RESPONSE DE M. DE LA CHAPELLE, Confeiller du Roy, alors Chancelier de l’Académie, au Difcours prononcé par M. le Marefchal Duc de VILLARS, le jour de fa réception.
M0NSIEUR,
Depuis le glorieux jour où le Roy mefme a bien voulu eftre Chef de l’Académie, nul autre jour auffi pompeux, ni auffi brillant, que celuy qui vous donne à elle, ne l’a encore efclairée. Nous devrions vous faire des remerciments, en mefme temps que nous en recevons de vous : Si nous vous affocions à l’Académie, vous affociez l’Académie à vos triomphes.
Quelle communication de fplendeur ! ne puis-je pas dire réciproque, quand je fonge à l’augufte Protecteur, dont la majefté eft tousjours prefente à nos efprits ? quel fpectacle ! & qu’avec raifon nos defcendants plus juftes eftimateurs d’une gloire que l’envie ne s’efforcera plus d’obfcurcir, le trouveront comparable aux plus beaux exemples de l’antiquité !
Pour moy, lorfque je confidere le Vainqueur de Denin, de Landau, & de Fribourg, affis parmi nous dans ce Tribunal des Mufes, je croi voir l’ancien Senat de Rome, & ces fameux Triomphateurs des nations rangez indiftinctement dans une Affemblée de Citoyens : je me reprefente ces temps fi beaux & fi magnifiques pour les Lettres, quand la Victoire & les Mufes avoient les mefmes Favoris ; quand les plus grands Capitaines eftoient les plus grands Orateurs ; quand les Empereurs mefmes comblez de tous les honneurs que l’adoration la plus ingenieufe pouvoit inventer, regardoient comme un nouveau degré de gloire, un décret qui affignoit à leurs portraits une place entre les Images antiques des lluftres Orateurs.
Tibere, pendant qu’il confervoit encore prefque toutes les apparences des vertus de la République floriffante, ne voulut pas que le bufte de Germanicus fut plus riche, ni plus grand que les autres : il difoit de l’Empire de l’Eloquence ne connoiffoit point les diftinctions de la Fortune, & que le feul honneur d’eftre au rang des Auteurs célébres, eftoit au deffus de toutes les autres diftinctions.
C’eft ainfi que nos faftes, en adjouftant voftre nom à beaucoup de grands noms qui y font desja, le mefferont néanmoins avec une infinité d’autres, que nulles dignitez, nuls biens de la Fortune, nulle autre prérogative, que celles de l’efprit & du fçavoir ne relevent : & c’eft ainfi qu’il n’eft pas moins beau à vous de venir mettre aux pieds des Mufes cet amas d’honneurs, dont vous eftes couvert, qu’à l’Académie de le confondre, & de l’envelopper dans l’égalité modefte, qui regne entre nous : Cette modeftie, MONSIEUR, ne fervira qu’à faire mieux efclatter dans les fiécles à venir, tout ce qu’elle femble eftouffer dans le noftre.
Je ne puis pourtant m’empefcher de vous dire que dans ce jour également mémorable pour vous & pour nous, il manque quelque chofe à voftre gloire, & à celle de l’Académie : la Fortune devoit mettre en ma place Cicéron pour refpondre à Caefar. Je ne laifferay pas d’expliquer, quoy qu’avec moins de dignité & d’Eloquence, les raifons qui ont réuni avec tant de juftice tous nos vœux fur vous.
Vous avez donné des batailles, vous avez remporté des Victoires ; vous avez conquis des Villes & des Provinces comme Caefar : Il fe vantoit d’eftre le premier des Romains, qui euft monftré au delà du Rhin, les aigles & les légions Romaines ; plus heureux que luy, par le puiffant genie d’un Monarque plus formidable & plus digne d’eftre admiré, vous pouvez vous vanter d’avoir fait trembler les rives du Danube fous nos troupes victorieufes : Vous euffiez peu dans vos rapides expeditions copier fouvent cette lettre fameufe, où on ne compte que fix fillabes, & que Caefar luy-mefme n’efcrivit qu’une fois. Comme luy vous avez fceu vous rendre maiftre, de la Fortune, vous l’avez forcée à vous fuivre & à vous obéir ; & de la mefme main qui avoit ramené la Victoire fous nos Eftendarts, vous avez arrefté la Paix qui vouloit nous efchapper.
Ce font là de magnifiques objets d’admiration pour tous les fiécles, & de grands titres d’immortalité pour voftre nom : Mais ce ne font pas ceux qui ont le plus touché l’Académie, ni qui l’ont obligée à vous ouvrir les portes de ce fanctuaire d’Apollon.
Vous eftes le premier des François, qui avez voulu que les Palmes de l’Eloquence, meflées aux Lauriers de la guerre, ornaffent dans un même trophée, le bafton de Marefchal de France. Plein de cette ambition fçavante, qui dans tous les temps n’a animé que les grands & les véritables Héros, vous avez cultivé les Mufes, vous les avez honorées, vous avez aimé, comme les Scipions & les Laelius, à vous délaffer avec elles de vos travaux guerriers : vous les avez aimées quand leur amitié plus infructueufe exige de ceux qui la recherchent, plus de foins & plus d’attachement que jamais.
Ces premiers génies fublimes de l’ancienne Rome, eftoient venus dans l’enfance de la politeffe de leur Patrie : une efpece comme de premiere innocence de la langue, à ce que dit le plus grand de leurs Orateurs, la rendoit alors naturellement élégante dans toutes les bouches. Vous eftes né dans des temps plus efclairez ; dans le fiécle de la lumiere, & de la perfection pour nous. La fimplicité Gauloife de nos premiers Efcrivains effacée par le ftile majeftueux des fçavantes plumes qui leur ont fuccedé, a fait place à une élégance plus chaftiée & plus fcrupuleufe. Noftre langue ne fe laiffe plus parler avec nobleffe, que par ceux qui l’eftudient avec foin.
Vous n’avez pas jugé cette eftude mépri.fable, ni indigne de l’application d’un grand Capitaine. Vous avez penfé comme Caefar, que l’abondance & le choix des mots, eftoient les fources de l’Eloquence, & vous avez creu comme luy que l’Eloquence n’eftoit pas moins glorieufe ; ni moins utile à un grand General, que neceffaire à un grand Orateur.
Vous n’avez jamais ceffé de chercher dans la lecture de nos meilleurs Livres, cette fcience de bien parler & de bien efcrire, que l’ufage feul du monde ne donna plus : Vous l’avez acquife, & nous avons veu des Lettres de vous, que les Sarafins & les Voitures n’euffent pas defavoüées. Ce font là, MONSIEUR, les Titres qui ont enlevé noftre attention, & nos fuffrages.
Vous fuccedez à un Académicien que fa fidélité à de plus faints devoirs, a prefque tousjours tenu efloigné de nous. Tel que vous l’avez dépeint, attaché à une pureté de foy, de vie, & de mœurs dignes des premiers fiécles de l’Eglife, il donnoit au loin de fon Diocéfe, tout le temps qu’il nous refufoit.
Mais ne nous eft-il pas permis d’efperer qu’en rempliffant la place, vous compterez quelquefois nos occupations parmi vos devoirs, & que vous nous accorderez quelques-uns de ces moments que la paix va vous laiffer libres des foins, que vous deviez à la fureté & à la defenfe de nos frontieres ?
Il faut l’advoüer ; d’autres temps ont veu des Académiciens, d’ailleurs eftimables, ne regarder l’Académie que comme un Theatre ; où contents de monter une fois, comme pour s’annoncer au peuple,& pour fe monftrer à la Renommée, s’il eft permis de parler ainfi, ils ne reparoiffoient plus que rarement : inutiles, & prefque eftrangers a cette mere, de qui avec tant d’ardeur ils avoient fouhaiter d’efire les enfants.
Nous nous promettons de vous un exemple plus heureux. Vous vous fouviendrez que l’examen des mots & des phrafes occupa quelquefois Caefar, qui compofa fes livres de l’Analogie au milieu de fes vaftes projets, & de fes plus difficiles entreprifes. Et vous fongerez que noftre langue, qui peut-eftre à caufe des préjugez, & de l’ufage du vulgaire, n’eft pas auffi refpectée de la plupart des François, ni auffi ferieufement eftudiée, qu’elle le merite, eft pourtant la langue d’un autre Augufte plus recommandable, que celuy de Rome. C’eft à elle que ce regne merveilleux, qui efface tous les regnes des hommes, promet une immortalité plus certaine & plus efclatante, que celle que les Grecs & les Romains ont laiffée à leur fçavantes langues.
Que de veritez qui paroiftront incroyables ! que de miracles elle tranfmettra à la pofterité ! mais quelles juftes craintes au milieu de tant d’idées brillantes viennent icy me troubler ! Oferay-je aprés vous, MONSIEUR, parler de cet incomparable Monarque, qu’il ne m’a efté permis d’admirer que de loin, pendant que fes auguftes confidences eftoient fouvent verfées dans voftre fein ?
Je ne me laifferois pas emporter au-delà de par mes forces par un zele indifcret, fi en regardant cette fuite d’évenements extraordinaires, qui ont tenu toute l’Europe dans l’eftonnement depuis le commencement de ce fiécle, il ne me fembloit trouver, mefme dans ma vie obfcure, des circonftances fingulieres, qui m’authorifent à rompre le filence que je voulois m’impofer.
Je me fouviens que lorfque le Roy d’Efpagne partit d’icy pour monter fur le Throne qui l’attendoit, le Sort aveugle m’avoit mis à la tefte de cette Compagnie, où j’ay encore aujourd’huy l’honneur de paroiftre par une nouvelle faveur du mefme sort. Ainfi lorfque la plus belle revolution de nos jours commence, & lorfqu’elle s’acheve, une efpece de fatalité efcarte les Sujets les plus illuftres & les plus éloquents, pour faire tomber fur moy, qui en fuis le moins digne, l’honneur de parler en de fi grandes occafions.
Croiray-je que ce ne foit qu’un jeu de La Fortune ? & ne puis-je pas penfer que c’eft un arrangement de la Providence, qui a voulu apprendre aux hommes que les heroïques actions de LOUIS LE GRAND, en quelque façon femblables aux merveilles de Dieu, n’avoient befoin que des bouches les plus fimples pour les publier ? Je dirai donc avec confiance ce que le zele & 1’admiration m’infpirent.
Il n’y a point de conjonctures plus efclatantes pour les grands Rois, ni ou il foient plus parfaitement les images de Dieu que lorfqu’ils font ceffer de longues & de cruelles Guerres. On diroit qu’alors ils commandent comme luy aux vents & aux tempeftes. Ne femble-t-il pas que cet Empire, communiqué quelquefois aux autres Princes, ait efté remis tout entier au Victorieux Monarque à qui nous obeïffons ?
Les Pyrénées & la Weftphalie, Aix-la-Chapelle, Nimegue, & Rifvick l’ont veu donner la Paix à des Peuples abbattus & rebutez de la Guerre. Utreck, & Raftat le voyent qui la fait accepter à des Ennemis prefque triomphants, dont les forces encore tout entieres, & les courages encore menaçants, ne refpiroient que les conqueftes & les combats. Dans les autres Traittez Arbitre des conditions, dans ces deux derniers il l’a efté mefme des volontez.
Il a levé fon bras tant de fois terrible aux audacieux Titans : Il a refpandu la lumiere de fa fageffe ; & le nœud fatal s’eft deflié ; Il a parlé, & la terre eft devenuë tranquille.
Vous avez veu de prés, MONSIEUR, les puiffans refforts qui ont produit ce grand changement : C’eft vous qui les avez fait mouvoir ; aidez-nous à les defcrire, & à conferver dans tous les fiécles la mémoire du plus grand des Rois noftre Augufte Protecteur.