RÉPONSE de Mr. DE LA CHAPELLE, Confeiller du Roy, Receveur General des Finances de la Rochelle, au Difcours prononcé par Mr. l’Abbé de Saint Pierre, le jour de fa reception.
MONSIEUR,
Il n’eft pas befoin que la fenfibilité, que la probité fi connuë de voftre cœur nous répondent de vos fentimens pour un bienfait dont vous nous recompenfez en le recevant, puifque c’eft payer une grace que de la meriter.
Je ne fçay mefme fi déjà on ne vous doit point icy des remercimens, vous y venez confoler une jufte douleur, vous l’avez prefque diffipée ; ce n’eft pas que vous effaciez le fouvenir de celuy à qui vous fuccedez, vous n’oftez pas tout le regret de fa perte, mais vous la reparez. Que dis-je ? vous faites revivre cet illuftre mort, vous nous le rendez en vous.
Ces mœurs douces & aimables, cette converfation aifée, cette exacte connoiffance des hommes, ces veuës droites, ce jufte difcernement, cette fidelité Religieufe pour les fecrets confiez ; cette fageffe confommée fans laquelle on ne peut eftre fidele ; rare & heureux affemblage qui l’avoit fait entrer dans la plus augufte des confidences, & qui pour ainfi dire avoit mis entre fes mains les refforts qui font mouvoir l’Europe entiere, toutes ces qualitez admirables nous les retrouvons en vous telles qu’il les poffedoit ; heureux fi nous avions pû vous acquerir & le conferver.
Voilà, MONSIEUR, ce qui vous acquite envers nous, & ce qui vous fait obtenir une place, au deffus de laquelle la belle litterature n’a rien à fouhaiter, l’efprit cultivé ne peut rien imaginer.
On ne vous foupçonne point d’en ignorer l’éclat, vous l’avez fouhaitée avec trop d’empreffement pour ne l’avoir pas connu. Mais le témoignage involontaire de voftre confcience, qui vous force fans doute de vous avouer à vous-mefme que vous en eftes digne, vous a fait craindre les fecrets reproches de votre modeftie, & vous a obligé de cacher, dans l’éloge que vous venez de faire des belles Lettres, une partie de cet éclat rejaillit fur vous.
Il vous a efté beau de vous taire fur ce fujet, il me feroit honteux de n’en pas parler, puifque c’eft faire voftre éloge que de montrer tout l’honneur accordé à voftre merite.
Si je regarde l’Académie comme le Temple de l’immortalité où tous ceux qui y font receus trouvent une fource inépuifable de la plus pure & de la plus venerable gloire ; ce n’eft point parce qu’un Roy digne de fervir de modele à tous les Rois, a bien voulu fe déclarer noftre Protecteur ; ce n’eft point parce que, s’il m’eft permis de parler ainfi, il nous a élevé luy-mefme un Tribunal dans ces lieux auguftes, tous-jours remplis de Sa Majefté ; ce n’eft point parce que noftre eftabliffement a efté formé par un homme dont tous les deffeins, dont tous les Ouvrages ont efté au deffus de l’homme : enfin ce n’eft point parce que nous raffemblons en un feul Corps ce que toutes les conditions differentes ont de grand & de refpectable, & que tant de dignitez parmy nous confonduës relevent d’autant plus celle de cette Compagnie, qu’elles y font fans rang & comme ignorées : une idée plus haute & plus flatteufe m’éclaire ou m’éblouit, quoy-qu’il en foit m’entraifne, & me force de la fuivre.
Cette inftitution d’une Affemblée d’hommes choifis entre tout ce qu’un vafte Empire en peut produire d’illuftres pour les Lettres, deftinez, & fans ceffe occupez à polir, à perfectionner, à mettre une Langue en eftat de vivre long-temps mefme après les Peuples à qui la nature l’a donnée, fi ce n’eft pas le fuprême degré de la fuperiorité fur les autres Peuples, le plus haut point de grandeur & de puiffance, le comble de la gloire pour une Nation : c’en eft du moins le figne le plus éclatant, la marque la plus certaine ; c’en eft, pour ainfi dire, le fceau irrevocable, & il femble que la Providence qui gouverne l’Univers, n’ait donné le gouft & l’idée des Académies qu’aux Nations qu’elle a formées pour commander aux autres.
Rappellez pour en eftre convaincu, rappellez & parcourez l’Hiftoire de tous les Peuples qui fe font fignalez fur le theatre du Monde. Examinez quelle a efté la deftinée magnifique, quelle eft encore aujourd’huy la gloire de ces Grecs, & de ces Romains aufquels nous devons l’eftabliffement des premieres Académies ; quelle a efté au contraire la fortune différente de tant d’autres Peuples qui n’ont fceu que combattre & vaincre.
Conquerans plus redoutables par leur barbare ignorance que par leurs armes, ils n’ont fongé qu’à détruire les Arts & les Lettres, & à fonder de fuperbes dominations que le temps a bientoft ruinées. Leur Empire, leur nom, leur langage, tout a péri auffi bien qu’eux.
Pareils à de furieux incendies, ils ont paffé, ils fe font efteints auffi-toft qu’ils ont ceffé d’agir ; ou comme d’impetueux torrens, qui après avoir ravagé les campagnes ne font plus que de petis ruiffeaux, à peine remarquez par les voyageurs ; ils n’ont laiffé que des débris malheureux & des defcendans indignes de leur nom.
La vray gloire immortelle dans le fouvenir des hommes, n’a efté donnée qu’aux Peuples qui ont eu des Académies & le temps que ces Peuples ont choifi pour les eftablir a tousjours efté celuy où ils fe font trouvez plus grands que les autres.
J’en attefte encore ces premiers Maiftres de l’Univers ; que de travaux ? que de combats ? que de victoires remportées ? combien de Rois dethronez ? combien ont-ils voulu faire voir de triomphes dans la Capitale du monde, avant que d’y montrer une Académie ! Ce n’a efté que dans le plus floriffant âge de leur Empire, au milieu du plus beau de leurs Regnes, fous le plus grand de leurs Empereurs.
Quel fpectacle s’offre icy à mon efprit, & m’écarte de mes premieres penfées pour m’arrefter fur d’autres objets ? Vous en feriez frappé comme moy, fi je pouvois les reprefenter. En effet, MONSIEUR, quelle devoit eftre cette Académie formée par Augufte ? quels Genies fublimes ? quels Hommes célébres ? quels grands Perfonnages la compofoient ? Un tableau fi magnifique demanderoit un pinceau plus fçavant que le mien ; mais fi vous voulez concevoir ce que je ne puis exprimer, jettez les yeux fur ceux au nom de qui je vous parle : il me doit eftre permis de le dire, & je contribuë fi peu à tant de lumiere, qu’une pudeur fauffe ne doit pas m’empefcher de rendre juftice. Ils vous fourniront des reffemblances fi vives & des rapports fi heureux, que foit que vous confideriez les Sujets, foit que vous regardiez le Souverain qui les honore de fa protection, tout accouftumé que vous eftes à ne point confondre vos idées, vous vous tromperez fouvent, fouvent vous prendrez le Siecle de Louis LE GRAND pour celuy d’Augufte & le Siecle d’Augufte pour celuy de LOUIS LE GRAND.
N’en doutons donc plus, & ne craignons plus de le dite ; l’Académie eft comme le gage & le fceau de l’immortalité affurée au Nom François. Sa fortune a marché d’un pas égal avec celle de la Monarchie ; le mefme Miniftre a jetté les fondemens de la puiffance de l’une, & a donné la naiffance à l’autre. Le mefme Monarque invincible a achevé l’un & l’autre ouvrage, & les a portez tous deux à ce point de grandeur, & de perfection où les vûës du Miniftre n’avoient pû atteindre.
Quelle fource infinie de reflexions magnifiques ! Quelle abondance de gloire ! Vous la venez partager avec nous ; vous devez entrer dans nos obligations & contribuer à noftre reconnoiffance.
Peut-eftre qu’elle eft affez remplie à l’égard du fameux Cardinal de Richelieu, peut-eftre que la memoire & les manes de ce grand Homme en font fatisfaits : car ne pouvons-nous pas penfer qu’il nous doit, finon une partie de fa renommée, du moins une partie de cette attention vive, que le monde conferve tousjours pour luy ? Cette Loy que nous nous fommes faite de parler de luy dans les occafions les plus éclatantes, fon nom tousjours placé avec de pompeux éloges dans nos plus célébres Difcours, reveillent fans ceffe pour luy l’eftime & l’applaudiffement des hommes ; & aprés tout qu’y a-t-il de plus propre à flatter, à remplir la plus noble ambition mefme des Rois, que ce tribut éternel de louanges que nous payons à un Sujet ?
Mais qui nous acquittera envers ce Prince, fans qui nous ne ferions pas mefme en eftat de nous fouvenir de noftre Fondateur ? L’Eloquenc ne nous fournit plus d’ornemens qui ne foient trop au deffous des nouveaux fujets d’admiration & de louanges qu’il nous fournit tous les jours ; & ce feroit trop abandonner le foin de noftre gloire que d’entreprendre de relever la fienne par nos paroles : que nos efprits ne tentent donc plus d’inutiles efforts, n’employons deformais pour luy que le langage de nos cœurs, c’eft le feul que fes vertus heroïques ne nous rendent pas inutile.
Puiffent fes armes eftre tousjours victorieufes, puiffe le Dieu des Armées, le vray Dieu dont il défend la caufe, le combler d’autant de profperitez qu’il luy a donné de vertus. Puiffe fon Regne par le nombre des années furpaffer autant les plus longs Regnes, que par l’éclat des actions il furpaffe les plus glorieux.