Dire, ne pas dire

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Dimitri C. (Houplin-Ancoisne)

Le 5 février 2015

Courrier des internautes

J’aimerais demander votre avis sur un mot traduit de la langue anglaise vers notre chère langue française au travers d’une célèbre série télévisée anglaise appelée « Doctor Who » (série de science-fiction avec voyage dans le temps et l’espace). En effet dans l’un des épisodes il est dit que le métier de l’actrice principale est « bisougram » qui, sauf erreur de ma part, n’existe pas dans notre langue. Dans la version anglaise originale le nom donné est « kissogram ». Le rôle de ce métier est simple : un expéditeur envoie une fille livrer un message qui embrasse le destinataire. Il semble que cela a été à la mode principalement dans les années 80. Que pensez-vous de cette traduction ? Le mot peut-il avoir ses chances d’apparaître dans la langue française ?

Dimitri C. (Houplin-Ancoisne)

L’Académie répond :

Il est tout à fait possible de construire un néologisme à partir de gramme, comme c’est le cas pour radiotélégramme, pictogramme ou le très récent municigramme. Cependant, l’entrée d’un tel mot dans les dictionnaires de langue française est tributaire de l’usage. Tout dépendra du succès futur du terme bisougramme.

“Ma maman” : ou la nostalgie du paradis perdu

Le 8 janvier 2015

Bloc-notes

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En 1950, la chanteuse Mick Michel, pseudonyme de Paulette Michey, née à Lyon en 1922, composait les paroles et la musique d’une chanson promise à un grand succès radiophonique : « Ma maman ». En voici le refrain :

Ma maman est une maman 
Comme toutes les mamans
Mais voilà c'est la mienne...

La chanteuse, qui a quitté la scène il y a quelques années seulement, savait-elle qu’elle inaugurait une nouvelle ère ? Celle où nul ne dit plus « ma mère » ou simplement « maman » pour parler de la femme qui l’a mis au monde ou l’a adopté, mais à quelque âge qu’il parvienne, toujours et sans exception « ma maman ». Ainsi on peut entendre, au lendemain d’une épreuve sportive qu’il a remportée, un grand gaillard déclarer : « Je voudrais remercier ma maman », ou à la télévision quelque rocker dans la soixantaine, le visage buriné et les cheveux gris noués en catogan sur son col de cuir, montrer de la main une vieille dame souriante assise au premier rang avec ces mots : « Je vous présente ma maman. »

Cet usage s’est répandu dans les dernières décennies au point de faire entièrement disparaître « ma mère » et même « maman ». Pourtant l’un et l’autre sont parfaitement corrects et justes du point de vue de la langue lorsqu’on veut désigner la femme qui vous a mis au monde (ou adopté). Leur distinction n’est pas seulement un code social : ce qui les sépare, c’est le degré de familiarité où l’on est avec son interlocuteur. Lorsqu’on s’adresse à un tiers, pour désigner celle à qui on doit le jour, on dira « ma mère » ; si l’on use du mot de « maman », on le fait alors entrer dans l’intimité familiale, on le convie à y participer, on le désigne lui-même comme un familier.

On le sent bien dans la chaude intimité de ces deux syllabes, proches du balbutiement, dans la répétition des labiales : « maman » est un mot du langage enfantin. C’est du reste presque le même, à quelques détails près, dans de très nombreuses langues. Sous la forme mammè, la « nourrice », en grec, mamma, en latin et plus tard en italien, espagnol, portugais, catalan. On y reconnaît le radical ma- présent dans mater, et qui est peut-être une onomatopée désignant (décrivant) la succion : « mamma » est la nourrice, celle qui donne le sein. Ou celle qui a élevé l’enfant. On comprend donc pourquoi, lui faisant ses adieux pour partir à la guerre, Louis XV écrit à Mme de Ventadour, qui l’a élevé : « Adieu Maman Ventadour, je vous embrasse du fond du cœur. » Le mot « maman » ne comporte plus ce genre d’extension ; et il y a longtemps qu’a disparu un de ses emplois populaires ou familiers où le mot suivi du nom de famille désignait chez Diderot, dans les romans de Marivaux ou de Balzac une « brave femme », concierge ou aubergiste – on imagine bien qu’il ne s’agit jamais d’une duchesse.

Mais en règle absolue, et même s’il arrive que le mot subsiste dans le langage de l’adulte, « maman » est la trace et la survivance d’un état antérieur, celui de l’enfance. Si Proust, ou plutôt Marcel, le narrateur de la Recherche du temps perdu, continue de dire « maman » à propos de sa mère, c’est que l’habitude s’en est installée dès les premières pages, avec le récit de ses premières années, et de sa difficile entrée dans le sommeil : « Ma seule consolation, quand je montais me coucher, était que maman viendrait m’embrasser quand je serais dans mon lit. » C’est un enfant qui parle, et dont l’adulte ici restitue le langage : et chaque fois qu’on lira « maman », c’est l’enfant qu’on entendra.

C’est donc ce mot de « maman » que s’autorisent naturellement les membres d’une fratrie pour parler entre eux de leur mère. Ils peuvent dire, ils disent parfois (ou disaient autrefois) « notre mère », mais bien plus souvent ils parlent de « maman », souvenir du temps où l’un des enfants confiait à l’autre ou aux autres que « maman était très fâchée ». Et, lorsque ladite mère étant devenue âgée, l’un demande à l’autre : « Es-tu passé voir maman ? », il y a là une trace assurément d’enfance, mais nulle puérilité, ou infantilisme chez celui qui parle.

Ce qui, par parenthèses, ne nous autorise nullement à demander à celui qui revient de l’hôpital : « Et alors, comment va votre maman? » Rien ne nous oblige (surcode aux connotations sociales très marquées) à dire « madame votre mère » – sauf dans des cas très rares. « Votre mère », comme « ta mère », est très convenable, et se tient à bonne distance entre respect et familiarité. Le malheur, c’est qu’aujourd’hui, il n’est plus compris, et qu’on pense manifester plus de sympathie pour le fils, et plus de compassion pour sa mère, en appelant celle-ci « ta (ou “votre”) maman ».

Mais venons-en enfin à ce piteux et si fréquent « ma maman ». (Et aussi, évidemment « mon papa ». Ce qui donne le savoureux échange suivant : « Dites-moi, vous êtes prix de Rome, est-ce vos parents qui vous ont transmis le goût des arts? – Ah non, pas du tout, mon papa était banquier et ma maman professeur de maths. »)

Malgré les apparences, « ma maman » n’est pas l’équivalent à la première personne de la deuxième (« ta maman » ou « votre maman ») et de la troisième (« sa maman »). Le possessif « ma » n’est pas nécessaire : quand vous dites « maman », il est clair que vous parlez de la vôtre. Alors d’où vient ce possessif parasite ? Non seulement du langage enfantin, comme le mot maman lui-même, mais du langage de la première enfance. C’est ce que dit un enfant qui commence à parler, et il le dira en gros jusqu’au début de l’école primaire : « Je veux ma maman », ou « je vais le dire à mon papa ». Ce redoublement traduit un sentiment d’insécurité, et une demande intense de protection. Puis vient un peu d’assurance, et on dit « maman », et ensuite « ma mère » : autant d’étapes par lesquelles on instaure progressivement une distance avec ses parents, ce qui ne signifie pas forcément qu’on les aime moins, mais tout simplement qu’on a grandi.

En somme, dire « ma maman » pour parler de sa propre mère signale une stagnation ou un retour à l’état de puérilité. Infantilisme, peur panique de la solitude, impossibilité de se situer par rapport au passé, négation du temps et de la finitude ? Tout cela se dit avec clarté (et cette clarté serre le cœur) dans le pathétique « ma maman » sorti d’une bouche adulte. Nombreuses sont en effet les raisons historiques, politiques, sociales, qui poussent l’homme moderne, par-delà son apparente arrogance, à la recherche d’un paradis où « ma maman » me tend éternellement les bras.

On est si petit et le monde est si grand ! comme le chantait Paulette Michey, alias Mick Michel.

 

Danièle Sallenave
de l’Académie française

Les arcanes mystérieuses de la science

Le 8 janvier 2015

Emplois fautifs

Arcane est emprunté du latin arcanum, « secret », lui-même dérivé de arca, qui désigne un coffre et, en latin chrétien, une arche. Arcane, aujourd’hui, s’emploie surtout au pluriel et, en français, le genre des déterminants (articles, adjectifs possessifs ou démonstratifs) disparaît au pluriel : le, la, mon, ma, ce ou cette indiquent le genre du nom qu’ils déterminent, indication qui s’évanouit dans les, mes ou ces. À cela s’ajoute le fait que nombre de substantifs en -ane, à l’exception de ceux qui appartiennent au domaine de la chimie, sont féminins (cabane, tisane, banane, membrane, etc.). L’existence de la forme paronymique féminine arcade contribue sans doute, elle aussi, à la confusion des genres. Autant de raisons qui font que l’on croit, trop souvent et à tort, qu’arcane est un nom féminin.

 

On dit

On ne dit pas

Les arcanes mystérieux de la science

Dans les profonds arcanes de son âme

Les arcanes mystérieuses de la science

Dans les profondes arcanes de son âme

 

Se succéder au participe passé

Le 8 janvier 2015

Emplois fautifs

L’accord des verbes pronominaux conjugués aux temps composés est souvent source d’interrogations ou de difficultés. Le verbe se succéder est visiblement un de ceux qui donnent du fil à retordre à nos correspondants. Rappelons que pour accorder le participe passé, il convient de s’interroger sur la fonction du pronom réfléchi complément. Dans le groupe verbal se succéder, se est un complément d’objet indirect. Si on remplace une personne, on succède à quelqu’un, on lui succède. Ce qui explique qu’au participe passé, succéder est invariable puisque le pronom se n’est pas complément d’objet direct. On écrira donc elles se sont succédé, comme on écrit elles se sont parlé.

 

On écrit

On n’écrit pas

Les différents champions qui se sont succédé

Les différents champions qui se sont succédés

 

Sur un même pied d’égalité

Le 8 janvier 2015

Emplois fautifs

Les expressions sur un pied d’égalité et sur un même pied sont synonymes. Elles signifient que deux personnes traitent d’égal à égal, qu’il n’y a pas, dans l’affaire qui les occupe, de différence hiérarchique, que l’une n’est pas l’inférieure de l’autre. On évitera de commettre un pléonasme vicieux en faisant figurer dans une seule expression même pied et pied d’égalité qui l’une et l’autre signalent l’identité de niveau, de position évoquée plus haut.

 

On dit

On ne dit pas

Être sur un même pied

Être sur un pied d’égalité

 

Être sur un même pied d’égalité

 

U 15, U 16, etc., pour Moins de 15 ans, moins de 16 ans, etc.

Le 8 janvier 2015

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le monde du sport est friand d’anglicismes, sans doute parce que nombre de sports sont nés et se sont développés outre-Manche et outre-Atlantique. Si certaines formes sont depuis longtemps acceptées dans notre langue, il en est d’autres qui sont parfaitement inutiles. Naguère les jeunes sportifs étaient répartis en catégories d’âge aux noms évocateurs. On était poussin, puis benjamin, minime, cadet, junior, espoir avant d’être senior. Chacun de ces âges, à l’exception bien sûr du dernier, durait deux ans. Depuis peu, ces appellations disparaissent et les jeunes sportifs sont strictement regroupés par âge, ceux de moins de 15 ans, de moins de 16 ans, etc. Si on peut comprendre cette volonté de resserrer les limites des catégories, on ne peut que déplorer que nombre de documents officiels ne présentent ces jeunes athlètes qu’avec l’anglicisme U (pour under) 15, U 16, etc.

Dire, Ne pas dire, au IIIe siècle après Jésus-Christ

Le 8 janvier 2015

Expressions, Bonheurs & surprises

En 1925, Étienne Le Gal concourut pour le prix Saintour avec un ouvrage intitulé Ne dites pas… Mais dites… et sous-titré Barbarismes-solécismes-locutions vicieuses. L’Académie française ne le récompensa pas. Dans la même veine, il publia, en 1927, Ne confondez pas. On pouvait lire dans la préface :

« On ne sait plus le sens des mots. On ne prend plus le temps de choisir le mot juste, et on emploie les termes avec négligence et ignorance. Il est à peine besoin de souligner les conséquences néfastes. Notre belle langue française est menacée dans ses qualités maîtresses : précision, clarté, logique, force, justesse. Son avenir est compromis, et avec lui l’avenir de notre pensée. »

Mais bien avant lui d’autres s’étaient inquiétés d’entendre leur langue parlée incorrectement. On ne parlera ici ni de Malherbe, ni de Vaugelas, mais on remontera encore un peu plus dans le temps.

Il existe un texte, que le philologue et académicien Gaston Paris a daté de la fin du IIIe siècle après J.-C., dans lequel sont recensées plus de deux cents fautes très fréquentes en latin. Le texte présente la forme correcte, puis la forme fautive dûment précédée de non, « et non pas », présentation qui est aujourd’hui celle de Dire, Ne pas dire. Dans ce document sont signalées quelques fautes de grammaire : Vico capitis Africae (dans la rue de la tête de l’Afrique), non Vico caput Africae, forme fautive dans laquelle le nom caput n’est pas décliné. Mais le plus souvent, ce sont des fautes de prononciation que l’auteur a relevées : Speculum non Speclum ; Tabula non Tabla.

Cet opuscule est traditionnellement appelé l’Appendix Probi, la « liste de Probus », parce qu’on l’a retrouvé sur un manuscrit dans lequel figuraient aussi des écrits de Probus. Ce grammairien, de la deuxième moitié du Ier siècle après J.-C., nous est essentiellement connu parce qu’il est cité par Suétone dans son De Grammaticis, traité qui présente les grands grammairiens latins.

L’ombre tutélaire de cet illustre ancêtre doit nous inciter à la modestie car, si tout ce que le monde savant compte de latinistes et de romanistes a fait son miel de cette découverte, ce n’est assurément pas pour les formes de latin correct que proposait le Pseudo-Probus, formes que connaissait toute personne ayant eu entre les mains un Gaffiot ou Les Lettres latines, mais bien pour les barbarismes qu’il contenait et qui auraient fait perdre quatre points à qui les eût utilisés dans un thème. Ces fautes sont un témoignage inestimable de l’évolution de la langue latine et de la réalité du latin oral. Qui veut connaître l’histoire du latin et son évolution phonétique, au terme de laquelle naissaient notre langue et ses sœurs romanes, se doit de fréquenter les incorrections de l’Appendix Probi. Il pourra y ajouter les graffitis de tous ordres trouvés à Pompéi, écrits eux aussi dans une langue bien peu cicéronienne. Chaque mois Dire, Ne pas dire s’efforce de proposer des locutions, expressions ou termes corrects susceptibles de remplacer des formes fautives entendues et lues ici ou là. Mais hélas, qui sait si, dans un temps très lointain, quelque linguiste ne se réjouira pas en découvrant, enfouies au fond de la mémoire d’un vieil ordinateur ou dans la version papier de Dire, Ne pas dire, non pas les formes correctes de notre langue proposées chaque mois, mais bien plutôt quelques-uns des barbarismes, des néologismes inutiles, des tours vicieux et autres incorrections les plus répandus en ce début de millénaire.

On se consolera cependant en songeant que le patronage de Probus est des plus honorables, son patronyme étant une substantivation de l’adjectif probus, « honnête », et l’on constatera avec amusement que si l’on prête volontiers aux plantes nos turpitudes, comme on l’a vu avec l’article clou, on leur emprunte non moins volontiers leurs qualités : l’adjectif probus, avant de servir à qualifier des individus, a en effet été utilisé dans le vocabulaire de l’agriculture et s’est appliqué d’abord aux végétaux avec le sens de « qui pousse droit, qui pousse bien ».

 

Rodolphe L. (France)

Le 8 janvier 2015

Courrier des internautes

Je suis salarié d’une importante association ornithologique. L’ensemble des ornithologues français utilisent les termes « nicher » ou « nicheur » pour indiquer qu’un oiseau couve ou se reproduit. À mon avis, il faut utiliser « nidifier » à la place de « nicher ». En revanche, je ne vois pas d’équivalent au terme « nicheur » qui signifie qu’à partir de critères bien définis les ornithologues considèrent qu’un oiseau se reproduit sur un site.

Je vous remercie de votre avis sur ces deux termes.

Rodolphe L. (France, 24 novembre)

L’Académie répond :

Les dictionnaires que j’ai consultés ne présentent pas nicheur. Nidifier est un doublet savant de nicher ; l’un et l’autre viennent du latin nidificare, « faire un nid ».

On trouve dans certains dictionnaires, Faire nicher avec le sens de « Provoquer la nidification pour faire couver ».

De façon générale, l’Académie française ne crée pas de néologisme ; elle enregistre l’usage. Il peut être préférable de recourir à des périphrases pour désigner toutes ces opérations. Il est aussi possible qu’à l’usage le couple nicher/nidifier voit chacun de ces mots prendre un sens particulier. Dans la mesure où on reconnaît un peu dans nidifier la racine latine facere, « faire », il me semble que l’on pourrait garder nidifier pour « faire un nid » et nicher pour « couver ».

Le bonheur… et le malheur… des mots

Le 4 décembre 2014

Bloc-notes

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On pourrait dire de certains mots qu’ils vieillissent mal. Nul besoin de signaler un sens péjoratif à ridicule : une personne, une action ridicules provoquent toujours un rire moqueur, où le seul plaisir que nous éprouvons est celui de notre supériorité. Pourtant, le latin ridiculus, qui signifie bien, en mauvaise part, « absurde, extravagant », signifie aussi, en bonne part et peut-être en premier lieu, « qui fait rire, plaisant, drôle ». Même double valeur en grec : geloios, « ridicule », signifie d’abord « amusant », et peut se dire d’une fable d’Ésope. Substantivés, les geloia sont des « plaisanteries ». Le verbe gelân en particulier donne à réfléchir. Son sens primitif est « briller », et ce n’est que plus tard, à cause de la joie qui illumine le visage du rieur, qu’il en vient à signifier « rire ». Dans la fraternité des langues indo-européennes, gelân se rapporte au latin gaudere, « se réjouir », au norrois gladr, adjectif signifiant à la fois « brillant » et « joyeux », et à l’anglais glad, maintenant « joyeux » et autrefois « brillant ». Selon l’obscure sagesse du langage, le rire nous rapproche de la lumière.

L’évolution de risible raconte la même histoire. Risibilis en latin signifie « capable de rire ou de faire rire ». En moyen français, risible signifie « qui porte à la gaieté, à la joie », et au xviie siècle, il garde ce sens tout en signifiant aussi « ridicule ». De nos jours, son sens originel ayant disparu, il n’est guère moins agressif que dérisoire.

Le devenir des mots n’est pas sans conséquences : nous avons perdu insensiblement une certaine idée de rire. Le phénomène se retrouve en dehors des langues romanes. Si ridiculo en espagnol ou ridicolo en italien ont le même sens réduit que ridicule, laughable en anglais, lächerlich en allemand impliquent également le mépris. Nous avons dévalué le rire gai au profit du rire moqueur. Le rire moqueur nous ramène à nous-mêmes, en nous flattant quant à la justesse de notre jugement. Il nous sépare. Il réagit aux travers et parfois aux vices des individus et de la société. Le rire nous sort de nous-mêmes. Il est sociable. Il nous fait participer au plaisir de vivre.

Le rire moqueur a certainement un rôle à jouer, puisque le mal, sous toutes ses formes, existe. D’autre part, nous sommes encore capables de rire d’allégresse, comme le prouvent

quantité d’adjectifs : amusant, comique, désopilant, divertissant, drôle, hilarant, plaisant, réjouissant. Leur abondance (avec celle des adjectifs familiers ou populaires, tels que bidonnant ou rigolo) témoigne du plaisir que nous éprouvons à multiplier les mots évoquant ce genre de rire. Pourquoi donc nous inquiéter ?

Restreindre le sens de ridicule semble dénoncer une préférence dangereuse. On tient le rire gai pour ingénu, alors que le rieur qui raille ses semblables serait averti des vrais problèmes de la société et de la condition humaine. La gaieté divertirait, la satire rendrait perspicace. Le rire même serait moins sérieux que les pleurs, et la comédie inférieure à la tragédie. Ne faudrait-il pas retrouver les vertus du rire joyeux, généreux et salutaire, et en comprendre la profondeur ? À l’ère de la dérision qui a succédé à celle du soupçon, nous pourrions méditer sur la brillance qui serait à l’origine de notre perception du rire, et sur le sens complet de ridiculus, qui donne en même temps sur le malheur et sur le bonheur.

Sir Michael Edwards
de l’Académie française

Reprise pronominale du sujet exprimé dans l’interrogation (combien d’auteurs sont-ils sélectionnés ?)

Le 4 décembre 2014

Emplois fautifs

Quand une interrogative partielle commence par un pronom interrogatif sujet ou par un déterminant interrogatif, il est de meilleure langue de ne pas reprendre ce sujet par un pronom personnel, même si cette construction se trouve sous la plume de grands auteurs. On se souviendra donc que l’on dira plutôt Combien d’auteurs sont sélectionnés ? que Combien d’auteurs sont-ils sélectionnés ? Il convient de rappeler que cette reprise est en revanche incorrecte dans l’interrogative indirecte : on ne dira donc pas Dites-nous combien d’argent Pierre veut-il mais Dites-nous combien d’argent Pierre veut. Enfin, on se gardera particulièrement d’utiliser la reprise pronominale quand le verbe de l’interrogative est un infinitif précédé d’un modalisateur comme pouvoir ou vouloir, l’ajout de ce pronom de reprise changeant parfois le sens de la phrase : il ne faut pas confondre Combien d’enfants veulent manger ? et Combien d’enfants veulent-ils manger ?

 

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