Parmi les noms qui désignent une activité humaine exigeant un effort soutenu et qui vise à la modification des éléments naturels, à la création ou à la production de nouvelles choses, travail, le plus courant, semble aussi être le plus neutre et celui dont le champ sémantique est le plus vaste. Il peut en effet désigner l’activité elle-même, le résultat de cette dernière et le statut qu’il confère à qui la pratique. Il est aussi celui dont l’étymologie est la mieux connue, probablement en raison de son caractère effrayant, puisque ce nom est tiré de travailler, un verbe issu, par l’intermédiaire du latin vulgaire tripaliare, « torturer », de tripalium. Ce nom latin, dont la composition laisserait supposer qu’il désignait un objet formé de trois pieux, n’apparaît qu’au vie siècle, dans le canon 33 du concile d’Auxerre : Non licet presbytero, nec diacono, ad trepalium, ubi rei torquentur, stare, « Il n’est pas permis à un prêtre ou à un diacre de se trouver là où sont torturés les accusés ». Comme on le voit, le nom trepalium semble en fait désigner, plus que l’un des instruments du bourreau, la torture en elle-même et le lieu où les prévenus sont soumis à la question. C’est cette origine qui explique que travail a longtemps été également utilisé pour désigner les douleurs de l’accouchement et les efforts fournis par la parturiante, et l’on parlait encore naguère, dans les maternités, de salle de travail. Cette douleur est évoquée dès la Genèse (3.17), quand Dieu maudit Adam et Ève qu’il a chassés du paradis terrestre. C’est d’ailleurs le même mot qui est employé dans la version des Septante pour annoncer la punition réservée à l’un et l’autre, condamnés tous deux au travail, à la souffrance, le premier pour arracher sa nourriture à la terre, la seconde pour donner vie à ses enfants. Le texte grec utilise en effet le même nom lupê, « peine, douleur, souffrance » dans les deux cas : Epikataratos ê gê en tois ergois sou, en lupais phagêi autên. « La terre sera maudite pour tes travaux et c’est à force de souffrance que tu en tireras ta nourriture », et Plêthunôn plêthunô tas lupas sou, en lupais texê teknata. « J’augmenterai les souffrances de tes grossesses, tu enfanteras dans les souffrances ».
Dans ce champ lexical du travail figure aussi le nom labeur. Il appartient à une langue plus soutenue et désigne ordinairement un travail difficile. Cela s’explique par son étymologie puisqu’on relie le latin labor, dont il est issu, aux verbes labi, « glisser, trébucher » et labare, « chanceler, vaciller », le labor étant perçu à l’origine comme une charge qui écrase l’homme et l’empêche de se tenir droit. Le verbe laborare, qui en dérive, a d’abord signifié « plier sous une charge ou sous un choc ». Cicéron, dans Les Tusculanes, rapproche d’ailleurs labor, « labeur, travail », et dolor, « douleur » : « Labeur et douleur ne sont pas précisément la même chose, quoiqu’ils se ressemblent assez. Labeur signifie fonction pénible, soit de l’esprit, soit du corps ; douleur, mouvement incommode, qui se fait dans le corps. Quand on coupait les varices à Marius, c’était douleur : quand il conduisait des troupes par un grand chaud, c’était labeur. »
Labeur a un doublet, labour, qui nous rappelle que, durant de très nombreux siècles, le travail fut essentiellement agricole.
Voyons maintenant le nom tâche. Il porte en lui, plus que les autres mots de ce champ lexical, une idée d’obligation, de devoir que l’on s’impose ou qui nous est imposé, ce qui n’est guère étonnant puisque ce nom vient du latin médiéval tasca, qui désignait une redevance payée par un tenancier pour pouvoir exploiter des terres vierges, et donc de taxare qui a donné notre verbe taxer.
En latin, parmi les équivalents courants de notre travail, on trouve opera, auquel nous devons le mot œuvre. Ce nom peut désigner le travail comme activité, comme on le voit dans la locution se mettre à l’œuvre, mais il s’emploie essentiellement pour désigner un résultat. Rappelons au passage que quand œuvre désigne l’ensemble de la production artistique de tel ou tel, il est masculin (l’œuvre gravé de Dürer). Dans la famille d’œuvre, se trouve aussi le nom ouvrage qui s’emploie dans l’un ou l’autre sens (se mettre à l’ouvrage, se mettre au travail, l’ouvrage ne manque pas, un bel ouvrage).
Notons pour finir que travail désigne aussi l’activité professionnelle, la fonction qu’exerce une personne pour gagner sa vie, dans une entreprise, une institution, ou de façon indépendante ainsi que le statut qu’il en tire. En ce sens, il est concurrencé par profession et métier, doublet populaire de ministère, qui a aussi ce sens de métier, en particulier dans l’expression exercer son ministère.