Réponse au discours de réception de Montazet

Le 14 mars 1757

Nicolas-François DUPRÉ de SAINT-MAUR

Réponse de M. Dupré de Saint-Maur
au discours de M. de Montazet, évêque d'Autun

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le lundi 14 mars 1757

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

     Monsieur,

Il est des pertes qui se réparent, mais qui ne s’oublient point, & que le temps n’efface jamais.

Vous retrouvez ici tous les sentimens d’estime & d’amitié que d’étroites liaisons inspiroient pour vous à M. le Cardinal de Soubize.

Nous retrouvons en vous son amour pour les Lettres, un esprit également solide, instruit, naturel, agréable.

Ces compensations produisent en nous divers mouvemens. Le passé nourrit nos regrets ; le présent porte la joie dans nos cœurs ; l’avenir élève nos espérances ; & nos désirs, quoiqu’ils se bornent difficilement, ne pouvoient pas se promettre davantage.

Conduits par ces motifs, sans nous arrêter à l’exemple d’un Peuple législateur des autres, des Romains, qui exigeoient la présence & les sollicitations des Candidats, nous vous avons élu, Monsieur, tandis que vous étiez aux extrémités du Royaume.

Sans doute la voix publique vous en aura porté la nouvelle, avec la même vivacité qu’elle nous a rendu les Discours que vous avez prononcés en plusieurs occasions.

Vous n’ignorez pas que les fréquentes révisions de ses jugemens, d’où nos règles sont sorties, la rendent aujourd’hui plus difficile que les Antoines & les Cicérons ne se piquoient de l’être sur l’éloquence ; quelle y désire une perfection inouie, du propre aveu de ces Orateurs, au siècle même d’Auguste, & dont la plénitude étoit en effet réservée au siècle de LOUIS LE GRAND.

Elle veut que le style imite ces rivières utiles au commerce, dont la navigation n’est interrompue ni par leur peu de profondeur, ni par des chutes précipitées ; qu’il coule avec majesté ; qu’il varie souvent, & qu’il se proportionne au sujet, comme nous les voyons se conformer au terrain ; tantôt traversant les plaines sans faire aucun détour, tantôt prenant un circuit, & se plaisant à serpenter entre les côteaux, pour porter l’abondance en divers lieux, & pour embellir une plus grande quantité d’objets.

Et n’avez-vous pas su, Monsieur, allier ces différens principes, malgré leur étendue & la multiplicité de leurs rapports.

Il vous étoit permis d’observer avec moins d’attention combien la renommée s’occupe de vous. Son empressement à recueillir vos différentes productions vaut toutes les louanges que la prévention la mieux fondée pourroit nous suggérer.

Mettons à part le témoignage d’une savante École, instituée sous un saint Roi, pour conserver le dépôt de nos vérités les plus importantes.

Ne nous arrêtons point aux acclamations d’une Province, à qui vous avez fait sentir si noblement ses devoirs & ses véritables intérêts.

Jugeons-en par le remerciment que nous venons d’entendre.

Faut-il que cette heureuse égalité que vous nous avez tracée comme le plan sur lequel fut formé notre établissement, & qui régnoit au temps où la terre parloit un même langage, ne puisse passer dans mes expressions ? Je joindrois mes accens aux vôtres pour prolonger les honneurs dus à la mémoire de celui dont vous prenez ici la place.

Eh ! l’éloquence d’Isocrate suffiroit-elle aux seuls éloges de l’illustre Catherine de Parthenai, qui traduisit ses divins préceptes ; qui, sans autre modèle que les Sophocles & les Aristophanes, composa dans les deux genres ; & qui formant une substitution des qualités les plus rares que les hommes admirent, fit passer avec ses vertus le nom de Soubize dans la Maison de Rohan ? Ses vues ont été remplies.

Les premières paroles qui frappèrent l’oreille de M. le Cardinal de Soubize, ouvroient son esprit, formoient son langage, lui donnoient peu à peu le goût du beau, & l’initioient dès-lors à l’Académie. Pouvoient-elles manquer de charmes, sortant de la bouche de M. le Cardinal de Rohan ? Ces murs, séjour de nos Rois, asile des Lettres & des Sciences, & les superbes Palais de l’ancienne Capitale du Monde, conserveront toujours une parfaite vénération pour l’oncle & pour le neveu.

Ils réunissoient l’un & l’autre les dons les plus estimables sous différens caractères.

Tous deux profonds, éloquens, & capables de soutenir le poids des plus grandes affaires.

Le premier avec plus de dehors, d’apparence, d’ouverture ; le second avec plus d’intérieur, de simplicité, de réserve : celui-là gagnant plutôt les hommes, leur accordant plus aisément, & déférant sans peine à leurs foiblesses ; celui-ci les subjuguant, ferme, inébranlable, & ne donnant jamais prise sur lui : l’un plus brillant, plus séduisant, plus insinuant ; l’autre sévère pour lui-même, tendre pour la famille, fidèle à ses amis, ne faisant rien perdre aux absens, rien souffrir aux présens, attentif pour tous ceux qui l’approchoient, & n’en exigeant d’autres devoirs que la vérité ; il osoit faire le bien, méritoit de le connoître, & ne s’écartoit jamais du chemin qu’il croyoit y conduire.

Les Registres où s’inscrivent les exercices de la licence & du cours des études, sont pleins des distinctions accordées à la supériorité de son génie comme à celle de sa naissance ; & les Salles de Sorbonne accoutumées à répondre par des éloges pompeux aux entretiens du grand oncle, retentissent encore des applaudissemens donnés aux savantes compositions de son illustre neveu.

Il y combattoit d’avance dans un de ses Discours , un Ouvrage enfanté depuis peu, où l’Auteur, très-louable d’ailleurs par les grâces du style, & par la force du raisonnement, se proposoit sans doute un pur jeu d’esprit. Un Écrivain si judicieux auroit-il pense sérieusement que la Science pût être nuisible dans un État ? Non, il n’en vouloit détruire que l’abus.

Avant que sa vingt-deuxième année fût révolue, M. le Cardinal de Soubize étoit assis à la tête des vieillards d’Israël, de ces hommes consommés dans l’intelligence des divines Écritures. Ses grandes qualités demandoient une plus grande sphère. Il fut nommé pour soulager M. son oncle dans les fonctions de l’Épiscopat ; & semblable à ces astres brillans, qui dociles aux ordres de leur Créateur, marchent avec joie , & répandent sans cesse la lumière, du poste où la voix les appelle, il partit pour Strasbourg.

En s’y présentant, il calma par l’égalité de son caractère, par la sûreté de son commerce, par les grands principes de Religion, de probité, d’honneur, & par son attention sur toutes les parties du Diocèse, les frayeurs du troupeau alarmé de l’instant qui devoit le priver du respectable Prélat, dont un si digne successeur venoit seconder les travaux.

Nos larmes sur la mort du premier couloient encore, quand nous commençâmes à trembler pour la vie du second. Son courage n’en fut point ému. Il vit avec tranquillité que la moitié de la carrière, où la jeunesse, la naissance, la faveur & le mérite lui présentoient des avantages si satisfaisans, alloit bientôt disparoitre : & prêt à donner le dernier exemple à son Diocèse, il s’y fit transporter. Ses jours ont fini avec cette sérénité qui caractérise & récompense les cœurs sublimes & véritablement chrétiens.

Quel sujet de douleur pour une Princesse, que ses vertus capables d’anoblir des âmes royales, ont rendue digne de présider à l’éducation des enfans les plus précieux à la France !

Que de désolation pour un Prince distingué dans la ville par une affabilité qui relève les Grands, loin de les dégrader ; à la Cour par son attachement reconnu de son Maître ; dans les Armées par sa valeur, par son activité, par sa prévoyance, par ses libéralités ; & qui suivant les mouvemens de noblesse & de magnificence héréditaires de la Maison, où les mêmes vertus perpétuent les mêmes titres , n’a jamais cru qu’il pût faire un meilleur usage de ses possessions, que d’en secourir le Soldat malade & l’Officier qui venoit d’éprouver un revers de la fortune !

L’Académie, Monsieur, compte parmi ses jours de gloire le temps qui vous rapprochoit d’elle.

C’étoit alors que relevant de ses propres trophées ceux de notre Fondateur, le vainqueur d’une des Isles où la force d’Alcide se seroit aujourd’hui brisée, prenoit des places qu’une garnison nombreuse, la mer, les rochers, la nature, l’art & des villes flottantes sembloient rendre imprenables.

Son bras a vengé les engagemens solemnels violés, le droit des gens blessé, l’insulte faite au Pavillon François, & la liberté du commerce que l’intérêt d’une Nation détachée des autres vouloit leur enlever.

L’Europe étoit sur le point de se plaindre qu’un Monarque, image de la Providence par sa patience, par sa sagesse, par son pouvoir, suspendît si long-temps son tonnerre. Sa valeur avoit fixé l’admiration. L’Europe manquera-t-elle à présent de confiance en la bonté ? Il a tenté toutes les voies imaginables pour épargner, s’il eût été possible, à la terre épuisée, le triste fléau de la guerre.

Aurions-nous cru qu’au milieu des soins qu’il prend pour nous rendre heureux, le coup le plus terrible nous menaçoit ? Éloignons de nos idées de semblables horreurs, & ne nous intéressons qu’à la conservation du Prince qui nous gouverne.

Que de biens nous produit la modération ! Inestimable vertu, compagne inséparable de toutes les autres, & sans laquelle il n’est point de biens pour nous, c’est toi qui viens de cimenter notre alliance avec une grande Reine, dont la conduite & le courage nous ont souvent étonnés.

Unis à cette Princesse, ne devrions-nous pas rendre l’Europe immobile, assurer le repos de la terre, & rompre des chaînes plus injurieuses pour les ondes, que les fers qui leur furent autrefois présentés par ce frénétique tyran de la Perse.

Déjà nos vaisseaux fendent les mers, en protègent l’empire, & ne cèdent qu’à celui qui commande aux flots, & leur transmet sur les îles des vents ses volontés absolues.

Qu’un souffle salutaire amène au repentir les infracteurs des Traités ; qu’ils prennent pour arbitre l’équité même du Prince qu’ils ont offensé ; ou que nos rapides progrès les forcent bientôt d’invoquer cette aimable paix qu’un Roi comblé de gloire, & les Muses lasses de chanter ses triomphes, désirent également !

Le sujet de son Discours pour la clôture des Sorboniques en 1739, étoit : Quantum Regi & Respublica prodest Scientia in subditis.

Stella, autem dederunt lumen in custodiis fuis, et lœtate sunt ; vocatœ sunt, & dixerunt, adjumus ; & luxerunt ei cum jucunditate qui fecis illas. Baruch c.3. v.34 & 35.