150e ANNIVERSAIRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE
DISCOURS
PRONONCÉ PAR
M. BAUDRILLART
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
AU NOM DE L’INSTITUT DE FRANCE
Le mercredi 24 mai 4922
SIRE,
MESDAMES,
MESSIEURS,
Vous trouverez bon, je n’en saurais douter, qu’au moment où je me lève pour vous présenter le confraternel hommage de l’Institut de France, j’évoque le souvenir de l’illustre homme d’État, ancien président de notre République, qui avait réclamé le privilège d’être auprès de vous l’interprète particulier de l’Académie française, et que la mort, vient de nous ravir.
Un tel honneur n’était-il pas dû à celui qui, par sa naissance, était votre compatriote en même temps que le nôtre, à l’enfant franco-belge, comme s’était plu à l’appeler Victor Hugo, au fils de cet Émile Deschanel qui, dans votre hospitalière et glorieuse capitale, avait écrit une page brillante entre toutes des relations intellectuelles de la France et de la Belgique ?
Jamais M. Paul Deschanel n’avait perdu le souvenir de ses origines ; volontiers, il associait la noble Belgique au culte touchant qu’il professait pour son père. Quels accents sa magnifique éloquence, en un jour comme celui-ci, aurait su trouver pour célébrer la culture qui nous est commune et que nos deux peuples ont contribué à sauver !
Cette éloquence, je ne l’ai pas ; mais les événements qui ont scellé l’alliance de nos deux pays ont fait de nous tous en quelque façon des Franco-Belges ; les sentiments qui sont au fond de nos cœurs sauront trouver, pour s’exprimer, un chemin sans doute moins fleuri, mais aussi sûr.
L’histoire rapporte avec une admiration que les siècles n’affaiblissent pas les délibérations de certaines assemblées, — tel le Sénat romain, — qui, sous le regard d’un ennemi momentanément vainqueur, traitèrent avec sérénité les affaires accoutumées, ou abordèrent dans le calme d’esprits maîtres d’eux-mêmes, les plus hautes spéculations. Ce spectacle, Messieurs, vous l’avez donné.
Le 20 août 1914, le pas lourd de l’Allemand résonnait sur le pavé de vos rues. Au mépris de la convention de La Haye, le Palais des Académies était, envahi, saccagé et bientôt transformé en lazaret. Si votre bibliothèque, plus heureuse que celle de Louvain, ne devenait pas la proie de flammes volontairement déchaînées, elle était dispersée ; vos archives étaient en partie détruites, en partie volées ; vos plus précieuses collections livrées au pillage, vos meubles brisés ; vos œuvres d’art mutilées. Obligés d’abandonner le traditionnel et pacifique asile de vos travaux, vous vous réunissiez, les uns à la Bibliothèque royale de Bruxelles, et les autres à Gand. Plutôt que de vous soumettre au joug injurieux de la censure allemande, vous interrompiez vos publications ; mais, en dépit d’une police qui vous surveillait de près, vous poursuiviez le cours de vos séances : longtemps, vous avez délibéré sur le rôle des Académies.
Ah ! j’imagine aisément, Messieurs, les pensées qui ont agité vos esprits, les sentiments qui sont sortis bouillonnants de vos cœurs, les graves et brûlantes paroles que vos lèvres ont proférées, en ces heures dramatiques où l’on vous arrachait les Paul Frédéric et les Henri Pirenne, pour les déporter loin de leur famille et de leur patrie.
Le rôle des Académies ! Comme il dut vous apparaître dans toute son amplitude et dans toute la splendeur de son élévation ! Rôle intellectuel, rôle national, rôle international. À quel examen de conscience vous vous êtes sans doute livres à la lumière tragique d’aussi douloureux événements ! Cet examen, oserai-je le refaire devant vous, moi qui n’appartiens pas à votre nation, mais qui parle ici au nom de vos alliés, de vos amis ? Eh bien oui ! Et ce sera pour votre honneur.
Rôle intellectuel ! Le premier but de toute Académie, n’est-ce pas le progrès des esprits par le rapprochement, la mise à l’honneur, la collaboration effective, des hommes qui, dans une nation, cultivent avec le plus de succès les sciences, les lettres et les arts ? Ce progrès des esprits, il est vrai, chaque temps le conçoit un peu à sa manière.
Au moment où naissait votre Académie, avec l’espoir de tirer les provinces qui constituaient alors les Pays-Bas autrichiens de la torpeur intellectuelle que leur avaient assez vertement reprochée des écrivains français tels que Jean-Baptiste Rousseau, l’abbé Prévost, Voltaire lui-même, s’achevait la grande entreprise poursuivie dans notre pays par une société qui se disait « société de gens de lettres », mais qui intitulait son œuvre : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et métiers ; l’Encyclopédie dont l’esprit et les doctrines devaient, en 1795, présider à la réorganisation de nos propres Académies devenues les classes de l’Institut de France.
Faut-il croire que, même en ces provinces fidèlement attachées à la foi catholique, quelque chose de la pensée des Encyclopédistes ait exercé son influence sur les origines de votre savante compagnie ? Oui, me semble-t-il, puisque, dans le rapport par lequel le prince de Kaunitz, chancelier de l’Impératrice Marie-Thérèse, réclamait l’institution de la Société littéraire qui deviendra bientôt l’Académie, il avait soin de spécifier qu’en dépit de son nom elle embrasserait tous les objets de la science « pour éviter, disait-il, l’inconvénient où sont tombées tant d’Académies de Belles-Lettres en Italie, qui, au lieu d’éclairer et instruire la Nation, lui ont imprimé un esprit de bagatelle et de frivolité, si nuisible au progrès de la raison ».
Éclairer et instruire la nation, favoriser les progrès de la raison, voilà bien le dessein avéré, déclaré.
Ce dessein, Messieurs, votre Compagnie, plus ou moins selon les époques, mais finalement dans sa plénitude, a eu la gloire de le réaliser.
J’en trouve les preuves évidentes dans ce livre, où, avec une admirable modestie, mais avec la rigueur d’un procès-verbal, vous venez de retracer l’œuvre de l’Académie royale de Belgique, depuis sa fondation jusqu’en 1922.
Si, pendant les vingt ans qui précédèrent l’occupation des Pays-Bas par les armées de la Révolution, les plus grands noms de votre Académie sont ceux des étrangers qu’elle avait adoptés, il n’en est pas moins vrai que, dans l’histoire de ses travaux, tient toute celle des lettres et des sciences de ce qui est, aujourd’hui la Belgique. Ne fallait-il pas refaire l’éducation du pays, provoquer l’émulation, féconder les esprits ?
Cette œuvre préalable s’accomplit. Lorsqu’en 1816, après la constitution du royaume des Pays-Bas, l’Académie de Bruxelles fut rappelée à la vie, des éléments indigènes suffirent à la composer : je me garde cependant d’oublier qu’un peu plus de la moitié de ses membres appartenait aux provinces septentrionales, aux Pays-Bas hollandais. Comme à l’époque, si magnifique dans vos annales, du XVe au XVIIe siècle, l’Europe vit avec joie votre pays entrer dans le courant qui l’emportait presque tout entière vers un large et fécond renouveau des lettres, des sciences et des beaux-arts. Vos savants eurent leur part des grandes découvertes : vos écrivains, vos philosophes, vos historiens, vos juristes, vos économistes, exercèrent leur influence sur le mouvement général des esprits ; vos artistes attirèrent une fois de plus les regards des hommes sur ce coin de l’univers marqué dans l’histoire de l’art d’un signe privilégié. Et ce fut vrai surtout après 1830, lorsque l’indépendance politique eut donné tout son essor à votre génie.
Presque tous les grands noms de votre histoire intellectuelle, nous les trouvons inscrits sur les listes de vos sections.
Quelle splendide revue vous avez pu passer dans ces séances du 28 et du 29 mai 1872, où, en présence du Roi et des délégués des principales académies étrangères, sous la présidence de l’illustre d’Omalius d’Halloy, le fondateur de la science géologique belge, vous avez célèbre votre premier centenaire !
Avec quelle justice, deux années plus tard, vous rendiez hommage au grand mathématicien Quetelet, votre secrétaire perpétuel, qui, pendant près d’un demi-siècle, sous vingt-deux présidents et quatre-vingt-sept directeurs différents, avait incarné l’esprit et l’activité de votre Académie !
Votre statut s’était précisé et complété ; vos sections s’étaient organisées ; vous aviez enrichi l’établissement premier d’institutions annexes qui multipliaient ses moyens d’action.
Suivant l’exemple du baron Stassart et considérant « qu’une des plus importantes occupations de toute Académie est de favoriser l’exécution de travaux originaux et de récompenser les meilleurs d’entre eux », vous aviez provoqué des concours et fondé des prix.
Vous-mêmes, vous aviez publié des textes historiques et littéraires : telles de vos éditions, celles par exemple que dirigea Kervin de Lettenhove, ont conquis une renommée universelle.
Bref, de toutes manières, vous avez contribué à encourager et à orienter l’activité intellectuelle, morale, artistique de votre nation, répondant aux vœux de vos fondateurs.
Voilà, Messieurs, le premier témoignage que vous pouviez vous rendre, tandis que les Allemands occupaient votre capitale. Et maintenant que, grâce à nos efforts communs, ils sont partis, vous voulez que la renaissance de la Belgique ne soit pas seulement une reconstitution matérielle, mais que le noble effort moral qu’elle a soutenu soit le prélude d’une renaissance spirituelle à laquelle il vous sera donné de présider.
Rôle national, ai-je dit en second lieu. C’est le propre d’une Académie digne de ce nom de travailler à l’unité de la nation, en lui donnant sa base fondamentale, un esprit et une âme. Voyez les grands pétrisseurs de la nation française, les maîtres-ouvriers de notre unité, les Richelieu, les Colbert, comme ils ont voulu les Académies, comme ils ont tenu à rassembler sous leur main toutes les manifestations de la vie de l’esprit ! Relisez l’histoire du XIXe siècle ; cherchez à l’origine de toutes les nationalités renaissantes dont, après tant de luttes, l’indépendance vient d’être proclamée ; toujours vous rencontrerez une société littéraire, une Académie.
La vôtre n’était encore qu’une aimable adolescente de dix-huit ans, et déjà elle souscrivait pour acheter des canons aux troupes brabançonnes soulevées contre l’Autriche.
Et sans doute est-ce pour ce motif que Napoléon ne tolérait pas, dans les parties reculées et nouvellement annexées de l’Empire, des groupements autonomes capables d’agir sur l’opinion ; à quoi votre Académie dut de ne renaître qu’en 1816.
Il avait fallu l’indépendance de la nation pour que l’Académie prît son plein développement, mais à son tour l’Académie fortifia cette indépendance qu’elle célébra patriotiquement lors des fêtes du Cinquantenaire. De toutes ses forces, elle combattit les actes qu’elle tenait pour préjudiciables à l’unité de la patrie.
Ne craignez pas, Messieurs, qu’étranger je me permette de toucher à la grave question linguistique qui partage les meilleurs citoyens de votre pays. Me serait-il cependant défendu de rappeler discrètement les énergiques protestations que fit entendre, en 1888, votre Classe des Lettres, lorsque la constitution officielle, à Gand, d’une Académie de langue et de littérature flamandes lui apparut comme une sorte de démembrement moral ? Mesure qui devait avoir et qui a eu récemment comme contre-partie la création, à laquelle vous avez consenti, d’une Académie indépendante pour les littérateurs de langue française. À cette jeune sœur, l’Académie française a déjà témoigné sa vive sympathie.
Vous aviez, Messieurs, dans les jours ordinaires, noblement rempli votre tâche patriotique. Les jours extraordinaires allaient venir, ceux qui exigent de tous les plus rigoureux sacrifices et réclament des plus humbles, comme des plus grands, l’héroïsme de la vertu.
Heureuse Belgique ! heureuse jusque dans ses tourments et dans ses deuils ! car elle a trouvé ses dirigeants à la hauteur de ces jours d’héroïsme.
Un roi magnanime qui a mis au-dessus de tout l’honneur et le devoir, prenant pour sa part toutes les responsabilités, tous les courages, toutes les souffrances. Une reine généreuse et vaillante qui, refoulant d’intimes sentiments, s’est identifiée avec la patrie que par son mariage elle avait adoptée, adoptant du même coup toutes ses douleurs et tous ses espoirs.
Des ministres capables d’entrer dans l’esprit de leurs souverains, d’éclairer, de fortifier, d’exécuter leurs résolutions.
Des évêques, dignes soutiens de l’esprit public, consolateurs des affligés, gardiens et vengeurs de la morale, et, parmi eux, le grand cardinal en qui le monde entier a acclamé la voix sublime de la conscience catholique, rappelant à l’envahisseur présent et menaçant les droits éternels de la justice et de l’humanité.
Parmi ces dirigeants, vous étiez, Messieurs, et vous n’avez pas failli à votre devoir. En deux circonstances surtout, vous avez dû parler et vous avez parlé très haut, en dépit de tous les risques. Lorsque l’autorité allemande, avide de détruire votre unité nationale, prononça la séparation administrative des pays flamands et des pays wallons, par une déclaration solennelle du 20 juin 1917, vous fîtes connaître à la Belgique que vous ne reconnaissiez ni cette séparation ni le ministère flamand constitué par l’ennemi. Vous avez refusé de répondre à la correspondance qui émanait de lui, et vous fûtes suivis par les plus modestes fonctionnaires de vos services ; privés de leur traitement, ils furent sauvés de la misère par les généreuses avances d’un grand citoyen.
Ah ! Messieurs, quelle involontaire, mais quelle prophétique inspiration dans ce considérant d’un jugement porté contre une des plus nobles filles de votre pays par un tribunal militaire allemand : « L’accusée est atteinte d’une folie particulière, la folie de l’héroïsme. » Folie de l’héroïsme, oui ; comme les saints disent : Folie de la Croix !
Et ces deux folies font accomplir à l’humanité les actes les plus sublimes dans l’ordre d’une sagesse et d’une moralité supérieures.
Une autre fois. Messieurs, les trente et un membres de votre Académie présents à Bruxelles adressèrent au gouverneur général une protestation indignée contre l’abominable mesure qui déportait l’étranger les travailleurs belges coupables de ne pas se prêter aux exigences illégitimes de l’envahisseur.
Lorsqu’au début de janvier 1919, la vie académique reprit son cours ordinaire dans votre patrie libérée, vous pouviez vous présenter la tête haute. Avec quel accent le directeur de chacune de vos classes, dans la séance inaugurale, flétrit la conduite de l’ennemi, glorifia l’armée belge et rendit hommage aux glorieux souverains qui avaient été à l’Yser !
Rôle international enfin !
S’ouvrir pour recevoir, s’ouvrir pour agir au dehors, c’est la loi de toute nation que quelque fatalité congénitale ne condamne pas à vivre dans un stérile isolement. Cette, intercommunication des peuples se fait de diverses manières, dont la plus brutale et heureusement la moins continue est l’invasion.
La plus haute est celle qui s’exerce dans l’ordre intellectuel par l’échange des idées et, dans cet ordre, la part des corps savants est naturellement, sinon prépondérante, du moins considérable.
Faire rayonner l’influence d’un pays, s’éclairer soi-même de la lumière des autres, participer ainsi à une culture commune dont on devient l’agent, tenir sa place dans l’organisation intellectuelle du monde civilisé, n’est-ce pas l’un des plus utiles et des plus attrayants aspects ,de la mission des Académies ?
En tout temps, la vôtre a paru pénétrée de cette idée. Plus elle s’est développée, plus son propre prestige a grandi, plus elle a étendu ses relations avec les corporations scientifiques étrangères.
Au mois d’avril 1900, par vos deux classes des Sciences et des Lettres, vous adhériez à l’Association internationale des Académies. C’est chez vous que se constituaient au lendemain de la guerre, mais en dehors de la collaboration des Empires centraux, le Conseil international de recherches scientifiques et l’Union académique internationale pour les sciences historiques, archéologiques, philologiques, morales, politiques et sociales. Bruxelles devenait le centre de ces deux institutions ; et l’un des vôtres était appelé à la présidence de la seconde.
Toujours vous avez tenu à honneur d’admettre dans vos rangs les savants les plus renommés des autres nations. Fondée à une époque où votre pays était uni à la couronne autrichienne, au point de jonction de la culture germanique et de la culture française, il était naturel que vous fissiez assez large la place des savants d’origine allemande, et vous l’avez faite. Pourquoi faut-il que la culture germanique se soit elle-même, par les excès qu’elle a encouragés, exclue pour un temps de la civilisation qui nous rapproche les uns des autres, exclusion que vous avez ratifiée en rayant de vos listes, comme nous l’avons fait nous aussi, ces intellectuels allemands, dont plusieurs avaient signé le fameux manifeste, où étaient impudemment niés les méfaits les plus avérés de leur pairie, où la vôtre était si odieusement calomniée ?
Avec la France, vos relations n’ont jamais cessé d’être fraternelles. Parmi les premiers initiateurs de votre Académie, nous aimons à relever le nom d’un professeur strasbourgeois, Schoepflin, historiographe de Louis XV. En 1922, comme en 1772, les plus illustres des nôtres siègent dans vos rangs ; trente des vôtres appartiennent, comme associés ou correspondants, aux quatre classes de notre Institut qui ne se ferment pas aux étrangers.
De quelle mémoire parisienne serait sortie l’émouvante journée où, pour y être solennellement reçu, franchit le seuil du palais Mazarin, « celui qui, — j’emprunte les paroles du regretté philosophe Boutroux, — armé de sa seule droiture, de la pureté de cœur et de la charité évangélique, avait fait mettre la force à genoux », S. EM. le cardinal Mercier ?
La langue française fut toujours la langue usuelle de votre Académie et vous vous en êtes faits les ardents protagonistes. L’un d’entre vous, M. le baron Descamps, au jour où il prit séance en notre Académie des Sciences morales et politiques, y renouvela le célèbre manifeste de Joachim du Bellay « Deffense et illustration de la langue française », célébrant avec autant de poésie que savoir, « ce monument étincelant de lumière qui projette au loin le rayonnement de sa splendeur ». À Henri Pirenne, l’Académie française a décerné le grand prix de la langue française.
Ainsi, Messieurs, vous vous êtes rangés parmi les tenants de cet esprit latin, modifié et enrichi par des influences diverses, que l’on désigne volontiers aujourd’hui sous le nom d’esprit occidental.
Qu’est-ce à dire ? C’est l’esprit « de l’immortelle dépositaire de la tradition politique, littéraire, religieuse du monde », de cette Rome qui, devenue chrétienne, avait résumé en elle la civilisation grecque, la civilisation latine et celle de l’Orient, éclairée elle-même des lueurs divines projetées sur le monde par les prophètes d’Israël et par le Fils de Dieu fait homme. C’est cette Rome qui a procédé à l’éducation de ces peuples d’Occident qu’on a longtemps appelés Latins et qui pénétrés de la loi, de la foi, de la langue latines, ont mis partout leur empreinte ineffaçable. Les Germains eux-mêmes, notre Ozanam l’a démontré en un livre célèbre, sans le christianisme, venu par Rome, fussent demeurés des barbares ; il a raison de l’affirmer, en ce sens, toute la civilisation est romaine ([1]). Sur ce fond romain, classique, et chrétien, les nations modernes de notre Occident, conquérantes à leur tour de la plus grande partie de la terre, ont bâti, en l’ornant chacune à leur manière et en le complétant par un apport personnel et nouveau, le splendide et précieux monument que nos héros et les vôtres ont sauvé au prix de leurs sacrifices et de leur sang.
Tel est, Messieurs, le spectacle que vous pouviez contempler lorsqu’aux heures de la guerre vous réfléchissiez ensemble au rôle des Académies. Ce spectacle avait de quoi réchauffer vos espérances et vous réconforter dans la lutte.
Il nous a réconfortés nous aussi ; et nous nous sentons honorés d’avoir été choisis pour vous offrir le tribut de sympathie et d’admiration des Académies étrangères, celles qui composent l’Institut de France et, dans la mesure où elles veulent bien m’autoriser à titre leur interprète, celles des autres pays alliés.
En saluant l’illustre corps qui représente si noblement sa vie intellectuelle, nous saluons la Belgique elle-même.
Nous avons marché la main dans la main ; nos peuples ont souffert et saigné ensemble ; notre union doit survivre à la guerre.
Si parfois telles combinaisons politiques, comme naguère telles avances victorieuses de l’ennemi, jettent le doute et l’angoisse dans nos cœurs, rappelons-nous qu’en 1922, comme en 1914, nous avons un allié puissant, celui avec qui, tôt ou tard, tous doivent compter ; cet allié, c’est la loi morale elle-même dans sa majesté et dans sa rigueur vengeresse.
« Quoi qu’on en puisse dire, écrivait récemment un des plus grands vainqueurs de la guerre ([2]), les relations des nations entre elles doivent reposer sur les notions de haute morale qui, à travers les âges, ont longuement et largement prouvé leur action bienfaisante.
Du respect de ces notions, dépendent aujourd’hui comme hier et dépendront encore dans l’avenir la vie et le progrès des sociétés civilisées.
Puissent ceux-là mêmes qui furent nos ennemis ouvrir leurs yeux à la lumière et se rappeler avec nous la parole de l’écrivain sacré : « C’est par la justice qu’une nation s’élève ; le péché rend les peuples misérables ([3]) ! »
Mors, ils reprendront la place que la Providence leur a réservée dans l’œuvre commune de la civilisation, cette œuvre, Messieurs, à laquelle vous n’avez jamais cessé de travailler, parce que vous n’avez jamais perdu de vue l’idéal raisonnable et chrétien du beau, du bien et du vrai.