Dire, ne pas dire

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Introduire au sens de présenter

Le 6 mars 2014

Extensions de sens abusives

Le verbe Introduire, quand il a pour complément un nom de personne, peut signifier « faire entrer une personne dans un lieu » (on les introduisit au salon), « faire admettre dans une société, auprès de quelqu’un » (il souhaite que je l’introduise auprès de vous, dans notre cercle). On dira d’une personne qui a ses entrées dans tel ou tel milieu qu’elle y est bien introduite. Mais on évitera d’ajouter à ces sens celui du faux-ami anglais introduce, « présenter », même si celui-ci, comme le français introduire, est emprunté du latin introducere, « conduire dans ».

On dit

On ne dit pas

Elle l’a présenté à ses parents

Elle l’a introduit à ses parents

 

Académie et immortalité

Le 6 mars 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

Si l’on cherchait le mot Académie dans un dictionnaire de rimes, on le trouverait en bien triste compagnie, avec les mots endémie, épidémie et pandémie, et il n’est pas certain que le nom lipidémie, plus connu sous la forme lipémie, « taux des lipides sanguins», égaierait beaucoup cette peu riante liste.

Si on le cherchait dans un Gradus des procédés littéraires ou quelque autre ouvrage de rhétorique, on l’y trouverait encore. Mais ce serait, probablement, à l’article Cacophonie, et l’on pourrait lire le célèbre quatrain qu’écrivit Perceval-Grandmaison contre la candidature de Victor Hugo à l’Académie française, quatrain qui n’est resté dans les mémoires que parce qu’il montre, par l’exemple, ce qu’est la cacophonie, et que voici :

« Où, ô Hugo, huchera-t-on ton nom ? / Justice, enfin, que faite ne t’a-t-on ? / Quand à ce corps qu’Académie on nomme, / Grimperas-tu de roc en roc, rare homme ? »

Voilà de bien tristes prémices, mais l’histoire et l’étymologie de ce nom nous apporteront des faits plus réjouissants.

D’abord parce que, avant de désigner la gardienne de la langue française, le nom Académie a désigné un jardin situé à Athènes où, au début du ive siècle avant Jésus-Christ, enseigna Platon. Cette forme de patronage horticole explique peut-être la proximité, montrée par les mots, qui existe entre langues et plantes. Celle-ci s’est traduite par un grand nombre de titres d’ouvrages, le plus souvent à vocation pédagogique, parmi lesquels le fameux Jardin des racines grecques, que fit paraître Claude Lancelot en 1660 ou, plus près de nous, cette charmante Flore latine des dames et des gens du monde, ou clef des citations latines que l’on rencontre dans les ouvrages des écrivains français, de Pierre Larousse.

On n’oubliera pas non plus que langues et plantes sont classées par familles, certaines connues et nombreuses, comme la famille indo-européenne pour les langues ou celle des Cucurbitacées, pour les plantes, d’autres moins, comme la famille finno-ougrienne ou celle des Fagacées.

L’Académie, akademia, ou akademeia, était donc un jardin, ainsi nommé car il appartenait à un certain Akadémos. Ce nom, nous apprend le célèbre Bailly, était à l’origine une forme issue du béotien, un des dialectes parlés dans la Grèce ancienne, wheka-damos. Les tours et détours des langues sont parfois bien curieux, qui font que toutes les sociétés savantes appelées académies ont un nom qui vient du béotien, et que ce mot, quand il n’est plus un nom désignant une langue, mais un adjectif, est ainsi présenté dans le Dictionnaire de l’Académie française : « Lourd et grossier, comme l’étaient les Béotiens au dire des Athéniens », définition illustrée par ces exemples : Se heurter à un public béotien. Il a parlé devant des béotiens.

Ce nom, wheka-damos, ou akadémos en grec classique, désigne celui qui a les faveurs du peuple. On ne peut que se réjouir de ce rapport étroit, étymologique et originel entre l’Académie et le peuple, de ce rapport consubstantiel qui les unit. C’est un témoignage de plus de la force du lien existant entre les peuples et leur langue. C’est pour affermir ces liens qu’a été créée l’Académie française. Fénelon, parlant de la Grèce, a bien rendu compte de cette intrication entre un peuple et sa langue, lui qui écrivait : « Chez les Grecs, tout dépendait du peuple, et le peuple dépendait de la parole. »

Intéressons-nous maintenant au nom Immortalité, puisque la devise de l’Académie française est « À l’immortalité », en hommage à l’immortalité de la langue française. Il convient sans doute de préciser que cette devise et le vœu qu’elle contient ne sont pas aussi superfétatoires qu’il pourrait y paraître puisque, depuis que cette devise a été choisie par l’Académie, les langues qui ont disparu se comptent en centaines, voire en milliers.

La devise de l’Académie étant À l’immortalité, on a appelé, par extension, les académiciens les immortels, extension favorisée par le fait que leur nombre ne diminue jamais.

Les Immortels, ce syntagme nous ramène encore vers la Grèce puisque c’est aussi la traduction de hoi athanatoi, nom que les Grecs donnaient, dans l’Antiquité, à la garde personnelle des rois de Perse, garde forte de dix mille hommes d’élite, et qui avait cette particularité que, quand l’un d’entre eux mourait, il était aussitôt remplacé, ce qui permettait que le nombre des soldats restât constant.

Les académiciens français ont conservé ce type de fonctionnement pour que leur nombre soit, peu ou prou, toujours de quarante, avec toutefois cette importante différence dans le mode de recrutement des soldats de la garde du roi de Perse et celui des gardiens de la langue française : chez ces derniers, on élit un successeur à celui qui vient de mourir ; chez les premiers, ceux qui étaient amenés à prendre les places laissées vides par ceux qui périssaient étaient choisis avant que ces décès ne surviennent.

Ces Grecs anciens, à qui nous devons le nom académie, avaient deux adjectifs signifiant « immortel ». Ambrosios, d’où est tiré le nom ambroisie, la nourriture qui confère l’immortalité, et athanatos, que l’on retrouve dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert sous la forme Athanates pour désigner les gardes du roi de Perse. Athanatos est composé du préfixe privatif a- et de thanatos, « la mort », à laquelle les Anciens associaient hupnos, « le sommeil », remplacé de nos jours par érôs, « le désir ». Ambrosios est composé à l’aide de ce même préfixe privatif et d’une vieille racine indo-européenne signifiant « mourir ».

Ces deux adjectifs ont aussi donné chacun un prénom, Athanase et Ambroise. Ils furent illustrés par deux fameux Pères de l’Église. Entre mille autres choses, le premier consacra sa vie à la lutte contre l’arianisme et le second baptisa saint Augustin. Un autre religieux du nom d’Ambroise eut un sort plus funeste : archevêque de Moscou pendant la peste de 1771, il fit retirer d’une chapelle une image de la Vierge, à laquelle la foule attribuait de nombreuses guérisons mais qui, en raison du grand concours de peuple qu’elle provoquait, propageait le mal de manière effrayante. Ses ouailles en délire l’accusèrent de sacrilège, l’arrachèrent à son autel, et ceux-là même dont il avait la charge spirituelle le massacrèrent.

Religieux encore, mais de fiction cette fois, le terrifiant héros du Moine de Lewis, le prieur des capucins de Madrid, se nomme Ambrosio. Monstre d’orgueil, il commettra crime sur crime et, pour échapper à la mort, conclura un pacte avec Satan. Mais ce refus de mourir va être cause de la longueur de son châtiment, puisque, après qu’il fut précipité par Satan sur des rochers où son corps s’est fracassé, pendant sept longs jours la vie refuse de le quitter, comme si son nom Ambrosio, « Immortel », empêchait qu’un prompt trépas vienne mettre un terme à ses souffrances : il gît, les os brisés, brûlé par le soleil, dévoré par des milliers d’insectes tandis que des aigles viennent continûment lui arracher des lambeaux de chair, rongé par une soif atroce à deux pas d’une rivière à laquelle ses membres rompus ne peuvent le porter.

Pour finir sur une note plus optimiste, on se souviendra que le père de la chirurgie, qui, s’il ne donnait pas l’immortalité, réussissait à tout le moins à prolonger les vies s’appelait Paré et avait pour prénom Ambroise. C’était aussi, à une époque où les traités médicaux étaient écrits en latin, et un siècle avant la naissance de l’Académie française, un ardent défenseur du français ; n’écrivit-il pas dans une de ses préfaces, encouragé en cela par Pierre de Ronsard : « Je n’ai voulu escrire en un autre langaige que le vulgaire de nostre nation, ne voulant estre de ces curieux, et par trop supersticieux, qui veulent cabaliser les arts et les serrer sous les loix de quelque langue particulière. »

Pour conclure avec cette immortalité, rappelons que deux futurs académiciens la firent figurer dans un titre de leur œuvre. Un poème fameux des Méditations de Lamartine est intitulé L’Immortalité, et, environ un siècle plus tard, le premier ouvrage publié par Georges Dumézil avait pour titre Le Festin d’immortalité, étude de mythologie comparée indo-européenne, ouvrage qui traitait, en particulier, de l’ambroisie.

Nul doute que les travaux de ce dernier ont illustré la langue française et ont contribué à la rendre immortelle. Mais, dans son rapport aux langues, Georges Dumézil est, en quelque sorte, doublement immortel, lui qui s’est aussi illustré en sauvant de la disparition une langue du Caucase, l’oubykh, dont il fut l’avant-dernier locuteur, et dont il assura la survie en publiant, en 1931, La Langue des Oubykhs et, en 1957, Contes et légendes des Oubykhs. Ainsi, grâce aux travaux de celui qui n’était pas encore académicien, et malgré la mort, en 1992, de Tevfik Esenc, le dernier locuteur oubykh, cette langue aux quatre-vingt-trois consonnes est assurée, elle aussi, d’une forme d’immortalité.

 

Damien H. (France)

Le 6 mars 2014

Courrier des internautes

Désolé de vous déranger mais j’aurais une question :

Peut-on utiliser un mot anglais pour désigner quelque chose, alors que le mot existe dans le dictionnaire français mais que la définition est différente ?

Exemple : le mot « phase » en anglais peut désigner une apparence, peut-on utiliser ce mot pour designer l’apparence d’un animal (par exemple) qui ne serait pas celle d’un animal classique (albinos ou autre) alors que le mot « phase » désigne tout autre chose en français ?

Damien H. (France, 13 février)

L’Académie répond

Il ne faut absolument pas le faire. On ne peut dans un même texte, mêler des mots de même forme, mais appartenant à des langues différentes.

On évitera par exemple de confondre Cane nero, « chien noir » en italien et « chante Néron », en latin ou I vitelli dei romani sono belli, « Les veaux des Romains sont beaux » en italien ou « Va, ô Vitellius, au son de la guerre du dieu romain ».

L’anguille de Melun

Le 6 février 2014

Bloc-notes

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À l’article « Anguille », dans sa première édition (1694), le Dictionnaire de l’Académie donne l’exemple suivant : « Il ressemble l’anguille de Melun, il crie avant qu’on l’ecorche, pour dire, Il a peur sans sujet. »

L’expression figure en effet dans le Gargantua de Rabelais. Picrochole répond à un personnage toujours en train de se plaindre : « Vous semblez les anguilles de Melun, vous criez desvant qu’on vous escorche ! » Elle est probablement plus ancienne. Littré la reprend, en ajoutant sobrement « les anguilles de Melun, non plus qu’aucune autre, ne criant avant qu’on les écorche » ; et il propose l’explication qui fait loi depuis le milieu du xviie siècle. En 1656 en effet, dans son Étymologie ou explication des proverbes françois, par chapitres en forme de dialogue (1656), Fleury de Bellingen suggère une confusion venue du Moyen Âge. Dans la ville de Melun, un certain Languille devait dans un mystère jouer le rôle de saint Barthélemy, qui mourut écorché vif. À la grande joie des assistants, il fut pris de terreur et poussa les hauts cris à la vue du couteau. Par la suite, on eut vite fait d’oublier l’acteur qui s’était trop bien identifié à son rôle.

Avouons que c’est un drôle de hasard de s’appeler « Languille » quand on doit jouer le rôle d’un écorché ! C’est même si bizarre qu’on doit trouver une explication à l’explication elle-même : pourquoi un certain Languille a-t-il été choisi pour ce rôle ?

Parce qu’il y a un lien entre l’anguille et saint Barthélemy : la fête de saint Barthélemy a lieu le 24 août – date devenue tristement célèbre par le massacre des protestants en 1572. C’était au Moyen Âge le début de l’automne : or le début de l’automne est le début de la pêche à l’anguille.

Moment très important à Melun, dont les anguilles étaient réputées depuis le haut Moyen Âge. On en trouvait en abondance autour des nombreux « moulins pendants » établis alors sur les ponts de la ville. Les rois de France avaient octroyé aux maîtres pêcheurs de la ville de Melun le privilège de pêcher dans la Seine « depuis le lieu de la Pierre de Seyne, près Montereau, jusques au lieu appelé l’Escolle, attenant Sainte Assise, au dessous du dit Melun ». Chaque année, le premier mai, les membres de la confrérie des pêcheurs de Melun et des environs se rendent donc au carrefour de la Table du Roi, en forêt de Fontainebleau, pour payer leur taxe. L’abolition des privilèges, le 4 août 1789, provoque une protestation locale, que traduit un pamphlet plaisant où les Anguilles de Melun, « convoquées et assemblées sous le pont de cette ville, lieu accoutumé de leur assemblée », demandent au législateur de continuer à protéger les droits de pêche qui seront définitivement supprimés en juillet 1793.

Les corporations de pêcheurs avaient donc probablement choisi de célébrer cette date par une fête, ou un mystère, autour de la figure du saint du jour, le saint des Écorchés, Barthélemy, toujours montré tenant sa peau dans la main gauche.

Saint Barthélemy est un des douze apôtres, et l’un des moins connus car il n’a pas laissé de traces écrites. Son nom est d’origine araméenne, « bar Talmay », qui signifie « fils de Talmay » ou « fils de celui qui suspend les eaux ». Selon Jacques de Voragine, il existe plusieurs versions de son martyre : on dit qu’il fut écorché par le roi Astyage, « pour le punir d’avoir converti son frère », d’autres affirment qu’il fut crucifié, ensuite descendu de la croix puis écorché, et enfin qu’il eut la tête tranchée.

Ce qui est sûr, c’est qu’il est toujours représenté avec sa peau, et un couteau. Ainsi dans une niche de la basilique de Saint-Jean-de-Latran, à Rome, au milieu des douze apôtres : la statue est l’œuvre d’un contemporain de Borromini. Ou dans le Jugement dernier de Michel-Ange, au plafond de la chapelle Sixtine : il tient dans la main gauche sa propre peau dont le visage a les traits du peintre. On pourra gloser sans fin sur les raisons de cet étrange autoportrait.

On ne s’étonnera donc pas que saint Barthélemy soit le patron des tanneurs, corroyeurs et travailleurs du cuir. Et qu’il ait pu être fêté par les pêcheurs d’anguille ! Parce qu’il « suspend les eaux », parce qu’il se présente en écorché. À Melun, son nom est donné à une église, et une rue le rappelle. Et comme au Moyen Âge on adore les jeux de mots, il n’est pas impossible que, pour la représentation d’un Mystère de saint Barthélemy, on ait demandé à un certain « Languille » de jouer son rôle.

Que la « puissance du signifiant » lui ait fait jeter les hauts cris est une autre histoire.

On remarquera que l’anguille figure dans de nombreuses expressions figurées et proverbes. Comme « à grant pescheur eschappe anguille » ou « écorche l’anguille quand tu l’auras pêchée », variante de « vendre la peau de l’ours » où se fait jour souvent l’idée d’une tromperie, ou d’un double jeu. Ainsi dans la plus usitée, qui est évidemment : « il y a quelque anguille sous roche », au sens de « il se trame quelque intrigue », attestée elle aussi chez Rabelais dans Pantagruel en 1532. Elle semblerait résulter d’une vérité d’expérience : les anguilles se tapissent dans le fond des rivières car elles craignent la lumière. Mais Pierre Guiraud, dans Les locutions françaises, y voit plutôt un jeu de mots entre l’anguille et l’ancien verbe « guiller ». Il y en a du reste deux : le premier désigne la fermentation de la bière qui fait surgir des bulles mousseuses, d’où le sens de se glisser, se faufiler, être insaisissable. Mais il existe un autre verbe « guiller », du francique wigila (« ruse, astuce »), qui signifie tromper, et qui n’est plus usité que dans ce proverbe : « Tel croit guiller Guillot que Guillot guille. »

C’est par un jeu sur les mots, et une allusion à la peau visqueuse de l’animal, que l’anguille a pu devenir le symbole de la perfidie, de la tromperie, de la fourberie. Dire de quelqu’un « c’est une anguille » le désigne à la méfiance, voire au mépris : on ne sait par où le saisir, il n’offre pas de prise. Et « tirer l’anguille par la queue » signifie « n’avoir rien d’assuré, être dans l’incertitude de quelque entreprise ». Ce qui aide peut-être à éclairer le sens d’une expression voisine : « tirer le diable par la queue », au sens d’être dans une si grande difficulté qu’on a recours aux pires moyens, aux moins assurés, voire aux plus risqués. Quoi de plus glissant, de plus fourbe que le diable ?

Alors, ces « anguilles de Melun » qui crient « avant qu’on les écorche » ? La légendaire « fourberie » de l’anguille n’explique pas tout.

L’absurdité de la chose a donc fait proposer très tôt une explication.

Cela nous donne l’occasion de parler de saint Barthélemy,

On se souviendra aussi que son nom est attaché à l’une des journées les plus sanglantes de l’histoire de France : la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572, où périrent à Paris plusieurs milliers de protestants...

Et on s’amusera peut-être d’apprendre en guise de conclusion que le petit village de Saint-Barthélemy, à l’embouchure de l’Adour, est renommé par la quantité des espèces aquatiques qui prospèrent dans le fleuve : notamment des lamproies, des aloses et des anguilles.

 

Danièle Sallenave
de l’Académie française

Décrédibiliser pour discréditer

Le 6 février 2014

Emplois fautifs

Des adjectifs marquant la possibilité et construits avec les suffixes -able, -ible et -uble, il n’a été tiré que très peu de verbes, cette dérivation étant sans doute éloignée du génie de notre langue. On se gardera donc d’employer les verbes crédibiliser et décrédibiliser apparus il y a quelque temps déjà et l’on se souviendra que le verbe créditer et ses dérivés, ainsi que les périphrases où figurent ces verbes, sont plus appropriés pour exprimer l’idée que telle action, telle attitude fait perdre ou augmente le crédit dont jouissait quelqu’un ou quelque chose. Rappelons de surcroît que l’adjectif crédible s’applique aux idées et non aux personnes ; d’un homme on dira qu’il est sérieux, digne de foi, qu’il inspire confiance, etc.

On dit

On ne dit pas

Ces succès accréditent le bien-fondé de notre méthode

Ses mensonges répétés l’ont discrédité

Ces succès crédibilisent notre méthode
 

Ses mensonges répétés l’ont décrédibilisé

 

Lequel employé sans être accordé

Le 6 février 2014

Emplois fautifs

Les pronoms relatifs sont des fossiles vivants. Ils font partie des quelques mots qui ont gardé des traces des déclinaisons latines, c’est-à-dire que leur forme dépend de leur fonction. On a ainsi qui pour un sujet, que pour un complément d’objet direct, dont pour un complément de nom ou pour certains compléments circonstanciels et pour un complément circonstanciel. Mais de leurs ancêtres latins, la plupart des relatifs n’ont pas conservé les variations en genre et en nombre : qui est ainsi pronom relatif sujet, que l’antécédent soit un masculin singulier ou un féminin pluriel. Il n’en va pas de même pour les formes composées du pronom relatif, lequel, laquelle, lesquels, lesquelles, qui, elles, varient en genre et en nombre, ce qui permet d’ailleurs de lever les ambiguïtés qui surviennent quand le pronom relatif ne suit pas directement son antécédent, surtout à l’oral. Un homme a crié dans la foule qui était en colère est peu clair ; un homme a crié dans la foule, lequel était en colère l’est plus. Est-ce parce qu’elles sont moins employées que les formes simples que certains en font également une forme invariable ? Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une faute grossière, qui, de plus, peut amener d’étranges janotismes.

On dit

On ne dit pas

Il a tué une fouine chez son frère, laquelle saignait ses poules.

Il a tué une fouine chez son frère, lequel saignait ses poules.

 

Pire employé comme adverbe

Le 6 février 2014

Emplois fautifs

Le comparatif de l’adverbe bien est mieux ; celui de l’adjectif bon est meilleur. Ces formes sont assez éloignées phonétiquement pour qu’il y ait peu de risques qu’elles soient confondues. Il n’en va malheureusement pas de même pour les comparatifs de mal et de mauvais, qui sont respectivement pis et pire. On se souviendra pourtant que pire est un adjectif et que l’on ne doit pas l’employer comme adverbe, même s’il s’agit là d’une faute très répandue.

On dit

On ne dit pas

Ses affaires vont de mal en pis

Tant pis s’il arrive en retard

Ses affaires vont de mal en pire

Tant pire s’il arrive en retard

 

Updater

Le 6 février 2014

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le vocabulaire de l’informatique est un grand pourvoyeur d’anglicismes, qui risquent de s’étendre à la langue courante. Parmi ceux-ci, le verbe updater, emprunté de anglais to update, « mettre à jour, moderniser, améliorer ». Pourquoi ne pas utiliser, en fonction des circonstances, l’un ou l’autre de ces trois verbes ?

On dit

On ne dit pas

Mettre à jour un ordinateur, des fichiers

Actualiser des logiciels

Updater un ordinateur, des fichiers

Updater des logiciels

 

Souder, sou, solide

Le 6 février 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

Souder, qui est l’anagramme de soudre, est d’un emploi courant et appartient lui aussi à une vaste famille. Il est issu du latin d’époque impériale solidare, qui a d’abord signifié « solidifier ». Lui-même est dérivé de solidus, « plein, massif, solide » ; associé à numerus, « nombre », il a désigné une monnaie d’or dont le titre, le poids, et donc la valeur, étaient constants. Puis, comme cela est arrivé fréquemment en latin tardif, le nom s’est effacé en abandonnant à l’adjectif sa valeur et sa nature. On observe ce même phénomène, par exemple, avec le nom foie, qui est issu du latin (jecur) ficatum, « (foie d’oie) engraissé avec des figues », puis « foie ».

En passant du latin au français, le solidus a perdu des lettres et la monnaie de la valeur, puisque c’est ce solidus qui est à l’origine de notre sou et de son équivalent vieilli sol, des variantes que l’on retrouve dans les formes col et cou, fol et fou ou mol et mou. De ce sol on a tiré la soldée ou soudée, terme utilisé en ancien et en moyen français, pour désigner le salaire d’un soldat, ou, plus précisément, ce qui avait la valeur d’un sou, une forme de dérivation que l’on a aussi avec la denrée qui était, proprement, « ce que l’on peut acheter avec un denier ». On notera que, si la soldée a disparu avec le Moyen Âge, une forme équivalente, la soutée, s’est rencontrée naguère dans les débits de boisson de l’Ouest de la France pour désigner ce que l’on pouvait obtenir de café pour un sou.

Par extension, soudée a aussi désigné toute forme de salaire, de récompense, au sens propre ou au figuré. On lit dans un texte religieux du Moyen Âge :

« Cel jor deable lié seront / Et lors soudées recevront / Cels que jhesus Crist guerpira / Deables à soi les menra / Ens en enfer, et puis dedens. » (« Ce jour [celui du jugement dernier], les diables seront heureux et ils recevront leur récompense : ceux que Jésus-Christ abandonnera, le diable les attirera à soi et les mènera en enfer. »)

Á partir du salaire que l’on versait aux militaires, la soudée, on a créé le verbe soudoyer, proprement « engager contre paiement d’une soudée » et, particulièrement, « engager un soldat » ; Charles VIII, roi de France de 1483 à 1498, écrit ainsi : « Pour payer les dits gens d’armes et de trait estans en garnison avec ledit Sieur de Sassenage, lequel il soldoyat de ses propres deniers»

Le soldat ainsi recruté était donc un soudard, « celui qui touchait la soudée » ; de ce nom, il existait aussi de nombreuses variantes, parmi lesquelles soudaulz, soudenier, soudoier, soudoiant, etc. On trouvait aussi bien sûr d’autres corps de métier que l’on rémunérait par la soudée : la soldoiere ou saudoiere, par exemple, qui désignait une servante prise à gages ou une femme qui faisait payer ses faveurs. On peut ainsi lire dans La Vie de sainte Thays :

« Il fu anciennement une saudoiere ki avoit non Thays, tant bele que maint home vendirent lour iretage pour li. »

Á l’origine, donc, ni soudard, ni soudoyer n’avaient de sens péjoratif. Par la suite, les contacts avec l’Italie et la présence de nombreux mercenaires italiens en France vont amener quelques changements dans la langue militaire. Le français emprunte à l’italien les mots colonel, caporal mais aussi soldat, emprunté de soldato, qui est lui-même dérivé de soldo, « solde ». Le soudard et ses équivalents vont alors disparaître et Brantôme pourra écrire dans La Vie des grands capitaines : « Tous ces noms se sont perdus et se sont convertis au beau nom de soldat à cause de la solde qu’ils touchent. »

Soudard et soudoyer vont alors se charger des sens péjoratifs qui sont les leurs aujourd’hui. Le sou va continuer à perdre de sa valeur. Souder va prendre le sens qu’il a aujourd’hui, en signifiant d’abord « solidifier », puis « réunir » et enfin « pratiquer la soudure ». Nous avons évoqué dans l’article précédent Henri de Mondeville. Dans sa Chirurgie, il parle lui aussi de souder pour « rapprocher les lèvres d’une plaie » et donne le nom de soudures aux cicatrices. Soudre et souder sont très proches phonétiquement et on les emploie parfois l’un pour l’autre au Moyen Âge. On trouve ainsi des recettes où il est prescrit de souder du poivre quand il s’agit de le réduire en poudre.

Mais on se souviendra que dans la langue des romans et des films noirs des années 1950 et 1960, les verbes dessouder et dissoudre devenaient aussi des synonymes, signifiant « tuer ». « Le souffle ténu qui sifflait des lèvres du Rital les rassura. Le gonze, on ne l’avait pas dessoudé », écrivait ainsi, en 1953, Auguste le Breton dans Du rififi chez les hommes.

 

Soudre

Le 6 février 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

Le verbe soudre est semblable à ces patriarches des temps anciens qui ont disparu, mais ont laissé une vaste descendance. On le trouve encore en moyen français, en particulier dans la Ballade des pendus, de François Villon :

« Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie, / Garde qu’enfer n’ait de nous seigneurie : / A luy n’avons que faire ne que souldre. / Hommes, icy n’a point de mocquerie ; / Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre»

Ce verbe est issu du latin solvere, qui signifie d’abord « détacher, délier », puis « payer, s’acquitter d’une dette », « désagréger, dissoudre » et, enfin, « résoudre, trouver la solution ». Les sens de solvere et de ses dérivés sont très variés ; ils le sont tellement que, pour en rendre compte, le français emploie deux formes de participe passé, l’un qui est emprunté du latin, l’autre qui vient directement du verbe français, et leurs sens diffèrent notablement. Ainsi on pourra dire que l’Assemblée est dissoute, sans que cela signifie qu’elle était dissolue, et que le souverain pouvait être absolu quand bien même il n’aurait pas été absout. Il en va parfois de même pour les noms puisque, à côté de l’absolution, existe l’absoute, un ensemble de prières dites par le prêtre au terme de la liturgie des défunts. De même, la soulte, « la somme qui, dans un partage, compense l’inégalité des lots », n’est pas la solution. Peut-être faut-il rappeler que le sens premier de solution est « séparation, rupture » et qu’une solution de continuité n’est pas, comme on le croit parfois et faussement, un moyen pour continuer quelque chose, mais l’interruption entre les parties d’un tout, auparavant continues. Cette expression apparaît au xive siècle dans le livre Chirurgie, d’Henri de Mondeville, le médecin de Philippe le Bel et de Louis le Hutin, et elle désigne une fracture dans laquelle les deux parties de l’os rompu ne sont plus en contact. Elle désignera, presque quatre siècles plus tard, sous la plume de Mme de Sévigné, une rupture entre deux personnes. Elle écrit dans une lettre du 14 juillet 1680 :

« Vous me demandez, ma Bonne, ce qui a fait cette solution de continuité entre La Fare et Mme de La Sablière. C’est la bassette ; l’eussiez-vous cru ? C’est sous ce nom que l’infidélité s’est déclarée ; c’est pour cette prostituée de bassette qu’il a quitté cette religieuse adoration. » (La bassette était un jeu de cartes fort en vogue à l’époque, où se jouaient de grosses sommes d’argent.)

La racine dont est tirée solvere est la même que celle que l’on trouve dans le gotique fraliusan, « perdre », un lointain ancêtre de l’anglais to lose, « perdre », mais aussi et surtout dans le grec luein, cher au cœur de tous les hellénistes, car c’est l’un des modèles qui servent à l’apprentissage des conjugaisons. Ce verbe a le même sens que le latin solvere et est à la base des formes françaises en -lyse ou en -lyte. On sait que l’analyse consiste à détacher les éléments d’un tout pour les identifier, que l’on effectue cette opération sur un corps chimique, sur une phrase ou sur une idée. Parmi les formes en -lyte, nous en retiendrons deux.

D’abord l’alyte. Sous cette dénomination savante se cache un mystérieux animal, plus connu sous le nom de « crapaud accoucheur ». Ces batraciens ont en effet une étrange particularité : le mâle conserve pendant six à huit semaines, en tresses autour de ses pattes arrière, les chapelets d’œufs pondus par la femelle. Il les gardera avec lui jusqu’à ce que, sentant l’éclosion proche, il s’installe dans une pièce d’eau où les petits pourront naître. Son nom alyte est emprunté du grec alutos, « qui ne peut être délié », parce que notre crapaud semble ne pouvoir être délivré de ces œufs avant que n’en sortent des têtards.

Ce suffixe se trouve aussi dans le nom Hippolyte. Ce nom, comme cela est très fréquent pour les patronymes grecs, a une signification. Avant d’être nom propre, le grec hippolutos est un adjectif qui signifie « qui détache les chevaux ». Ce sens fait particulièrement ressortir l’ironie cruelle de l’Hippolyte d’Euripide, puisque le héros meurt prisonnier des lanières qui entravaient ses chevaux et traîné par eux dans les rochers, et c’est bien parce que « celui qui détache les chevaux » ne les a justement pas détachés qu’il est mort. Les mots d’Euripide soulignent le retournement monstrueux qui est en jeu dans cet épisode, puisque si dans les derniers vers on entend le participe passé passif lutheis, « détaché, libéré », il ne qualifie pas les chevaux, mais Hippolyte lui-même.

Tout cela sera repris dans la Phèdre de Racine, mais notre langue ne marque plus ces rapprochements, et le dramaturge, faisant parler Théramène, emploiera d’autres verbes :

« Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes / […] / Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé / […] / J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils / Traîné par les chevaux qu’il a nourris. »

 

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