Réception de M. André Chamson
Monsieur,
Tout à l’heure, en vous regardant pénétrer dans cette enceinte et y prendre place pour être la vedette d’une cérémonie réglée une fois pour toutes, rituellement pareille à elle-même depuis un siècle et demi, quel que soit et d’où que soit venu le « récipiendaire » que notre Compagnie accueille, je songeais à d’autres fêtes dont vous fûtes, comme vous l’êtes ici aujourd’hui, le héros. Elles vous furent offertes, cet été, par vos frères de race et de langage, impatients de vous exprimer, dans la ferveur des démonstrations collectives, la joie et la fierté que leur causait votre élection.
Vous êtes provincial, Monsieur, et deux fois provincial, puisque, si le Languedoc vous a vu naître, la Provence — sans toutefois vous prendre au Languedoc — vous a adopté. Vous êtes un rhodanien des deux rives, ce qui n’est pas commun.
Donc, là-bas, non point une, mais deux — que dis-je ? — trois fêtes ! La première en Arles, au bord senestre du fleuve ; les deux autres au-delà de sa rive dextre, d’une part à Nîmes, où vous vîntes au monde (voici cinquante-six ans), d’autre part dans le plein cœur des Cévennes, au Vigan, où votre enfance s’est écoulée. J’ai assisté à deux de ces fêtes ; et je voudrais, non à vous, mais à nos confrères, dire un peu ce qu’elles ont été.
Arles, qui s’est appelée « la Rome des Gaules », est aujourd’hui une paisible cité pastorale, qui ne consent point d’oublier son grand passé. Elle continue de régner sur un petit royaume qui est sans doute l’un des derniers, ici-bas, où le passé reste un passé vivant. Entre les deux bras du Rhône, la Camargue est un royaume étrange, fermé sur des secrets quelque peu fabuleux. « Nation » de chevaliers, elle les recrute aussi bien en Languedoc qu’en Provence. Ce sont les « gardians », maîtres de troupeaux à demi sauvages qu’ils gouvernent passionnément.
Or, Monsieur, depuis trente ans, vous êtes « gardian ». Ce fut donc en « gardian » que vous vous montrâtes aux foules arlésiennes, en votre honneur assemblées. Vous aviez belle et bonne mine, portant le costume très ajusté, qui laisse au corps toute son aisance et en avantage la sveltesse. Coiffé d’un feutre à larges bords, vous teniez droit dressé le haut trident camarguais, et, cela va sans dire, vous étiez virilement assis à califourchon sur l’un de ces jolis chevaux à la robe d’argent, aux sabots roses, qui sont moins les serviteurs de leurs cavaliers que leurs complices.
La fête dura de l’aube au soir. Son plus beau moment fut son heure nocturne, lorsque, entouré de cavaliers eux aussi le trident brandi, aux sons archaïques des galoubets et des tambourins, et ayant sur vos pas le long et flatteur cortège de cent — peut-être deux cents —belles jeunes filles en costumes, vous fîtes votre entrée dans la cour de l’Hôtel de Castellane-Laval, où, le cœur battant, tout Arles vous espérait.
Mi-gothique, mi-renaissant, ce bel édifice est désormais, grâce à Mistral, le tabernacle du Félibrige ; et les « gardians » y sont chez eux. Il a ceci de particulier que sa cour d’honneur est, en son centre, occupée par une assez vaste excavation, due aux fouilles qui rendirent à la lumière les ruines de l’Arles antique, endormie sous l’Arles d’aujourd’hui.
Cette fosse circulaire, toute jonchée des débris de Rome, les jeunes gens et les jeunes filles qui vous escortaient vinrent l’envahir, acteurs bénévoles du spectacle de chants et de danses qui vous était dédié.
... Les costumes provençaux ne sont point des déguisements ; ils se transmettent par héritage, de génération en génération. Tantôt ils sont hardiment versicolores, tantôt de teintes sombres et unies. L’ensemble, en sa diversité et ses contrastes, composait une symphonie de couleurs dont le beau désordre narguait les plus savants effets de l’Art. Parmi ces danseuses, les unes — Arlésiennes intégrales — révélaient, dans les feux mouvants des projecteurs, de nobles visages palladiens ; les autres, venues sans doute des rivages, trahissaient l’ascendance sarrasine ; — toutes étaient spontanément heureuses de se trouver là, en ce soir de concorde, où le passé et le présent de leur pays communiaient.
Je ne vous le cacherai pas, Monsieur : tout en s’enchantant du ravissant spectacle, votre confrère éprouvait à votre égard, de façon assez cuisante, un sentiment d’envie. Etre fêté de la sorte, au bord du Rhône, parce que, au bord de la Seine, on a fait de vous un académicien, c’était là une bonne fortune que ceux d’entre nous qui ne sont que Parisiens ne connurent ni ne connaîtront jamais ! Ces fiers « gardians » à cheval, ces équipes de bondissantes jeunesses, nous n’avons rien d’approchant à vous offrir. Nos divertissements sont sévères. Nos costumes ont beau être enfeuillagés de broderies smaragdines, elles se détachent sur fond de drap noir, tout au plus, s’ils sont à la dernière mode, de drap bleu de Prusse très foncé ; et ce fut tout à fait exceptionnellement, dans la seule fantasque imagination d’un poète, que, voici deux ans, sirènes à queues vertes, on nous fit danser un ballet nautique, entre le Pont des Arts et la pointe de la Cité.
Comment ne garderiez-vous pas, de cette féerie occitane, le souvenir d’une émotion émerveillée ?
Emu, vous alliez l’être tout autrement, le lendemain, dans la petite ville cévenole où vous avez grandi.
En y pénétrant, nous eûmes l’impression de nous être trompés de jour. Dans les rues resserrées, sur les places et placettes où seules chantaient les fontaines, pas la moindre trace d’un festival imminent... C’est que, dans leurs hautaines retraites, les Cévenols dédaignent de faire étalage de leurs sentiments : ils ont le cœur aussi vite alarmé que la feuille de la sensitive. Par un raffinement de délicatesse, je pense qu’ils s’étaient proposé, en recevant leur académicien, de lui ménager l’illusion de revivre près d’eux, ce dimanche-là, un dimanche presque pareil, dans sa simplicité, dans sa modestie, à quelque dimanche du temps de votre enfance. Sans pavoisements, sans fanfares, sans même un roulement de tambours, tout se passa donc à l’intérieur. À l’intérieur des cœurs ; à l’intérieur aussi de l’Hôtel de Ville, dans la salle des mariages, comble de Viganais. Sur l’estrade, M. le Maire n’avait pas cru bon de ceindre son écharpe, ni M. le Sous-Préfet d’endosser son habit de gala. Quant à vous, qui aviez laissé sur la rive-empire votre costume d’équitation, vous étiez, comme nous tous, en simple pékin.
Le Maire parla très bien, mais sobrement, sans, comme on dit, « faire de phrases ». Puis ce fut un Viganais pur sang, M. Pierre Gorlier, auteur d’un gros volume où il a fait, pour sa ville, en érudit, ce que, en poète, vous avez fait pour elle, de livre en livre. Lui aussi ne dit pas un mot de trop : tout était dans la vérité, dans la sincérité de l’accent. Ensuite, vous vous êtes levé, et vos premiers mots furent pour dire, en vrai enfant du pays, que, si ému que vous le fussiez, il serait peu décent de laisser voir à quel point vous l’étiez... Oui : « ne pas laisser voir », c’était bien le mot d’ordre de la journée.
Point de papier à la main, cela va sans dire : la règle doit vous y contraindre pour que, au lieu d’improviser, vous vous résigniez à lire — à lire très bien — comme vous l’avez prouvé tout à l’heure, en rendant à la mémoire de votre éminent prédécesseur, le très regretté baron Seillière, un hommage de la plus éloquente perspicacité. Vous avez « traité le sujet » à la fois dans son étendue et dans sa profondeur, et si magistralement que je ne commettrai pas l’inconvenance de m’y risquer à mon tour, après vous...
Vos dons d’improvisateur sont réputés non seulement en France, mais hors de France, où, paraît-il, il arrive qu’on vous écoute comme on écoute de la musique, sans chercher à comprendre, pour la seule délectation de l’ouïe...
Ce dimanche-là, porté, emporté, transporté par le lieu et par la circonstance, assez vite et despotiquement, l’Inspiration — nous y comptions bien — s’empara de vous, obligeant, par contagion, l’auditoire tout entier à transgresser la consigne. Ah ! il ne s’agissait plus pour personne de cacher son jeu !... Des mouchoirs sortirent des poches ; on entendit quelques reniflements mal retenus ; et si, lorsque vous cessâtes de parler, vous étiez parvenu de justesse à rester sur le bord des larmes, celles de M. le Maire et de ses administrés leur coulaient sur les joues. Mais, n’est-ce pas, c’est Stendhal, ce sceptique, ce hâbleur qui l’a, exquisément, dit : « les larmes sont l’extrême sourire... » — Second souvenir, pour vous, Monsieur, à jamais inoubliable : cet unanime sourire mouillé.
Puis-je vous avouer tout haut, aujourd’hui, ce que je me disais tout bas, en descendant derrière vous les degrés de votre Hôtel de Ville ? Je me disais la petite phrase que votre admirable grand-mère vous répétait, lorsque vous aviez dix ans, dans cette maison qui n’est plus aux vôtres, 11, rue de l’Horloge : « Ça te dessèche de tant parler, mon garçon, c’est pour cela que tu es si maigre !... » Depuis lors, presque un demi-siècle a passé, et vous n’avez ni beaucoup ni longtemps — Dieu merci ! — cessé de parler ; aussi n’êtes-vous pas, Monsieur, le moins du monde menacé d’embonpoint.
Cette grand-mère, je voudrais vous parler un peu d’elle. Il me semble que je le dois, en cette heure et en ce lieu.
Dès que vous eûtes quatre ans, vos parents, qui habitaient Alès, vous expédiaient au Vigan pour la Noël, pour Pâques et, l’été, pour trois ou quatre mois. Vous y avez vécu le plus beau temps de votre enfance ; et ce temps-là devait avoir sur votre vie entière une influence déterminante. Tout enfant, votre aïeule vous a traité comme un grand garçon. Si elle était ici aujourd’hui — cela, vous nous l’avez confié au Vigan, à l’Hôtel de Ville — si elle était ici aujourd’hui, elle vous dirait : « Tu sais, André, c’est très bien d’être de l’Académie Française, mais, pour les hommes qui sont vraiment des hommes, il y a d’autres choses qui comptent... » Elle ne mesurait pas les êtres aux mesures de la réussite et du succès. Elle vous a toujours laissé une liberté totale.
Le petit garçon que vous étiez alors la donna impulsivement au désir, au besoin de rêver ; et ces premiers rêves naquirent des lectures de la Bible, que cette grande femme toujours vêtue de noir, de très bonne et très pure souche huguenote, faisait à haute voix, devant vous, pour vous, quotidiennement. Le Dieu de l’Ecriture a régné sur votre enfance : « C’est sous son regard — vous l’avez dit — que j’ai découvert le monde... Tout l’Ancien Testament me semblait consacré à la gloire des Cévennes, au milieu desquelles je vivais. »
Nous en voici donc venus, — et l’instant est capital dans votre vie, — aux commencements de cette Histoire d’Amour, de votre Histoire d’Amour ; de cet amour qui vous a indissolublement attaché, corps et âme, comme à un être humain, à cette Montagne qui vous doit, Monsieur, — n’ayons pas peur des mots — l’immortalité du livre.
Ce sont les peintres et les écrivains, c’est l’art et c’est la poésie qui ont révélé aux hommes les beautés de la terre. Nicolas Poussin et Chateaubriand ont donné l’existence à la Campagne Romaine ; le Lac Léman ne serait pas ce qu’il est sans Jean-Jacques, ni le Valois sans Gérard de Nerval, ni la Victoire Aixoise sans Cézanne, ni certaine petite ville hollandaise sans Vermeer de Delft ; ni, sans vous, Monsieur, le Mont Aigoual, ignoré jusque-là, sinon des herboristes et des pâtres. Vous l’avez d’ailleurs fièrement et légitimement proclamé : « Je suis seigneur de l’Aigoual par la grâce de la Poésie. »
« Quand une Montagne est habitée par les dieux — je vous cite encore — les dieux peuvent changer, c’est toujours un Dieu qui l’habite... » Entre vous et la Déesse Cévenne, l’alliance se fit lentement, progressivement, au fur et à mesure que vous grandissiez. Si vous avez été de très bonne heure fort bien doué pour parler, vous avez été également — ce qui ne va pas fatalement ensemble fort bien doué pour écouter, tantôt le français biblique que parlait votre aïeule, tantôt le dialecte qu’employait un vieil homme qui s’appelait Finiels. Il tient une place majeure dans votre œuvre et dans votre existence : c’est lui, dans le petit jardin de la rue de l’Horloge dont, alors, vous n’étiez guère sorti, qui, de récit en récit, vous a, comme d’étape en étape, idéalement conduit jusqu’aux crêtes de votre Montagne ; lui, lorsque vous eûtes « les mollets plus drus et le souffle plus large », qui vous y fit faire vos premiers pas.
Puis, un beau jour vint, où, n’y tenant plus — vous alliez avoir sept ans — vous vous sauvâtes clandestinement, « comme un enragé », en compagnie d’un autre enfant de votre âge, qui partageait votre « folie ».
... Vous vous étiez enfuis avant l’aube, sans jeter un coup d’œil derrière vous, « comme deux petites bêtes sauvages, poussées par l’instinct de migration » ; et vous avez grimpé, grimpé toujours, jusqu’à l’épuisement de vos forces, — jusqu’aux cimes !...
Là-haut : « C’est la vraie montagne ! — vous êtes-vous écrié. — Elle est à moi ! Le désert n’est à personne ! Je veux qu’il soit mien ! Il le sera ! »
Mais le soleil basculait derrière les rameaux de sapins ; il fallut rentrer :
« Marchant, courant, sautant les rochers, dévalant les pentes, nous sommes redescendus dans le fond de la vallée. Elle montait vers nous, de plus en plus sombre, comme si la nuit, au lieu de tomber du ciel, avait émergé des profondeurs de la terre. Un désespoir inconnu montait aussi de ma poitrine à ma gorge et de ma gorge à mes yeux. C’était comme une autre nuit qui engloutissait cette joie dans laquelle j’avais vécu tant que j’avais été sur la crête de la Montagne. Maintenant, tout était noir devant moi, mais, en me retournant, je vis, dans l’entonnoir renversé des hautes pentes, une dernière lueur qui ne voulait pas mourir. Une éternelle clarté régnait sur ces hauts lieux solitaires, et, quand le soleil avait disparu, elle se ravivait au scintillement des étoiles... »
Avouons-le, mes chers Confrères, l’écrivain qui a écrit cette page — que j’ai barbarement mutilée en l’abrégeant — est, pour notre Compagnie, une bonne recrue.
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* *
Quelques années plus tard, vos parents, Monsieur, quittent Alès pour le Vigan. Vous y voici avec eux. On vous met à l’école communale — « l’école-de-tout-le-monde » — et l’élève du lycée Jean-Baptiste Dumas y est obstinément dernier. L’instituteur ne le cache pas à votre mère : « Pour la rédaction, on pourrait risquer de le présenter au brevet ; mais, pour l’orthographe, Madame, à peine un peu plus fort qu’à la Maternelle !... » Bah ! qu’est-ce que cela vous fait ? N’êtes-vous point désormais, du 1er janvier à la Saint-Sylvestre, tout près, tout contre votre chère Montagne, dans ses bras, sur son sein ? Plus amoureux d’elle que jamais ! Que dis-je ? Amoureux d’elle pour jamais !
Bientôt, ses beautés naturelles ne vous suffisent plus ; vous exigez d’elle son histoire. Vous apprenez par cœur un passage du De Bello Gallico — et, cependant, dans ce temps-là, vous étiez fort rebelle au latin — pour repérer, là-haut, la trace de César et de ses légions. Vous débusquez aussi les Ombres de vos ancêtres camisards dans les altières retraites où ils chantaient des psaumes sous les étoiles, « là où l’Aigoual se soulève comme l’épaule de Dieu ». L’idée de leur héroïsme remplit d’orgueil l’enfant qui se sait de leur race ; et, pour se le prouver à lui-même, cet enfant se jette — au cri de : « Nous sommes des camisards !... » — avec les garnements de l’école laïque sur d’autres garnements, ceux de l’école des frères. Tantôt vous les rossiez ; tantôt ils vous rossaient. Dans l’une de ces batailles rangées, le sang coula si fort que votre mère, plus indignée encore qu’épouvantée, vous renvoya, d’une heure à l’autre, à Alès, au lycée, en cinquième.
Vous y poursuivîtes vos études jusqu’à la fin de la seconde ; puis, au lycée de Montpellier-la-Docte, vous fûtes rhétoricien et philosophe. Ce temps-là, vous l’avez donné, de votre propre aveu, à la natation, à la boxe, à la marche à pied, mais aussi, mais avant tout, à la Poésie. Et c’est par la Poésie que votre vocation d’écrivain vous fut imposée. Tout au long de vos années d’écolier, vous vous êtes juré d’être un jour le grand poète de votre pays : Lamartine, Hugo, Vigny : rien de moins ! Si, alors, on vous avait prédit que ce serait en tant que prosateur que vous vous distingueriez dans les lettres françaises, vous auriez ri au nez de l’impertinent... Et comment eussiez-vous pu douter un seul instant de votre haut destin orphique, puisque, au lycée d’Alès, c’est en vers que vous rédigiez vos dissertations, avec l’agrément d’un professeur qui vous invitait à les déclamer devant vos camarades, passablement ébahis ; puisque, à Montpellier, rhétoricien, ayant publié un poème dans une petite revue d’étudiants, vous eûtes la stimulante surprise de le voir reproduit dans le « Mercure de France », sans avoir rien fait pour cela.
Ce fut donc « pour l’Amour du Laurier » que, les bachots franchis, et reconnu bon, au conseil de révision, pour le service armé, vous montâtes à Paris.
Vous pensiez être sur le front au début de 1919 ; et, conscrit, vous eussiez été, par devoir, le même guerrier exemplaire que vous deviez être, officier de réserve, vingt ans après. Mais, chèrement payée, — quinze cent mille morts (vous êtes de ceux qui ne l’ont jamais oublié) — la Victoire survint, vous laissant libre, non de vous vouer, en versificateur, à la conquête de la capitale, mais à préparer méthodiquement l’École des Chartes, car, jamais, votre vie durant, l’idée ne vous a effleuré de faire de votre vocation une profession : « Vivre pour écrire », oui ; mais non « écrire pour vivre » Vous avez toujours été un partisan convaincu du « second métier ».
Cependant, l’École des Chartes devait vous donner, Monsieur, bien autre chose que la seule possibilité d’acquérir ce « second métier ».
Vous étiez sans le sou, et vous avez fièrement tiré le diable par la queue. « Pion », pendant le jour, dans une boîte-à-bachot de luxe, vous vous y fîtes très vite respecter, au cours d’un combat de boxe, des imprudents garçons qui avaient défié en votre personne — ils l’ignoraient — le ci-devant champion des juniors du « Boxing-club Alésien ». Le soir venu, vous retrouviez dans quelque taverne du Quartier Latin d’autres jeunes provinciaux, frais émoulus de leur Bretagne, de leur Bourgogne ou de leur Normandie, comme vous l’étiez de votre Languedoc ; tous patiemment certains de leur bel avenir — « la patience est l’art d’espérer[1] » ; — tous, quand même, plus ou moins perplexes, en ces graves et émouvantes soirées, pareilles à des veillées d’armes. Quelles armes ? Celles que, sans le soupçonner, vous aviez emportées avec vous, de chez vous, et que vous deviez, demain, retrouver tout au fond de vous-même, comme en un arsenal secret, par l’imprévisible truchement de ces Chartes, où, bien sûr, vous aviez été reçu du premier coup.
Vous y étiez attendu par le bataillon de poètes qui, depuis le Moyen Age, sous les linceuls veloutés des archives, feignaient de dormir. Ces troubadours vous guettaient, Monsieur, en confrères, en compatriotes. Vous nous avez parlé d’eux, tout à l’heure, payant ainsi une dette de reconnaissance. N’est-ce pas à ces amis perdus et retrouvés que, dans Paris, votre solitude, à point nommé, cessa ? Votre pays vous était rendu. Aussi, lorsque vous élites à élire un sujet de thèse, vous vîtes sans surprise surgir des profondeurs du passé, comme des profondeurs d’un miroir magique, le plus vieil évêché de France : l’évêché d’Arisitum, disparu depuis Mérovée, et qui — vous croyez bien l’avoir prouvé — s’élevait exactement là où s’élève aujourd’hui, au pied de l’Aigoual, le Vigan.
Ce travail d’érudition locale, vous l’avez entrepris sous la direction de Camille Jullian, lequel, cela va sans dire, était Cévenol, et vous reconnut pour tel, dès votre première visite, à votre accent. Ce très éminent historien-poète vous a précédé à l’Académie ; n’en doutez point : son ombre tutélaire vous y accueille aujourd’hui.
... Mais, à cette chaîne de chances manquait un dernier anneau : un anneau nuptial. Un jour que, élève de dernière année, vous franchissiez, pour en sortir, le seuil de la vénérable institution, une toute jeune fille, gracieusement belle, admise de la veille, y pénétrait. Vous vous croisâtes, comme, « aux lisières des saintes demeures[2] ». Dante et Béatrice s’étaient croisés. Or, cette jeune chartiste était à ce point votre « payse » que, elle aussi, Nîmes l’avait vu grandir... Trois ans après, le Nîmois épousait la Nîmoise ; — l’année même, je crois, où vous avez publié, Monsieur, votre premier ouvrage : Roux le Bandit.
... Irons-nous jusqu’à prétendre que, sans toutes ces attentions à votre égard, de votre École, vous eussiez débuté dans les lettres par quelque vaine plaquette de vers, et non par ce petit livre sursaturé des vivaces parfums de la Cévenne ? — Pourquoi pas ?
Peu de débuts aussi favorisés, dans le naturel et la facilité, que le vôtre ; aussi joli, aussi séduisant, à se le représenter, que, sous l’azur du ciel, le premier sourire du Printemps.
Vous étiez encore aux Chartes lorsque vous commençâtes d’écrire, comme s’il vous était dicté, Roux le Bandit. Vous n’aviez qu’à écouter, la plume aux doigts, des voix qui parlaient si bas que vous seul les pouviez percevoir. Un jour vint qu’elles vous appelèrent. Vous êtes parti... C’était l’été, pendant les vacances ; et, là-bas, en une semaine, vous avez achevé le livre, dans la petite cité d’où — vous aimez à le dire — toute votre œuvre pourrait être datée.
Les légers feuillets en poche, vous rentrez à Paris — où vous continuez à ne connaître âme qui vive — et, un beau matin, de votre pas assuré et mesuré de montagnard, vous gagnez la librairie Bernard Grasset. Vous demandez à voir le directeur. Il n’est pas là, ou ne reçoit pas. Et alors, avec, l’ineffable ingénuité de la foi, vous abandonnez, sur une planchette, votre premier-né devant un guichet, une sorte de « tour », où, happé par une main anonyme, il disparaît.
Moins de quinze jours après, vous étiez avisé que M. Grasset, ayant pris connaissance de l’ouvrage, l’avait transmis à M. Daniel Halévy, lequel, en ayant, lui aussi, pris connaissance, le publierait, sans délai, dans les fameux Cahiers Verts, qu’il dirigeait.
Ce qui advint.
Le succès fut immédiat. Un succès de toute première qualité ; véritablement et uniquement dû à la valeur de l’œuvre. J’ai eu sous les yeux un cahier certainement plus épais que ce Cahier Vert où, collés sur deux colonnes, les innombrables articles et chroniques que la critique d’alors consacra à Roux le Bandit sont rassemblés. C’est un concert de louanges quasiment unanimes. Tout le long du chœur, par citations ou allusions, revient flatteusement en refrain le vers fameux où il est question de « coups d’essais » qui sont des « coups de maître ». Vous fûtes, cette année-là, Monsieur, le jeune Rodrigue de l’édition française.
On parle de vous pour le prix Goncourt ; un homme politique, alors ministre, engoué de votre Bandit, vous offre l’accès de son cabinet, et c’est en familier que vous fréquentez ce salon de la Cité où, comme cent ans plus tôt, Charles Nodier accueillait, à l’Arsenal, les jeunes poètes romantiques, Daniel Halévy accueillait les jeunes écrivains de l’entre-deux guerres... Certains sont morts, héroïquement ou dramatiquement ; certains vous ont précédé quai Conti ; d’autres, s’ils le daignent, viendront vous y rejoindre, demain.
Dorénavant, vous voici, à Paris, aussi bien en selle que vous l’êtes en Camargue. Mais la capitale ne vous prendra pas au pays natal ; et ce sera lui, toujours, — non : presque toujours — que vos livres célébreront. À Roux le Bandit succèdent Les Hommes de la Route, L’Homme contre l’Histoire, Le Crime des Justes, Histoires de Tabasse, L’Aigoual — petit recueil auquel je porte une prédilection particulière, puisque c’est moi qui vous l’ai, si j’ose dire, « commandé » pour une collection que je dirigeais, et qu’il date ainsi les commencements d’une amitié ; — puis encore : Héritages, L’Auberge de l’Abîme, Les Quatre Eléments, etc.
Au total, en dix ans, une quinzaine de volumes, toutefois peu volumineux, puisque pas un seul n’atteint ou n’excède deux cents pages... En cette période de votre vie littéraire, vous n’êtes point l’homme des ouvrages de longue haleine. Ceux qui, sous le titre, portent la mention « roman », sont, à vrai dire, des nouvelles, ou, plus exactement, des contes, des récits. Ils durent le temps que, les soirs d’hiver, durent, dans quelque ferme de votre montagne, les heures d’une veillée. C’est ainsi que votre vieil ami Finiels vous conta l’histoire de Roux le Bandit, réfractaire par scrupule de conscience. Et Les Hommes de la Route, Le Crime des Justes, qui suivirent, eussent pu vous être contés — et contés par vous — dans le même style.
Ces trois récits constituent, — l’un de vos parrains l’a dit, —une sorte de « Saga Cévenole » ; et, un jour ou l’autre — je le gagerais — on les réunira en un seul tome. Ils s’y juxtaposeront sans artifices, comme se juxtaposent le panneau central et les deux volets de ces triptyques que les maîtres d’autrefois agençaient avec un infaillible instinct de la composition d’ensemble.
Vous excellez, Monsieur, dans l’art de la composition. Les différents éléments qui entrent dans l’élaboration de chacun de vos livres consonnent comme consonnent les divers instruments d’un orchestre ; non point un grand orchestre « riche de cuivres », mais un orchestre de « musique de chambre ». Ce qui, dans vos récits, appartient à l’invention, ce qui appartient à l’observation et ce qui appartient à l’exécution pourrait être comparé, il me semble, à ce qui, dans un « trio de cordes », appartient respectivement au violon, au violoncelle et à l’alto. Chacun de ces instruments touche par sa voix, son timbre, sa sonorité propres ; mais quelle confusion, quel chaos, s’ils ne se soumettaient pas à la ligne mélodique qui leur est rigoureusement imposée par le génie du compositeur ! — C’est vous qui l’avez dit : « Je n’ai rien fait qui n’ait été d’abord, dans mon esprit, comme un thème musical, une modulation mélodique. » Vous avez dit aussi : « Je n’ai jamais rien fait dont je n’ai d’abord dessiné les éléments comme des façades, des frontons ou des colonnades... » Or, Musique et Architecture s’associent impérativement pour régir la création d’un poème. Ne peut-on en conclure que vos « récits » sont d’un prosateur qui n’a point cessé de rester le poète qu’il a toujours rêvé d’être ? Je vous cite encore : « L’art du récit s’impose en premier lieu à celui qui vient à la prose par la voie étroite de la Poésie, car le récit est quelque chose comme un poème que son créateur n’a pas laissé se réduire à son chant... »
Ces pièces de petite étendue, ouvragées comme des orfèvreries, exigent une fusion parfaite du fond et de la forme, de ce qui touche les sens et de ce qui s’adresse à l’esprit. Ils impliquent aussi la présence réelle de l’écrivain. Le bon romancier, le romancier-né s’efface devant ses personnages ; il dépend d’eux, et non eux de lui. Il veut qu’on l’oublie. Son ambition est de disparaître. Au contraire le faiseur-de-récits reste en scène. Il est là, comme dans ces tableaux dont je parlais à l’instant, où le peintre s’est représenté lui-même, parfois mêlé aux dramatis personae, parfois au premier plan, en qualité de donateur. Si le conteur ne se mêle pas à l’action, il la conduit, et ne s’en cache point ; si on ne le voit pas, on l’entend, et il le souhaite. C’est là une loi spécifique du « genre » ; et l’on dirait que, consciemment ou non, nos écrivains s’y sont, de siècle en siècle, plus ou moins soumis : de La Princesse de Clèves aux Amours de Psyché, de Candide à Jacques le Fataliste, de Manon à Adolphe, du Cachet rouge à La Femme abandonnée, de La Double Méprise à Sylvie, de Fantôme d’Orient à Monsieur d’Amercœur, de La Maîtresse Servante à Le Reste est Silence, de La Nuit de Châteauroux à Eurydice deux fois perdue... Il serait facile — et alléchant —d’allonger ce florilège ; non seulement avec des œuvres d’autres auteurs de jadis et de naguère, mais avec, aussi, des œuvres d’auteurs vivants. Toutefois, il ne s’agit ici, aujourd’hui, Monsieur, que de vous, qui êtes, sans conteste, passé maître en l’art de conter des histoires. L’embarras serait — cela regarde la postérité — de choisir parmi les récits que l’on doit à votre plume. Aucun n’autorise à séparer l’ouvrage de l’ouvrier.
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Il faudrait vous dire à présent tout le bien que je pense de ces ouvrages, et l’admiration que m’inspirent les multiples aspects de votre talent. Perspective qui déconcerte, qui intimide. Depuis mon plus jeune âge on m’a enseigné qu’il était impoli, voire grossier, de faire à brûle-pourpoint des compliments aux gens. Ce n’est pas là, on m’en a persuadé, l’indice d’une bonne éducation... Ah ! comme je l’envie, de la place où je suis, le confrère en puissance qui, dans très longtemps, de la place où vous êtes, aura, Monsieur, l’avantage de prononcer en toute licence votre Éloge ! Il ne devra point, par savoir-vivre, se retenir, se modérer : vous ne serez pas là !... Si j’étais lui, je dirais... Non : je ne dirai rien. J’écarte la tentation d’un subterfuge à maints égards intempestif ; et c’est encore Stendhal-l’Indispensable qui va me tirer de là : « les sentiments vrais ont leur pudeur », a-t-il écrit. Or, sans offenser le moins du monde cette pudeur, je puis fort bien, parlant à votre personne, et sans restrictions mentales, vanter vos dons innés ; les dons que vous avez reçus au berceau. Vous n’en êtes que le docile dépositaire, l’irresponsable héritier. Sans eux, tout ce que vous avez acquis personnellement, par l’étude, l’application, la persévérance, la réflexion, l’expérience, par l’art du choix ; en un mot : par l’exercice de votre intelligence, tout cela ne compterait guère ! Certes, le terrain était bon, et propice à l’heureuse germination des graines dont la Providence l’avait ensemencé. Mais par quels bons vents ces graines avaient-elles été apportées ?
Votre héritage est double. L’un vous vient de famille ; patrimoine spirituel, austèrement transmis de génération en génération ; inaliénable legs moral des aïeux. Il a sa source au-delà de l’Histoire, dans les entrailles de ces « montagnes sauvages » ; et c’est la source même de votre sang. L’autre héritage vous vient de Rome, laquelle, dans les villes impériales où vous êtes né et où vous êtes devenu un homme, perpétue son occupation civilisatrice par d’antiques (et authentiques) monuments dont l’architecture défie sereinement le Temps.
À cet héritage-là, vos livres doivent la chair et l’âme ; à cet héritage-ci, l’épiderme, l’écorce. C’est-à-dire à la fois le dedans et le dehors, le corps et le vêtement, l’éthique et l’esthétique... Vais-je me risquer à vous le dire ? À vous le dire en face ? — Vous êtes l’un de ces « Favoris de l’Éternel » dont Delacroix parle dans son Journal — : Vous êtes venu au monde avec toutes vos armes, un peu, oui, un peu comme Minerve, la déesse-vierge, qui, selon la Fable, jaillit du cerveau de Jupiter casquée, cuirassée, la lance au poing, prête à vaincre, prête à régner.
Ce n’est pas inopinément que vous avez appris à lire dans la Bible (une Bible du XVIe siècle) ; que les versets des Psaumes furent les couplets de vos chansons de nourrice et les cris inspirés des Prophètes les premiers appels dont vous deviez percevoir les échos. Et ce n’est pas non plus inopinément que vous avez grandi sous la patricienne protection des temples, des arènes et des portiques dont la Provincia Romana est, sur les deux rives du Rhône, toute parsemée ; ni que vous prîtes vos premières leçons de style dans ces « Jardins de l’Intelligence », à Nîmes, à Montpellier, où l’homme de l’Age classique a apprivoisé la nature, non pour la dompter et l’asservir, mais pour l’embellir et l’ordonner.
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En vous appelant à elle, l’Académie ne s’est souciée que de ceux de vos livres écrits en français ; en prose française. Néanmoins, je me reprocherais de passer sous silence ce que votre œuvre doit au bilinguise que votre pays a fait de vous.
Comme vous l’êtes de deux héritages, vous êtes en possession de deux « langues maternelles » : celle qui vous a été enseignée, comme à nous tous, à la maison et à l’école ; et celle que vous n’avez pas eu à apprendre, ou, plutôt, que vous avez apprise sans maître et sans grammaire, à votre insu, « partout et nulle part ; par le simple jeu de la vie ».
Toutes deux importées en Gaule par Rome, l’une est désormais le parler national ; l’autre, au cours des âges, s’est émiettée en d’innombrables idiomes locaux. Elle ne fut d’abord pour vous qu’un patois. Vous le parliez « comme un charretier qui aurait vagabondé sur les voies romaines pendant des siècles, en suivant les métamorphoses du latin », quand, vers votre seizième année, non par miracle, mais par prédestination, un livre — Miréio (Mireille) — s’ouvrit sous vos yeux. Dans sa radieuse Jouvence, une langue littéraire vous apparaissait ; une langue vivante, toute irriguée, toute nourrie, comme l’autre, sa sœur, de sang latin ; et, comme sa sœur aussi, en pleine santé, épurée, formée, avec ses règles, sa syntaxe, son vocabulaire, ses lois... Il va sans dire que pas un instant vous ne fûtes tenté, pour vous exprimer en prose, d’abandonner notre langue française ; mais en revanche, comment, pour vous exprimer en vers, eussiez-vous pu ne pas adopter d’enthousiasme cette « seconde langue maternelle » ? Ainsi revirginisée, elle confirmait, elle exauçait vos plus profondes, vos plus exigeantes aspirations. Vous l’attendiez confusément, mais en toute confiance, pour oser d’être, enfin, un poète lyrique.
On s’est demandé — et, du côté de Toulouse, pour vous le reprocher — pourquoi le languedocien que vous êtes avait adopté, pour composer ses vers, la langue des félibres de préférence à celle que l’on parle et écrit de votre côté du Rhône. C’est que le génie d’une langue ne révèle ses possibilités d’aimantation, ses pouvoirs d’inspiration qu’une fois qu’elle a été « défendue et illustrée » par de grandes œuvres. La prééminence du provençal s’est imposée à vous par les qualités et les beautés de sa littérature. Mistral, avec son immortel butin de chefs-d’œuvre, n’est pas juché tout seul sur un Parnasse désert ; sinon tout au sommet, du moins à belle hauteur de pente, il a près de lui deux poètes qui, avec lui, constituent une glorieuse trinité. L’un est Théodore Aubanel, l’irrésistible élégiaque de la Grenade entr’ouverte ; l’autre, Joseph d’Arbaud, dont les trois ouvrages « scintillent d’étoiles, de sels, d’eaux et de verdures[3] », poète-gardian comme vous, et en qui nous pleurons un ami et un maître. Certes, jamais Arbaud et Aubanel n’auront l’audience mondiale de Mistral ; toutefois, nous sommes nombreux, au-delà des frontières de la Provence, à ne pas savoir ni vouloir nous passer d’eux.
La noble ambition d’être admis en disciple dans ce Parnasse rhodanien vous a inspiré, jusqu’à présent, deux recueils : La Nuit était sa Compagne (Li Nivo éron si Coumpagno) et Le Rameau du Pin noir (Lou Ramos de Pin negre). Ils vous ont valu, l’année où vous cueilliez ici l’olivier académique, de récolter là-bas le laurier d’Arlésie. Lues à haute voix, vos poésies romanes procurent à l’oreille une rare délectation. Avec ses somptueuses diphtongues, ses voyelles virilement sonores, avec ses zézayements enfantins, délicats jusqu’à la fragilité, la langue provençale est un incomparable instrument de poésie. Une langue savante, musicalement savante. Selon l’heureuse expression d’un des premiers grands amis des félibres, Stéphane Mallarmé, elle a su
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu.
« ... Faire de Mistral un paysan est une absurdité. C’était un érudit et de très large envergure. Son Trésor du Félibrige, par certains côtés, vaut et passe même le Dictionnaire de Littré... Pour la langue provençale, Mistral a fait ce que la Pléiade, ce félibrige français de la grande Renaissance, a fait pour notre langue nationale ; ce que Turold a fait pour cette même langue, au temps de son enfance... »
Je vous ai, Monsieur, promis la présence, aujourd’hui, de votre maître. Il est là : c’est par Camille Jullian que ces paroles furent dites, en cette enceinte, le jour où, nouvel élu, et occupant votre place, il prononça l’éloge... de Mistral ? Non : l’éloge de Jean Aicard, un provençal qui n’a jamais versifié qu’en français.
Pourtant, Messieurs, Mistral, s’il y avait consenti, eût été des nôtres. À trois reprises, il fut instamment prié d’accepter un fauteuil. Chaque fois, avec la plus courtoise fermeté, Mistral déclina l’invitation. Notre Compagnie n’a donc jamais redouté d’accueillir le grand poète parce qu’il écrivait celle des deux langues françaises qui n’est pas la nôtre... Une dernière fois, elle tint, en une circonstance solennelle, à lui exprimer son admiration et ses regrets. Lorsque Arles, pour honorer les quatre-vingts ans de son illustrissime compatriote, érigea, en sa présence, au cœur de la ville, sa statue, l’Académie fut représentée à ces fêtes, officiellement, par le vicomte Eugène-Melchior de Voguë. Il s’exprima en ces termes :
« Cher grand poète, je viens vous apporter le salut de vos frères de l’autre langue. Cette vieille Académie Française qui m’envoie vers vous avait fait un rêve : vous avoir. Elle sentait que le trésor de la poésie française serait mutilé si votre poésie en était distraite. Vous avez répondu que vous ne vouliez consentir à aucun partage et que vous resteriez l’homme d’une langue et d’une terre, vivant cette noble vie qui continue à couler, comme le Rhône, dans le lit a que la nature même lui a tracé... Vous n’en resterez pas moins, pour tous les membres de l’Académie Française, le grand confrère du Soleil. On m’a dit à Paris : « Allez de notre part embrasser Mistral, car il est des nôtres. Allez baiser la robe de Mireille, de la fille de Provence devenue fille de France, de toute la France. »
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Mais l’heure passe ; et passent aussi les années. Je vous retrouve, Monsieur, au Palais de Versailles, où, en qualité de conservateur adjoint, votre « second métier » vous a logé. Vous y êtes depuis 1933 ; et nous sommes en1939. Le ciel, au-dessus de l’Europe, a le noir de l’encre. Malgré Munich, Hitler est en Pologne, et l’Allemagne est l’alliée de la Russie. Qui en doute ? La guerre, une troisième guerre, est pour demain. Je dis bien : une troisième guerre, car, pour votre génération, pour la mienne, les souvenirs de 70, aussi lointains, pour vos enfants, que le souvenir de Bouvines et de Marignan, sont — par les récits des parents, par ceux des vieux combattants — des souvenirs encore vivants : les uhlans, les casques-à-pointe, Sedan, les mobiles sur la Loire — la première invasion — s’allient dans votre mémoire aux souvenirs d’adolescent que vous conservez, toujours saignants, de la seconde invasion, de « la Grande Guerre » ; de tous ces morts, vos contemporains, vos amis, de tous ces morts qui sont morts pour que nous vivions... Aussi, d’une part, l’horreur accrue de toute guerre, et, d’autre part, l’amour accru du pays, ont fait de vous à la fois un pacifiste et un patriote. C’est pourquoi, tout en militant passionnément pour la paix universelle, vous avez, par devoir, après votre service militaire, suivi des cours d’officiers, vécu un an à Saint-Cyr ; et c’est pourquoi, en octobre 1939, un jeune capitaine de la réserve quitte Versailles et rejoint l’armée d’Alsace.
Trois jours plus tard, ce jeune capitaine se tient debout, au garde-à-vous, devant le plus jeune général de l’armée française : « — Vous êtes écrivain dans le civil et savez voir les choses, vous dit le général de Lattre de Tassigny. J’ai besoin d’un officier qui puisse voir ce que je ne puis point voir. Je vous garde. Vous me direz tout ce qui me permettra d’aider les autres... »
... Cette troisième guerre, cette impardonnable troisième guerre, si vous ne l’aviez point faite près, tout près d’un pareil chef, eût-elle, pour vous, Monsieur, été ce qu’elle a été ? Toutes les fois que je vous ai écouté ou regardé parler de Mistral ou de de Lattre, j’ai entendu ou vu passer dans votre voix ou dans vos yeux quelque chose d’indicible, et qui doit rester indicible. Le Poète et le Guerrier — ces deux grands hommes — furent vos maîtres de vie. On parle parfois de vous comme d’un révolutionnaire. Drôles de maîtres que ces deux-là, et pour un drôle de révolutionnaire, qui ne le fut jamais pour détruire, mais toujours pour tenter de sauver ce qui méritait d’être sauvé.
... En 1940, en des jours maudits, le chef et son officier se quittent ; et celui-là dit à celui-ci : « Quand la bataille recommencera, retrouvez-moi ; vous aurez toujours un commandement sous mes ordres... » Vous vous y engagez par un serment solennel et quittez l’uniforme.
Redevenu conservateur des musées nationaux, on vous envoie en Dordogne, dans un château. Pour y vivre en quelle compagnie ? Celle des chefs-d’œuvre évacués du Louvre : le Concert champêtre et l’Embarquement pour Cythère, les Pèlerins d’Emmaüs, la Vierge aux Rochers. Leur garde vous est confiée. Vous tremblez pour eux, non pour vous : tomber aux pieds de la Vierge aux Rochers, frappé par l’éclat d’une bombe, ce n’est pas une vilaine mort.
Dans ce refuge ensorcelé, l’écrivain reprend sa plume... Le Puits des Miracles est un livre qui ne ressemble à rien de ce que vous aviez fait jusque-là, à rien de ce que vous ferez ensuite. C’est un livre férocement caricatural ; un cri et un sanglot. On l’a rapproché tantôt des tableaux que Breughel peignait en Flandre, pendant l’occupation espagnole, tantôt des eaux-fortes que Goya gravait en Espagne, pendant l’occupation française.
Bientôt, autorisé, encouragé par Jacques Jaujard, votre directeur, vous « prenez le maquis ». — « Maquisard », « Camisard »... les deux mots sont deux belles rimes ; des rimes avec consonnes d’appui ; des rimes pour éblouir le versificateur de jadis, au lycée d’Alès.
« Maquisard », Monsieur, vous l’étiez bien avant de naître ; immémorialement... Comme l’avaient été vos ancêtres, qui, cachés au cœur de l’Aigoual, fondaient sur l’ennemi, « pareils à l’aigle qui sort du nuage » ; comme ce « tutoyeur de Dieu » qui, pour ne pas se renier, alla, des chaînes aux chevilles, ramer sur les galères jusqu’à la mort. Vous, dans d’autres montagnes que les vôtres, bravant un sort analogue, recrutiez en secret, pour les apporter demain à votre général, des soldats. Ce « demain » vint enfin ! Le 23 août 1944, de Lattre de Tassigny débarquait. Il s’agissait de le rejoindre sans délai. Il était en Provence, vous en Languedoc, sur le bord du Rhône. « Un Rhône — je vous laisse la parole — pareil à celui des temps préhistoriques. Depuis la mer jusqu’à Lyon, il n’y avait plus un seul pont. La voiture dans laquelle j’étais avec quelques hommes se trouvait stoppée. Impossible de franchir le fleuve. À ce moment-là, par un hasard miraculeux, je vois arriver un bateau de forme inconnue, de toute évidence un bateau de guerre. Il battait pavillon américain. Ce bateau s’approcha de notre rive, accosta ; des matelots avec de petits bérets en l’air nous font signe de monter... Nous montons. Sans nous poser la moindre question, ils bourrent nos poches de lames de rasoir, de chewing-gum et de cigarettes, nous passent de l’autre côté du fleuve et nous disent : Good-bye. » Quelques heures plus tard, en Provence libérée, vous rejoigniez le général.
Après ?... Eh bien, après, ayant fait, le cœur en fête, cadeau de vos fantassins — huit cents hommes — à votre chef, avec lui, avec eux, avec le colonel Malraux, vous avez reconquis l’Alsace et poursuivi l’ennemi jusqu’au fond de l’Autriche.
« À ce moment-là — c’est vous, de nouveau, qui parlez — j’ai senti chez le général la volonté de dominer les oppositions, de mettre les gens les uns avec les autres ; d’apaiser ; de plaider devant chacun la cause des autres ; d’amener les uns et les autres à travailler en commun... À ce moment-là, le général a rendu à ce pays un grand service : il a, comme l’avait fait en d’autres temps Henri IV, rapproché les Français... »
La mort prématurée du maréchal de Lattre de Tassigny est certainement l’un des plus cruels parmi les nombreux mauvais coups dont le sort aveugle a, en de sombres mois, accablé le pays.
Définitivement rendu à la vie civile, vous regagnez Paris, n’ayant pas un jour, pas une heure, pas une minute, désespéré — qui ne vous envierait ? — et, dans l’élite de la résistance, ayant été de ceux qui n’ont du sang français ni sur la conscience, ni sur les mains.
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Que va-t-il advenir de vous ? — Oui : vous continuerez d’écrire des livres ; mais ce ne sera plus momentanément — l’homme de lettres qui occupera le premier plan. Votre « second métier » attendait son tour. Au cœur de la capitale, il vous offrit un second palais. Vous y régnez depuis dix ans. En pleins Champs-Elysées, le Petit-Palais convient particulièrement aux grandes expositions temporaires. Certaines sont restées fameuses ; celle de la « Centennale » en 1900 ; celle de l’Art Italien, en 1935. Les vôtres, Monsieur, sont dignes de leurs aînées.
Chassés de chez eux par les malheurs de la guerre, les Trésors de Vienne, les Trésors de Berlin vagabondaient à travers le monde. Vous les avez accueillis et avez inventé pour eux des « présentations fastueuses, originales, singulières. Je ne parle qu’en passant de ces expositions-là, car celle qui les avait précédées, et qui fut un acte de foi, exige qu’on s’y arrête davantage.
Pourtant, elle n’apportait rien de nouveau, n’étant faite que d’œuvres appartenant de longue date au Louvre. Mais ces trois cents tableaux — trois cents tableaux français — rentraient d’exil et nous avions failli ne les revoir jamais. Livré aux maçons, le Louvre ne pouvait les recevoir ; ils vous furent donc confiés, comme dans les mauvais jours. Pourquoi, lorsque nous les revîmes, le cœur empli d’une joie sérieuse, eûmes-nous le sentiment de les découvrir ? Ils n’avaient pourtant point changé : ils nous revenaient intacts. C’est que, plutôt que de les répartir selon leur importance ou leur célébrité — hiérarchiquement — vous les aviez disposés, sans chercher plus loin, les uns à côté des autres — chronologiquement. Dans cette suite ininterrompue de salles, toutes de plain-pied, ces trois cents tableaux semblaient ainsi n’en faire qu’un : le Tableau, du XIIe au XIXe siècle, de la Peinture Française ; le Tableau de la France, — de la France qui avait manqué périr, et qui était sauvée...
Savions-nous, avant que vous ne nous l’eussiez dit — ou, plutôt, avant que vous le lui ayez fait dire — à quel point l’Art Français demeure fidèle à lui-même, en sa continuité et sa durée, en sa beauté et sa vérité ?... À quel point tous ces peintres et tous les modèles de ces peintres composent une seule grande famille, et dans quel fraternel esprit de solidarité le Français qui peint et le Français — la Française — qui pose vivent librement ensemble face à face et cœur à cœur ? On éprouvait, au fur et à mesure que l’on avançait dans votre exposition, l’illusion étrangement émouvante de retrouver, réincarnés de salle en salle, le même peintre et le même modèle, l’un et l’autre doués d’une longévité miraculeuse ; celui-là ne faisant que changer de nom, celui-ci ne faisant que changer de costume. — Oui : une seule et même Française, tour à tour Vierge-Mère devant Fouquet et le Maître de Moulins, princesse du sang devant Clouet et Corneille de Lyon, muse devant Lesueur, religieuse devant Philippe de Champagne, villageoise ou bourgeoise devant Georges de Latour, Le Nain et Chardin. Sous les arbres, à l’heure où le couchant les dore, c’est elle qui rêve près de Watteau ; elle qui fait la conversation avec la Tour ; qui fait la niaise avec Greuze et rit au nez de Fragonard. Ses beaux pieds nus, elle les laisse voir à David et ses très succulentes épaules à M. Ingres. La fausse Italienne de Corot, la vraie glaneuse de Millet, la vraie blanchisseuse de Daumier, c’est elle. Si, à demi nue, elle brandit le drapeau de l’émeute devant Delacroix, elle dort toute nue devant Prud’hon, devant Chassériau, devant Courbet, et lorsque, au bout de « l’exposition », elle se réveille dans la dernière salle, elle ne se soucie guère de passer un jupon pour aller déjeuner sur l’herbe avec Manet.
... Trois cents tableaux français ; tous français, même ceux qui furent peints hors de France. Je songe à l’un d’eux : l’un des plus beaux du monde. Il était là, à sa place chronologique, au milieu du cortège, et, pacifiquement, le présidait. Un normand l’avait peint à Rome, où il se croyait expatrié. On y voit Apollon entre le Poète et sa Muse. Un Apollon italien ? Allons donc ! Bon gré mal gré, Poussin a peint l’Apollon français ; un dieu à hauteur d’homme ; le moins solennel, le moins « noblifieur » de tous les dieux. Il est assis comme quelqu’un qui se repose au cours d’une promenade ; la Muse est debout à sa droite, en parfaite santé, jolie comme une rose de jardin et pas le moins du monde encline à prendre des attitudes pour réciter, sans forcer la voix, des vers qui pourraient être de Racine ou de La Fontaine et qu’un gentil petit poète, aussi peu poseur que possible, s’apprête à écrire sous sa dictée... Soyez-en sûr : cela ne se passe pas au bord du Tibre ; cela se passe au bord de la Seine, quelque part du côté des Andelys ; et ce ciel d’un bleu tempéré, à la fois voilé et transparent, c’est le ciel de chez nous.
... Grâces soient rendues à l’homme du « second métier », qui, le lendemain de la Libération, a ordonné ce défilé, aussi émouvant, dans sa simplicité silencieuse, que le fut, au temps des grandes espérances, sous l’Arc de Triomphe, au lendemain de la Victoire, le défilé à grand spectacle des armées alliées.
Cette fête de famille dura deux ans ; puis les tableaux vous quittèrent pour regagner le Louvre.
On aurait pu supposer que la Peinture Française y serait montrée, comme chez vous, de sa naissance à sa pleine maturité ; d’un bout à l’autre — et au-delà — de sa galerie d’honneur, dite « du Bord de l’Eau ». Le fleuve de peinture y eût déroulé son cours parallèlement au cours de la rivière qui coule à ses pieds. Hélas !... parallèlement au cours de la rivière qui coule à ses pieds ...C’eût été magnifique !... Hélas ! Contrairement à ce qui se passe à l’étranger —où Italie donne la vedette à l’art italien, la Hollande à l’art hollandais, l’Espagne à l’art espagnol — l’art français, « le seul, en Europe, qui, pendant huit cents ans, n’a jamais chômé[4] », éparpillé aux quatre coins de sa gigantesque maison. « — Où donc peut-on voir la peinture française ? » demandait récemment à un gardien du Louvre une visiteuse canadienne. « — Oh ! Madame, lui fut-il placidement répondu, la peinture française, on en a mis un peu partout... »
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Avant d’enfin me taire, je reviendrai, Monsieur, à l’écrivain.
Vos œuvres récentes ne démentent point les anciennes ; toutefois, l’imagination romanesque s’y enhardit, s’y libère, et votre écriture prend de la pulpe, du suc, comme un fruit qui mûrit bien. Ne peut-on pas comparer ce qui, en ces dix dernières années, s’est passé pour vos livres à ce qui, dans les cinquante dernières années de l’autre siècle, s’est passé pour votre Montagne ?... C’était une grande divinité minérale, belle de son intransigeante nudité, jusqu’au jour où un géologue éminent — votre compatriote Georges Fabre —entreprit de la vêtir, de la reboiser. Vous m’avez montré, au bord de la route dont vous avez raconté l’histoire, le petit monument qui a été élevé à la mémoire de celui auquel on doit ces vastes et prospères forêts de mélèzes et de hêtres sous lesquels l’herbe et la mousse verdoient. Pareillement à l’Aigoual, votre style s’est, si j’ose dire, « végétalisé » — végétation ni lourde ni épaisse : le roc est toujours là, sensible sous la chair, qu’il déchire parfois. Aucune obésité à redouter !
Le bon artisan que vous êtes ne travaille plus au burin, creusant le cuivre d’un trait volontaire et acéré, mais au fusain, sur des papiers engageants, où, plus libre, plus cursif, ce trait, s’il a perdu de sa rigueur, n’a rien perdu de son assurance, de son autorité.
Ainsi en est-il pour la Neige et la Fleur, un roman, un vrai roman ; ainsi en est-il pour Adeline Venician, qui est presque un conte de fées ; et, plus encore, pour le Chiffre de nos jours, une œuvre qui est probablement un chef-d’œuvre. Non un roman, comme le prétend mensongèrement la couverture du livre ; mais des « Mémoires » ; des « mémoires » composés, ordonnés, selon le précepte d’Alfred de Vigny, que vous avez fait vôtre : « L’Art est la Vérité choisie... » Rien qui ressemble moins aux « mémoires », aux « journaux » dans le goût du jour, où tout est dit, et plus que tout, jusqu’aux pires turpitudes, et qui exhalent trop souvent une puanteur d’égout.
Il va de soi que le Chiffre de nos jours se passe d’un bout à l’autre dans votre pays. Vous lui restez incurablement fidèle ; au point que, si vous écrivez un roman parisien — la Neige et la Fleur — vous contraignez l’un de vos personnages à aller mourir dans les Cévennes (le récit de cette mort compte d’ailleurs parmi les meilleures pages du livre) ; et c’est aux Cévennes encore que ressemblent à s’y méprendre les montagnes où votre Adeline Venician fait son pauvre rêve de bonheur.
Pas plus que vous ne vous êtes « décévenolisé », vous ne vous êtes « parisianisé ». Cependant, vous aimez Paris et Paris vous aime. Pour le remercier de ses gentillesses, vous lui avez fait le présent le plus précieux : votre unique enfant ; la plus petite — par la taille — des femmes de lettres de sa génération ; le tout récent auteur d’un « récit » délicat et délicieux, trempé d’une rosée de jeunesse, et qui méritait le succès de qualité qu’il a tout de suite obtenu.
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À l’heure qu’il est, nous sommes en droit d’attendre beaucoup de vous ; de l’écrivain et de « l’homme du second métier » ; ils vivent désormais en parfaite intelligence ; et je n’aurai garde d’oublier le « globe-trotter » qui, depuis dix ans, parcourt le vaste monde, où, grâce aux dons d’improvisateur et d’orateur que j’ai déjà vantés, ses succès de conférencier sont comparables aux succès des virtuoses du chant et du clavier ; car ce sont là moins des conférences, à vrai dire, que des « Récitals de Langue Française », laquelle est et sera par vous — hier dans les deux Amériques, demain au Japon — infatigablement illustrée et servie...
Cependant, en ce jour où les portes de notre vénérable Palais Mazarin s’ouvrent devant vous toutes grandes, ce ne sont point des souhaits de bon voyage qu’il sied de vous offrir, mais, de tout cœur, — Monsieur, mon cher Confrère, mon cher ami, — des souhaits de bienvenue.