Réponse au discours de réception de Pierre-Paul Royer-Collard

Le 13 novembre 1827

Pierre DARU

Réponse de M. le comte Daru
au discours de M. de Royer-Collard

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 13 novembre 1827

INSTITUT ROYAL DE FRANCE

Monsieur,

En parlant de votre admission parmi nous, vous avez oublié de dire que vous y avez été appelé d’un suffrage unanime : ce concours de toutes les voix n’atteste pas seulement votre mérite, il prouve que, parmi ceux qui cultivent les lettres, il y a, quelle que puisse être d’ailleurs la diversité de leurs opinions, de nobles sentiments qui leur sont communs. Telle est, je ne dirai pas l’élévation de vos talents, mais la noblesse de votre caractère, que tous nous avons mis quelque vanité à montrer que nous étions faits pour l’apprécier.

Nous avions à remplacer sur notre liste un nom véritablement illustre : rappeler ce que fut votre prédécesseur, c’est dire combien on estime ce que vous êtes.

Parmi les instructions dont nous lui sommes redevables, ce n’est pas la moins importante que l’exemple qu’il nous a donné des nobles succès qui attendent le travail dirigé par le génie. S’il y a des noms plus anciens que le nom illustré par M. de Laplace, il n’y en a pas qui puissent se flatter de vivre plus longtemps.

Nous n’avons à parler ici ni de l’ancien ministre, ni du sénateur, ni du pair de France ; il ne s’agit pas de ses dignités, mais de sa gloire.

En limitant ainsi ce vaste sujet, je n’oublie point que je n’ai pas le droit d’apprécier les travaux de M. de Laplace ; il en est pour moi de son génie comme de ces grandes vérités qui ne sont point à la portée de tous les yeux, et que nous croyons parce que des esprits supérieurs les ont aperçues et démontrées.

Le grand géomètre est, pour toutes les sciences dont le calcul est la base, ce que le pilote est dans un vaisseau ; il dirige la marche, il indique la route la plus courte et la plus sûre.

C’était surtout le caractère distinctif de l’esprit de votre prédécesseur, de s’attacher aux principes dont l’application pouvait être plus universelle. Le beau génie à qui il fut donné de révéler au monde le mystère de la gravitation s’était démontré à lui-même l’existence de cette puissance inconnue, par les procédés mathématiques ; mais il voulut la démontrer aux hommes par la comparaison des faits. C’est un genre de preuves dont ne sauraient se passer les découvertes qui viennent nous étonner. Son continuateur a préféré la méthode plus indépendante et plus générale de l’analyse : cette prédilection prouverait, s’il en était besoin, la justesse comme l’étendue de son esprit. Il faut voir dans ses ouvrages avec quel enthousiasme il parle de cette savante conductrice, qui se crée une langue universelle, qui, en s’isolant des objets, en feignant de les oublier pour les généralités, les coordonne, les soumet à des règles uniformes et constantes, parvient à des résultats inattendus, à des vérités qu’on pouvait croire inaccessibles. « Quand ces lois, ajoute-t-il, quand ces lois, en embrassant l’univers, dévoilent à nos yeux ses états passés et à venir, la vue de ce sublime spectacle nous fait éprouver le plus noble des plaisirs réservés à la nature humaine. » On sent que celui qui s’exprimait ainsi avait été admis souvent à ces sublimes jouissances. Il nous a éclairés ; mais, en nous révélant des vérités importantes, il était déjà récompensé de ses bienfaits par le bonheur de les avoir trouvées, et nos applaudissements ne peuvent rien qu’attester notre reconnaissance.

Eh ! quelle plus noble mission en effet que d’influer sur les progrès de l’esprit humain ? Pour apprécier ce que les sciences progrès doivent à M. de Laplace, il suffit de se reporter à ce jour, qui fut une époque mémorable de notre histoire littéraire, où, dans une solennité nationale, l’Institut rendit compte au gouvernement de la marche des connaissances humaines. Celui qui en présentait le tableau avait le droit de parler de tout ce qui appartient aux sciences et l’art de se faire comprendre. À chaque instant, à chaque pas que font les mathématiques, la mécanique, l’astronomie, la physique générale, le nom de M. de Laplace se retrouve dans cette vaste composition.

Trop longtemps l’analyse s’était assujettie à suivre l’observation d’un pas timide : ici elle prend les devants, elle invente les méthodes, et fait signe de la suivre à tous ceux qui se vouent au soin des applications.

Elle saisit, elle fixe, elle détermine ce qui, de sa nature, paraissait insaisissable, indéterminé ; par elle et par les travaux de M. de Laplace, le mot de probabilité acquiert une valeur positive, et le hasard lui-même peut être apprécié avec précision.

S’agit-il de calculer les mouvements, les rapports des corps divers qui composent le système du monde ; le géomètre explique les forces, développe les ressorts de la mécanique céleste ; il lui donne des bases, que M. Delambre voulait qu’on appelât les lois de Laplace, comme on dit les lois de Képler. La profondeur de l’analyse, la nouveauté des théories, la multitude des applications, l’importance des résultats ; voilà ce qui fait de ce grand ouvrage une source de découvertes dont la science moderne a pu s’enrichir.

S’agit-il d’épargner aux astronomes des travaux immenses, pour rectifier, dans les tables des planètes, quelques imperfections, déjà renfermées dans d’étroites limites, qui, grâce à M. Bouvard, se resserrent encore de jour en jour ; une théorie nouvelle viendra annoncer à l’expérience ce qu’elle doit rencontrer. Et telle est l’habileté des observateurs, que l’expérience se trouve exactement d’accord avec la théorie, et que les tables de Jupiter deviennent le guide le plus sûr des navigateurs.

Une comète, observée en 1770, avait trompé l’attente des astronomes, qui avaient prédit sa prochaine réapparition : une formule de M. de Laplace a fourni à M. Burckhardt les moyens de calculer les perturbations qui ont dû empêcher son retour.

Le travail de Borda sur le phénomène de la réfraction était perdu ; M. de Laplace le retrouve, c’est-à-dire le devine ; et les observations de M. Biot, à Paris ; de M. Delambre, à Bourges ; de M. Piazzi, à Palerme, confirment l’autorité des tables tracées par le géomètre.

On se demandait si l’anneau de Saturne était en mouvement : M. de Laplace, dans son cabinet, démontrait que ce grand cercle ne pouvait se soutenir sans une rotation d’environ dix heures ; et dans le même temps, M. Herschel, du haut de son observatoire, voyait cette révolution s’accomplir en dix heures et demie.

On est frappé d’admiration en remarquant ce constant accord de la théorie et de l’expérience. Le calcul devine, et les observations atteignent la précision du calcul.

La gloire de M. de Laplace ne se borne point à avoir fait faire de grands progrès aux sciences par ses découvertes : il en a dirigé, perfectionné l’enseignement, soit par ses propres leçons, dans nette école normale, dont la trop courte existence a laissé un si long souvenir, soit par les soins assidus et le vif intérêt qu’il a constamment portés à cette école polytechnique, où se formaient, des hommes dignes de l’entendre et de lui succéder. Son zèle se manifestait par l’extrême bienveillance avec laquelle il accueillait tous ceux qui venaient lui demander des conseils. Il faut convenir qu’il en a été dignement récompensé par la gloire dont il a vu jouir un grand nombre de ceux dont il avait prédit et encouragé les succès.

Et ce qu’il y a de plus remarquable encore, cette bienveillance n’était point exclusive : elle s’étendait sur tous ceux dont les études, bien qu’étrangères aux sciences proprement dites, pouvaient contribuer aux progrès de l’esprit humain. L’esprit de M. de Laplace était trop étendu pour ne pas voir tout ce qu’il y a de noble et d’utile dans la culture des lettres. Tandis que les uns affectent d’en mépriser la frivolité, d’autres en conçoivent des inquiétudes ; on leur reproche de former des âmes indépendantes ; mais on aurait tort d’en prendre de l’ombrage ; si elles conduisent à l’indépendance, c’est parce qu’elles détachent de l’ambition.

La philosophie de votre prédécesseur était trop éclairée pour ne pas juger que ce sont les lettres qui polissent les peuples, et qui seules les préparent à la culture des sciences plus sévères. Sa raison était trop puissante pour que son goût ne fût pas également sûr et délicat.

Aussi y avait-il peu d’écrivains qui apportassent plus de soin à faire que la justesse et la clarté de l’expression répondissent à la précision et à la netteté de la pensée : aussi avons-nous vu peu de littérateurs dont la mémoire fût mieux remplie des beaux passages de la poésie ancienne et moderne, et qui se plussent davantage à les rappeler.

C’est un sujet de vanité pour les lettres de voir que toujours les esprits justes ont su les apprécier. Ils goûtent les ouvrages faits pour servir de modèles, parce que ces beautés qui saisissent le cœur et surprennent l’admiration, sont susceptibles d’une démonstration rigoureuse dans leurs principes comme dans leurs effets ; parce que les routes qui y conduisent sont comme cette ligne droite dont on ne s’écarte que pour s’éloigner du but ou s’égarer. Il n’y a que les esprits faux qui, se passionnant pour des systèmes, prenant le bizarre pour le neuf, cherchent le succès ailleurs que dans la vérité et dans la raison. Pour atteindre le beau, il faut être doué sans doute d’imagination et de sensibilité, mais avant tout, d’une raison solide. Voilà comment les lettres ne sont point frivoles ; voilà pourquoi elles peuvent recevoir de justes hommages, et en offrir qui sont de quelque prix.

L’Académie française avait à distinguer dans M. de Laplace, l’écrivain correct et élégant, l’homme de goût fidèle aux doctrines classiques, le philosophe qui savait honorer les lettres. Ses succès dans les sciences ne pouvaient être un titre d’exclusion ; l’Académie, au contraire, se fait un honneur de réunir tout ce qui s’est illustré par la pensée. Ce sont là les seules illustrations au-devant desquelles il lui convienne d’aller.

Lorsqu’elle admit M. de Laplace dans son sein, il y avait près de cinquante ans qu’il appartenait à l’Académie des sciences. Le demi-siècle révolu, notre illustre confrère réunit ses amis, pour célébrer cet anniversaire. Au moment où ils félicitaient ce vieillard, qui avait conservé ses facultés dans toute leur puissance, ils ne s’attendaient pas à voir s’éteindre sitôt, cent ans précisément après la mort de Newton, cette autre intelligence supérieure qui nous avait éclairés. Combien leur a été sensible la perte de l’homme irréparable autour duquel ils étaient heureux de se trouver réunis !

Cette maison habitée par un sage, et dont l’amabilité personnifiée faisait les honneurs, avec cette grâce qui n’appartient qu’aux qualités solides et à l’esprit le plus délicat ; cette maison, dis-je, ces jardins d’Arcueil, où nous avons vu si souvent les Lagrange, les Monge, les Berthollet, les Humboldt, les Montyon, et tant d’autres que je ne nomme pas, parce qu’ils m’entendent, rappelaient ces bois d’Athènes où les pères de la philosophie se communiquaient leurs lumières et le sujet de leurs méditations. L’affabilité de l’accueil produisait d’abord un moment d’illusion ; on éprouvait involontairement quelque vanité de se voir admis en présence de tant de gloire : mais lorsque la réflexion avertissait que l’on se trouvait au milieu de ce petit nombre d’hommes qui présidaient aux progrès de l’intelligence, lorsqu’on y voyait arriver successivement tout ce que l’Europe savante a de plus illustre, la vanité faisait place à un autre sentiment ; on écoutait en silence ces esprits supérieurs ; et telle était la clarté de leurs idées, la simplicité de leur élocution, que ceux-là même qui n’étaient pas initiés croyaient quelquefois les entendre.

Il était rare que l’entretien, dont les nouvelles du monde intellectuel fournissaient naturellement le sujet, ne ramenât pas les hautes questions de la philosophie.

Sans cette heureuse curiosité, qui a été donnée à l’homme pour exciter les efforts de son génie, il ne se connaîtrait pas lui-même, ni ce monde où il est placé. Les esprits supérieurs, faits pour nous servir de guides, se sont partagé le monde physique et le monde intellectuel. Il semble que, pour prix de leurs travaux, ces deux ordres de philosophes doivent être destinés à se rencontrer dans les mêmes conséquences, la dignité de l’âme humaine et la-connaissance autant qu’elle est permise à notre faible raison, du principe créateur universel.

Tandis que votre prédécesseur cherchait dans les cieux les lois qui les font mouvoir, vous vous livriez, Monsieur, à une autre étude. La philosophie est à l’état moral ce que la science mathématique est au monde matériel : à chaque instant, on a à lui demander des principes et des méthodes. L’une et l’autre se plaisent dans les abstractions et les généralités ; l’une, comme l’autre, est une science de raisonnement que les faits viennent confirmer. Mais de même que je n’aurais osé dire un mot sur les mathématiques en présence de votre prédécesseur, je ne me hasarderai point à parler devant vous de la philosophie spéculative. Les nombreux auditeurs qui se montraient si assidus à vos leçons publiques n’ont pas besoin que je leur rappelle la sagesse de votre doctrine, et l’autorité de vos paroles qui naissait de l’élévation de vos pensées.

Cette autorité fut si généralement reconnue, que la puissance politique l’appela sagement comme auxiliaire, en vous offrant la direction de l’instruction publique. Dans ce ministère auquel la patrie confie ce qu’elle a de plus cher, je ne sais pas ce que vous avez trouvé à réformer ; je ne sais pas ce que vous avez laissé à faire ; mais on reconnaît que, successeur d’un grand littérateur, prédécesseur d’un prélat vénérable, vous vous êtes montré éloquent comme l’un, vertueux comme l’autre, et que vous vous êtes acquis des droits, la reconnaissance de tous les pères.

Tout le monde se souvient de vous avoir vu dans cette même enceinte distribuer des couronnes aux jeunes talents qui s’étaient formés par vos soins, et de vous avoir entendu leur dire : « Puissiez-vous ne rien oublier de ce qui vous a été enseigné ! » allusion touchante aux sages maximes si nécessaires dans nos temps d’orages, et que vous aviez recommandé de leur inculquer. Puissent les maximes ne pas changer comme les hommes ! Quand on voit sur la liste de ceux qui, avec M. de Fontanes et vous, ont coopéré à l’administration de l’instruction publique, des noms que l’Europe nous envie, l’illustre historien de Fénelon, les Delambre, les Silvestre de Sacy, les Cuvier, à quels perfectionnements ne serait-on pas en droit de s’attendre ? surtout lorsqu’on vous a entendu dire : Non, il n’est plus permis de le craindre ; la France, secourue par son roi, ne verra point l’instruction publiques se rétrécir ou s’abaisser.

Vous avez su, Monsieur, quitter cette place importante aussi noblement que vous l’aviez occupée ; mais vous êtes du petit nombre de ceux à qui la perte d’une place ne fait qu’ouvrir une nouvelle carrière de gloire.

Un ancien historien de l’Académie des sciences, s’étonnant de l’incompatibilité qu’on a si longtemps supposée entre les sciences et l’administration publique, demande s’il est bien vrai que les esprits accoutumés aux hautes spéculations soient moins propres que d’autres à saisir les combinaisons des affaires. Cette réflexion s’appliquait à Newton. Fontenelle, tout pénétrant qu’il était, n’a peut-être pas saisi la véritable raison qui a donné naissance au préjugé contre lequel il réclame. Il est possible en effet que, pour le maniement des affaires, il manque quelque chose à ceux qui ont passé leur vie dans l’étude des sciences exactes. Ils ne sont pas accoutumés à se tromper. La méthode des abstractions leur garantit la justesse des résultats ; mais, dans les affaires, les points ont de la surface, les lignes des aspérités. On opère sur des choses où le désordre peut s’introduire, sur des passions qui raisonnent mal ; et le calculateur, pour qui le désordre, les faux raisonnements, les passions même n’existent pas, se trouve dans une position imprévue, lorsqu’il vient à rencontrer des incrédules. Toujours sûr de convaincre, il ne s’est jamais avisé de penser qu’il faudrait descendre jusqu’à persuader. L’empire de sa raison est trop bien établi pour qu’il ait jamais eu à essayer la fermeté ni l’autorité de son caractère. Inébranlable sur son terrain, tout ce qui n’est pas susceptible d’une démonstration mathématique ne paraît guère à ses yeux digne d’être soutenu.

Telle ne fut point votre destinée, Monsieur ; accoutumé par vos études philosophiques à faire entrer les erreurs des autres dans vos calculs, vous avez exercé les forces de votre âme, comme celles de votre esprit ; et votre courage s’est trouvé préparé aux épreuves qui l’attendaient. Vainement les circonstances ont été diverses et les temps difficiles : ni votre raison, ni par conséquent votre fermeté, n’en ont été ébranlées. Les périls, la faveur, les disgrâces, l’inconstance des systèmes, les prévenances des partis rivaux, les acclamations de la multitude, rien n’a pu obtenir de vous la moindre concession.

C’est par là que vous vous êtes formé une opinion qui est la vôtre. Vous n’appartenez qu’à la justice et à la vérité. Mais vous avez voulu leur appartenir exclusivement sans réserve. Personne n’a eu le droit de vous compter dans un parti : tout le monde, quand la cause a été juste, a été sûr de trouver en vous un défenseur. Par une suite de cet esprit philosophique, qui aime à tout généraliser, vous vous êtes attaché aux principes plutôt qu’aux hommes, et de là ce caractère de force et de gravité qui distingue plus particulièrement votre éloquence.

Mais cette puissance de raisonnement, qui laisse l’interlocuteur sans réponse, pourrait laisser les auditeurs sans émotion. Vous devez surtout l’autorité de vos paroles à cette conviction profonde qui vous les dicte et que vous savez faire partager. Redoutable adversaire, assez maître de vous pour aller jusqu’à la véhémence, en observant constamment les convenances les plus délicates, vous dominez toujours votre sujet comme vos auditeurs ; vous parcourez tous les tons sans effort, depuis celui qui appartient aux plus hautes pensées jusqu’à la fine plaisanterie, à l’ironie piquante et de bon goût.

Mais j’aurais honte de n’admirer en vous que votre éloquence, lorsque j’ai à vous féliciter surtout de vos nobles sentiments. Les talents n’ont droit à notre admiration que lorsqu’ils sont consacrés à une cause digne d’eux. Les lettres ne sont qu’un instrument dont le mérite doit être apprécié d’après l’usage qu’on sait en faire.

On se plaint depuis un demi-siècle que le goût des lettres se perd ; ces plaintes de la médiocrité sont injustes et exagérées. Ceux qui cultivent les lettres en sont récompensés par les jouissances intérieures de l’étude : ceux à qui elles demandent des applaudissements sont en droit de s’informer à quoi on applique l’art d’écrire ou de parler. En cela le public n’est point injuste ; il honore les lettres, il montre qu’il en a une plus haute idée que quelques-uns de ceux qui font profession de les cultiver pour elles-mêmes ; il ne les considère pas seulement comme un art, mais comme un moyen de perfectionnement pour l’intelligence et pour la société. Les lettres, dans un ordre supérieur, rendent les mêmes services que l’imprimerie avec ses moyens matériels. Ce qui aurait été pénible à lire, ce que les intelligences communes n’auraient pu s’approprier que difficilement, ce qui serait resté renfermé dans un petit nombre d’initiés, elles le divulguent, le mettent à la portée de tous, le popularisent ; ce sont elles qui, en les revêtant d’une forme heureuse, font le succès des vérités utiles des grandes pensées.

C’est là ce qui fait la dignité des lettres, et ce qui explique le soin que les vrais savants prennent de les cultiver. Voilà pourquoi l’Académie française se plaît à honorer les savants ; voilà ce qu’une nation policée ne dédaignera jamais. Eh ! ne voyons-nous pas ses acclamations accueillir ceux dont elle admire les talents et dont elle embrasse la cause ! Eh ! qui pourrait en rendre témoignage mieux que vous, Monsieur, qui, en descendant de la tribune, avez si souvent entendu ce murmure flatteur dû à l’orateur éloquent, et surtout à l’homme de bien ?

Puisse-t-elle se consolider cette sainte alliance du talent et de la vertu, pour la défense des droits qui font la dignité de l’espèce humaine ; pour la défense du trône, qui est lui-même une garantie de ces droits !

C’est aussi au pied de ce trône que les lettres aiment à se réfugier lorsqu’elles ont besoin d’être consolées. Sûres d’y trouver des vertus héréditaires, et cette protection éclairée, qui a illustré le règne d’un grand roi, elles s’y présentent avec autant de confiance que de respect, et elles n’implorent cet auguste appui que pour ce qui peut favoriser le sage développement de la pensée et étendre la gloire de leur protecteur. Nous venons de recevoir un nouveau gage de cette protection dans une décision de S. M., qui accorde à l’Institut un buste de M. de Laplace ; ainsi l’image de l’homme illustre que nous avons perdu décorera cette bibliothèque, dont ses ouvrages formeront toujours un des principaux ornements.