SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
tenue le jeudi 19 décembre 1957
Rapport sur les concours littéraires
DE
M. GEORGES LECOMTE
Secrétaire perpétuel
On a pu être surpris que, cette année, notre Grand Prix de Littérature n’ait pas été décerné.
Eh quoi ! a-t-on dit, « la France manquerait-elle d’écrivains dignes de ce Prix ? » C’est, au contraire, qu’il y avait trop de noms proposés et que tous arrivaient avec un nombre presque égal de voix et que les tours de scrutin se succédaient sans qu’une majorité pût s’établir ou même se dessiner.
Puisque je parle de ce prix, je veux préciser qu’aucune candidature n’a à se poser ni se pose. C’est l’Académie qui cherche un lauréat et, la plupart du temps, il est couronné à son insu.
En général, elle récompense des travaux importants, soit par une certaine ampleur, soit par l’originalité de la pensée.
Si je n’ai pas à parler du Prix traditionnel de Littérature, j’aurai, en revanche, à signaler tout à l’heure les résultats de deux innovations :
1e Un Grand Prix qui doit aller à un écrivain de nationalité étrangère dont toute l’œuvre est écrite en français, ce qui est un hommage à notre langue, ce qui est une prédilection qui nous honore et aide à soutenir dans le monde le prestige de nos Lettres.
2° La seconde innovation est un Grand Prix de Poésie car, à notre époque si tourmentée, si peu propice au rêve, aux méditations désintéressées, il est bon de glorifier le Chant des poètes, de dire avec Victor Hugo :
Mais il faut bien quelqu’un qui soit pour les étoiles...
C’est vers d’autres lumières célestes que va l’héroïne du livre auquel a été attribué notre grand Prix du Roman.
L’auteur, le comte Jacques de Bourbon-Busset, la conduit vers une contemplation qui illumine la vie intérieure, vers l’éblouissement d’un invisible infini dans le silence et la joie, selon les deux mots qui donnent au livre son titre :
L’histoire est douloureuse.
Françoise a perdu son époux, Henri. Nous avons déjà vu le couple dans un roman précédent : Antoine, mon frère. Henri, qui a le culte de l’Antoine disparu, se laisse tuer à la guerre, n’ayant plus rien à donner de lui à Françoise et ayant peut-être trop reçu d’elle, ce qui le fait renoncer à lui-même.
Elle ne peut supporter cette absence. Elle vit de cette mort. En sorte que son ami d’enfance, André, qui l’aime depuis leur jeune âge, n’arrive pas à la persuader qu’elle a le droit de vivre — de vivre avec lui. Homme de science, il est un raisonneur, envoûté par cet amour.
Dans la correspondance qui s’engage entre eux, il plaide pour la vie, pour un bonheur tout humain. Mais le bonheur, pour elle, n’est plus de la terre.
Avec le temps, le dissentiment des deux natures s’accentue et c’est indiqué avec un art délicat. Chez André croît le dessein de convaincre Françoise. Chez elle c’est un glissement qui la conduira au cloître, au silence et à la joie d’une abdication, d’un complet abandon de soi.
Nous sommes en présence de l’intelligence claire et d’une sensibilité qui, en se servant du langage de l’analyse, s’agite hors des possibilités et des impératifs des lois terrestres.
L’auteur n’a eu besoin que de cent-vingt pages pour proposer au lecteur le choix entre ces deux conceptions de la vie, du bonheur, et cela sans aucun appareil dramatique, sans événements autres que les mouvements des âmes, servis avec une langue d’une élégante gravité, avec un accent de distinction, de mesure et cet équilibre qui est la qualité classique.
Le comte Jacques de Bourbon-Busset a quitté de hautes fonctions de Ministre plénipotentiaire, et de Directeur général des Relations Culturelles, pour appartenir à la littérature. Et l’on comprend qu’il n’ait pas repoussé les appels d’une aussi évidente vocation.
Nos quatre grands Prix d’Académie de la fondation Métais-Larivière ont été donnés à MM. Henri Pourrat, Guy Chastel, Paul Leclère et Fernand Lequenne.
M. Henri Pourrat, qui habite surtout son Puy-de-Dôme, est un grand conteur. En de multiples séries de contes, il fait revivre de vieilles légendes de sa terre d’Auvergne, riches de féerie comme de réalisme et qui ont pour décor la beauté, âpre et rude, du Massif Central, ses bois, ses landes, ses pentes mystérieuses où plane la peur des ombres légères, des mauvais génies, dont frissonnent les montagnards. Ce pays de prodiges et de contradiction engendre dans le caractère de l’Auvergnat des contrastes de passivité et d’activité, d’ardeur au travail et de fatalisme. Tout cela s’est synthétisé dans le roman très lu de NI. Henri Pourrat : Gaspard, des Montagnes, cette épopée rustique.
Dans l’introduction aux Contes de la Bûcheronne, il explique « Les contes, c’est le rêve mi-éveillé du berger qui passe la nuit face aux étoiles, dans la maison à deux roues. C’est un monde à lui, un monde de tous les jours, mais par enchantement devenu merveilleux. »
Si M. Pourrat ressuscite la vie d’autrefois, il n’est pas de ceux qui font du « bon vieux temps » un paradis. Mais il se pose la question de l’avenir du « monde paysan ». Il répond ainsi à ce qu’elle peut avoir d’angoissant : « L’avenir est avec ceux qui ont le sens de la sève et la passion de la vie. Au centre de la France, l’Auvergne demeure le haut pays de la verdeur, le château de la grande espérance. » Optimisme régional, optimisme d’un cœur français auquel nous applaudissons.
La Société des Amis de Joris-Karl Huysmans, gardienne fervente de sa mémoire — dont le président, Me Maurice Garçon, a projeté des traits de lumière sur certains côtés inconnus de cet homme singulier — célèbre le cinquantième anniversaire de sa mort.
À cette occasion M. Guy Chastel a réuni, dans une biographie exhaustive, tout ce qui pouvait justifier le culte voué à l’auteur d’À rebours.
M. Guy Chastel a perdu ses yeux à la guerre de 1914. Ce qui ne l’a pas empêché d’accroître son œuvre de poète et de prosateur. Et l’on s’émerveille qu’il ait pu utiliser tant de documents et dicter un livre sans failles, rigoureux dans sa composition et heureux dans sa forme.
Il nous met en présence de J. K. « à la recherche de son âme », dégoûté de la vie, d’ailleurs adepte du naturalisme. Et puis, c’est l’évolution, dont nous avons le témoignage avec l’histoire de Folentin, des Esseintes, Durtal, car les livres de Huysmans — il l’a dit lui-même — sont des confessions. La fascination du Moyen âge, des arts religieux, l’influence de l’abbé Mugnier, entraînent le réaliste, touché de la grâce, dans un monastère, chez les Trappistes d’Igny. Et l’ascension continue. La phase décisive est annoncée par En Route, et le converti arrive en terre promise, à Ligugé, comme « moine du dehors », c’est-à-dire oblat.
Huysmans, dans la grande austérité, n’ira pas jusqu’à la clôture. L’obéissance l’effraye. L’artiste intervient ici. Avec l’obéissance, dira-t-il, impossible de « faire de l’art ». Il ne supporte pas l’idée d’être tenu en lisière, épluché dans ses phrases et contraint peut-être à changer d’éditeur. Il voulait être librement le réaliste du surnaturel.
L’oblature lui laissait une marge d’occupations profanes. Il était devenu l’hôte du Grenier des Goncourt où les réunions dominicales étaient dites, par les exclus, avec le sourire pincé de la jalousie, « les Vêpres d’Auteuil ». Huysmans fut, d’ailleurs, le premier président de l’Académie Goncourt.
La vie étrange d’Huysmans, où l’art n’abdiqua jamais, a suggéré à M. Guy Chastel un grand chapitre d’examen délié sur « l’écriture à l’eau forte » de l’Oblat.
Cette figure d’écrivain a tout son relief dans ce portrait où la sympathie accuse les moindres modelés, et où Huysmans prend taille de promoteur d’une renaissance du sentiment religieux, d’une véhémente foi spiritualiste.
M. Paul Leclère a déjà une longue carrière poétique. Après Amante des Fontaines, Venise au seuil des eaux, Rose des Vents, son dernier recueil : La Danse des Vivants et des morts mêle l’influence de Mallarmé au souvenir de Malherbe. Il est tourné vers les mystères de la conscience, vers les grandes inconnues que sont le temps et l’espace, sachant tout ce que la présence constante de la mort confère à la vie humaine de grandeur poignante, persuadé que la vie et la mort se confondent dans la totale unité du monde. M. Paul Leclère, poète intérieur et cosmique à la fois, nous émeut par des accents profonds et parfois angoissés. Il écrit dans une langue pure et reste fidèle à la versification régulière ; il sait dans le raccourci d’une stance, enclore la confidence d’une méditation très personnelle.
M. Fernand Lequenne, Président au tribunal de Béziers, mène parallèlement ses devoirs de magistrat et une production littéraire étonnante par sa diversité. Mais il ne faut pas longtemps pour y découvrir un caractère essentiel, celui d’une sympathie humaine, sans cesse éveillée, d’un idéal généreux et d’un amour attendri pour la nature.
Comment ne pas le suivre lorsqu’il nous promène chez son « ami le Jardin » ? comme il l’appelle sur la couverture d’un livre aussi charmant qu’instructif. Et il nous fait connaître dans sa biographie passionnée d’Olivier de Serres, l’effort des hommes de France pour tirer de son sol toutes ses ressources de fécondité. Je ne crois pas que l’on puisse parler avec plus d’émotion communicative des récoltes, des fruits, des plantes sauvages, et en lisant tant de pages, qui sont d’un bel écrivain, qui fait un vibrant appel au souhaitable retour à la terre.
M. Fernand Lequenne aime aussi la philosophie. Son pays d’Oc lui fournissait les décors où placer la lutte religieuse des Cathares dont il reconnaît, en retraçant leur drame, les énergies et la pureté sublime. M. Fernand Lequenne est magistrat et de son expérience est né un roman sur la responsabilité, trop souvent éludée, des pères naturels ; et surtout cette expérience nous vaut un livre pathétique de révélations sur les tourments, les angoisses, les hésitations douloureuses de l’homme dont la fonction redoutable est de punir ou d’absoudre.
De cette psychologie du magistrat exerçant sa profession comme un sacerdoce, nous trouvons des confirmations dans la grande Histoire de la Magistrature de M. Marcel Rousselet, Premier président de la Cour d’Appel de Paris, docteur ès lettres, que couronne notre Prix Gobert.
L’entreprise était considérable. Elle nécessitait de patientes recherches, une rigoureuse méthode, et un esprit critique qui se devait d’échapper aux tentations de l’apologie ou du dénigrement, ou parfois de l’ironie facile.
L’auteur de ces deux volumes de quatre cents pages ne nous offre pas seulement un historique des institutions judiciaires depuis le Chêne de Saint Louis et le Parlement de Philippe le Bel jusqu’à nos jours, il nous instruit de tout ce qui a fait de la magistrature française un grand corps aux caractères distinctifs. Cela impliquait une attentive étude des événements, des réformes, des révolutions, de l’évolution des idées, de certaines clartés acquises, qui ont concouru à transformer, au cours de six ou sept siècles, la fonction, certaines mentalités des juges et l’organisation des tribunaux.
Ainsi cette histoire de la Magistrature est-elle reliée en bien des endroits à l’histoire de la nation elle-même, et ainsi nous aide à mieux discerner certains aspects de notre passé.
Une des originalités de cet ouvrage est de rendre sensible la physionomie propre à la magistrature dans notre société française. Ce n’est pas seulement le rôle historique des compagnies judiciaires qui fait le sujet de cette vaste enquête, mais la vie même des magistrats, leurs habitudes, leurs façons d’être, leurs traditions, ce que chaque époque dicte à leur conscience.
M. Marcel Rousselet, avec la plus méritoire impartialité, a des interventions de moraliste. Il ne cesse, d’ailleurs, de montrer la plus louable hauteur de vue. Il note avec soin que, sans échapper aux satires, pamphlets, comédies, farces et caricatures, le corps judiciaire a gardé l’esprit traditionnel dans ce qu’il avait de ferme, de scrupuleux, du sens du devoir, de respect des lois en cours.
Le Second prix Gobert est attribué à Napoléon et l’Italie de M. André Fugier, professeur à la Faculté des Lettres, spécialiste de la politique méditerranéenne du Premier Empire, depuis sa thèse de Doctorat sur Napoléon et l’Espagne.
Cette fois, son travail considérable, trois cent cinquante pages de texte serré, embrasse tous les événements depuis la prise du commandement de l’Armée d’Italie par Bonaparte jusqu’à la chute du régime impérial. Ce que furent les campagnes, l’action, les vues du Consul, la transformation de l’Italie en royaume, les conflits avec la papauté, les questions d’ordre politique, diplomatique, religieux, social, économique, sans oublier les beaux-arts, tout est exposé dans un souci d’équité et d’information poussé au point que la bibliographie couvre sept pages. Beau livre, remarquable par sa clarté autant que par la fermeté de la facture.
Le Prix Muteau est partagé entre le commandant Henry Lachouque et M. L. A. Boiteux, de l’Académie de Marine.
Comment Richelieu devint grand Maître de la navigation et du commerce de France, comment il exerça cette fonction, quels furent ses grands desseins, ses réalisations, ses déconvenues, ses erreurs, tel est le sujet traité avec une extrême compétence, par M. L.-A. Boiteux. Il nous dote d’un Richelieu peu ou mal connu dans cette tâche jointe à toutes celles qu’il assumait. Il voulut le commandement de l’empire de la mer, et il n’y ménagea ni son temps ni ses soins. Ce grand ministre supportait mal que quelque chose échappât à son pouvoir, voué du reste à la grandeur du roi, à l’accroissement de la puissance française.
Ce livre excellent, qui ne néglige rien de la question, n’a été dicté que par le goût de voir et de dire ce qui fut. Il conclut à des fautes qui ont compromis l’entreprise de rendre prospère la marine marchande : insuffisance de décisions, flottements dans l’administration.
« Regardant trop loin, dit judicieusement M. Boiteux, et trop haut, persuadé qu’on pouvait avec une volonté de fer, des Édits, de bons règlements réformer les usages et corriger les hommes, Richelieu s’est buté aux droits acquis, aux usages, à la mentalité française, et c’est peut-être dans cette méconnaissance des réalités quotidiennes qu’il faut voir la raison profonde de son insuccès. »
Rien ne correspondait mieux aux conditions du Prix Muteau destiné à tout ce qui peut servir nos gloires, que le mémorial incomparable élevé, par le Commandant Henry Lachouque, à la Garde impériale, mémorial présenté par le Général Weygand. « Livre, unique », dit celui-ci, qui accompagne cette phalange d’héroïsme de sa naissance à sa disparition. « L’historien, dans sa ferveur, n’a épargné aucun effort. Il a eu l’art de donner sa place au détail sans l’isoler de l’ensemble. »
L’épopée napoléonienne, on la suit de bataille en bataille fameuse, avec ce volume grand format de mille pages.
Le récit est mené dans une étonnante allure martiale. On croit entendre le cliquetis des armes, les commandements brefs et incisifs, l’éclat des voix mâles dans l’enthousiasme tumultueux des victoires ; puis l’on reçoit l’avertissement des mauvais jours. Et c’est alors le style haletant du désespoir, le souffle court de la détresse. C’est Waterloo, c’est la Garde qui refuse de se rendre. C’est la « vieille Garde jonchant la plaine ».
Corps d’élite façonné par la volonté de Napoléon, sans cesse remanié, saigné, renouvelé, la Garde était composée de rudes soldats, hommes du peuple, modestes, intrépides, fidèles, avant l’esprit militaire au plus haut degré, tous aspirant, non à faire la guerre, mais à la bien faire, à servir le pays, tous préparés à savoir mourir.
Dans une annexe, nous avons le répertoire des musiques de la Garde, chants entraînants dont certains faisaient oublier les fatigues de la route lorsqu’il fallait stoïquement doubler les étapes.
Bien que tout semble avoir été dit sur l’Empire, il reste encore à dire —, comme le prouve cette contribution d’un très sérieux intérêt due au commandant Lachouque.
Comme nous le prouve également, sous le titre concis : Baylen, un vaste tableau d’un moment capital de la malheureuse expédition d’Espagne, où commence de fléchir la fortune de Napoléon. L’auteur, M. Guy de Beler, y fait un exposé de l’insurrection espagnole en 1808. Par un dépouillement très consciencieux d’archives, pour la plupart inédites, il a pu reconstituer, jour par jour et quelquefois heure par heure, les événements stratégiques qui ont surpris le commandement français et qui ont amené une désorganisation dont l’aboutissement a été un effondrement désastreux. La plus grande difficulté était d’apporter de la clarté dans un récit qui, nécessairement, à raison de la multiplicité des combats contre les guérillas, risquait de ne fournir qu’une vue fragmentée. M. Guy de Beler, qui écrit bien, a remarquablement dominé son sujet.
M. Georges Livet a obtenu avec le Prix Carrière, un de nos importants lauriers, pour son livre : L’Intendance d’Alsace sous Louis XIV, livre d’une parfaite érudition qui épuise une question très complexe : l’introduction de l’administration monarchique et de l’esprit français dans une province détachée de l’Empire, divisée en une multitude de seigneuries, de villes libres sans institutions ni religions communes, sans la moindre conscience de son unité. Les conclusions de M. Georges Livet sont d’une justesse, d’une modération, d’une fermeté, qu’on a plaisir à louer.
Mlle Renée Deburat, institutrice de l’enseignement public, s’est donné la tâche courageuse de démontrer que trop de manuels d’histoire n’apportent aux jeunes Français que des notions fausses sur le passé de notre pays. Elle a voulu, en rendant à certains faits, à certains de nos grands hommes leur vraie figure, en instruisant sur les vrais mobiles des actions de ceux-ci, et sur les causes profondes de ceux-là, inculquer aux écoliers l’amour de notre pays, la fierté de lui appartenir, de la volonté de défendre un patrimoine grandeur. Il faut souhaiter que cet excellent travail soit aussi lu que possible et pour lequel le Prix Thérouanne était tout indiqué.
Le Prix Simon Henri-Martin a pour bénéficiaires MM. Philippe Erlanger et André Bauguitte.
L’œuvre de M. Erlanger se chiffre par une quinzaine de biographies où tout est soumis à une sévère critique où sont examinées maintes hypothèses, détruites des légendes, résolues des énigmes, où des faits et des personnages se dressent sous un jour nouveau ou plus clair.
Ainsi, dans son dernier ouvrage, il « instruit » ce qu’il appelle « L’affaire la plus dramatique, la plus extraordinaire, la plus ténébreuse », c’est-à-dire « l’étrange mort de Henri IV ». Ayant recueilli, chasseur judicieux, certains indices, il a suivi des pistes qui l’ont conduit à des sources inexplorées, tels les rapports du Nonce de 1606 à 1611 et des dépêches envoyées en Italie. Il conclut, non à l’acte spontané d’un fou, mais à un complot où des ambitions politiques, des intrigues de l’étranger, des haines de femmes dirigèrent Ravaillac. Celui-ci aurait payé pour tous ceux qui avaient intérêt au silence. La démonstration de M. Erlanger prend les choses d’assez loin et il retrace la fantastique combinaison d’amour et de guerre dont furent pleines et assombries les dernières années du roi persuadé, lui qui aimait « ses peuples comme ses enfants », qu’il n’avait rien à craindre de ses sujets.
Avec M. André Beauguitte, nous avons tout le détail de l’arrêt à Varennes de la famille royale en fuite.
Comme le dit son préfacier, notre collègue Pierre Gaxotte, « l’ingéniosité de M. Beauguitte est d’avoir pris le sujet en se plaçant du côté du maître de poste Drouet et non du côté du roi comme l’ont fait ses devanciers. » Une Berline s’arrêta, ainsi le titre du livre nous invite à savoir comment et pourquoi le véhicule voyant des fuyards royaux, a été soupçonné, suivi par Drouet qui, jadis Dragon du roi, avait aperçu Louis XVI au Louvre, et sans doute aussi Marie-Antoinette. Le départ, les déguisements, le chargement absurde, la route où l’on flânait presque, la défection d’un régiment qu’on devait rejoindre, tout est notifié des imprudences qui devaient amener le dénouement, l’arrestation, le retour à Paris, et faire de Drouet comme un instrument du destin. Après cette heure, où il montra un fort esprit de décision, il fit peu parler de lui. Il devint Conventionnel, un moment Préfet de Sainte-Menehould, puis marchand de mélasse, et fut persécuté par les Bourbons. Il se répétait peut-être ce que Napoléon lui avait dit en le décorant : « Vous avez changé le cours de l’histoire. » En effet, il rie faut peut-être que peu de chose pour cela. Le nez de Cléopâtre !... comme disait Pascal. Et c’est la moralité de ce livre attachant.
« La Guerre sans armes », ainsi a-t-on pu nommer l’action de femmes patriotes qui ont, par leurs courageuses initiatives, aidé à la défense pendant la guerre de 1914.
Parmi ces vaillantes, il faut mettre en haut rang Louise de Bettignies dont l’excellente biographie, par Mme Hélène d’Argoeuvres, a reçu une de nos meilleures récompenses.
Appelée par Mgr Charost « la Jeanne d’Arc du Nord », Louise de Bettignies a été l’objet d’une citation du maréchal Joffre à l’ordre de l’Armée. Citation assez longue dont je détache ceci : « A affronté avec un courage inflexible toutes les difficultés périlleuses de sa tâche. A surmonté pendant longtemps ces difficultés... risquant sa vie en plusieurs occasions, assumant les plus graves responsabilités, déployant, en un mot, un héroïsme qui a été rarement surpassé. »
Elle renseignait les Anglais, dans ce secteur du Nord qu’ils tenaient, sur les mouvements des troupes allemandes. Au dire de l’ennemi elle lui causa les plus grands dommages, et des surprises néfastes qui le confondaient. Finalement prise, jugée à Bruxelles, on essaya en vain de la faire parler, par exemple en voulant l’attendrir sur sa mère : « Croyez-vous, répondit-elle, que ma mère sera plus fière de me savoir lâche que triste de me savoir morte ? » Et comme on la pressait : « Mes aïeux ont servi la France à Crécy. Vous ne voudriez pas que leur petite-fille se déshonore en la desservant aujourd’hui ».
Condamnée à être fusillée, elle s’écria : « Merci pour l’honneur que vous me faites de m’appeler à offrir ma vie pour mon pays. » Impressionné, le gouverneur allemand de la Belgique, von Bissing, qui avait assisté au procès, se leva pour lui dire : « Mademoiselle, je vous félicite. Nous aimons voir, même chez nos ennemis, de tels sentiments patriotiques. » La peine fut commuée en prison perpétuelle dans une geôle allemande : « Perpétuelle ? sourit-elle ironiquement, jusqu’à la victoire. » Hélas ! cette victoire, elle ne la vit pas. Elle mourut en septembre 1918, d’une opération faite sans soins, avec une négligence barbare. Sa dépouille, dès la paix, fut ramenée en terre française avec tous les honneurs militaires. À l’instigation de Mme la maréchale Foch et de Mme la générale Weygand, une statue lui fut élevée à Lille, sa ville natale.
Une distinction, comme le Prix Miller, était bien méritée par ce livre de valeur : Bordeaux Capitale tragique. Capitale du fait de l’abandon de Paris par le Gouvernement fuyant l’envahisseur en 1870, en 1914, en 1940, — et tragique comme théâtre où se multiplièrent les angoisses des chefs civils et militaires qui venaient y délibérer sur le sort du Pays.
Les auteurs, M. Louis Georges Planes, publiciste, et M. Dufour, avocat à la Cour, ancien président de l’Académie bordelaise, après une brève évocation de Bordeaux depuis la Gaule romaine, abordent les cruels événements de 1940. Nous assistons à l’arrivée du Gouvernement dans la cité girondine, où il eut à subir les conditions de l’Armistice, aux douloureuses — parfois orageuses — délibérations, aux problèmes posés par l’afflux des réfugiés, à certaines agitations clandestines, à l’envoi des plénipotentiaires, à la réception de représentants du gouvernement anglais anxieux du sort réservé à notre flotte. L’amiral d’Harcourt, pendant qu’il en était temps encore, avait pu diriger vers le Maroc ses destroyers, patrouilleurs, etc., et il vidait les soutes de munitions sur les batteries ennemies déjà mises en place sur la côte de Royan.
Ni plaidoyer, ni réquisitoire, ce copieux rapport de témoins —enrichi par une éloquente préface du général Weygand — donne au public français une connaissance aussi exacte que possible des faits qui ont rempli des jours de dures épreuves.
Présence des Celtes. Sous ces mots, M. A. Rivaollon, qui a le Prix Lods de Weymann, nous offre une large synthèse du Celtisme à travers le temps, puisqu’il nous mène des druides à des Anglais et des Français contemporains, à travers l’espace, puisqu’il nous fait parcourir l’Irlande, l’Écosse, le Pays de Galles, la Bretagne, contrées où l’on cherche les traits les plus évidents de la race celtique. Traits qui marquèrent nos ancêtres les Gaulois et dont nous gardons l’héritage malgré le sérieux apport romain et, plus faible, celui des Francs, Burgondes, Normands, etc.
Ces caractères indéniables, M. Rivaollon y insiste, sont l’amour de l’indépendance, la soif de l’égalité, le courage devant le péril, l’irrespect des augures et des pontifes, le goût de l’aventure maritime, les rêves nostalgiques de l’on ne sait où ni quoi, qui est une des formes du romantisme de la race.
Ce livre repose sur une connaissance approfondie des dialectes bretons, de la littérature irlandaise. Le talent de l’auteur égale la magnificence des régions qu’il a explorées, terres écossaises, verte Erin, landes, bocage, rochers bretons.
M. Jacques Hillairet a présenté une série d’ouvrages excellents sur l’Histoire de Paris. Son bagage historique correspond très exactement à l’objet de la fondation Berger. Il a, depuis une dizaine d’années, publié six ou sept ouvrages très importants et particulièrement documentés sur Paris. Il en est actuellement l’historien vulgarisateur le plus important, ce que vient de reconnaître hautement le Conseil général de la Seine par son Grand Prix.
Je ne veux pas quitter les Prix d’histoire — très nombreux, tous inscrits au Palmarès, qu’on peut consulter ou avoir au Secrétariat — sans féliciter M. Alain Hus, jeune chargé de cours à la Faculté de Lille, pour son exposé de tout ce que l’on sait et de tout ce qu’il a découvert lui-même sur les Etrusques, sur le rôle de ce « peuple secret » dans l’élaboration de la civilisation occidentale — exposé de classe rare par les valables discussions, les lumineuses déductions. Je citerai aussi Mirabeau-tonneau, ce pittoresque obèse, « raconté » avec verve par M. Marcel Chapron.
*
* *
Trois lauréats reçoivent le Prix Dupau.
M. Marcel Pollitzer dont nous avons naguère couronné le théâtre sensible et personnel, est aussi romancier et historien. Il en est à son douzième volume, ensemble auquel nous avons attribué une partie de ce Prix.
Après une biographie très étendue de Jules Renard, il fait paraître un Beaumarchais. Son attention perçante s’est attachée aux faits et gestes de l’horloger inventif, Augustin Caron, devenu vite ce Beaumarchais à particule, professeur de musique des filles de Louis XV, personnage à missions secrètes, homme aux multiples activités sans trop de scrupules, persécuté, emprisonné, riche, important, père de Figaro. Il nous était mal connu comme faiseur endiablé de médiocres comédies bourgeoises, dont la chute ne le décourageait pas plus qu’ensuite ne le découragèrent les obstacles opposés à ses pièces espagnoles, à ce Barbier de Séville, à ces Noces de Figaro qui devaient l’immortaliser.
M. Marcel Pollitzer le fait aussi apparaître prenant position, comme La Fayette, en faveur des Insurgents d’Amérique. Mais il ne s’embarqua pas afin de rejoindre Washington : il est délégué pour envoyer vivres et munitions aux combattants, tâche qui ne fut pas toujours heureuse.
Ce livre substantiel est aussi une peinture des mœurs du XVIIIe siècle, de certaines iniquités, des vénalités, des abus qui devaient amener des révoltes et expliquent la Révolution.
Autre Prix Dupau, M. Robert Barroux, archiviste paléographe. Il est un des directeurs du grand Dictionnaire des Lettres françaises. Sa contribution à cette vaste entreprise s’est marquée surtout dans des articles généraux sur la littérature populaire, le colportage, l’imprimerie, la librairie, les bibliothèques, les rapports du public avec la littérature. Il s’est spécialisé en s’occupant des historiens, annalistes et critiques qui ont dessiné le visage de leur temps et qui, pour une part, ont modelé la tradition française.
On est redevable à M. Barroux de travaux érudits sur Dagobert et les Francs, sur les Assises de la France royale, sur Paris des origines à nos jours et son rôle dans l’histoire de la civilisation, de maints articles de revue où sa science épaule une philosophie de l’histoire.
Prix Dupau encore, Mme Suzanne Normand, Savoisienne de Paris. Elle a publié des romans de qualité dont le plus apprécié fut — et est encore — Cinq femmes sur une galère.
Durant l’occupation elle a fait son devoir de Française dans un réseau de résistants du Sud. Depuis, elle a parcouru la Yougoslavie, la Hongrie, le Montenegro, puis le Sahara. Elle a su rendre, en de pertinents reportages, ce que ces pays ont de nouveau ou de mystérieux, quels problèmes ils ont résolu, quel avenir ils espèrent. Ce sont là indications précieuses. Actuellement, elle interroge la Syrie, l’Indochine, le Japon. Tour d’horizon dont sans doute la romancière tirera quelques jolis contes pour le plaisir de ses lecteurs.
Le prix Louis Barthou a pour titulaire un Annamite francophile, chargé en France d’un très haut poste, qui se cache sous ce pseudonyme : Nam-Kim, ce qui peut-être a une signification évocatrice en langue vietnamienne. Venu passer l’agrégation à Paris, l’étudiant pauvre, Nam, rencontre la jeune Française Sylvie. Ils s’aiment en sachant qu’à l’autre bout du monde il y a une famille et de grands devoirs qui leur préparent une séparation douloureuse. D’où un bonheur condamné, des cœurs meurtris qui parfois se meurtrissent, mais qui ne s’oublieront pas.
Nam nous confie le bouleversant épisode de sa jeunesse, en nous le faisant vivre, et dans un français d’une pureté exquise. Nous ne pouvons que déplorer le départ — en espérant le retour parmi nous — de ce sensible Indochinois formé par notre culture et qui s’est apparenté si aisément, si fraternellement, à nous.
M. Jean Ménard, jeune Canadien de langue française, ne pouvait qu’émouvoir notre Compagnie en tirant d’un commencement d’oubli immérité notre regretté confrère René Boylesve. Le prix Max Barthou couronne un livre attachant et pénétrant qui rend justice au charmant auteur de la Becquée, de l’Enfant à la balustrade, de la Leçon d’amour dans un parc. Non sans acuité, avec un sourire doucement ironique, Boylesve a peint des mœurs bourgeoises. Né en Touraine, il a la gentillesse éminemment française de cette province.
On a dit : « Les vrais chefs-d’œuvre ne peuvent être que des découvertes de la postérité. » Voici René Boylesve ressuscité par un hommage qui vient du Canada « pays de la fidélité ». Nous en sommes reconnaissants à M. Jean Ménard.
Pour le Prix Alice Barthou, nos suffrages sont allés à la marquise Frances de Dalmatie, pour l’ensemble de son œuvre. Plus que jamais, dans son dernier recueil Anamorphose, elle est une virtuose du vers. Ses images précises se prolongent en d’imprévus mirages. Nous sommes conquis par des rythmes, des sonorités, une technique sûre. Et ce n’est pas si fréquent de rencontrer cette adresse, cette absence de gêne, car cela favorise ce que veut nous faire entendre le poème.
Le prix Georges Grente est dévolu aux écrits du R. P. Fernessole.
Qu’il s’agisse d’études sur les classiques ou d’histoire religieuse, il s’y révèle toujours un érudit d’une loyauté exigeante. Ses préférences vont aux prosateurs éloquents, à un Louis Veuillot, par exemple, sujet de sa thèse de doctorat. Il excelle dans le portrait, mais son cœur généreux fait effort pour ne pas cacher les ombres que son équité lui impose le devoir d’éclairer. Son style est ample, nombreux, parfois brillant et atteste un souci de communiquer au lecteur ses convictions personnelles. Le R. P. Fernessole a droit de figurer parmi les meilleurs artisans ecclésiastiques de l’œuvre littéraire.
M. Maurice Regard a suivi pas à pas l’existence d’homme et de critique de Gustave Planche. Sa magistrale et minutieuse thèse tend à réhabiliter ce « Prince des fouetteurs des romantiques », comme on a sacré leur détracteur impénitent, qui préférait Béranger à Victor Hugo !
Épouvantail longtemps, et souvent encore, des esprits fins, il fut ce bohème, ce débraillé, ce mal tenu, fort malmené par Sainte-Beuve, son contemporain. Celui-ci ne mâchait pas que le style de Planche était « tout en formules pédantesques et algébriques, rabâchage le plus fastidieux ». Sainte-Beuve au style sinueux, Planche au style à angle droit, à eux deux, en prenant le meilleur de chacun ils pouvaient être d’excellents conseillers, et comme M. Regard nous le découvre, George Sand en a su quelque chose.
Avec de nombreux chapitres qui tiennent les promesses de sommaires prometteurs, M. Maurice Regard, après avoir bien déterminé la place que Gustave Planche occupa au temps de Hugo, Lamartine, Vigny, conclut en lui donnant ces compagnons de légende, Don Quichotte et Alceste — un Alceste sans rubans ni Célimène, un don Quichotte aigri de bonne heure.
Cet homme douloureux dont la vie fut un échec, malgré d’indéniables facultés, dont la fin de solitaire fut pitoyable, est honoré par cette thèse, cette ample tapisserie aux personnages bien dessinés et cernés, aux petits points savamment nuancés, qui s’étend sur un pan de l’histoire littéraire du XIXe siècle.
Le Prix Langlois a été institué pour les traductions.
Qui n’a lu celles des Contes d’Andersen ? Mais il a écrit des romans. Mme Anne-Mathilde Paraf, en dehors de ses collaborations à des revues, articles, enquêtes, remarqués, a mis en un français tout imprégné de poésie : Bien qu’un Violoneux, Pierre la Veine, Livre d’images sans images. À l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de l’illustre Danois, elle vient de traduire un roman inédit : Les deux Baronnes, roman romanesque, peinture de la vie sociale au temps d’Andersen et, de Kierkegaard, donc vers 1840, avec les pasteurs, les paysans, surtout avec une noblesse frivole autour d’un souverain libéral. Il fallait s’y attendre : une enfant, trouvée devient la bru d’une vieille baronne et une fille de la campagne épouse le fils du seigneur. Sans discours superflus, ainsi il-pose le principe d’une morale d’égalité, d’une soif d’affranchissement dont est d’ailleurs empreinte toute l’œuvre d’Andersen, ce fils du peuple dont la vie nous est contée par Pierre Paraf dans une préface, pleine d’émouvants détails sur la peine des pauvres gens dont les têtes moins courbées sentaient passer un souffle nouveau à travers l’Europe.
Sous une cristalline lentille de microscope, Mme Henriette Psichari, petite-fille de Renan, a détecté les origines de la Prière sur l’Acropole, les ondes mystérieuses qui ont suscité l’immortelle oraison invocatoire. Oui, on emploierait volontiers des termes de science à propos de cet essai, modèle de méthode rigoureuse. Quant à l’écrivain, il n’a plus à faire ses preuves. Il nous permet, avec ses révélations, de nous reporter une fois de plus vers une grande mémoire.
Les guides qui renseignent sur les particularités de Paris ne manquent pas de diriger les touristes vers les Bouquinistes des quais, assis près de leurs boîtes où fouillent les bouquineurs, habitués ou passants, amateurs de livres à bon marché, ou chercheurs de possibles éditions rares. Les vendeurs de vieux livres connurent maintes traverses comme nous en informe M. Louis Lanoizelée dans un livre sérieux et anecdotique. C’est un chapitre de l’histoire de Paris que nous signalons par un Prix Amic.
Mme Boachon-Joffre est habile à nous conduire dans la magie des ciels de lumière. Cette fois, elle nous entraîne en Espagne, pour l’aventure d’une Rencontre à Grenade, aventure qui repose sur une énigme tragique. Comme le dit son préfacier, Maurice Genevoix : « Des larmes, des angoisses, des épreuves, mais ni mort, ni abandon. » Et il ajoute : « Mme Boachon-Joffre a le don de sympathie et nous le fait partager. » Remercions de cette grâce la conteuse d’un drame à rebondissements, à dénouement qui met tout en ordre dans le bonheur.
Mme Maraval-Berthoin a pénétré avec une curiosité inlassable au cœur du Hoggar. Elle en a enregistré mœurs et coutumes, a écouté les échos de voix diverses, et elle nous les transmet dans toutes leurs chaudes vibrations en nous persuadant de leur charme ancestral sous un poétique éclat solaire.
À M. Adolphe Thomas est allé le Prix Saintour. Son Dictionnaire des Difficultés de la Langue française, est un instrument de travail des plus utiles qui enrichit la bibliothèque des lettrés. Conjointement, y sont présentées les formes correctes et les formes fautives. Il est illustré d’exemples bien choisis et il donne des renseignements sur la prononciation et même, quand cela est nécessaire, sur l’étymologie. Il cite fréquemment les ouvrages célèbres tels que le Dictionnaire de Littré et le Dictionnaire de l’Académie.-
M. Atabinen, ancien ambassadeur de Turquie, président du Touring-Club et de l’Automobile Club de Turquie, reçoit la médaille Richelieu. C’est un fidèle servant de la langue et de la littérature françaises. Toute sa production d’historien et de critique littéraire paraît en français ; et c’est en français qu’il a rendu hommage à Lamartine et à Pierre Loti, ces amis de la Turquie particulièrement chers à ce fidèle ami de la France.
Un prix de poésie rend hommage aux compositions poétiques de M. Alphonse Métérié. C’est tout naturellement qu’il vient à l’esprit de les comparer à des compositions musicales, car elles s’enchaînent comme les mouvements d’une sonate, d’une symphonie. Elles charment l’oreille et touchent le cœur. Elles sont confidentielles et mélodique-nient plaintives. M. Métérié est un élégiaque et il est permis de voir en lui le Prince de l’Élégie.
Les vers de Mme Mathilde Pomès Au bord de la Nuit sentent passer sur eux le souffle de Valéry. Le souffle large, net, brûlant, toujours reconnaissable. Mais ils expriment des pensées personnelles avec une souplesse et une sinuosité qui leur sont particulières et en sont les vertus caractéristiques. C’est là un volume qui fait grand honneur à l’éminente hispanisante qui vient de publier une riche Anthologie de la Poésie Espagnole.
L’élu du Grand Prix de Poésie que vient de créer l’Académie française est M. André Berry.
Né à Bordeaux, il est fils de l’Aquitaine heureuse et bachique. Il a quitté son pays girondin pour achever ses études universitaires et professer dans divers lycées.
Il s’est nourri de la poésie des troubadours et son œuvre est profondément marquée par la tradition de notre littérature méridionale.
Il se plaît, dans cette œuvre de quarante mille vers, qui s’échelonne entre 1922 et 1956, à retracer les étapes de sa carrière humaine. Il a chanté les paysages qui ont fait à son enfance un pittoresque décor. Il a narré dans la Chantefable de Marielle et d’Alain ses aventures d’adolescent exubérant et romanesque, dans Congé de Jeunesse des errances et des amitiés.
Il a dédié à sa Gascogne une épopée de seize mille vers, à la fois roman, pastorale, féerie et symphonie ; Les Esprits de Garonne, poème d’une riche substance savoureuse qui a fait de lui le Virgile de l’Aquitaine. Mais c’est surtout de l’hellénisme qu’il se réclame, se définissant ainsi :
Je suis un féodal non consolé des Grèces
Dans une île bretonne un grec abandonné.
Il unit la connaissance des poètes d’Oc à celle de toutes les recherches et trouvailles des autres poètes français, et il a marié le Moyen âge à la Renaissance, l’esprit gaulois à la tradition humaniste.
Voyageur curieux de tous les visages du monde, ce poète est aussi un de nos meilleurs critiques, connaisseur de tous les artifices de l’art poétique. Il pense que notre vers traditionnel n’a pas épuisé ses vertus et il le prouve par sa production abondante, drue, saine, truculente, tour à tour animée par des inventions picaresques, des habiletés de grand rhétoriqueur qui se sert de tous les mètres, des cocasseries et des élans de tendresse.
Il apporte à notre éloquence où veulent s’insinuer des écoles d’art... sans art, un réconfort, des raisons certaines de croire à la pérennité de la poésie française.
Pour la seconde nouvelle fondation littéraire de l’Académie dont le but, comme je l’ai dit en commençant, est d’honorer l’œuvre écrite dans notre langue par un écrivain de nationalité étrangère, nous avons choisi — car, je le répète, on ne pose pas de candidature à ces grands prix — un auteur femme qui se proclame « fille adoptive de la France », la princesse Bibesco.
Elle n’a jamais, écrit qu’en français — en excellent français.
Elle est, on le sait, Académicienne de l’Académie royale de Belgique, qui n’est pas tenue, comme la nôtre, par de lointaines traditions non encore fléchies par le talent féminin. Mais, du moins, nous aimons le célébrer et je suis heureux particulièrement aujourd’hui, d’en être chargé.
La princesse Bibesco, née Lahovary, est fille de l’homme d’Etat roumain ambassadeur en France. Mariée à Georges Bibesco, aviateur, élève de Blériot, elle a grandi chez nous, instruite par des maîtres français. Lorsqu’on la complimente sur la pureté, l’aisance de son style, elle répond qu’elle écrit dans sa langue maternelle, que, sa famille, depuis des générations, parents et enfants, n’a parlé que français.
À dix-huit ans, elle fait, en voiture, un voyage qui l’a conduite à Ispahan et elle subit l’envoûtement de l’Asie et l’enchantement des poésies persanes. Elle rapporte des impressions, des notes traduites dans ses Huit Paradis, qui la font tout de suite distinguer.
Pendant un séjour dans les domaines familiaux de Roumanie, elle est séduite par le folklore, les coutumes, les ciels, les paysages d’Isvor « pays des Saules ». Et il en résulte une fresque virgilienne, des bucoliques.
Je ne puis que citer Croisade pour l’Anémone, lettres de Terre Sainte, Égalité, où sont confrontés deux visages de la France, la démocratie et l’aristocratie qui peuvent se heurter niais aussi tendre à s’unir, le Rire de la Naïade et ce curieux Perroquet vert, roman du besoin d’aimer et d’être aimé, des déceptions, des déchirements, de l’amour sous différentes formes, de la puissance irrésistible des élans du cœur et des pouvoirs de l’hérédité.
La princesse Bibesco qui était à même de voir de près la plupart des souverains régnants ou en exil, et de hautes personnalités, comme le maréchal Lyautey, a fait des portraits saisissants où l’indiscrétion connaît ses bornes mais où la vérité prend ses droits.
Le troisième gros volume a récemment paru de la correspondance de notre lauréate avec l’abbé Mugnier, ce prêtre tout en sagesse et en enthousiasme pour la vie de l’esprit, qu’elle appelait « mon bon oncle ». Ces lettres pleines d’abandon intellectuel et spirituel sont accompagnées de commentaires et de réflexions qui en font une sorte de chronique sur les mouvements de la Société de 1911 à 1943, date de la mort du fin et vénérable confident.
Si je n’ai pas mis en son rang chronologique le roman universellement répandu : Catherine Paris, c’est qu’il exprime le sentiment si vif, entier, dominateur, passionné de la princesse Bibesco pour notre pays et notre chère ville. Tous les épisodes qui se déroulent autour de l’héroïne, toutes les péripéties de son existence parmi des cosmopolites, enfin tout converge pour exalter l’âme, la culture, les manières d’être françaises, pour mettre Paris au sommet de la plus haute et agréable civilisation, et y sentir ses pulsations, plus intimes et plus fortes, sur les rives de son fleuve et dans l’île de la Seine qui fut son berceau.
La princesse Bibesco prépare ce qui sera, je crois, ses Mémoires où s’annoncent ses espoirs de communion des peuples sous l’invocation d’une Nymphe Europe.
N’en doutons pas, nous retrouverons là ce dont toute son œuvre, riche d’intelligence et de sensibilité, frémit : un hymne à Paris, un hommage à la France.