Allocution à la messe célébrée à la mémoire de Henri Daniel-Rops, à New-York

Le 13 novembre 1965

Étienne GILSON

MESSE CÉLÉBRÉE À NEW YORK

à la mémoire de M. HENRI DANIEL-ROPS
de l’Académie française

le 13 novembre 1965

 

Mesdames, Messieurs,

C’est au nom de l’Académie française, que j’ai l’honneur de joindre mon hommage à celui dont vous honorez aujourd’hui la mémoire de l’un de ses membres les plus admirés et aimés. Car l’œuvre de Henri Daniel-Rops est grande, mais l’homme le fut au moins autant qu’elle, et l’Académie ne pouvait s’y tromper. Chaque jeudi le voyait reparaître, frêle, miné par une de ces maladies progressives qui ne pardonnent pas, mais animé d’une volonté indomptable, que son âme sut imposer à son corps jusqu’au dernier jour.

Infailliblement fidèle à des obligations dont l’accomplissement lui coûtait de tels efforts, Daniel-Rops ne s’est jamais plaint ; entre nous, le mot maladie n’a jamais été prononcé, mais je l’ai toujours trouvé plein de projets neufs, imprévisibles, jusqu’à celui de ce spectacle dansé qu’il destinait à l’Opéra et qu’il ne verra jamais, mais auquel nous aurons la joie d’assister comme au dernier triomphe de cette indomptable volonté.

Pour la plupart de ses admirateurs d’Europe et d’Amérique, Daniel-Rops restera sans doute surtout l’auteur de Jésus en son temps et de cette monumentale Histoire de l’Église dont il n’a pas vu le dernier volume, sorte de bilan religieux des églises chrétiennes séparées de l’Église de Rome. Il y avait mis toute sa science et toute sa lucidité en même temps que tout son cœur. D’autres volumes encore devaient suivre. En fait, il ne pouvait pas y avoir de dernier volume, puisqu’une ère nouvelle vient de s’ouvrir avec l’Église du Concile, et je ne vois aucune partie de son histoire que Daniel-Rops eût écrite avec plus de savoir et plus d’amour. Car il ne faut pas s’y tromper, l’amour de l’Église est la vie même qui anime la longue suite de ces savants volumes, dont chaque année voyait s’allonger la suite.

Avec Jean XXIII, Daniel-Rops serait entré dans l’histoire de l’Église qu’il avait vue se faire sous ses yeux et dont il avait été l’acteur avant d’être le spectateur. Lui-même me l’a dit. La dernière fois qu’il était allé rendre visite au Patriarche de Venise, son éminence le Cardinal Roncalli, Daniel-Rops lui avait dit en le quittant : « La prochaine fois, Éminence, c’est au Vatican que j’aurai l’honneur de vous saluer de nouveau. » La prophétie s’est réalisée, mais après l’immense douleur que fut pour lui, comme pour nous tous, la mort du bon pape Jean, Daniel-Rops avait aussitôt reporté son affection et son inlassable dévouement sur la personne de son successeur, sa Sainteté le pape Paul VI.

Daniel-Rops nous a prématurément quittés et sa perte est pour nous irréparable. Nous n’aurons jamais, je le crains, ce tableau lucide, pondéré, équilibré, de l’œuvre de Vatican II, que nul mieux que lui n’était qualifié pour tracer et pour animer. Pendent opera interrupta... Puisque ainsi l’a voulu la vie, et que mon adieu à Daniel-Rops lui doit être adressé non de ce Paris où nous avons tant conversé, ni de ce beau parc de Tresserve où il est mort, et près duquel il repose, mais de cette paroisse de l’immense New York où votre amitié a voulu commémorer son souvenir, je veux seulement rappeler, en terminant, que ni celui qui vous parle, ni Daniel-Rops lui-même car il est en ce moment avec nous, ne sauraient s’y sentir exilés ; ils ne sont pas en terre étrangère, puisqu’ils y sont réunis, grâce à vous, en terre de Chrétienté. Aux deux mains jointes en prière qui ornent l’avers de sa médaille, Daniel-Rops nous invite fraternellement à unir les nôtres.

Mesdames et Messieurs,

Au nom de l’Académie française, je vous remercie d’avoir voulu l’associer à l’hommage que vous rendez à l’un de ses membres, au nom de Mme Daniel-Rops, que cet hommage touche profondément, en mon nom personnel enfin, je vous remercie de l’occasion que vous nous offrez de redire publiquement à Daniel-Rops notre admiration et notre affection.

 

Étienne GILSON
de l’Académie française.