SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
DU JEUDI 10 DÉCEMBRE 1953
Rapport sur les concours littéraires
DE
M. GEORGES LECOMTE
Secrétaire perpétuel
Dans un journal d’information, un facétieux reporter prétend avoir eu un entretien avec un membre de l’Académie française. Entre autres questions, il lui aurait posé celle-ci :
— Quand vous aurez terminé votre nouvelle édition du Dictionnaire, à quoi occuperez-vous les séances de chaque semaine ? Et il prête à l’interrogé cette réponse :
— Eh bien ! nous nous regarderons mourir les uns les autres !
Ce propos prouve combien le dialogue est imaginaire puisqu’il n’est aucun Académicien d’hier ou d’aujourd’hui qui tiendrait un langage aussi jovialement et cavalièrement macabre que contraire à la réalité.
Car le Dictionnaire de l’Académie n’est jamais terminé. Le point final mis sur le dernier mot commençant par la lettre Z, l’Académie retourne à la première lettre de l’alphabet afin d’examiner, corriger ou enrichir ce qui concerne la lettre A... et les lettres suivantes, en vue d’une édition future — laquelle, d’ailleurs, doit attendre quelques années, puisque malgré des apports sans cesse nouveaux dans la langue, elle ne se transforme cependant pas d’un jour à l’autre.
Ce travail exige étude et réflexion.
Mais, au moins, nous savons à quelle méthode obéir, et nous avons des bases dans les huit éditions du Dictionnaire qui s’échelonnent depuis 1694, date de la plus ancienne.
Les premiers Académiciens, ceux de la fondation de notre Compagnie, se nommaient « ouvriers en paroles, chargés de l’exaltation de la France » et de « dresser un Dictionnaire qui fût comme le trésor et le magasin des termes simples et des phrases reçues », en somme de « fixer la langue ».
Mais, alors, où prendre cette langue ? Bien que Malherbe fût venu on ne la voyait pas dans les génies contestés du début du XVIIe siècle. C’est ainsi qu’on résolut de ne s’en tenir qu’à l’usage, conception qui nous dirige absolument.
Mais, en 1635, suivre l’usage, ce n’était pas chose aisée. Après avoir écouté les remarques excellentes de Vaugelas, qui meurt en 1649, l’Académie confia à l’érudit Mezeray la besogne délicate de recueillir ce qui, dans l’usage, serait propre à rendre pure et éloquente la belle langue française. Mezeray s’adonna trente ans à cette opération de choix, d’épuration.
Mais le Dictionnaire vieillissait tandis qu’on y travaillait. Après des années, à force de rectifier, on n’en était encore qu’à la révision de la lettre A.
Colbert, étonné de cette lenteur, croyant devoir secouer une apathie, vint un jour assister à une séance de travail. On discutait sur le mot Ami, sur ses définitions, acceptions. On vit tant de sens à y donner, tant de justes citations explicatives à trouver que le Ministre en se retirant ne s’étonnait plus d’une lenteur due à une conscience des difficultés.
La difficulté de définir n’a pas cessé d’être et nous sommes arrêtés souvent par l’impuissance où l’on est de donner la définition de certains mots, comme « espace », « temps ». Pascal se moquait de ceux qui définissaient la Lumière « un mouvement luminaire des corps lumineux ». Sans tomber dans cette... obscurité, l’Académie, dans la sixième édition de son Dictionnaire (1835), définissait l’âme : « principe de la vie dans tous les êtres vivants », et la Vie « état des êtres animés », ce qui voulait définir ces mots l’un par l’autre et ne définissait rien du tout.
Que de mots usuels, familiers, tels exactitude, bravoure, sagacité, ne furent introduits dans la langue qu’au cours ou vers la fin du siècle. Au mot effervescence, Mme de Sévigné s’écria : « Comment dites-vous cela, ma fille ? Voilà un mot dont je n’ai jamais ouï parler. »
La Fontaine, fort assidu aux séances, voulait faire admettre par le Dictionnaire des mots colorés qu’il avait appris dans Marot et Rabelais. Mais timorés, chatouilleux de l’oreille, nos prédécesseurs du grand siècle les repoussèrent. Heureusement, ils ont survécu dans l’œuvre du fabuliste.
Nous continuons à respecter les statuts et règlements datés de 1635 qui ordonnaient de travailler avec tout le soin possible à donner des règles certaines à notre langue.
Mais notre fonction ne se borne plus là.
Au cours de trois siècles, sans que le règlement primitif se modifiât, des obligations nouvelles naquirent, surtout depuis la fondation des Prix sous le Premier Empire et la multiplication de ceux-ci après les généreuses initiatives de M. de Montyon en 1820. Nous devons, pour les Prix littéraires, lire des centaines de livres de tous genres — histoire, philosophie, essais, œuvres d’imagination, poésie, voyages —, et examiner autant de dossiers pour les Prix de Vertu.
Sans compter que les Académiciens doivent faire face à des demandes constantes de représentation ici et là dans nos provinces, à l’étranger, à Paris, pour des cérémonies commémoratives ou autres, ce qui entraîne à des déplacements et à des préparations de discours.
Et tout cela ne s’accomplit pas en rêvant à la lune ou en se contemplant mutuellement dans la fainéantise ou quelque béate lassitude.
Je puis assurer au journaliste — je veux bien le croire seulement plaisantin — que loin de nous abandonner à la paresse, nous ne nous regardons pas mourir, car notre sentiment est que le travail et l’action conservent.
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Notre Grand Prix de Littérature est destiné à récompenser l’ensemble d’une œuvre de haute inspiration et de forme remarquable.
Nulle ne peut mieux répondre à cette définition que l’œuvre abondante et diverse de M. Marcel Brion.
Né à Marseille en 1895, d’un père avocat célèbre qui surveilla ses études, il était promis au Barreau. À 19 ans, la guerre de 1914 l’incorpora dans l’artillerie de montagne et le rendit à la vie civile blessé, avec plusieurs citations et décorations. Il reprit ses études de Droit, mais il n’utilisa que pendant quatre ans ses connaissances juridiques et il suivit ses penchants qui l’entraînèrent à travers le monde jusqu’à la guerre de 39 où, réformé, il refusa de participer aux activités littéraires allemandes.
Entre les deux guerres et depuis, il s’est consacré à l’Histoire de l’Art, à l’Histoire littéraire et à l’Histoire proprement dite, avec un sens critique toujours appuyé sur les plus solides données scientifiques, sur une rigoureuse méthode exigeant l’examen méticuleux des textes et documents de toutes sortes.
M. Marcel Brion a longuement obéi aux séductions de l’Italie. D’un séjour de plusieurs années à Florence, de visites quotidiennes aux musées, aux bibliothèques, il a tiré des biographies, fort précises et substantielles, de Michel-Ange, Léonard de Vinci, Machiavel, Laurent le Magnifique, Botticelli, Savonarole. Dans l’atmosphère de la Péninsule, il décela toutes les causes du grand mouvement qui, au sortir du moyen âge, déterminèrent des modes d’expression nouveaux. Lumière de la Renaissance, tel est le titre de l’important ouvrage où M. Marcel Brion traite du rayonnement, de l’explosion de chefs-d’œuvre qui se manifesta dans l’architecture, la peinture, la sculpture en France comme en Italie.
L’intérêt profond que M. Marcel Brion porte aux œuvres d’art et aux artistes l’ont conduit vers ceux qui sont, selon son mot, les « Artistes de leur vie », aux chefs, aux conquérants, tels que Attila, Alaric, Charles le Téméraire, Bayard, Frédéric II Hohenstaufen.
Le romantisme allemand a aussi exercé une influence sur M. Marcel Brion. Elle s’est traduite entre autres par un livre magistral sur Goethe dont il éclaire totalement la physionomie en élargissant le type d’Olympien où l’enferment un certain conformisme, de paresseux jugements. Il le montre dans l’ampleur de son génie, mais homme facilement agité par les orages du cœur, secourable aux maux d’autrui, cédant aux élans de l’âme et de la passion.
Je ne puis nommer la quarantaine de volumes qui reflètent les divers aspects de la personnalité, des curiosités, de l’intelligence de M. Marcel Brion. Mais je dois noter que s’il a étudié des époques d’art avec un microscope d’historien et un soucieux respect pour la sévère Clio, il a laissé ses droits à l’imagination. Il s’est livré à un certain démon du fantastique, genre peu cultivé dans notre littérature, avec des romans et des nouvelles dont les titres disent assez les tendances : Château d’Ombres, Le Théâtre des Esprits, Le Pré du Grand Songe, L’Enchanteur. Enfin, il ne faut pas oublier que M. Marcel Brion est critique pour la littérature de plusieurs pays étrangers au journal Le Monde et à la Revue des Deux Mondes.
Cette fécondité d’écrivain dont l’œuvre si grave qu’elle soit reste attrayante et vivante, qui va sans cesse, comme il l’a dit, « du climat de la beauté pure à celui des élans profonds de l’être », nous promet encore, selon maints projets, des livres qui ajouteront à l’estime méritée par une carrière bien remplie.
Mort en Fraude, qui vaut à M. Jean Hougron notre Prix du Roman, succède à trois autres livres d’une série intitulée : La Nuit indochinoise. C’est un récit dramatique, très expressif des mœurs vietnamiennes. Le héros, Paul Horcier, afin de se libérer d’une dette envers sa sœur qui égoïstement le harcèle, se laisse entraîner, un peu naïvement, dans une vilaine affaire. Il accepte, contre 100.000 francs, de remettre à des trafiquants de devises, qu’il ne connaît pas, une liasse de dollars, à Saïgon, où un emploi lui est offert. La liasse lui est volée en cours de route. Ceux qui l’attendaient admettent le vol, mais ils craignent, parce qu’il est honnête, le témoin de leur condamnable trafic. Il échappe à leurs mitraillettes après une poursuite dont les péripéties vous coupent un peu le souffle, sans que le romancier ait cherché par quelque enflure un effet d’épouvante. Une jeune métisse le sauve, pour 3.000 piastres, en l’emmenant de nuit, par marches forcées et affreux chemins, jusqu’au village perdu où sa famille, d’assez mauvais gré, le cachera. Nous abordons là dans une région où a pénétré le Vietminh et où règne un sordide pittoresque au fond et autour de paillotes misérables. Le jeune Français, délivré de ses frayeurs, est pris de pitié pour ces indigènes décimés par des pratiques absurdes, la faim, le manque de soins, le découragement. Bravant tous les risques, il s’empare dans un lointain poste français de médicaments pour guérir les fièvres, de riz pour ensemencer les terres abandonnées. C’est une lutte contre l’inertie, l’ignorance, la peur. Il apprend que l’ennemi a, non loin, des dépôts cachés, une usine. N’est-ce pas son devoir d’en avertir les combattants français ? Après un voyage difficile, il se retrouve à Saïgon, fait son rapport. Mais les trafiquants de devises n’ont pas désarmé. Il est reconnu. Il est abattu. M. Jean Hougron a été envoyé en Indochine par une entreprise commerciale de Marseille, il y a séjourné cinq ans, il y a enseigné l’anglais. Il sait le laotien et le vietnamien. Ce Normand s’avoue très curieux, toujours l’œil aux aguets et l’oreille ouverte. Il saisit un mot, un trait, une attitude, et il les consigne dans un des carnets dont il bourre ses poches.
On sent bien dans ses livres qu’il utilise des faits, que son imagination travaille sur ce qu’a recueilli son expérience. Nous sommes avec lui, non dans une Asie d’exotisme touristique, mais dans l’arrière-plan intime du monde jaune.
Mort en Fraude est un livre de vérité, écrit par un vigoureux conteur qui n’a cherché aucune coquetterie littéraire et qui, en fuyant le romanesque dans une soumission à l’exactitude, a pu atteindre l’attrait de l’aventure pathétique.
Par un des Prix Le Métais Larivière, dits Grands Prix d’Académie, nous avons voulu marquer notre estime à l’œuvre ample et variée de M. Elian-J. Finbert, et les sentiments de gratitude dus à son éclatant et persévérant effort en faveur de la culture française.
Il est né en Égypte. Son idiome maternel n’était pas le français. Il a fait sienne notre langue comme l’avaient adoptée ces prosateurs et poètes célèbres : Maeterlinck, Moréas, Anna de Noailles. Et comme eux il est un excellent écrivain français. Mais il a aussi le cœur français, car il s’est voué avec ferveur à la tâche de faire connaître nos livres, nos arts, nos goûts dans son pays et dans le Proche-Orient, par des écrits, par la parole, par d’incessants témoignages de sympathie éclairée.
Ces activités diverses, il s’efforce, à présent, de les employer en terre d’Israël où 200.000 parlants français, récents immigrés, doivent garder serrés les liens qui les attachent à la France. M. Finbert travaille de toutes ses forces à ce qu’ils se sentent en communication avec elle. Il a créé des Foyers d’amitié où s’entretient le culte de nos Lettres et de notre Pensée.
Quant à ses expériences égyptiennes, elles nous instruisent de la vie sur les bords du Nil, ce « fleuve de Paradis », dit-il, que nos rêves parent de l’éloquence des ruines pharaoniques, mais qui est toujours la vie des fellahs, de cette humble population qui, depuis des millénaires, a contribué par son labeur à engendrer une des premières et royales civilisations de la Méditerranée.
La Sagesse arabe, la Sagesse malgache, chinoise, nègre, a été aperçue, par M. Finbert, à travers les folklores, et il s’en est fait l’interprète.
Obligé de se cacher pendant la guerre, il s’est mué en berger dans des montagnes de notre Midi. Et ses méditations, loin du bruit des villes et des vallées, ont enfanté Hautes Terres qu’un critique n’a pas hésité à dire livre magnifique. C’est, sans doute, en gardant ses troupeaux qu’il a pensé à écrire une Vie des Brebis, des Histoires de Chiens, à devenir le directeur d’une collection sur la Science de la Vie des Bêtes, qui a contribué à répandre dans le public l’intérêt pour les livres animaliers, comme celui par lequel il nous introduit chez nos frères inférieurs pris dans cette antithèse : De la fourmi à l’éléphant.
Les hommes, leurs œuvres et la nature ont tour à tour arrêté le large regard de M. Elian Finbert.
Notre autre Grand Prix d’Académie a été attribué à M. Jean Bonnerot.
Son nom restera attaché à la publication de la Correspondance de Sainte-Beuve. Il en a déjà fait paraître six volumes qui concernent les années de 1818 à 1846. Recueillir ces lettres, les classer c’est déjà une tâche de patience et de discernement. Mais M. Jean Bonnerot a multiplié les notes sagaces, les explications. En même temps, il a mis debout une bibliographie de l’œuvre du grand critique, ce qui constitue un monument.
M. Jean Bonnerot, qui était Conservateur de la Bibliothèque de l’Université, occupait ses loisirs à ces longs travaux, un peu austères mais des plus précieux et pour lesquels il faut, avec des qualités spéciales de méthode, quelque chose comme la passion du chasseur à l’affût de proies dispersées dont les traces sont souvent perdues. D’ailleurs, M. Jean Bonnerot ne s’est pas uniquement voué à ces efforts de la poursuite et au plaisir de la découverte, il nous a conduits parmi les beautés du Morvan, qu’il habite, à Avallon, Autun, Saulieu et menés vers certaines routes de France.
Il a aussi un volume sur la vie de Saint-Saëns, des frères Tharaud, de Romain Rolland et une Histoire de la Sorbonne à laquelle il a été attaché de 1903 à 1951, puis une Histoire de l’Université de Paris, de son origine à nos jours.
Tout en amassant les matériaux pour ces grands édifices, il collabore à de sérieux périodiques, et parfois se laisse subjuguer par une musique intérieure, par le rythme de vers qu’il réunit dans ce qu’il appelle pour honorer la poésie : Le Livre des Livres.
Notre prix, espérons-le, sera profitable aux six ou sept volumes qu’il prévoit pour que l’édition soit complète de la Correspondance de Sainte-Beuve.
Le Prix Gobert a été décerné à M. Georges Rigault pour son Histoire générale de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes.
Depuis vingt-cinq ans M. Rigault, qui a été élève d’Émile Bourgeois, à la Sorbonne, qui a « enlevé » le doctorat ès lettres avec une thèse très appréciée sur le Général Menou, s’est consacré à l’histoire trois fois séculaire de cet Institut fondé par le Chanoine de Reims, Jean-Baptiste de La Salle. Ouvrage capital — qui en est au IXe tome — pour savoir comment est né et s’est développé en France l’enseignement primaire. Ouvrage qui se recommande par la conscience extrême de la documentation. On devine un fichier de taille mais qu’on ne sent pas peser sur l’écrivain : rare mérite qui s’ajoute à un excellent style d’historien.
Parmi tant de renseignements intéressants sur l’enseignement populaire ce ne sont pas les moins intéressants ceux qui attestent l’action de cet Institut hors de nos frontières, la création d’écoles fondées par centaines dans toute l’Europe, et en Asie, en Afrique. Eloignés pendant la Révolution, les Frères sont rentrés en France, agréés par Napoléon qui, ayant fondé l’Université, les a intégrés dans la nouvelle corporation enseignante.
M. Rigault, avec cette histoire, apporte une contribution à l’histoire même de la France. Et son impartial éclectisme, sa consultation des textes les plus différents quant à l’esprit et à l’opinion ne sont pas un moindre gage de valeur.
M. Jacques Hérissay, qui s’est spécialisé dans l’étude des années de la Révolution, a bien mérité le second Prix Gobert, avec La Vie religieuse à Paris sous la Terreur.
D’innombrables dossiers, il a fait surgir un tableau, pour sombre qu’il soit, très vivant, une image de Paris où un peuple est tout enivré d’une foi nouvelle, celle de la liberté. Mais cette ivresse recouvre, plus ou moins occulte, la lutte meurtrière de ceux qui n’ont pas renoncé à leurs croyances et qui, dans l’hostilité ambiante, retrouvent en eux la force et presque le goût du martyre des premiers âges chrétiens.
M. Jacques Hérissay a exercé, en habitué de la prospection des textes, la critique des, pièces d’archives, des manuscrits consultés. La multiplicité des faits relatés montre l’âpreté du conflit jusqu’à ce que l’avènement de Bonaparte ait fait cesser les déportations, les exécutions, et rendu leur voix de bronze aux clochers.
Henri de La Rochejacquelein, présenté par M. Jacques Nanteuil, a obtenu le Prix Thérouanne. Bien situé dans son entourage, dans son temps, le jeune insurgé vendéen, généralissime à vingt ans, apparaît auréolé non seulement de rares vertus militaires, mais aussi de vertus humaines, essayant sans cesse de retenir ses rudes partisans dans leurs tentations de représailles. Il se détache lumineusement sur le fond sombre d’une affreuse guerre civile, jusqu’à sa belle fin tragique.
M. Jacques Nanteuil a recueilli des témoignages, consulté des sources, et toute la première guerre de Vendée tient dans son récit qui, en ne taisant rien d’un conflit cruel, reste charmant de couleur et de vivacité.
Le Prix Dupau est partagé entre MM. Jules Bertaut et Pierre Hamp.
On a dit parfois de M. Jules Bertaut qu’il est, à l’heure actuelle, le représentant le plus qualifié de la petite Histoire. Ce n’est pas juste, car ses biographies de Louis XVIII, de la Duchesse d’Abrantès, de Talleyrand, du Roi bourgeois, pour ne citer que celles-là, ne sont pas des portraits où l’accessoire et l’anecdote retiennent l’attention au détriment du personnage. Il est peint en pleine lumière et en pleine pâte, certes, dans tous les détails de sa physionomie, mais dans tout ce pourquoi il joua un grand rôle. Et si les petits côtés des gens du passé sont rappelés, c’est que ces petits côtés les ramènent ainsi à hauteur d’homme dans la complexité de leur nature.
M. Jules Bertaut a surtout fouillé la période qui va de la Révolution à la Troisième République et il excelle à restituer l’atmosphère que changeaient les événements, les oscillations des régimes, le bouillonnement des idées. Il a évoqué, en de véritables fresques, la Vie à Paris sous le Premier Empire, le Faubourg Saint-Germain sous la Restauration, la Province avant la guerre de 14, et bien d’autres aspects dans les décors et les mœurs du XIXe siècle.
Son dernier livre : Côte d’Azur est une invitation à un retour vers le passé de ce lieu de soleil et de luxe ; et nous assistons au défilé des artistes, des étrangers, des richards, des originaux, qui contribuèrent à la gloire de Nice et de ses environs.
En érudit sérieux M. Jules Bertaut n’a jamais consenti, quelles que soient ses connaissances de la vie intime d’hommes et de femmes célèbres, aux falsifications de l’histoire romancée. Ses récits, attrayants, reposent sur des bases solides, ne quittent jamais une belle tenue littéraire et les chemins de la probité.
L’œuvre d’action sociale de M. Pierre Hamp, second titulaire du Prix Dupau, est un franc et fort éclairage sur le monde du Travail. Il n’y a pas pénétré par des démarches de reporter, mais y a été mêlé du fait des circonstances, et c’est ce qui donne à ses livres un accent spécial d’exactitude et de vie.
Né à Nice, d’un père chef cuisinier, apprenti pâtissier à quatorze ans, bientôt envoyé à Paris chez le fameux restaurateur Marguery, puis au Savoy-Hôtel à Londres, un moment à Séville, chez la duchesse de Montpensier, il revient en Angleterre et il profite de ses instants de liberté pour s’instruire ; il y est aidé, depuis le latin, par un professeur français du collège de Brighton. Ayant appris la fondation de l’Université populaire de Belleville, il arrive à Paris, et une petite fonction à cette Université lui permet de parachever son instruction, ce qui lui est facilité par MM. Jean Schlumberger, André Siegfried, Jacques Bardoux qui ont estimé son intelligence, son énergie, ses dons d’expression. Il entre au Chemin de fer du Nord ; rapidement sous-chef de gare, il est ensuite appelé aux services postaux des gares de Lille, Calais, Boulogne. Le port de cette dernière ville le met au fait des choses de la pêcherie et il écrit Marée fraîche, livre dont le genre nouveau est vite remarqué. Il prépare le concours de l’Inspection du Travail, est reçu quatrième sur cent onze candidats. La guerre de 14 le place dans une usine d’armement et le ruine par le pillage, près de Lille, de son domicile familial. Mais il rétablit sa situation et le voilà associé dans une industrie de tissage. Il est déjà l’auteur des ouvrages intitulés : Le Rail, Le Lin, Vin de Champagne, etc... Devenu Directeur de la Dépêche coloniale, il voyage d’Autriche en Afrique, d’Italie en Amérique. Il réunit le résultat de ses enquêtes dans des volumes tels que : Chercheurs d’or, La Laine, Perdu dans le Gratte-ciel. En 1947 on le trouve au Canada, professeur à une École d’Hôtellerie et, en 1949, à l’Office professionnel français de Prévention du Bâtiment.
Dans cette existence de mouvements, de transplantations, un point fixe, un impérieux commandement : écrire !
Mais écrire pour agir, et accroître sans cesse la série de la Peine des hommes, nom général sous lequel ont succédé ses messages sur les conditions de la vie ouvrière, sur les exigences, les rigueurs et les valeurs du Travail moderne, et qui sont sans équivalent dans la production littéraire de notre époque.
Sous ce titre : De Lattre, dont la brièveté prouve la gloire du chef de la Ire Armée, M. Bernard Simiot, par un volume attachant et complet, nous offre l’occasion de rendre hommage à la mémoire du grand soldat. C’est donc à la fois le héros du livre et son auteur que nous honorons avec le Prix Muteau.
C’est à partir de novembre 1942 que s’amplifie le rôle du Général de Lattre de Tassigny qui avait à son actif la campagne du Maroc, son action dans l’Est de la France et — plusieurs fois blessé — de nombreuses citations à l’ordre de l’Armée. Ayant voulu, en Tunisie, reconstituer une force française, il est rappelé sur l’ordre des Allemands. Il atteint Londres en avion, puis Alger. Il renforce une armée en formation avec des soldats du Nord de l’Afrique et des éléments du « Maquis ». Il passe en Provence, dégage Toulon et Marseille et c’est l’impétueuse montée le long du Rhône avec l’objectif de l’Alsace. Le Général Leclerc a dégagé Strasbourg que les Américains laisseraient sans défense pour emmener plus loin les troupes disponibles. De Lattre les convainc que l’effet serait lamentable si l’ennemi reprenait cette ville si chère au cœur de la France et qui est le vivant symbole de la fidélité alsacienne. Après quoi il établit un plan stratégique pour délivrer Colmar par une savante manœuvre d’enveloppement qui chassera l’ennemi, épargnera les bombardements à cette charmante ville.
Et l’heure arrive où il déploiera plus d’énergie encore dans un combat inattendu et obtiendra une juste victoire. Lorsque le gouvernement français lui annonce que l’acte de capitulation va être signé à Berlin, il y court. Mais, fraîchement accueilli par les plénipotentiaires alliés, il a la stupeur de découvrir qu’il n’est pas attendu, qu’aucun drapeau français ne figure parmi les drapeaux alliés, qu’aucun rôle n’est réservé à la France dans cette cérémonie. Alors indigné, il proteste avec une telle force qu’on finit par reconnaître pour la France, qui fut présente en Tunisie, en Italie, en Provence, sur le Rhin, qui a souffert et résisté avec tant de vaillance, le droit pour son représentant, de signer l’acte de capitulation allemande à égalité avec les autres chefs de guerre.
M. Bernard Simiot, officier de réserve, attaché à l’État-Major du Général de Lattre, l’a vu tous les jours dans l’intimité Il peut donc, en témoin, vanter son caractère, sa puissance de travail, ses méditations avant de prendre un parti, ses énergiques décisions, son habile courtoisie pour réfuter les objections que font parfois les généraux alliés ou même certains de ses subordonnés moins résolus que lui — enfin le constant souci de sa dignité personnelle qui donne tant de relief à sa figure et surtout son noble sentiment de la grandeur française qu’il s’efforce toujours de faire respecter avec une volonté indomptable et persuasive.
C’est à une romancière, auteur d’une vingtaine de romans, Mme Camille Marbo, qui, comme on le sait, a été une brillante présidente — la seule femme jusqu’ici — de la Société des Gens de Lettres, qu’est échu notre beau Prix Louis Barthou.
Elle a débuté toute jeune et ses premiers livres, solidement construits, faisaient déjà preuve de vigoureux dons d’observation. Elle obtint rapidement le Prix Femina avec la Statue voilée, histoire d’un jeune homme qui passe à côté du bonheur pour avoir obéi à des chimères romanesques.
S’essayant dans divers genres, Mme Camille Marbo a décrit des mœurs de petite ville, de vieux quartiers de Paris, des milieux de province, en Rouergue, Provence, Bretagne et dans la Maison Bartholène, chronique impartiale, très remarquée, de l’existence française pendant l’Occupation. Mme Camille Marbo a créé des types féminins, des caractères dont quelques-uns n’avaient guère ou pas été peints. Dans tous ses romans, dont les toiles de fond et le ton du récit sont différents, perce le même sens aigu de la réalité, un art de rester fidèle aux mouvements de la vie, en les choisissant toutefois dans ce qu’ils ont de très humain.
Jeux de la Science et de l’Amour, son roman paru récemment en librairie et qui a été offert par la Revue des Deux Mondes à ses lecteurs, groupe avec hardiesse de grands professeurs, des chercheurs de laboratoire avec leurs assistants des deux sexes. Des intrigues, des ambitions, de l’amour sincère, des jalousies s’entremêlent, s’entrechoquent dans une fièvre dramatique dont on ne s’attendait pas à trouver les troubles dans une atmosphère que l’on croyait impénétrable aux bouleversantes intrusions de Vénus et uniquement propice au culte de Minerve. Les épisodes qui s’enchaînent, les psychologies qui se heurtent ne vont jamais au delà du vraisemblable.
Le talent de Mme Camille Marbo a montré une fois de plus qu’elle joint à l’imagination des connaissances positives, une intelligence de logicienne, qu’elle est la digne fille et femme de grands savants.
M. René Maran est un des élus du Prix d’Aumale.
Cet Africain très français, excellent écrivain, n’a pas cessé depuis Batouala, son Prix Goncourt, de publier des romans, des poésies, des biographies.
Deux tomes ont paru de ses Pionniers de l’Empire, monographies d’illustres voyageurs ou explorateurs, dont plusieurs ont été écrites en pleine Occupation pour être données en exemple aux Français qui doutaient des trésors d’énergie prodigués au cours des siècles par notre Nation.
Il nous a fait, notamment, suivre les étapes, à travers les espaces équatoriaux et leurs dangers, de Brazza, cet opiniâtre conquérant pacifique qui employait les méthodes de la séduction et de la compréhension, et non la violence, pour la réussite de son entreprise civilisatrice, et pour assurer à des peuplades farouches la tutelle de la France.
D’un tout autre genre, les aventures de Bacouya le Cynocéphale, éditées récemment. Elles nous apportent, avec les batailles, les cris, les orages, les odeurs de la jungle, une sorte de fable où les bêtes parlent et raisonnent — souvent en lettrés qui ont la culture de M. René Maran — et se démènent dans un duel avec Noirs et « Peaux blanches armées de leur bâton à foudre ».
Tout en posant la question raciale ici et là, de façon émouvante, M. René Maran ne perd jamais de vue l’intérêt de la France qu’il considère comme un pays de cent millions d’habitants, dont soixante millions, éloignés de la Métropole, attendent d’elle les bienfaits de la sollicitude, de la science et de la justice.
L’autre élu du Prix d’Aumale est M. A. S’Terstevens. Son œuvre qui se situe dans des lieux fort différents, prend tour à tour la forme du roman et celle du journal de voyage, journal très littéraire, où les notations colorées se complètent de réflexions judicieuses. Nous voici, par exemple, avec son Itinéraire espagnol, dans une Ibérie où le temps et les révolutions n’ont guère ébranlé ce qu’il y a d’immuable dans sa pauvreté, son aridité et ce qu’elle a de grandeur altière. Il y a là de quoi réfléchir pour un penseur.
Notre prix a voulu aussi honorer un roman : La Grande Plantation, précédé de bien d’autres, où M. S’Terstevens expose les durs combats d’un planteur dans notre colonie tahitienne, sous le Second Empire. Ruses et malveillance des autochtones, rivalités sans merci assaillent l’homme aux belles et libérales initiatives. Et c’est aussi le Gouverneur, haute conscience, qui est en butte aux calomnies dont la Métropole n’aperçoit pas les funestes effets ; enfin l’épisode sentimental est parfaitement noble. Il semble que M. S’Terstevens ait voulu faire comprendre que la Française n’est pas la femme légère que l’on pense parfois à l’étranger, mais la compagne qui sait obéir aux lois du devoir. Ce long roman est un grand roman.
Notre très célèbre et très regretté confrère Paul Valéry concevait comme ambition moins d’être admiré que « médité, étudié ».
Combien lui procurerait de satisfaction la biographie critique, profondément creusée, que vient de lui consacrer M. Jean Soulairol que nous félicitons par le Prix Bordin.
La vie de Paul Valéry est une magnifique dilatation de la vie d’un esprit. Bien qu’on nous parle des émotions du cœur, ce sont celles de l’intelligence qui dominent, et si Paul Valéry sentait ce que procure à l’âme tel spectacle, telle rencontre avec la beauté, il y avait aussitôt en lui une sorte de condensation dans les hautes régions de la pensée. Dans cette pensée si déliée, si personnelle, si nuancée, si consciente, M. Jean Soulairol projette la perçante lumière des analyses les plus aiguës. Son livre de minutieuse dissection, d’éloquente compréhension élève un nouveau monument à une gloire dont le rayonnement ne pâlit pas, car ce sont d’incessantes citations de paroles prononcées ou écrites par Paul Valéry, comme on puiserait à une source profonde de pure intellectualité.
Par une de nos grandes récompenses, le Prix Alfred Née, nous signalons un livre de M. Dubois La Chartre, intitulé Roland. Récit de la guerre de 14-18 qui met en scène de jeunes aviateurs, bien dignes de leur vie entre ciel et terre, par la pureté de leur âme. Transporté en Italie, Roland y rencontre une adolescente de quinze ans, élancée, vaporeuse comme une apparition. Ce sont d’adorables dialogues entre ces deux êtres presque séraphiques. Roman ailé, au propre et au figuré, d’un ton exquis.
M. Jacques Caillé est le lauréat d’un Prix Pouchard pour son Charles Jagerschmidt.
Les navigateurs savent qu’un cap et deux îlots de la côte du Rif portent le nom de Jagerschmidt, mais combien sont-ils qui savent pourquoi ? Il a fallu que M. Jacques Caillé puisse explorer des archives marocaines pour que s’éclairât le rôle de ce chargé d’affaires durant une période notable (autour de 1850) des relations de la France et de l’Empire chérifien. Partout, car il fut ensuite à Beyrouth, à Odessa, il fit preuve des plus fortes qualités d’intelligence, d’énergie, d’habileté là où se produisaient des incidents diplomatiques. Sans jamais rien demander, sans se plaindre des manœuvres sournoises, il ne pensait qu’à servir la France, en sachant vaincre les mauvais vouloirs, par l’audace quelquefois. Il faut remercier M. Jacques Caillé d’avoir sauvé de l’oubli cette figure de haut fonctionnaire, de patriote, de fin diplomate.
Une partie du Prix Miller couronne la Marche à l’Exil de M. Henri-Victor Brunel. C’est la poignante odyssée d’un bataillon de prisonniers qui vont rejoindre, par de torrides routes interminables, un camp allemand de servitude, qu’ils appellent « havre », étant la halte définitive après tant de journées de faim, de soif, de poussière, d’épuisement, d’ordres rauques, dans l’écrasante amertume d’être les victimes d’une insuffisante préparation à la défense. Echapper à la capture ? Tentative désespérée qu’on ne peut réussir. Et l’on va, l’on va toujours sur des pieds en sang et en remâchant, ce qui fait si mal, le souvenir des jours heureux. Épopée authentique dont on voudrait fuir les images, comme impossibles, bien que M. Brunel n’ait jamais, par des procédés oratoires, forcé le tragique jusqu’à l’atroce. Cette Marche à l’Exil est le prélude d’autres synthèses qui constitueront, comme c’est annoncé, une Geste des Captifs.
Mme Simone Saint-Clair, dont le talent d’invention s’est affirmé par une vingtaine de volumes, nous introduit cette fois dans l’Au-delà. Son livre : Le Flambeau ardent, auquel est allée l’autre fraction du Prix Miller, est, comme elle l’a dit, un « élan vers les cimes, refuges des âmes blessées ».
Comme si ce n’était pas assez d’avoir subi les horreurs de Ravensbrück, elle a perdu, dans les batailles, ses deux fils. Mère douloureuse, elle s’est, non consolée, mais réconfortée en faisant appel à ces ombres chéries dont elle a entendu la voix, les conseils, les promesses. Si elle fait état de cette rare faveur qui l’a mise en communication avec l’âme des disparus, c’est dans le dessein de transmettre à d’autres endeuillés la paix et l’espoir. Voilà donc des pages extrêmement émouvantes, d’une éloquente spiritualité, qui aura l’adhésion de bien des cœurs.
Nous avons distingué, par le Prix Davaine, Le Lanceur de Rail, roman de M. Jean van Dorp.
C’est en quelque sorte une relation des plus colorées sur les difficultés, les périls, en terre Mandchoue, d’ingénieurs et de techniciens qui établissent un chemin de fer à travers une concession obtenue, en 1913, par une Compagnie Belge. 350 pages de texte dru introduisent dans le pittoresque exotique et dramatique d’une Chine hostile. Les types sont fortement marqués d’hommes et de femmes qui s’affrontent ou lient leurs destins. Un souci d’exactitude, et peut-être un encombrement de souvenirs, une trop riche substance ralentissent parfois l’action mais, du moins, ne laissent rien ignorer des éléments d’une lutte où l’on ne soupçonnait pas tant de possibilités d’héroïsme et de cruauté barbare.
L’Académie française a toujours été attentive à ce qu’on dénomme la « Littérature régionaliste », c’est-à-dire aux livres des originaires d’une région qui en évoquent l’histoire, les coutumes et légendes, les monuments, vestiges de son passé, les curieuses figures, la poésie. C’est pourquoi elle décerne un Prix Montyon à la biographie de Godefroy de Leusse, archéologue et historien, par M. Jean Michoud. Il raconte la vie et les travaux de ce membre actif et laborieux de son Académie provinciale. À travers une immense œuvre de bonté, de charité, Leusse multiplia au sein de cette Compagnie les Mémoires sur les traditions, les architectures d’une contrée riche en beaux édifices séculaires. Après avoir fait courageusement son devoir en 1914-18 sur les champs de bataille, trop âgé pour combattre dans la dernière guerre, il ne cessa, jusqu’à la complète libération, de soutenir moralement et matériellement, plus encore que d’habitude, les vieillards, les femmes, les enfants qui souffraient dans l’angoisse ou le malheur. Et c’est d’une manière bien attachante que M. Jean Michoud fait revivre cet homme de savoir et de grand cœur.
Autre Prix Montyon, Mme Lucie Franqueville.
Toi, Lui, les Autres, sous ce titre elle donne aux femmes, comme le dit la duchesse de La Rochefoucauld dans une délicate préface, avec « l’accent d’une voix amie », des conseils de sagesse, de conduite, de souriante résignation. Ce n’est point acceptation courbée sous les mécomptes envoyés par les jours, mais l’exhortation à une attitude de belle joueuse qui, bien droite, renvoie les coups. Ce livre contient maintes formules d’une morale cherchant pour le cœur et l’esprit cet équilibre qui, les circonstances aidant, peut assurer le bonheur.
Voici quelques-uns de nos Prix d’Académie :
M. André Lebois, auteur de deux ouvrages considérables, l’un sur Villiers de l’Isle-Adam, l’autre sur Blémir Bourges, éclaire leur époque et ses tendances, ses hésitations et ses réalisations. Ce sont deux livres d’histoire littéraire et de critique serrée, magistrale. Ils démontent tous les ressorts d’œuvres si personnelles par la faculté inventive des deux écrivains, par leurs talents exigeants, par leurs intuitions psychologiques. M. André Lebois pénètre dans tout ce que fut le Symbolisme, ses sources et ses dérivés. Travail énorme qui a demandé des années de recherches, de patients rapprochements et tant de perspicacité !
M. René Huyghe, professeur au Collège de France, a retrouvé un Carnet du curieux peintre Paul Gauguin, plein de notes et de croquis. Il en donne une reproduction qu’il a accompagnée d’un livre de commentaires d’une extrême finesse d’examen et d’exégèse. Nous suivons les étapes du talent de l’artiste influencé d’abord par les lumières de Camille Pissarro et de Cézanne, puis par la truculence de van Gogh. On sait qu’ivre du besoin de liberté, Gauguin s’en alla aux Antipodes, à Tahiti, d’où il envoyait des scènes océaniennes d’un coloris dur et mat, jaune et bleu, goût d’exotisme qu’il devait peut-être au sang péruvien de sa grand-mère, la fameuse propagandiste sociale Flora Tristan.
M. Emmanuel Roblès a posé, sous ce titre assez énigmatique Cela s’appelle l’aurore, un problème à frôlements cornéliens, puisqu’il s’agit d’honneur. Mais l’honneur est-il ici d’obéir à un ordre social rigoureux ou aux objurgations de la conscience, à un certain impératif de justice plus moral que les lois des Codes ? Question qui n’est point traitée comme pour une thèse, car il s’agit de caractères mis en présence d’événements qui les révéleront tout à fait à eux-mêmes. Ce roman dont le pivot de l’action est un assassinat, où intervient l’appareil policier, ne perd rien pour cela d’une soucieuse dignité littéraire.
Le roman de M. Charles Oulmont, L’Homme en robe noire, met aux prises une catholique et un protestant. Nous sommes avertis qu’aucun rite, aucune croyance ne sont là incriminés. Il s’agit d’un cas spécial et ce sont les caractères, les situations, les antécédents des héros qui engendrent le conflit dont les épisodes sont narrés par un conteur aux qualités reconnues.
Le Tigre est une pièce radiophonique faite de scènes sur la vie de Clemenceau, évoquée par le Dr Henri Pouret, dans un sentiment patriotique de gratitude pour le grand Français, pour ce Père-la-Victoire dont il faut parler à la jeunesse et aux foules parfois oublieuses.
L’heure passe qui m’est impartie pour la lecture de ce rapport. J’aurais voulu donner encore quelques instants à des travaux de premier ordre, qui nécessiteraient, d’ailleurs, de sérieux comptes rendus, comme : L’Orient de Maurice Barrès, par Mlle Ida-Marguerite Frandon ; La Bataille de Casablanca, par M. Jacques Nordal ; La Pologne de Pilsudski, de M. Jules Laroche ; L’Évolution religieuse des Adolescents, du professeur de l’Université, M. Louis Guittard, auxquels nos Prix donnent un témoignage de haute estime.
Mais les Poètes m’attendent, et leurs droits sont aussi imprescriptibles dans cette maison.
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Pour le Prix Broquette-Gonin, nos suffrages sont allés à M. André Delacour.
Poète de la nature et de l’amour, traversés de spiritualité — ce que prouve en particulier son récent recueil : Le Soir ensoleillé et ses Évangiles — M. André Delacour, dans son art très sûr, s’efforce à une condensation de pensée que mettent en valeur des rythmes heureux et des sonorités harmonieuses. Son chant est celui d’une âme idéaliste et fervente, éprise des plus beaux songes.
Il est aussi Romancier. Il a étudié des problèmes de conscience qui, si hardis qu’ils soient, sont traités avec tact.
Dans ses essais sur Corneille, sur Pascal, en cherchant pour lui des modèles, il nous a proposé des exemples. Derrière deux auteurs de génie, il a découvert deux hommes qui font honneur à l’humanité dont ils ont montré jusqu’où pouvait s’élever la grandeur.
Fondateur du Journal parlé à la Radio, M. André Delacour y a toujours servi la haute littérature, les plus dignes manifestations de l’esprit français.
Mme Marie Noël est la bénéficiaire du Prix Alice Barthou. On a pu dire qu’elle est une sœur de Marie de France, surtout qu’elle a quelques gouttes de sang de ces filandières du moyen âge dont le rêve d’amour arrêtait les doigts agiles pour laisser voltiger sur leurs lèvres de suaves mélodies. Son poème célèbre, qui a nom tout court : Chanson, a bien ce lyrisme sentimental si accusé au refrain :
Je cousais, cousais, cousais,
Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ?
Sa grâce, qui semble ingénue et subtile, choisit l’exquis. Dans les Chants de la merci, Le Rosaire des joies, Les Chansons et les Heures, on retrouve ce qui la rattache à la lignée des tendres faiseurs de Lais dont elle rajeunit l’inspiration intime et religieuse, par l’assouplissement du vers et par de plus libres coups d’aile.
Le lauréat du Prix Durchon est Tristan Klingsor. Symboliste des heures militantes, il n’a jamais cessé de cultiver le vers libéré, trouvant, pour des poèmes d’une souplesse ondoyante, des associations nouvelles de mètres et des combinaisons rythmiques d’une incontestable séduction. Affranchie des règles, mais soumise aux fortes disciplines de l’art, sa poésie bien française nous tient par sa simplicité et une vision personnelle du décor — que ce soit dans sa Picardie ou dans un Orient fabuleux — par de l’ironie, quelquefois de la fantaisie et un pouvoir de suggestion.
Il est aussi peintre de valeur, compositeur de musique, critique d’art.
Un de nos Prix Artigue est dévolu à M. Jacques Noir. Président de la Maison de la Poésie. Il vient de publier, après trente années de silence ou de monologues intérieurs, un volume de vers consacré à une chère mémoire, et selon le titre, à Celle qui ne fut pas assez aimée. Ce sont deux cents pages frémissantes, ardentes et graves, de regrets sans emphase et de religieux espoirs, dont l’émotion se communique au lecteur.
En se conformant aux règles consacrées, M. Jacques Noir a trouvé la langue et les mètres qui convenaient à sa plainte, tantôt discrète, tantôt déchirante, sans jamais perdre sa noblesse.
Un autre Prix Artigue couronne Mme Jane Kieffer. Forêts de l’autre monde annonce la couverture de son recueil. C’est un monde de joie, de flamboiements, où Mme Jane Kieffer plonge avec une ivresse, une liberté un peu dionysiaque qui permet, déclare Paul Fort dans un avant-propos admiratif, de la comparer à « une force de la nature, comme le vent et le feu qu’on ne peut juguler » et dont on subit l’empire.
Mme Claude-Marie Barreau est récompensée par le Prix Jean- Marc Bernard. Avec un don rare de la versification, elle se rattache souvent au XVIIIe siècle par la svelte désinvolture qui, au XIXe, prit, avec Musset, une teinte à la fois de romantisme alerte et de limpidité classique. Mme Claude-Marie Barreau a rêvé dans une Chambre vide et y a donné cours aux bonds légers de son inspiration. Sa plume s’élance allégrement, sans fuir à l’occasion les sujets badins, élégamment épicés d’espièglerie mutine. La nature de son talent est appréciée dans une préface lumineuse de M. Pierre Grosclaude.
Mme Marguerite Henry-Rozier a obtenu le Prix Labbé-Vauquelin. Elle chante en virtuose de la cadence et de l’image les saisons, les teintes, les odeurs, les rumeurs de la nature, mais aussi les inclémences du sort qui ravagent les âmes, détruisent les bonheurs, et ce n’est pas injustement qu’elle semble l’accuser de faire courte Mesure de la Joie puisqu’elle a dénommé ainsi ses exaltations et justes plaintes.
Une première coupure du Prix Mesureur a été réservée à Mme Ginette Bonvalet pour ses poèmes qu’elle baptise Bleu-Noir. Un grand amour de la vie éclate dans ces stances qui trahissent aussi de la douleur, de l’effroi même devant l’avenir. Un besoin immodéré de tout approcher, de tout saisir est avoué dans un murmure de berceuse. Aucun verbiage ni délayage, une sobriété qui laisse toute sa valeur à la modulation du vers.
Une autre coupure du Prix Mesureur est affectée aux 125 sonnets de M. Jean Kobs, précédés par un chaleureux et nuancé commentaire de M. Yves-Gérard Le Dantec. Sonnets impeccables qui célèbrent le monde extérieur en y projetant les lumières d’une vie intérieure pieuse et vouée aux plus hautes méditations.
Par une magie dans le rapprochement des mots, les vers donnent une étonnante sensation de plénitude. Le Poète fait oraison auprès des Roses de la Nuit ; mais des hymnes vont aussi à maints spectacles plus ou moins familiers. Le jardin solitaire et embaumé, les plantes, les eaux, de l’aurore au crépuscule, distillent des confidences, comme ils font pour ceux qui ont le privilège d’être habiles à les solliciter et à en tirer un suc lyrique.
M. Émile Bonnin appelle Allée du Silence certain chemin où il salue le Créateur à travers la Création, où s’élèvent d’innombrables voix, échos de la « forêt pensive », des rives marines, des champs cultivés, et qui incitent le rêveur à rêver tout haut. Il livre les impressions de son âme chrétienne assez franciscaine, et, oserai-je dire, de son œil panthéiste. Et quelle pure sincérité lorsque, par exemple, il nous confie dans un vers délicieux :
J’ai serré sur mon cœur la fraîcheur du matin.
M. Jacques Krafft a reçu un de nos Prix Sully Prudhomme. De flâneries « à la billebaude », c’est-à-dire au hasard, et le hasard a bien fait les choses, le flâneur rapporte un plein cahier d’alexandrins où l’on croit découvrir une saveur d’archaïsme, mais qui est le jeu d’adresse, tout moderne, d’un jongleur expert à tracer des entrelacs de mots. M. Krafft, fort savant en prosodie, a des raffinements dans l’allitération, dans les assemblements de sons martelés jusqu’à la rime qui ne se permet aucun laisser-aller.
De la Rose à l’Épine, ce titre ne ment pas qu’apportent les strophes où Mme Colette Benoite marie un parfum valmorien à un humour piquant. Il n’y a rien de banal dans ses poésies qui ont mérité le Prix François Coppée.
Le Prix Bardet est offert à Mme Marie-Louise Delafontaine pour son volume La Porte sur le Monde. Ses thèmes ne sont pas seulement l’expression de joies, de tristesses ou d’espoirs personnels. Elle sollicite mille aveux des êtres et des choses et les écoute avec sympathie. Son horizon est vaste et tout l’entraîne vers une traduction verbale qui prend aisément la coupe du vers. Les grands motifs de l’amour et de la mort, elle les traite avec une sorte de vaillance d’âme qui s’attendrit dans des sentiments de pitié ou de touchante philosophie.
Les Heures qui passent valent à Mlle Françoise des Varennes un Prix Archon-Despérouses. Dans ses poèmes se laissent deviner les battements d’un jeune cœur ardent, frissonnant, où les mélancolies restent printanières, où l’espoir demeure sous les regrets, où le monde revêt ce que peuvent lui prêter les sortilèges des vingt ans.
Je citerai encore parmi nos lauréats M. Robert Lacroix de l’Isle qui glorifie, en amoureux de Paris, les Berges de la Seine avec tout ce que reflète le fleuve depuis les temps de Lutèce ; M. Maurice Gervais qui, avec des poèmes, des contes, a abordé le théâtre : un Héliogabale et une Couronne de Stratonice constituent un bel effort pour ressusciter la tragédie en la rajeunissant par une couleur locale plus exacte qu’au temps des romantiques et en y développant symboliquement des idées modernes ; Mme Rondeau-Luzeau avec tout ce qu’elle contempla dans le Vent du soir où se sont épanouies ses facultés de penseur ; M. Armand Got, excellent poète régionaliste, dont la Suite Périgorde illustre les beautés, les paysages, les produits savoureux des pays qu’arrose la Dordogne ; M. Édouard Gargour, délégué général en Égypte des Amis de l’Académie des Poètes de Paris, qui nous envoie des Glanes poétiques, dont plusieurs, poussées au ton de l’effusion, manifestent une amitié infiniment touchante pour tout ce qui est de France.
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Notre Médaille est destinée à ceux qui, au delà de nos frontières, servent par l’action, la parole ou leurs écrits notre langue et notre culture.
Elle est très justement offerte à M. Gabriel Ollivier. Commissaire général de la Principauté de Monaco à l’Information et au Tourisme. En remplissant avec zèle et avec tact les devoirs de sa fonction, il contribue dans sa sphère, en homme clairvoyant, à entretenir les relations intellectuelles de la Principauté avec tous les pays et, en particulier, avec le nôtre. Secrétaire général de la très active Société des Conférences de Monaco, c’est beaucoup à son initiative que de nombreux conférenciers français sont conviés à y prendre la parole et il est un des fervents instigateurs des égards dont ils sont entourés. Dans son amour de notre littérature, il s’ingénie à lui faire rendre hommage, à entretenir le culte dont elle est l’objet à Monaco.
Il complète les services administratifs qu’il rend à la Principauté par les livres qu’il sait trouver le temps de composer sur son histoire, la beauté de ses aspects, le genre d’attraction qu’elle exerce, car il est aussi un écrivain de qualité et il a récemment ajouté à ses livres évocateurs une histoire très intéressante qui, sous le titre : Une dynastie millénaire, celle des Grimaldi, est une histoire de S.A.S. le Prince Rainier III dont M. Gabriel Ollivier trace le portrait, donne maintes images et parle aussi longuement qu’il est possible lorsqu’il s’agit d’un souverain tout jeune encore. M. Gabriel Ollivier rappelle que, comme son grand-père pendant la guerre de 14-18 et son père en 39, le Prince Rainier s’engagea dans l’armée française de la Libération, fit la cane pagne d’Alsace, et qu’il ne cessa de multiplier les preuves de sa très attentive sympathie pour les Lettres, les Sciences, les Arts de la France.
Le Révérend Père Martin vit au Japon depuis de longues années. Il y enseigne le français. Il a eu l’idée heureuse de composer un Dictionnaire franco-japonais où les mots japonais seraient représentés à la fois en caractères japonais et en caractères romains. Un tel ouvrage manquait à nos travailleurs, comme aux Japonais qui apprennent notre langue. Le nombre des Français qui vivent dans l’archipel nippon est assurément petit à cette heure ; mais les visiteurs de cet attirant pays sont de plus en plus nombreux. Le Dictionnaire du Révérend Père Martin sera d’un grand secours à ceux-ci et à ceux-là. Nous saluons sa publication avec gratitude, en lui faisant hommage de notre Médaille.
Il est très agréable à l’Académie d’exprimer sa reconnaissance, par sa Médaille, au Poste Canadien de Radiodiffusion, créé en 1922 par le propriétaire d’un journal de Montréal, La Presse, et désigné sous ce sigle conventionnel C.K.A.C. C’est le premier Poste de langue française en terre d’Amérique. Il a toujours considéré comme tâche essentielle la diffusion des choses de France. Le rôle de cette Radio est exceptionnel, car les ondes atteignent une population en partie dispersée sur un immense territoire, éloignée des centres intellectuels. C’est une aide précieuse aux Canadiens qui maintiennent notre langue si fidèlement et sont attentifs à favoriser tous les fruits de notre culture dans leur jeune et grande Nation.
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Si délicat que soit le choix des livres à couronner par nos Prix, si longue qu’en soit la lecture, nous ne nous plaignons pas de cette tâche annuelle. Nous y trouvons un réconfort puisque ces nombreux envois attestent le courageux labeur d’écrivains qui, malgré tous les obstacles de l’époque actuelle, ont l’abnégation de méditer et de construire des œuvres exigeant de longs efforts et dont la venue au jour est hasardeuse.
L’énergie, la bravoure de ces travailleurs intellectuels, l’attachement à leur art, à leur rêve, à leur idéal, augmentent notre confiance en l’avenir de notre pays.
Ainsi par leurs créations si méritoires, à travers nos incertitudes et nos angoisses, ils répondent aux appels que dans son tout récent ouvrage : Et que vive la France ! le Général Weygand adresse, en un chapitre d’une éloquence émouvante, à tous les jeunes gens de France et, par-dessus leurs têtes, aux hommes plus âgés.
Oui, nous dit le Général Weygand, quels que soient nos genres d’activité, professions ou métiers, que nous soyons intellectuels ou techniciens, ouvriers, travaillons de toutes nos forces, de toute notre ardeur afin que renaissent la prospérité et le prestige de notre chère France, afin que la vie y redevienne facile et que sa voix, ne s’élevant que pour la justice, soit plus écoutée dans le monde.