Dire, ne pas dire

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Alexandre P. (France)

Le 12 juillet 2016

Courrier des internautes

Une nouvelle invention / exception linguistique commence son existence dans un paysage linguistique déjà assez embrouillé. Aujourd’hui, dans les média, on dit « à Cuba ». Souvent, le nom de ce pays est privé d’article. « Le Cuba » devient ainsi « Cuba » tout court et tout énervant.

Pourriez-vous intervenir publiquement pour (r)établir la norme ?

Alexandre P. (France)

L’Académie répond :

Devant les noms de certaines petites îles d’Europe et devant des noms masculins de grandes îles lointaines, on ne met pas d’article et on emploie la préposition : À Malte, à Chypre, à Guernesey, à Jersey, à Cuba, à Madagascar, à Haïti.

David T. K. (France)

Le 12 juillet 2016

Courrier des internautes

J’aimerais savoir si le mot « retrouvailles » doit toujours être employé au pluriel ou alors si un emploi au singulier serait correct.

David T. K. (France)

L’Académie répond :

Retrouvailles s’emploie essentiellement au pluriel pour évoquer le fait que des personnes se retrouvent.

Mais cette forme existe au singulier ; elle a alors un autre sens. Retrouvaille désigne le fait de retrouver ce dont on était séparé, ce qu’on avait perdu.

Roxane D. (France)

Le 12 juillet 2016

Courrier des internautes

J’aimerais savoir si l’on doit dire « Nous vivons les portes grand ouvertes » ou « grandes ouvertes »

Peut-on écrire grand’mère, grand’ place, ou doit-on écrire grand-mère, grand-place ?

Roxane D. (France)

L’Académie répond :

Grand employé adverbialement est le plus souvent variable dans des formules comme : ouvrir la porte toute grande ; ouvrir toute grande la porte ; les portes sont grandes ouvertes ; des rideaux grands ouverts ; les yeux grands ouverts. Cependant, on ne doit pas considérer l’invariabilité comme fautive : elle n’est pas rare à l’écrit.

Grand est issu du latin grandis, qui est un adjectif épicène, c’est-à-dire qu’il a la même forme au masculin et au féminin. C’était le cas en ancien français où grand était aussi la forme de féminin.

C’est à cette époque qu’a été créée la forme grand-mère, mais aussi d’autres comme grand rue ou grand porte. Ensuite, par analogie avec petit/petite, on a ajouté un e au féminin de grand.

Donner une messe

Le 2 juin 2016

Emplois fautifs

Le verbe donner peut signifier, entre autres sens, « présenter à un auditoire, à un public ». On peut ainsi donner un concert, une conférence. Dans Hécatombe, Georges Brassens évoquait d’ailleurs les commères de Brive-la-Gaillarde, qui donnèrent […] un spectacle assez croquignol. Ce verbe s’emploie encore à propos d’un professeur qui donne un cours. Mais on se gardera bien de l’utiliser pour évoquer ce qui ne ressortit pas au spectacle ou à l’éducation, et on veillera à ce qu’il n’ait pas comme complément des noms comme hommage, cérémonie ou messe, noms qui s’emploieront avec d’autres verbes comme rendre, célébrer ou offrir.

on dit

on ne dit pas

Célébrer, dire, offrir une messe

Rendre un hommage

Donner une messe

Donner un hommage

 

Enjoindre quelqu’un

Le 2 juin 2016

Emplois fautifs

Quand le complément d’un verbe transitif indirect est un nom, il est généralement introduit par la préposition à, mais, si on substitue un pronom à ce nom, la préposition disparaît : Tu dis à Paul de venir, mais tu lui dis de venir. Tu ordonnes à Rémy de…, mais tu lui ordonnes de… Si, à la troisième personne, les pronoms compléments directs et indirects sont distincts (Il lui obéit mais ne le craint pas), ce n’est plus le cas pour les pronoms de première et deuxième personnes : Il nous obéit mais ne nous craint pas. Peut-être est-ce à cause de formes comme Il vous enjoint de … que certains ont pu croire qu’enjoindre était un verbe transitif direct. Il n’en est rien, enjoindre est un verbe transitif indirect et doit être construit comme tel.

on dit

on ne dit pas

Je lui ai enjoint de venir

Ils enjoignent à Pierre de les aider

Je l’ai enjoint de venir

Ils enjoignent Pierre de les aider

 

Il n’aura de cesse qu’il n’a réussi

Le 2 juin 2016

Emplois fautifs

La locution verbale n’avoir de cesse (on trouve aussi, dans une langue plus littéraire ou plus vieillie, ne pas connaître de cesse, ne prendre cesse) signifie « ne pas cesser, faire des efforts ». Elle peut être suivie de l’infinitif (Il n’a de cesse de repartir), mais si elle introduit une subordonnée conjonctive, elle doit être suivie, comme la conjonction de subordination avant que, du subjonctif : Il n’aura point de cesse que vous lui ayez donné ce qu’il veut. On se gardera donc bien, ce qui serait une grossière erreur, de construire n’avoir de cesse que avec l’indicatif.

on dit

on ne dit pas

Il n’aura de cesse qu’il n’ait réussi

Il n’aura de cesse qu’il n’a réussi

 

En regard de au sens d’Au regard de

Le 2 juin 2016

Extensions de sens abusives

L’expression au regard de signifie « compte tenu de, par rapport à, eu égard à ». On dira ainsi : Au regard de ses résultats, cet élève ne pourra passer dans la classe supérieure. Il convient de ne pas confondre cette expression avec en regard de, qui signifie « en vis-à-vis de, en face de » : Inscrire les recettes en regard des dépenses.

on dit

on ne dit pas

Au regard de la loi, tous les hommes sont égaux

Un texte d’Eschyle avec la traduction en regard

En regard de la loi, tous les hommes sont égaux

Un texte d’Eschyle avec la traduction au regard

 

Atroce, féroce, La Guerre du feu

Le 2 juin 2016

Expressions, Bonheurs & surprises

L’expression l’œil du tigre fut popularisée par le titre français d’un film de Sylvester Stallone, dont le titre anglais était simplement Rocky III. Elle désigne une farouche détermination à vaincre et une aptitude à voir les faiblesses de son adversaire.

Bien avant l’invention du cinéma, la langue latine avait un adjectif qui disait déjà tout cela : ferox. La formation de ce dernier vaut que l’on s’y arrête. Ferox est composé de deux éléments : fer-, dont il est difficile de dire s’il est tiré de l’adjectif ferus, « sauvage, cruel », ou de son féminin substantivé, fera, pris dans l’expression fera (bestia), « (bête) fauve », et -ox, qui remonte à une racine okw-, que l’on connaît surtout grâce à son diminutif oculus, « œil ». Pour les premiers Latins, était donc ferox qui avait un œil cruel, un œil de fauve.

Du premier élément, ferus, sera issu, après quelques glissements de sens, le français fier. Mais les premiers sens de cet adjectif, que l’on rencontre dans notre langue dès la Chanson de Roland, sont encore très proches de ceux du latin ferus, c’est-à-dire « terrible, farouche, violent ». Il peut s’appliquer aux hommes (Comment m’estes si dur et fier/ Qu’a mort me mettez sanz raison ? : « Pourquoi êtes-vous si dur et cruel envers moi, vous qui me mettez à mort sans raison ? », dans Un miracle de Notre Dame), ou aux choses (Par infer cuert une riviere/ Unkes nuz hom ne vit tant fiere/ Ele est tote de plonc fondu : « Au milieu de l’enfer court une rivière, personne n’en a jamais vu d’aussi terrible, elle est entièrement de plomb en fusion », dans La Vie de sainte Juliane).

On retrouve la racine okw- évoquée plus haut dans un autre composé du même type, atrox. Cette fois, le premier élément est ater, « noir », mais aussi « funeste, cruel ».

De ater nous sont restées peu de choses en français : le nom airelle, issu à la fin du xvie siècle de formes du Massif central, eirela ou airelo, l’une et l’autre dérivées du provençal aire, « noir ». Le linguiste Albert Dauzat considérait que ce nom était un des éléments qui, parmi tant d’autres de nature géographique, climatique, agricole, sociologique ou politique, coupaient la France en deux, puisqu’il y avait, disait-il, une ligne de partage entre le Sud, où ce fruit était appelé airelle, et le Nord, où il était connu sous le nom de myrtille. D’un dérivé atramentum, « encre », est issu l’ancien français airement, qui désigne l’encre, mais aussi les matières employées pour sa fabrication, entre autres la gale du chêne. Ce nom servait de modèle et de référence pour la noirceur. On lit ainsi dans le Roman de Renard : Cheveu ot noirs conme arrement « Il avait les cheveux noirs comme de l’encre ».

C’est aussi à ater, par l’intermédiaire de la locution atra bilis, « bile noire », que l’on a emprunté le nom atrabile, employé jadis en médecine et qui s’est effacé peu à peu devant son équivalent tiré du grec, mélancolie. Quant à son dérivé, atrabilaire, il doit sans doute beaucoup de sa survie à Molière, qui donna comme second titre au Misanthrope « L’Atrabilaire amoureux ».

On s’est longtemps demandé si cette forme ater pouvait être rapprochée d’un sens ancien de atrium, qui aurait désigné une demeure primitive où la fumée du foyer s’échappait par une ouverture ménagée dans le toit. Ater aurait alors été ce qui était noirci par la fumée, par la suie et serait lié sémantiquement au feu.

Le romancier, linguiste et essayiste anglais Anthony Burgess semble avoir fait sienne cette hypothèse quand il a créé, à partir de racines indo-européennes, la langue des Ulams, pour le film de Jean-Jacques Annaud, La Guerre du feu. En effet, quand ces Ulams désignent le feu dans leur langue, ils le font avec un cri guttural que l’on pourrait transcrire par Atr- et qui n’est guère éloigné du ater des Latins. On aimerait bien sûr rattacher âtre à cette famille ; mais on ne le peut. En effet ce dernier nous vient, par l’intermédiaire du latin ostracum, du grec ostrakon, « coquille », puis « morceau de brique ». Cette dalle, l’âtre, n’est donc pas liée étymologiquement au feu, mais à l’huître et à l’ostracisme.

De la cuisine à la scène

Le 2 juin 2016

Expressions, Bonheurs & surprises

Bon appétit ! Messieurs ! Sans doute est-ce là un des hémistiches les plus célèbres du théâtre français, et l’on se réjouira que le mot appétit soit prononcé sur scène, tant spectacle et nourriture ont toujours fait bon ménage. Il n’est pour s’en convaincre que de se pencher sur les mots qui, désignant d’abord quelque mets un peu grossier, sont entrés, le plus souvent en y gagnant en raffinement, dans le monde du théâtre, de la littérature ou du spectacle.

Le plus connu de ces termes est peut-être farce. Ce nom désigne depuis le Moyen Âge un mélange de viandes diverses et de légumes, lié par une sauce épaisse, mais il désigne aussi à cette époque des commentaires en français insérés dans la liturgie latine et bientôt des intermèdes comiques introduits dans des représentations de mystères, comme la farce est introduite dans un plat. Farce prend vite une valeur d’adjectif pour qualifier quelque chose de comique : Est-ce farce ! Le latin avait connu une évolution analogue ; en effet farce est issu du latin farsus, le participe passé de farcire, « remplir, engraisser, garnir », mais dès les premières années du iiie siècle on trouve aussi, dans le Adversus Valentinianos, de Tertullien, un dérivé de farcire, fartilia, employé avec le sens de « pot-pourri de diverses pièces littéraires ».

On trouve avec saynète le même passage de la cuisine à la scène. Ce nom, qui apparaît dans la deuxième moitié du xviiie siècle, est emprunté de l’espagnol sainete, qui désignait d’abord un petit morceau de viande servant à récompenser un oiseau de chasse, puis toute chose plaisante, et enfin une pièce bouffonne jouée avant le deuxième acte d’une comédie. L’espagnol sainete est un diminutif de sain, lui-même issu du latin saginum, « suif ». En français saynète, dont l’origine est peu connue, est souvent rapproché à tort de scène et écrit scénette, tant est fort le désir de chacun de faire entrer dans un cadre logique les mots qu’il emploie, quitte à biaiser un peu avec l’histoire de ces derniers puisque, étymologiquement, saynète est plus proche de saindoux que de scène.

Le nom latin satura, à l’origine de notre satire, a également fait ce voyage. Satura, en effet, a d’abord désigné un plat garni de toute espèce de fruits et de légumes puis, par analogie, un mélange de vers de divers mètres, et enfin un poème uniforme fustigeant les vices de son temps. Le grammairien Diomède explique, au ive siècle après J.-C. comment s’est fait le passage de l’un à l’autre : […] quod ex variis poematibus, satura vocabatur, [ ] (« […] parce qu’elle est composée de différents ouvrages en vers, on l’appelle satura (satire) ».)

Le mot miscellanées est intéressant puisqu’il n’existe aujourd’hui qu’au pluriel, ce qui souligne l’idée de mélange, d’œuvre composite. Il désigne un recueil qui traite différents sujets et emprunte son nom au latin miscellanea, un dérivé de miscere, « mêler, mélanger », qui, chez Tertullien, désigne un mélange d’écrits mais qui, un siècle plus tôt, désigne chez Juvénal le repas grossier servi aux gladiateurs. Ce dernier évoque, dans sa onzième Satire les Romains de fortune médiocre qui se ruinent en mets coûteux et le sort qui les attend : Sic veniunt ad miscellanea ludi (« Et tout cela les achemine au mélange grossier servi à l’école des gladiateurs »). Chateaubriand se distingue en employant miscellanée, au singulier et avec ce même sens, quand il évoque Venise dans ses Mémoires d’outre-tombe : « Sa maîtresse lui apporte [au gondolier] dans une gamelle, une miscellanée de légumes, de pain et de viande. »

Pot-pourri touche lui aussi au monde de la cuisine et du spectacle. C’est un ragoût qu’il désigne quand il arrive dans notre langue sous la plume de Rabelais. C’est aussi le sens que lui donne l’Académie française dans la première édition de son Dictionnaire (à l’époque on l’écrit sans trait d’union) : « On appelle Pot pourri, Differentes sortes de viandes assaisonnées & cuites ensemble avec diverses sortes de legumes. » Mais elle ajoute : « Il se dit figurément d’Un livre ou d’un autre ouvrage d’esprit, composé du ramas de plusieurs choses assemblées sans ordre et sans choix. L’ouvrage qu’il a donné depuis peu n’est qu’un pot pourri. C’est un pot pourri de tout ce qu’il a jamais leu dans toute sorte d’Autheurs. »

Le terme macédoine est encore un nom au cheminement similaire. Il est tiré du nom de la région de Grèce dont était originaire Alexandre le Grand parce que ce dernier avait bâti son empire en y incluant un grand nombre de minuscules royaumes. Ce nom n’apparaît qu’au milieu du xviiie siècle, pour désigner un plat composé de petits morceaux de légumes ou de fruits divers, mais dès la fin de ce siècle, c’est aussi un assemblage hétéroclite de textes de tous ordres.

On notera qu’il existe un mot qui a cheminé au rebours de ceux que l’on a vus : entremets a en effet désigné d’abord un divertissement appelé à distraire les convives entre les différents plats, avant de prendre le sens qu’il a aujourd’hui, c’est-à-dire quelque préparation sucrée servie en dessert.

Pour conclure, intéressons-nous au four. Dans le monde du théâtre, c’est un échec retentissant ; cet échec est ainsi nommé parce que, autrefois, les représentations étaient annulées quand il n’y avait pas assez de spectateurs présents dans la salle ; on faisait alors évacuer les théâtres et l’on éteignait toutes les lumières du théâtre, en particulier les feux de la rampe, et celui-ci devenait alors noir comme un four.

Alexandre L.-A. (France)

Le 2 juin 2016

Courrier des internautes

Vigilant sur ou vigilant à.

Alexandre L.-A. (France)

L’Académie répond :

On dit bien veiller à mais l’adjectif vigilant ne se construit pas avec la préposition à : on l’emploiera le plus souvent sans complément ou éventuellement avec un complément introduit par avec (il est très vigilant avec ses enfants).

On dit aussi Il est vigilant sur ce point.

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