les Langues fçavantes, dont nous ne devons point nous flatter de pouvoir acquérir aujourd’hui cette intelligence fine, fi néceffaire pour les bien parler, & même pour les entendre parfaitement.
On ne parle bien en France, qu’autant que l’on approche de cette manière de s’exprimer, qui paroît comme propre & naturelle aux hommes, que leur naiffance & leurs dignités élevent au-deffus des autres. C’eft d’eux que les ordres inférieurs prennent le ton. Ils font la fource d’où s’écoule ce beau langage, qui fe communique de proche en proche, & que l’homme d’efprit & de goût, fçait employer à propos pour relever fes talens.
Telle eft une onde pure qu’on voit defcendre du haut d’une montagne où elle a pris fa fource. Elle fe prête à l’induftrie, qui fans altérer fa pureté, fçait lui donner mille formes différentes & agréables ; & quelquefois c’eft au pied de la montagne que l’homme ingénieux l’attend, pour la faire rejaillir jufqu’aux lieux mêmes qui l’ont vû naître.
Un avantage que la naiffance & l’éducation rendent commun à prefque toutes les perfonnes du premier rang, n’étoit pas, MESSIEURS, ce qui relevoit l’illuftre Confrere dont je vous ai déja rappellé le trifte fouvenir. Il en avoit de plus confidérables, qui lui étoient particuliers, & qui l’auroient pû diftinguer des autres hommes, dans quelque rang que le Ciel l’eût fait naître.
Avec beaucoup d’efprit, de M. le Duc de la Force avoit encore dans l’efprit ces agrémens qui font fi propres à le faire valoir. Il étoit né avec d’aimables talens, capables de lui attirer la jaloufie de nos Poëtes & de nos Ecrivains les plus enjoués, s’il avoit voulu courir avec eux la même carriére.
Sa haute naiffance qui l’appelloit à d’autres occupations que celles d’un homme de lettres, ne lui a pas permis de fe donner tout entier à ces talens. Il s’y livroit pourtant quelquefois, & toujous avec fuccés : mais avec réferve ; & comme difoit un de fes amis, il fembloit qu’il ne le fit que pour n’être point taxé d’ingratitude envers la nature, s’il eût toujours diffimulé les faveurs finguliéres qu’il en avoit reçûes.
L’heureufe facilité que M. le Duc de la Force avoit dans l’efprit, jointe à une curiofité naturelle qui le portoit à tout, lui avoient donné une étendue de connoiffances, qui rendoit plus éclairé, & par conféquent plus utile aux Mufes, le zéle dont il étoit animé pour leur gloire.
C’eft à ce zéle qu’il faut attribuer l’accueil qu’il faifoit généralement à tous ceux en qui il recconnoiffoit du mérite & des talens. Il les honoroit de fon amitié : il les encourageoit au travail : il les excitoit à rendre aux Lettres les fervices qu’il leur auroit rendus lui-même, s’il n’avoit pas été deftiné à leur en rendre de plus importans.
C’eft à ce zéle qu’une des principales Villes du Royaume lui eft redevable d’une Académie des Sciences qu’il y a établie fur le modéle de celle de Paris. Témoin des grands avantages que cette illuftre Académie, dont il étoit Honoraire, procure chaque jour aux fciences, qu’elle cultive, il voulut enrichir d’un tréfor femblable la Province à laquelle fes ancêtres devoient leur naiffance.
Il eft vrai que la conjoncture fe trouva favorable à fes intentions. Je ne veux point dérober aux Académiciens de Bourdeaux la part qu’ils ont eue à l’honneur de cet établiffement. Déja le goût & l’amour des fciences échauffoient leurs efprits, & ils fe prêterent d’eux-mêmes à la forme qui fut mife à leur fociété naiffante. Mais la principale gloire en eft dûe aux foins généreux de leur Protecteur. Il a été à leur égard cette intelligence, qui, felon quelques anciens, fçut imprimer aux Elémens le mouvement convenable ; lorfque dans les tems marqués pour la formation du monde, déja ils tendoient d’eux-mêmes à fe mouvoir & à fe débrouiller.
Ainfi, M. le Duc de la Force a fçû rendre fon nom immortel dans une Province déja illuftrée par la valeur de fes ayeux, & par les fervices qu’ils ont rendus à leur patrie. Ainfi toujours attentif à procurer la gloire des Mufes, il a dû légitimement fe promettre que fa mémoire feroit précieufe dans toute l’étendue de leur empire.
Voilà, MESSIEURS, quel étoit le Confrere à qui je fuccéde. Pour faire fon éloge j’aurois voulu pofféder plus parfaitement un art que j’ai peu cultivé. Vous me donnez une place qu’il a fi dignement remplie : des traits plus éloquens dans l’éloge de mon Prédeceffeur, euffent mieux fait fentir quelle doit être ma reonnoiffance.
Mais cet art que j’ignore ne me fera bien-tôt plus étranger : admis à vos exercices, j’en étudierai les fecrets ; vos fçavans entretiens m’aideront à les pénétrer. Vous allez, MESSIEURS, me rendre familiers tous les talens de l’efpritt. Et ce que je n’eftime pas moins, je vais trouver chez vous ce goût délicat, ce difcernement jufte, cette critique fine & toujours polie dans la manière de la faire : qualités que je regarde comme fupérieures en quelque forte aux talens mêmes.
Une raifon plus puiffante en moi que mon intérêt particulier, m’engage à profiter des leçons que vous m’allez donner. Chargé moi-même du foin d’inftruire deux jeunes Princeffes, en qui la nature a joint à tous les agrémens de leur fexe, les plus rares avantages de l’efprit, auffi-bien que les plus eftimables qualités du cœur ; je ne dois rien oublier pour leur marquer mon zéle, & leur rendre mes inftructions plus utiles. Heureux fi voulant orner l’efprit, mes foins pouvoient répondre à ceux qu’on prend pour leur infpirer la vertu.
Elles ont chaque jour devant les yeux les exemples d’une mere, dont la fage conduite ne s’eft jamais démentie. Chérie & refpectée de fes enfans, cette auguste mere vit avec eux : ils la voient fans ceffe ; & plus ils la voient, mieux elle les inftruit. Par des manieres remplies d’une fageffe douce & attrayante, par des difcours où regne une raifon affaifonnée de toutes les graces de l’efprit ; elle leur rend la vertu aimable, & l’infinue dans leur cœur fous le voile même des chofes qui paroiffent les plus indifférentes. Quels préceptes peuvent égaler une telle inftruction ?
Votre choix, MESSIEURS, en décorant la place que j’occupe, va me la rendre dorefnavant plus difficile à remplir. Le titre de votre Confrere donne à préfent à mes illuftres Eléves une idée de moi, que je ne foûtiendrois pas aifément, fi le commerce que je vais avoir avec vous ne m’aidoit à la foûtenir ; Votre fociété fera la fource où je puiferai les lumieres que je tâcherai de faire enfuite paffer dans leur efprit. Ce fera fur votre goût que j’entreprendrai de former le leur. Vous allez être pour elles un tréfor précieux, dont je m’efforcerai de les enrichir. Puiffe l’honneur que je reçois aujourd’hui me rendre encore plus utile à ces aimables Princeffes : ce fera pour moi, MESSIEURS, un nouveau fujet de reconnoiffance.