Rapport sur les concours de l’année 1870

Le 23 novembre 1871

Henri PATIN

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1870.

DE M. PATIN

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

(Lu dans la séance publique annuelle du jeudi 23 novembre 1871.)

 

MESSIEURS,

Je ne puis, sans un sentiment pénible, auquel s’associeront certainement mes auditeurs, me reporter à ces commencements de l’année 1870, où se préparaient, paisiblement, dans les réunions particulières de l’Académie, les décisions qu’aujourd’hui seulement (ce long silence ne s’explique que trop bien) elle peut rendre publiques.

La paix, alors, la paix, dont le terme était si peu prévu, bien que si prochain, exerçait sur le mouvement des lettres sa favorable influence ; nous en trouvions un heureux témoignage dans le nombre et le mérite croissant des productions de toutes sortes soumises à notre appréciation ; et, pour nous aider, nous guider, dans la tâche, souvent difficile, de les classer, de les juger, pour expliquer au public, avec autorité et intérêt, les motifs de nos préférences, pour mêler, dans la mesure convenable, à de justes éloges, les sages réserves, les utiles conseils, et recommander, sans servilité superstitieuse, le respect des grandes lois de l’art, nous possédions encore ce maître de la critique contemporaine, d’un savoir si varié, d’un goût si libre et si sûr, d’une parole si vive, si spirituelle, si hardie, si neuve quelquefois dans sa pure élégance, qui a été, pendant trente-cinq ans, l’interprète officiel de l’Académie, et qui, à cette place d’où je vous parle, et où vos regards le cherchent involontairement, sans l’y retrouver, n’a cessé d’exercer, avec un assentiment, un applaudissement général, une sorte de magistrature littéraire.

Ce rôle considérable (il peut nous être accordé d’en parler ainsi dans cette enceinte), M. Villemain l’a soutenu jusqu’aux derniers moments de sa vie, avec une courageuse persévérance. Succombant sous le poids de l’âge, de la maladie, de la tristesse, il s’occupait encore avec zèle de nos concours. Quelques-uns des ouvrages dont je devrai vous entretenir ont passé par ses mains défaillantes, et fixé le regard, toujours curieux et pénétrant, de son esprit. Il a par là sa part dans le rapport que vous allez entendre, et interviendra, pour ainsi dire, une dernière fois dans ces solennités académiques, que sa voix n’animera plus, mais auxquelles son souvenir ne saurait jamais demeurer étranger.

C’est par ce qui regarde l’histoire qu’il convient peut-être de commencer la proclamation annuelle des nombreuses récompenses qu’est chargée de décerner l’Académie. Nul genre, en ce siècle, ne s’est renouvelé plus heureusement, ne s’est produit sous des formes plus variées, ne s’est prêté à des applications plus diverses, n’a acquis plus d’importance, n’a mérité plus de faveur. Par une conséquence naturelle, il n’en est point que l’Académie, grâce à de généreux amis des lettres, soit plus à même de récompenser dignement : elle a, chaque année, à décerner, avec le double prix Gobert, le prix Thérouanne ; et, dans le prochain concours, elle pourra en outre disposer, pour la seconde fois, du prix de destination analogue, institue par un de nos plus illustres confrères et qui porte son nom : doublement inspirateur ! On peut prévoir un temps, où le fondateur lui-même offrira aux concurrents, non-seulement, comme aujourd’hui, d’excellents modèles dans ses œuvres, mais, dans les actes de sa vie si généreusement, si constamment dévouée et secourable à son pays, un grand et noble projet.

Dès le mois d’avril de l’année 1870, l’Académie, statuant sur le grand prix Gobert, se décidait à le transférer de l’ouvrage auquel il avait été justement attribué deux ans de suite, la très-estimable Histoire de France de M. Dareste, à l’Histoire de la Terreur de M. Mortimer-Ternaux. Un grand intérêt moral recommandait à son choix celte nom elle production historique, d’une irrécusable véracité, ou des documents originaux, officiels, curieusement rassemblés, exactement reproduits, habilement liés par un régit dont ils forment comme la trame, font apparaître, dans sa hideuse, son affreuse réalité, un régime trop souvent pare de fausses couleurs par la complaisance intéressée des passions démagogiques. L’Académie n’a certes pas d’opinion, depuis qu’a tant ajouté à l’utilité, à l’opportunité d’un tel ouvrage, après l’impudence des apologistes, des panégyristes même, la monstrueuse émulation des imitateurs.

Un intérêt de nature bien différente s’attache aux souvenirs glorieux qu’a rappelés avec sympathie, exactitude et talent, dans son Histoire de la conquête de l’Algérie, M. Alfred Nettement. L’Académie, qui, en 1869, avait décerné à cette histoire le second prix de la fondation Gobert, a cru devoir, en 1870, le lui maintenir, couronnant ainsi de nouveau, non sans tristesse, avec un bon livre, une carrière littéraire, prématurément interrompue par la mort, et digne d’être longtemps honorée.

Par une conformité douloureuse, le grand prix lui-même n’est plus aujourd’hui qu’une couronne déposée sur une tombe. Il y a quelques jours à peine qu’a été enlevé à la politique, aux lettres, à l’Institut, l’homme distingué que nous en avions jugé digne.

La première application des dispositions généreuses de feu M. Thérouanne en faveur des travaux historiques a appelé l’attention de l’Académie sur deux ouvrages surtout, l’un et l’autre de grande valeur, et entre lesquels il lui a paru juste de partager le nouveau prix : Homme au masque de fer, par M. Marius Topin ; l’Histoire de Savoie, par M. Victor de Saint-Genis.

Abordant à son tour un problème qu’on a si souvent et si vainement essayé de résoudre, M. Topin est arrivé, par une habile discussion de toutes les hypothèses, à une solution qui offre, sinon une entière évidence, du moins un frappant caractère de vraisemblance, et paraît devoir être définitive. L’ouvrage, quoi qu’on en doive penser, est un modèle d’investigation critique. En outre, dans cette revue, singulièrement variée, d’événements et de personnages, qui était la condition heureuse de son sujet, l’auteur, par des mérites qu’un précédent concours avait déjà révélés à l’Académie et signalés à ses récompenses, par une habileté remarquable à mettre en relief les traits principaux, artistement rapprochés, d’une situation ou d’un caractère, par la précision de sa pensée, et la fermeté élégante de son style, a témoigné de nouveau de la parenté de son talent avec une des grandes écoles historiques de notre âge.

L’histoire de la Savoie, de ce pays si longtemps, si diversement mêlé à nos grandes querelles avec les puissances européennes, et qui, tour à tour italien et français, fait enfin corps avec la France, une telle histoire est comme une province de notre histoire nationale. M. de Saint-Genis, en la retraçant, depuis les plus lointaines origines auxquelles elle puisse remonter jusqu’à son dénoûment, semble avoir été inspiré par un double patriotisme. Il n’a rien négligé pour qu’après tant d’essais analogues dont il rappelle lui-même le souvenir, son œuvre ne manquât pas de nouveauté. Il y est parvenu par une recherche, une étude, très-patiente, très-intelligente, des documents originaux. Il porte du reste avec aisance, sans en être alourdi, sa riche érudition locale. Son exposition est facile, vive, rapide, trop rapide même en certains endroits : ce qui en fait le principal caractère, c’est une grande liberté de jugement, comme d’expression, et, même dans les saillies, où elle s’emporte quelquefois, la constante honnêteté d’un esprit sagement libéral. Bien des événements y sont racontés ou résumés, bien des personnages décrits et appréciés ; mais, ce qui y tient le plus de place, c’est le peuple de Savoie lui-même, dont l’historien s’applique à bien faire connaître, d’époque en époque, les mœurs, les sentiments, les aspirations, les progrès dans la vie sociale : il ne néglige pas surtout des affinités avec la France, par lesquelles a été préparée de loin, à travers toutes les vicissitudes de la politique et de la guerre, une réunion qu’on peut croire durable, car le libre consentement des peuples l’a consacrée, et elle ne procède pas d’un abus de la victoire, du prétendu droit de la conquête.

À une autre sorte d’histoire, à l’histoire littéraire et à cette critique supérieure qu’on n’en peut séparer, appartiennent deux autres ouvrages auxquels, par un nouveau partage, l’Académie a cru juste d’attribuer en commun le prix proposé par la fondation de M. Bordin à une œuvre de haute littérature. Ils répondent tout à fait à ce programme et honorent notre enseignement public, qui compte leurs auteurs au nombre de ses professeurs les plus justement estimés ; l’un, M. Martha, dans la Faculté des lettres de Paris ; l’autre, M. Heinrich, dans la Faculté des lettres de Lyon.

L’ouvrage de M. Martha est une étude sur le poème de Lucrèce, considéré au triple point de vue de la morale, de la religion, de la science, et où les considérations, les appréciations littéraires, que n’annonce point le titre, ne laissent pas d’avoir leur place, une place importante. Déjà, dans un autre livre, couronné en 1865 par l’Académie française, les Moralistes sous l’empire romain, philosophes et poëtes, M. Martha avait considéré en historien en moraliste, et aussi en littérateur d’un goût délicat et sûr, deux autres poètes latins, Juvénal et Perse. Dans leurs vers, dont il faisait sentir à propos les énergiques et hasardeuses beautés, il avait recherché avec une sagacité pénétrante ce qu’ils nous apprennent sur la société romaine au temps de l’Empire, sur les mœurs et les sentiments de ses diverses classes, et, chez quelques-uns de ses plus nobles représentants, sur l’action puissante du stoïcisme. On comprend comment il a été conduit à entreprendre un travail du même genre sur l’épicurien Lucrèce, sur le poète en qui a trouvé une si haute expression la doctrine qui a partagé à Rome, avec le stoïcisme, le gouvernement des esprits.

Nous sommes plus à même qu’à d’autres époques de porter un jugement équitable sur Lucrèce, non-seulement comme poète (l’excellence poétique de son œuvre, longtemps méconnue, ou imparfaitement comprise par nos critiques, est désormais hors de toute contestation), mais encore comme philosophe. Ce n’est pas que ne se renouvellent quelquefois, à l’égard de systèmes dont la réfutation et l’apologie pouvaient sembler épuisées, les anathèmes du XVIIe siècle et les adhésions, non moins passionnées, du XVIIIe. On est plus généralement porté à voir dans l’épicurisme un fait d’un autre âge, appartenant à l’histoire de la philosophie, à celle des sociétés antiques, qu’il s’agit simplement, pour nous autres modernes, de comprendre et d’expliquer ; et, tout en condamnant comme il convient, les erreurs que Lucrèce a trop docilement acceptées d’Épicure, à lui tenir compte, aussi bien qu’à son maitre, de ce qui, dans l’état religieux et moral du monde grec et du monde romain, a pu les y induire, de la sincérité, de l’intention honnête avec lesquelles leur ardent prosélytisme les a professées, enfin de ce qu’ils y ont mêlé d’enseignements salutaires, conformes aux leçons de philosophies meilleures, et dont la vie humaine peut encore faire son profit.

C’est dans ces raisonnables et indulgentes dispositions que M. Martha a abordé le nouveau sujet qui s’offrait à lui, sujet bien intéressant, mais aussi bien délicat ; car, pour sauvegarder les grands principes de la religion et de la morale, il obligeait à des réserves, qui, quelque expresses, quelque multipliées qu’elles fussent (et elles sont telles dans ce livre), couraient le risque, dans le conflit des spiritualistes et des matérialistes, de paraître aux uns insuffisantes, et aux autres importunes. Je ne voudrais pas répondre qu’il ait été donné à M. Martha d’échapper à ce double danger. Mais, s’il en était autrement, ce serait peut-être un témoignage de la sage mesure qu’il a su garder.

À la justesse des vues répond la délicatesse du langage dans ce livre bien pensé, bien écrit, où s’exprime, avec vérité, le génie philosophique et poétique de Lucrèce. Depuis une traduction célèbre dont Fauteur, vivement regretté de l’Académie, doit être honoré par elle dans une prochaine séance, Lucrèce n’avait pas reçu chez nous de plus digne hommage.

Auprès de cet excellent livre s’est placée l’Histoire de la littérature allemande de M. Heinrich, par des mérites de savoir, d’ordonnance, d’exposition, dignes de grande estime. La mesure est aussi un des traits caractéristiques de l’auteur. Il résiste à la séduction de ces systèmes absolus qui font trop prévaloir, dans l’histoire littéraire, sur le libre développement du génie individuel, l’action de causes extérieures, une sorte de fatalité. Toutes ces productions étrangères, qu’il doit passer en revue, il les apprécie à leur juste valeur, sans parti pris pour ou contre des manières de penser, de sentir, des habitudes de goût et de composition qui ne sont point les nôtres, sans préventions françaises et sans engouement germanique, n’apportant à sa tâche de rapporteur, et même, quoiqu’il s’en défende, de juge, qu’impartialité et bienveillance. Ce livre est bien par son esprit, comme par sa date, de ces années si voisines de nous, dont il nous semble cependant que nous sépare un immense intervalle. C’est un des menteurs assurément, qu’ait produits le mouvement qui nous portait alors vers les choses de l’Allemagne, vers sa philosophie, sa science, sa littérature, avec une curiosité attentive, une généreuse émulation, des sentiments d’estime et de sympathie, payés, hélas ! au moment même, nous l’ignorions et ne devions pas tarder à en être cruellement avertis ; payés dans le monde même des lettres et de l’enseignement, d’un bien étrange retour, par d’insolents mépris, par de la haine. Ne regrettons pas, cependant, des dispositions bienveillantes, qui, pour n’avoir point obtenu de réciprocité, n’en honorent pas moins notre caractère national, et ont valu à notre littérature, autrefois le beau livre de Mme de Staël, et, après plus d’un demi-siècle, l’utile et intéressant complément que vient d’y ajouter M. Heinrich.

J’arrive à un autre ordre de récompenses, instituées, dans les dernières années du XVIIIe siècle, par un sage magistrat, vertueusement, généreusement préoccupé du progrès moral de la société. Le prix proposé par M. de Montyon à l’ouvrage le plus utile aux mœurs était d’abord unique et devait se donner annuellement à un ouvrage dont les mœurs privées ou publiques fussent l’objet spécial. Mais il était bien difficile de rencontrer chaque année un ouvrage qui répondît aux conditions du programme, non-seulement par l’intention morale, mais par le talent et le succès, sans quoi on n’eût pu le dire véritablement utile aux mœurs. Cette difficulté, plus d’une fois constatée, fit que la récompense changea insensiblement de nature et que, grâce à la munificence du fondateur, elle s’étendit à un nombre indéterminé d’écrits, de matières, de formes diverses, et, le plus souvent, sans autre utilité morale que celle qui résulte, eu toute composition, des mérites sérieux, graves, élevés, de la pensée. De là, naturellement, un nombre de concurrents qui s’accroît chaque année et était arrivé, en 1870, à un chiffre bien considérable. De là, aussi, pour l’Académie, la convenance et presque la nécessité de dépasser quelque peu le nombre de récompenses auquel elle s’est prescrit à elle-même de se borner. Car, même en retranchant d’une liste de cent quatorze ouvrages, non-seulement ceux dont la valeur littéraire pouvait paraître insuffisante, mais ceux où étaient traités avec talent des sujets par trop étrangers à l’objet du concours, et, quant à d’autres acceptables de tout point, niais dont les auteurs, comme M. Henri Martin, M. Waddington, M. Gidel, avaient figuré déjà plus d’une fois parmi nos lauréats, quant à ceux-là, en se bornant à un simple rappel de ces honorables distinctions, il en restait assez, et l’on doit s’en applaudir, d’un mérite distingué, pour que les choix de l’Académie fussent encore bien difficiles, et qu’elle ne pût les arrêter et les limiter sans regret.

C’est toutefois sans hésitation qu’elle a placé au premier rang, avec attribution d’un prix de 2,500 francs, un livre des plus intéressants comme des plus attachants, Élisabeth Seton, et les commencements de l’Église catholique aux États-Unis, par Mme de Barberey ; un autre livre de haute critique philosophique et religieuse, Sénèque et saint Paul, étude sur les rapports supposés entre le philosophe et l’apôtre, par M. Charles Aubertin, maître de conférences à l’École normale supérieure.

Il n’est pas de nom plus respecté en Amérique, et qui mérite plus le respect universel, que celui de la vertueuse et sainte femme dont Mme de Barberey s’est chargée de nous faire connaître l’histoire. Née en 1774, à New-York, d’un savant médecin, Richard Bayley, unie en 1794 à William­Magee Seton, d’une noble famille écossaise, autrefois attachée à la fortune des Stuarts, d’abord protestante, d’une ardente piété, puis, après un douloureux voyage en Italie, où elle conduisait, pour lui faire respirer un air plus doux, son mari mourant, attirée au catholicisme par un secret pen­chant pour un culte dont les formes enchantent son imagi­nation, et que professent sous ses yeux, avec une piété passionnée, de chers amis ; mal accueillie, persécutée même, par suite de sa conversion, à son retour dans un pays qui n’était pas encore celui de la tolérance ; réduite, par des revers de fortune et l’abandon de ses proches, à accepter pour vivre la direction d’une école de petits enfants ; faisant in­sensiblement, par les inspirations de son ingénieuse et active charité, de l’humble école une institution religieuse importante bientôt affiliée aux sœurs de charité de Saint-Vincent de Paul, et que propagent des fondations de même sorte dans tous les États de l’Union : tels sont les traits principaux d’une biographie qui, s’ouvrant par des scènes de la guerre de l’indépendance, et avant pour dénoûment le développement de l’Église catholique en Amérique, atteint à l’intérêt d’une histoire. Dans ce cadre, auprès d’illustres missionnaires français, la gloire de notre épiscopat un peu plus tard, auprès des Dubourg, des Chévérus, brillent d’un doux et touchant éclat les vertus vraiment évangéliques et le caractère singulièrement aimable d’Élisabeth Seton. C’est une sainte, c’est aussi une femme dont le cœur reste accessible aux affections humaines, aux sentiments les plus tendres de la fille, de la sœur, de l’épouse, de la mère. Affligée sans relâche des pertes domestiques les plus sensibles, l’accent pathétique de sa douleur perce à travers l’expression de sa résignation chrétienne. Le récit, qu’interrompent fréquemment d’éloquents passages de ses lettres, du journal de sa vie, est lui-même d’un ton ému, bien approprié à un tel sujet, et qui a rappelé à l’Académie ce qu’elle couronnait naguère, avertie par l’attendrissement public, le Récit d’une sœur, de Mme Craven.

Moins passionnée, moins émouvante, mais elle-même d’un puissant intérêt moral, est une œuvre de genre analogue, que l’Académie n’a pas cru pouvoir préférer à celle de Mme de Barberey, mais dont elle a souhaité qu’il fût au moins tenu compte dans ce rapport.

Un de ses anciens lauréats, l’historien de la Sœur Rosalie, fille de charité, M. le vicomte de Melun, y a rendu un digne hommage aux vertus chrétiennes d’une Française, Juliette de Colbert, devenue en 1807, par son mariage avec un noble piémontais, la marquise de Barol. On n’y voit pas, sans admiration, ce qui peut offrir un si salutaire exemple, comment cette femme, qui brillait dans le commerce du monde par ses grâces, son esprit, a su mêler à sa vie mondaine l’exercice personnel de la plus active, de la plus intelligente, et quelquefois de la plus courageuse charité ; comment elle a fait de sa grande fortune, par des fondations sans nombre, administrées avec une constante sollicitude et un esprit de prévoyance qui en a assuré la durée, comme le patrimoine de toutes les misères.

Dans l’ouvrage, de tout autre nature, qui, au jugement de l’Académie, a dû partager le premier prix de la fondation Montyon, il est traité, comme l’indique le titre, des rapports de Sénèque avec saint Paul ; rapports complétement ignorés des trois premiers siècles de l’Église, dont il n’est question qu’au Iv e, dans quelques paroles de saint Jérôme et de saint Augustin, au sujet d’une correspondance alors publiée, et bien évide minent apocryphe, du philosophe et de l’apôtre : rapports regardés comme indubitables pendant toute la durée du moyen âge, mis au rang des légendes par Les critiques les plus autorisés du XVIe siècle, continuant cependant à être admis par des écrivains graves, comme, par exemple, Joseph de Maistre, parce que cette rencontre, ce rapprochement inattendu entre la sagesse païenne et le christianisme a quelque chose de séduisant pour une imagination pieuse. Leur opinion a trouvé un dernier défenseur, en 1853, dans M. Fleury, dont l’Académie a couronné l’ouvrage en 1854, non sans témoigner, par l’organe de son secrétaire perpétuel, qu’elle ne s’associait pas à la conclusion, qu’elle témoignait seulement de son estime et de sou intérêt pour les savantes et ingénieuses recherches qui y avaient conduit l’auteur. D’une thèse fort approuvée, dans laquelle, en 1857, M. Aubertin avait victorieusement combattu M. Fleury, il a fait, remaniant, étendant son œuvre, un livre où le sujet est considéré sous un point de vue plus général et plus élevé. On y suit parallèlement l’histoire de l’apostolat de saint Paul, de la propagation du christianisme, et, en même temps, retrouvée, par un docte et habile travail de restauration, une autre histoire, à peu près inconnue jusqu’ici. C’est celle d’une philosophie morale pratique, dont les enseignements, analogues à notre prédication, conduisent de Cicéron à Sénèque, et font arriver la société païenne à des idées assez voisines du christianisme, pour qu’on ait pu imaginer de faire de Sénèque, simple disciple, simple interprète du stoïcisme, quelquefois du platonisme, un chrétien. Dans une seconde partie sont rapprochées, comparées, les doctrines de Sénèque et de saint Paul, en métaphysique, en théologie, en morale. Les ressemblances, plus ou moins apparentes, y sont soigneusement marquées, comme aussi les différences essentielles. La morale antique, telle que l’avait faite le progrès naturel de la raison humaine, les enseignements plus hauts, plus efficaces, qu’y a ajoutés la révélation, voilà ce que met en relief savamment, élégamment, éloquemment même quelquefois, ce livre dont l’Académie ne pouvait méconnaître les droits évidents à un prix d’utilité morale de l’ordre le plus élevé.

À la philosophie proprement dite appartiennent quatre ouvrages tous fort dignes de récompense, mais entre lesquels cependant l’Académie devait choisir :

Descartes considéré comme physiologiste et comme médecin, par le Dr Bertrand de Saint-Germain ;

Les Sciences et la philosophie. Essais de critique philosophique et religieuse, par M. Henri Martin, doyen de la Faculté des lettres de Rennes ;

Dieu et la conscience, par M. Charles Waddington, professeur de philosophie au lycée Saint-Louis, correspondant de l’Institut ;

L’Instinct, ses rapports avec la vie et avec l’intelligence, par M. Henri Jolly, professeur de philosophie au lycée de Douai.

Le premier de ces ouvrages, celui de M. Bertrand de Saint-Germain, est un exposé clair et élégant de l’état des sciences avant Descartes, de l’influence exercée par lui sur leurs progrès, plus particulièrement de ses idées en physiologie et, par suite, en médecine. Le caractère spiritualiste de cette physiologie, si mêlée de psychologie, y est mis partout dans une utile évidence. Par là l’ouvrage relève de la philosophie en même temps que de la science. Celle-ci toutefois y domine trop pour que l’Académie, dont il avait longtemps fixé l’attention et l’intérêt, pût l’admettre sur sa liste définitive autrement que comme très-digne d’un éloge public.

Les deux ouvrages suivants, de MM. Henri Martin et Waddington, se rapportaient plus directement, les titres seuls l’indiquent, sans qu’il soit nécessaire d’y insister, à l’objet du concours. Ils avaient, par des mérites que j’aimerais à développer si l’étendue de ce rapport, déjà bien long, me le permettait, des droits évidents à l’adoption empressée de l’Académie. Elle a pensé cependant que, leurs auteurs ayant déjà figuré plus d’une fois, et un d’eux même l’année précédente, parmi les lauréats du concours d’utilité morale, un rappel de ces succès multipliés, qu’un nouveau succès aurait pu suivre, serait, dans l’occasion présente, une récompense convenable et qu’une place pourrait titre ainsi faite dans notre liste à un nom nouveau.

Elle y a donc inscrit, pour un prix, M. Jolly, qui dans un sujet, en apparence épuisé par Frédéric Cuvier. par Flourens, l’instinct chez l’animal, l’instinct chez l’homme, la distinction de l’instinct et de l’intelligence, analysant avec une grande sagacité les éléments psychologiques du problème, s’aidant en même temps des secours que pouvaient lui prêter les sciences naturelles, la zoologie, la physiologie, a produit une œuvre philosophique vraiment remarquable par la justesse, la solidité générale des conclusions, l’agréable variété des développements, l’élégance et le bon goût du style.

L’histoire doit avoir sa place auprès de la philosophie dans un concours tel que celui-ci, surtout lorsqu’elle est écrite dans une intention toute morale. La remarquable œuvre historique que M. Alphonse Feillet a publiée sous ce titre : la Misère au temps de la Fronde et saint Vincent de Paul, y était naturellement appelée. Arrivée à sa quatrième édition, elle s’y présentait avec la recommandation de ce succès continu et des éloges dont elle a été honorée, dès l’origine, dans l’Académie des sciences morales et politiques. L’étendue et l’habileté de recherches consciencieusement opérées dans les documents originaux, la vérité et la vivacité des tableaux, l’heureux contraste que forme avec les calamités qu’ils retracent l’intervention secourable de saint Vincent de Paul, ministre, en quelque sorte, de la charité dans des temps malheureux, ces mérites distingués la désignaient des premières au choix de l’Académie.

Des ouvrages voisins de l’histoire, des études sur la constitution, la condition agricole, économique, morale de certaines classes de la société française ont aussi occupé, avec intérêt, l’Académie. Dans le nombre elle a choisi celui qui lui paraissait offrir un ensemble d’études plus complètes, plus approfondies, d’une portée plus générale : l’Agriculture et les sciences rurales dans le pays toulousain depuis le milieu du XVIIIe siècle, par M. Théron de Montaugé. Les titres inscrits à la suite du nom de l’auteur, en tête de son livre, garantissaient l’exactitude des nombreux détails agronomiques qu’il contient, et pouvaient, à cet égard, rassurer notre incompétence. Mais il y a dans cet ouvrage, de grande étendue, quelque chose qu’il nous appartenait davantage d’apprécier et qui nous a paru de grande valeur. C’est, dans le riche développement d’un sujet qui semblait n’offrir qu’un intérêt tout local, la peinture très-étudiée, non pas seulement d’une de nos anciennes provinces, de quelques-uns de nos départements, mais, par extension, de la France elle-même sous l’ancien régime et dans le siècle présent, de la France agricole particulièrement, et aussi de la société française en général. Quelques chapitres, c’est en faire un grand éloge, peuvent s’ajouter, comme un curieux et utile complément, à la dernière œuvre d’Alexis de Tocqueville : l’Ancien Régime et la Révolution.

À cet ouvrage et à ceux qu’il nous a paru devoir représenter dans les résultats définitifs du concours, se lie, par une certaine communauté de sujet, un livre très-piquant, dont notre grande colonie africaine a fourni le sujet, et on pourrait presque dire l’auteur : la Vie arabe et la Société musulmane, par le général Daumas, ancien directeur des affaires arabes en Algérie, ancien directeur des affaires de l’Algérie au ministère de la guerre.

Des observations toutes personnelles sur un état social bien différent du nôtre et que la conquête y a juxtaposé donnent à cet ouvrage un caractère d’originalité avec lequel s’accorde la vive et spirituelle allure du style. L’auteur en avait lui-même le sentiment quand il écrivait :

« Le livre que j’annonce, je ne l’ai pas trouvé dans d’autres livres, mais je l’ai rencontré sous les pas de mon cheval pendant mon long séjour en Afrique, fragment par fragment, tantôt sous la tente, tantôt sous le gourbi, un jour assis sur la natte du pauvre, un autre sur les tapis du riche. Je pourrais presque dire qu’il a été fait en collaboration avec le peuple arabe tout entier. »

L’Académie ne pouvait négliger cette fois, plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, toute une catégorie d’ouvrages qui, sous des formes diverses, plus ou moins didactiques, se rapportent à l’enseignement moral. Elle a dû remarquer particulièrement, dans le nombre, l’Ami du village, où un ancien lauréat du concours d’utilité morale, M. Charles Deslys, a présenté, dans un cadre romanesque, avec un agrément qui rappelle ses précédentes compositions, la peinture idéale de l’instituteur primaire ; les agréables autant qu’utiles leçons adressées par Mme Eugénie Hippeau aux jeunes filles dans son Cours d’économie domestique, sur le bon emploi du temps, de l’intelligence et de l’argent ; des institutions sur le but et les principales carrières de la vie, que dans un livre d’une intention touchante et d’un tour élégant, intitulé l’Aïeul, M. Charles Janolin suppose écrites auprès d’un berceau, par un grand-père tendrement préoccupé des destinées futures de son petit-fils. L’Académie, tout en appréciant le mérite de ces ouvrages et en exprimant le vœu qu’il en fût fait mention avec de justes éloges dans sa séance publique, n’a pas pensé qu’ils pussent disputer le prix à un livre où, sous la plume d’un éminent magistrat, l’instruction morale se produisait avec plus d’ampleur, d’autorité, d’efficacité pratique :

Conférences sur les devoirs des hommes, adressées aux élèves d’une école normale primaire, et à ceux d’une école primaire supérieure, par C.-A. Salmon.

D’autres conférences, adressées aux maîtres, ont déjà valu à M. Salmon, dans le concours de 1843, un témoignage de haute estime que l’Académie, au bout de trente années ou peu s’en faut, ne renouvelle pas sans émotion. L’étendue inusitée du volume qu’elle couronne aujourd’hui accuse sans doute quelque surabondance dans les développements. Mais que d’utiles préceptes, empruntés tout ensemble à la philosophie et à la religion, que d’exemples frappants et per­suasifs, quel riche répertoire d’idées à mettre en œuvre par ceux qui, comme l’auteur et à son exemple, ajouteraient aux devoirs ordinaires de leur vie le noble rôle d’instituteur moral !

L’Académie, après avoir décerné un prix de 2,000 fr. à chacun des cinq ouvrages qui lui avaient paru approcher le plus du premier rang, pouvait encore disposer de 2,000 fr., dont elle a usé pour faire, selon son habitude, dans la distribution des récompenses instituées par M. de Montyon, la part de la poésie. Parmi plusieurs productions poétiques dignes d’attention et d’intérêt, il en est deux qui se sont particulièrement recommandées à elle par leur caractère moral, et entre lesquelles elle n’a pas voulu choisir, les Maternelles, de Mme Sophie Hue, expression gracieuse des affections que ressent l’enfance et de celles qu’elle inspire ; les Nouvelles Poésies, de M. Octave Ducros, pièces religieuses, d’une inspiration élevée et touchante.

C’est à deux poëtes que l’Académie a encore attribué, et le prix qu’une fondation libérale de M. Lambert lui permet d’offrir chaque année à un homme de lettres auquel il lui paraît juste de donner une marque d’intérêt public, et un autre prix, qu’aux termes d’une disposition testamentaire de Mme veuve Landrieu, elle devait décerner, en 1870, à une tragédie ou à une comédie en vers de son choix. Les deux lauréats, que certaines qualités communes permettent de rapprocher, ne sont pas nouveaux pour l’Académie. Déjà, à l’occasion de précédents concours, elle avait remarqué et récompensé, dans leurs premiers essais poétiques, l’expression pure et élégante de traits fidèlement, hardiment empruntés aux sentiments intimes du cœur, aux réalités de certaines conditions sociales. Ils se sont rappelés à son attention, M. André Lemoyne, par un second recueil, très-remarquable lui-même, qui a pour titre : les Charmeuses et les Roses d’antan ; M. Manuel, par sa comédie des Ouvriers, pièce dont l’heureuse fortune, non encore épuisée, est due à ce qui n’assure pas toujours les succès dramatiques, à l’emploi honnête d’un talent très-distingué. L’auteur a introduit et, secondé par d’habiles interprètes, fait accueillir favorablement sur la scène française une classe de personnes qui n’y avaient point encore paru ; il l’y a produite dans sa vérité, sans flatter les vices qui souvent l’entraînent et l’égarent, mais aussi en leur opposant les bons sentiments que peuvent y développer le goût de l’instruction, l’habitude du travail, le charme salutaire des affections domestiques. II a su marquer ce contraste dramatiquement, dans une fable simple, attachante, d’un intérêt touchant et d’un très-heureux effet moral, écrite enfin en excellents vers, d’un style que distinguent une élégance sans affectation, une franchise sans vulgarité.

L’ensemble de ces récompenses, si considérable qu’il soit, présente toutefois une lacune qu’il serait souhaitable de voir combler par une fondation nouvelle. Aucune ne peut s’adresser aux ouvrages, fort nombreux aujourd’hui, qui, sous des formes diverses, éditions critiques, lexiques, grammaires, traités et dissertations, ont pour objet l’histoire de notre langue, la philologie française. Ces ouvrages, qui ont un titre particulier à l’intérêt de l’Académie, elle ne les peut atteindre qu’indirectement. C’est ce qu’elle a fait en attribuant le prix Maillé-Latour-Landry à un jeune philologue qui, sa Grammaire historique, son Dictionnaire étymologique de la langue française, s’est placé au rang des maîtres, M. Auguste Brachet.

Bien antérieur à toutes ces fondations est notre prix d’éloquence qui remonte à un temps voisin de nos origines. Il alterne, on le sait, avec une autre récompense, de pareille ancienneté, notre prix de poésie, et, son tour revenant en 1870, l’Académie avait mis au concours, pour cette année, l’Éloge historique de Sully considéré comme homme public et comme écrivain. Un changement notable s’est produit dans ces discours consacrés à la louange des grands hommes, que nous regardons encore aujourd’hui comme un utile exercice oratoire, un heureux essai du talent d’écrire. La louange ne s’y montre plus seule, comme autrefois ; non-seulement elle admet les restrictions, les réserves, mais le blâme même, s’il y a lieu, a sa place auprès d’elle : et puis elle a quelque chose de moins général, de moins abstrait, si on peut le dire, elle est plus individuelle, marquée de traits plus librement empruntés aux réalités changeantes des hommes, des lieux et des temps. Tel n’était pas, il s’en faut, l’éloge de Sully, couronné par l’Académie, il y a déjà plus de cent ans, en 1763. Le Sully de Thomas, par les perfections vaguement idéales du guerrier, du négociateur, du ministre, offrait une sorte de personnage légendaire, en rapport avec les aspirations morales du XVIIIe siècle, beaucoup plus qu’avec les sentiments, les idées, les mœurs du XVIe. On a pensé qu’après un si long intervalle, et un tel changement dans le goût, il n’était pas interdit de remettre au concours un sujet que pouvaient renouveler un plus libre emploi des souvenirs familiers de l’histoire, plus d’emprunts aux 0Economies royales, ces mémoires de forme étrange, sans doute, mais si précieux, où s’encadre, pour ainsi dire, la naïve image du vrai Sully auprès de celle du vrai Henri IV, l’étude enfin du monument lui-même, la recherche curieuse, dans cette œuvre confuse de plusieurs mains, de ce qui porte la marque de l’illustre homme public, devenu, par moments, dans sa chagrine retraite, un original écrivain. En expliquant, comme je viens de le faire, le programme de l’Académie, j’ai analysé et loué d’avance celui des douze discours admis à concourir qui nous a paru s’y rapporter le mieux. Il était inscrit sous le numéro 10 et portait pour épigraphe ces paroles de Sully : « Les hommes sont ordinairement les architectes de leurs bonnes et mauvaises fortunes. » C’est un discours bien pensé, bien ordonné, d’un style simple, ferme, rapide, moins oratoire peut-être qu’historique ; ce qui n’a rien d’étonnant. L’auteur, connu surtout par des travaux d’histoire qui ont attiré souvent l’attention de l’Académie des sciences morales et politiques, et les récompenses de l’Académie française, est M. Perrens, professeur de rhétorique dans un des lycées de Paris et répétiteur de littérature à l’École polytechnique.

L’Académie a encore distingué un autre discours, inscrit sous le numéro 11 et portant pour épigraphe un vers de Virgile qui en annonce le dessein : Proximus huic, longo sed proximus intervallo. On y suit, en effet, parallèlement, dans leur concours à une œuvre commune, avec la diversité, l’inégalité de leurs situations, de leurs caractères, de leurs génies, le roi et son ministre. Une composition bien ordonnée, des développements faciles, de la justesse et de l’élégance, ont valu une mention honorable à ce discours, dont l’auteur est M. Jules Gourdault.

Ces derniers jugements rendus, l’Académie n’avait plus qu’à faire choix d’un sujet pour le prix d’éloquence de 1872. Les circonstances critiques, où se trouvait alors notre malheureux pays, l’ont, en quelque sorte, choisi pour elle. On était dans ces tristes jours où une suite non interrompue de disgrâces fatales ouvrait la France à l’invasion ; les regards se portaient avec anxiété et un reste d’espérance vers cette ceinture de places fortes, dont, autrefois, une politique prévoyante avait armé notre frontière ; le nom du grand homme qui avait présidé à ces immenses travaux était invoqué, comme, dans l’antiquité, à l’approche de l’ennemi, on invoquait les noms des héros protecteurs de la cité. S’inspirant du sentiment public, l’Académie mit au concours, pour 1872, l’Éloge de Vauban. Nos malheurs n’ont pas enlevé à ce sujet toute son opportunité. Ce n’est pas la première fois sans doute qu’il aura été traité : mais Vauban est du nombre de ces grands hommes dont il convient d’entretenir le culte par de nouveaux hommages. En lui se sont trouvés unis, dans un merveilleux accord, avec la science et le génie du militaire, les vues de l’homme d’État, avec le zèle, le dévouement du sujet fidèle, les vertus du citoyen étranger aux calculs de l’ambition personnelle, supérieur même à ces hautes dignités qui sont venues couronner sa laborieuse et noble carrière, uniquement touché du bien public, c’est la France qu’avant tout il a aimée et servie. Quel plus beau modèle pourrait se proposer le patriotisme de notre âge ! Puisse-t-il y trouver des émules, et, pour finir par un vœu plus modeste, et qui nous convienne davantage, de dignes panégyristes !