bloc-notes des mois de juillet-août 2018
S’interroger sur certaines particularités de la langue, sur le lexique, sur l’origine de quelques expressions curieuses, sur des formes récemment apparues, est une démarche à la fois saine et nécessaire. Il importe d’avoir sur notre langue, sur les inventions qu’elle accueille, sur les dégâts qu’elle subit, une information régulière, critique. Car c’est une manière aussi de parler de notre société, de son évolution. Mais ce qui complique les choses, c’est qu’on hésite : est-ce un linguiste, un sémiologue, un sociologue ou un philosophe qu’il faut consulter pour comprendre l’apparition d’une nouvelle expression ? Tous à la fois, peut-être.
Comme à propos de ce glissement, apparu il y a quelques années déjà dans la langue commune : on ne dit plus « avoir un problème » mais « avoir un souci ». « Avoir un problème » ne relevait pas de la très bonne langue, c’était une expression assez relâchée. Mais son effacement devant « avoir un souci » est révélateur de bien autre chose.
Un problème, c’est, du grec problèma, « ce qui est lancé en avant », quelque chose qu’on pose devant soi pour l’examiner, c’est une question qu’on cherche à objectiver, afin de découvrir un moyen ou une méthode pour la résoudre. En matière scientifique, mais dans la vie aussi : « un problème de santé » ou « un problème de couple », ce sont des difficultés qu’on rencontre, sans doute, mais avec l’espoir de les dépasser, et qu’on se propose d’analyser le plus correctement possible afin d’en trouver la solution, traitement médical ou divorce.
Il en va tout autrement du souci. Souci est un déverbal de soucier, du latin sollicitare, « tourmenter, préoccuper ». Solliciter, apparu au xive siècle, a eu d’abord ce sens. Le souci est donc un ébranlement profond. (Notons au passage que la fleur appelée souci est tout autre chose : une sorte de tournesol. Souci, c’est solsequium, « ce qui suit le soleil ».)
Un souci est donc bien un problème mais vu sous un autre angle : non pas sous l’angle de la difficulté à résoudre, et donc de l’action éventuelle qu’il convient de mener pour la régler, mais sous l’angle affectif, psychologique. Le « souci » est produit par un « problème » qui vous accable, vous domine, mais sans qu’on y puisse rien, sans qu’on songe à s’en débarrasser.
On voit donc tout ce qu’entraîne le glissement du mot problème vers le mot souci. Il est très significatif. Quand l’aspect psychologique et affectif l’emporte sur l’aspect pratique et rationnel d’une question, cela n’est pas un progrès : ce n’est pas une vision dynamique, forte, courageuse de notre destin. C’est le signe d’un découragement, d’une lassitude, d’un renoncement. Un problème donne du souci, c’est évident, mais il ne devrait pas se confondre avec lui. Devant le souci, je baisse les bras. Devant un problème, je retrousse mes manches.
Les deux mots ne sont donc pas synonymes. En finir avec le souci, qui est une douleur, même petite, demande que l’on soit capable de faire du souci un problème. Inversement, pour le candidat au baccalauréat, le problème (de math) devient un souci quand justement il n’arrive pas à le résoudre.