Rapport sur les concours de l’année 1866

Le 20 décembre 1866

Abel-François VILLEMAIN

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1866.

DE M. VILLEMAIN
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

 

MESSIEURS,

L’Académie a publié, depuis quelques mois, les noms des ouvrages auxquels s’adressent cette année les prix et les médailles de ses nombreux concours ; mais elle n’a pas donné les motifs de ses choix. Elle n’a pas loué par ses analyses ce qu’elle couronne devant l’opinion éclairée. Son jugement, dût-il paraître aujourd’hui tardif, et l’expression en fût-elle affaiblie sous la plume du rapporteur, trop longtemps éloigné de cette enceinte et privé d’un tel auditoire, une obligation nous reste, et une justice est à rendre aux travaux qu’a préférés l’Académie.

Cette année, comme les précédentes, les ouvrages utiles aux mœurs, cette seconde fondation de M. de Montyon, se présentaient sous des formes variées, histoire, philosophie, poésie, érudition critique. Dès le premier examen, une étude analogue au goût de notre temps a fixé l’attention. Il s’agissait de la Gaule et de Rome, de Cicéron et de ses amis, de César et de l’Empire. On sait quelle faveur avait obtenue, dans le siècle dernier, ce sujet, traité par l’Anglais Middleton et reproduit dans notre langue par le pathétique abbé Prévost.

Les changements du monde, les instabilités politiques de l’Europe n’ont pas, on peut le croire, affaibli cet intérêt ; et le savoir exact, l’érudition piquante, la diction facile et pure, le bon sens impartial et libre d’un jeune écrivain en ont renouvelé le caractère original. C’est après avoir approfondi dans un Cours public la correspondance de Cicéron, que M. Gaston Boissier a résumé la vie publique et privée du grand citoyen, du philosophe et de l’immortel orateur. De là son étude sur la Société romaine au temps de César.

On a pu regretter qu’un tel travail sur de tels souvenirs se soit formé de fragments successifs publiés dans les Revues. On a pu s’étonner que l’habile et nouvel historien ait été souvent moins admirateur de Cicéron que Fénelon, Racine et Voltaire. Mais que de nobles sentiments, que de pensées ingénieuses, que de curieux détails ont compensé ce reste d’éblouissement pour le génie de César ! et, en même temps, quelle peinture vraie de la vie romaine dans les grands et dans le peuple, au Sénat et au Forum, dans ces amis de Cicéron, noble élite du patriciat romain, jurisconsultes, généraux, orateurs, depuis l’éloquent Sulpicius jusqu’au hardi et spirituel Célius ! Jamais plus d’éminents esprits ne se pressèrent autour d’un homme de génie, dont la vie fut utile et grande et la mort héroïque.

L’Académie attribue à cette œuvre de véracité historique et de goût littéraire un prix de 2,500 francs, et elle attend de l’auteur de nouvelles vues sur l’image vraie et le sentiment de l’antiquité romaine.

Dans un ordre bien différent, un essai de poésies écrit avec âme, une vie de travail, de simplicité domestique et d’émotions pures, retracée par un jeune écrivain, a partagé nos suffrages. On le sait, les formes et les occasions du talent n’ont pas de limites. Quelques poésies sous ce titre : Pages intimes, de pieux devoirs simplement décrits, un encouragement donné par la tendresse, suffisent au talent du poète, et lui inspirent des vers naturels qu’on n’oublie pas. C’est à ce titre que M. Eugène Manuel reçoit un prix égal au premier, dans ce Concours qui nous offrira cependant une œuvre poétique fortement travaillée, inégale, mais puissante, même par ses défauts.

L’érudition critique portée sur un grand sujet, les lettres mêlées à l’histoire, et l’inspiration religieuse ranimant l’éloquence, et suscitant des pontifes à la place des rhéteurs, c’est là, sans doute, un noble sujet ; c’est celui qu’a traité M. Eugène Fialon : Étude historique et littéraire sur saint Basile, suivie de l’Hexaméron. De récents exemples rendaient la tâche difficile. On sait comment est dépeint et senti le génie épiscopal de saint Basile dans un livre savant et populaire de nos jours : l’Église et l’Empire. Le nouvel écrivain obéit à la même pensée ; et il complète ses récits par des traductions heureuses et des rapprochements empruntés à l’antiquité philosophique. Ainsi se touchent l’art et l’érudition ; et la vraie littérature se nourrit de ce mélange.

À ce titre, l’Académie devait arrêter ses suffrages sur l’œuvre longtemps méditée d’un homme de talent, auquel étaient échappés çà et là des vers heureux. Aujourd’hui, sous le titre : la Divine Odyssée, M. Pécontal a entrepris un poème de forme encyclopédique. Se supposant à lui-même une révélation mystérieuse, il parcourt, sous la garde d’un génie céleste, le monde ancien et nouveau de l’Europe et de l’Orient ; il y retrouve surtout l’inspiration religieuse et son action sur les âmes. Par là il rencontre les grands côtés de l’existence humaine, sans avoir besoin de détails épisodiques et d’inventions romanesques. Si le poète avait toujours réussi dans ce qu’il ose, si l’art égalait toujours en lui l’ambition de la pensée, sa place serait grande même en dehors de ce concours ; et nous aimons à signaler ici l’estime dont il est digne.

Dans cette œuvre, une grande variété de souvenirs, une étude passionnée des poètes et des voyageurs, attache le lecteur ; et nulle part le génie de Camoëns n’a été mieux compris et mieux célébré.

Près de ce savant poème, l’Académie désigne volontiers des ouvrages de philosophie, des recherches d’histoire, des récits anecdotiques. Un livre sous ce titre : De la Science et de la Nature, par M. Magy, a frappé les esprits par l’élévation morale, le sentiment de l’antiquité et l’intérêt spiritualiste. Les résumés d’un brillant enseignement historique à Nancy signalaient également le nom d’un professeur, M. Paul Lacroix ; et des travaux du même ordre, mais d’un tour plus libre, appelaient l’attention sur les entretiens improvisés de M. Zeller. L’antiquité et le moyen âge sont parcourus par l’auteur avec une science piquante et des vues hardies, mais souvent impartiales. On peut douter que, sur la fin de l’Empire et devant l’invasion des Lombards, l’autorité croissante et la juridiction de l’Église fussent une oppression plutôt qu’une sauvegarde. L’Église lutta contre la force et défendit les faibles ; M. Zeller a reconnu lui-même cette vérité dans le tableau qu’il trace du pontificat de Grégoire le Grand au VIe siècle, de sa résistance à l’invasion barbare et des secours qu’il reçoit de l’Orient et prodigue à l’Italie.

L’Académie ne classe pas entre eux ces divers ouvrages ; elle en signale le mérite par des médailles du même ordre.

L’histoire de notre siècle, ce drame souvent si tragique, ne devait pas moins inspirer nos écrivains. Quels souvenirs que ceux de Marie-Antoinette et d’autres femmes, martyres aussi ! Un talent expressif, une âme généreuse, n’a pas craint de joindre au nom de la Reine ceux de Mme Roland et de Charlotte Corday, comme pour mettre de niveau dans le deuil des âmes tout ce qui fut excès d’héroïsme et de souffrance. Elle y réunit aussi, avec le nom d’une autre femme, Mme de Montagu, les plus beaux exemples de la vertu dévouée et de l’inépuisable bienfaisance. L’Académie couronne, dans cette étude de Mme Lenormant, le noble emploi de l’imagination émue par la pitié. Puis, elle revient à des travaux de science se rapportant à l’histoire de la société et des mœurs, et elle désigne pour une médaille le livre de M. Charles Daremberg : la Médecine, histoire et doctrine, méditation instructive d’un savant, d’un moraliste et d’un peintre ingénieux du monde.

On sait la place réservée dans nos concours à l’histoire de France : une préférence justifiée en a fait notre plus riche couronne et l’a rendue longtemps permanente ; mais ce privilége est rare. L’Académie regrette de ne pouvoir le prolonger en faveur de la forte et curieuse étude de M. Auguste Trognon sur toute l’histoire de France. Elle a goûté les recherches critiques, les teintes originales, les récits et les vues de cet historien, dans ses premiers volumes. Elle ne croit pas la suite, à partir du moyen âge, et dans le XVIsiècle, aussi évidemment supérieure. On hésite à contredire un talent si digne d’estime ; on rend hommage à sa haute sagacité et à quelques parties de son nouveau travail : mais on ne croit pas qu’il l’ait assez fortifié, en l’achevant, et qu’il en ait assez complété l’ensemble, pour obtenir de nouveau le grand Prix fondé par le baron Gobert pour le morceau le plus éloquent sur l’histoire de France.

Ce prix, qui semble si difficilement applicable à une histoire entière de notre pays, ne peut-il pas plutôt encourager quelqu’un des grands récits qui la composent ? À ce titre, s’offraient à nous quelques-uns des meilleurs volumes sur l’histoire du siècle présent. Science exacte des faits, justice envers les hommes, impartialité dans les vues, passion vraie dans les peintures, sentiment profond des besoins de la France, étude des intérêts et des idées de l’Europe : que de devoirs imposés à l’historien ! Une seule partie de cette vaste carrière a concentré le travail que couronne aujourd’hui l’Académie. De la révolution de 1789, M. de Viel-Castel n’a décrit que la dernière époque et la fin apparente ; mais, là même, il retrouvait le contre-coup des événements antérieurs, les grandeurs et les débris d’un passé tout récent, les passions et les hommes qui avaient occupé le monde depuis un demi-siècle, la reprise de ces passions, le retour de ces hommes. L’honneur de l’historien est d’avoir été judicieux et calme dans ce chaos de souvenirs ; toujours ami de la modération, toujours fidèle aux intérêts durables du pays, sans ardeur de faux zèle et sans complaisance pour la force. Son mérite, exercé par l’étude des affaires dans un assidu travail, sans responsabilité inquiétante, est d’avoir bien connu les intérêts et les mouvements de l’Europe ; son avantage, d’avoir joint au savoir attentif le coup d’œil rapide, l’intelligence affable qui obtient la confiance ou la supplée, pénètre les caractères et devine ce qu’elle ne sait pas.

C’est avec de tels secours, dont les principaux sont en lui-même, que M. de Viel-Castel venait d’achever huit volumes de l’Histoire de la Restauration. Écrit comme il a été composé, avec vérité, d’un style naturel, attachant, cet ouvrage, sans être achevé, a fixé le choix de l’Académie. Elle est certaine que sur un sujet si contentieux par lui-même, débattu par des témoins si opposés, envenimé parfois de passions si vives, et surchargé de tant de paradoxes, l’œuvre de M. de Viel-Castel demeurera toujours estimée et justifiera le prix qu’elle obtient aujourd’hui.

Le second prix est attribué de nouveau à l’écrit vraiment historique de M. Lavallée : les Frontières naturelles de la France. La tradition historique y est fidèlement retracée ; la conséquence en est inévitable. Sur le point principal, cette frontière admirablement suppléée par Vauban sera complétée à son temps, précisément parce qu’elle n’est pas nécessaire à l’inviolabilité de la France. Sur d’autres points, le complément déjà repris n’a pas besoin d’être étendu dès à présent, pour être assuré à l’avenir ; et c’est avec raison que le nouvel historien, ingénieur et géographe, promet à la France cette future et naturelle conquête de la paix.

À ces travaux, d’un intérêt à la fois savant et politique, se joignaient d’autres études surtout littéraires, qu’avait encouragées l’Académie. La forme du prix Bordin en est l’occasion, et un bon ouvrage en devient l’objet mérité ; l’Académie ne pouvait mieux choisir que le travail de M. Dantier, sur les Monastères bénédictins d’Italie. Elle y trouvait, avec l’intérêt des récits, de précieux débris d’antiquité, de curieuses peintures du moyen âge, et un sentiment élevé de la solitude et de la vie religieuse. L’auteur lui-même de cette étude, le voyageur érudit, disciple des bénédictins, était un témoin dramatique du dévouement à la science, des fatigues qu’elle coûte et des efforts qu’elle impose. Une santé gravement altérée, des nerfs et une vue malade, le désignaient à notre intérêt affectueux et au prix que l’Académie lui décerne.

D’autres sujets d’études proposés par elle ont rencontré des mains habiles. Gardienne zélée de notre langue, et attentive à ne pas séparer l’érudition et le goût, l’Académie avait demandé et récompensé des recherches techniques sur Corneille et sur. Molière. La langue familière et le génie original de Mme de Sévigné n’offraient pas une moins curieuse étude. Deux ouvrages surtout ont paru répondre à cette attente, l’un par la fine exactitude des résumés, la précision du vocabulaire, et l’ingénieuse variété des citations. Cet ouvrage, inscrit sous le n° 1, a pour épigraphe : Votre manière d’écrire libre et aisée me plaît : c’est le style d’une femme de qualité qui soutient le caractère des matières enjouées et égaye celui des sérieuses (LETTRES DE BUSSY). C’est le dernier travail de M. Sommer, homme de savoir et de talent, qu’une mort prématurée enlève douloureusement aux lettres qu’il honorait. L’Académie lui a décerné la plus forte part du prix proposé.

Un autre travail moins étendu, par M. Marion, professeur au lycée de Montpellier, porte cette épigraphe : Esprit juste, fin et hardi, qui éclate et sème partout ses éblouissantes saillies (Victor Cousin, Société française au XVIIe siècle). C’est moins un lexique qu’une étude de logique et de grammaire ; mais, à ce titre, l’Académie lui attribue, sur le prix, une médaille de 1,500 francs, sans renouveler une récompense pour laquelle deux autres mémoires encore étaient présentés.

Le prix triennal fondé par M. Halphen reçoit sa destination en s’appliquant aux études de curiosité piquante et aux recherches anecdotiques de M. Édouard Fournier sur notre théâtre.

Un autre prix, fondé par M. de Maillé-Latour-Landry pour l’encouragement des lettres et des arts, honorera cette année un jeune poète, dont le talent tour à tour original et négligé a paru mériter une distinction. L’Académie désigne à ce titre un volume de poésies par M. Albert Mérat, dont elle espère retrouver ailleurs le nom et couronner de nouveau le succès.

Un autre souvenir, souvent rappelé dans ces Concours, reçoit un dernier hommage ; c’est celui de M. Géruzez, littérateur ingénieux, professeur savant et écouté, appelé par ses travaux aux plus honorables promotions littéraires. La fondation léguée par feu M. Lambert laisse aujourd’hui à l’Académie le droit de reporter sur Mme Géruzez un souvenir et comme une dernière médaille qui appartient au nom si regretté dont elle s’honore.

À part cette succession si diverse de travaux spontanés, d’ouvrages accueillis ou provoqués, de titres littéraires attestés ou espérés, l’Académie avait à considérer ce qui la rappelle à ses premiers et anciens Prix, les questions d’art et de goût, les études de langue, les essais de biographie qu’elle proposait jadis, et dont ses recueils se sont accrus. Cette fois, au lieu d’un des grands noms du génie français, d’un Descartes ou d’un Corneille, d’un Molière ou d’un Racine, elle avait indiqué seulement un esprit rare, un type de l’ancienne cour et du monde, un mélange du galant homme et du libre penseur, du politique et du sceptique ; elle avait désigné un favori du grand Condé, un disgracié de Louis XIV, un hardi contradicteur de la diplomatie du temps, un attentif et spirituel témoin de la cour d’Angleterre, un piquant interprète de l’antiquité romaine. Elle avait choisi la vie et les écrits de Saint-Évremond.

Elle ne regrette pas ce choix, qui lui a donné plusieurs essais nouveaux sur divers points rendus curieux par quelques détails, et même par quelques longueurs, et un discours de forme élégante et rapide, où l’homme explique l’écrivain, où le spectacle du temps, bien décrit, fait concevoir l’expérience de l’historien, et où l’indépendance de la pensée double l’originalité du talent.

L’attention s’est partagée, et le prix a été quelque temps débattu entre le discours n° 11, portant pour épigraphe : Je pense sur toutes sortes de sujets, je ne médite sur aucun ; et le discours n° 13 : Non vultus, non color unus.

Le premier est un mémoire étendu, tour à tour anecdotique, érudit et paradoxal. Le second est un discours précis et fin, abrégeant ce que l’auteur sait bien, mêlant des tons divers, et préludant à l’esprit du XVIIIe siècle, sans cesser d’être monarchique et conservateur. On peut blâmer quelques assertions des deux auteurs ; on s’étonne que l’un d’eux ait accusé de jalousie le silence de Montesquieu sur l’ouvrage de Saint-Évremond relatif’ aux Romains ; on est choqué aussi de voir, même dans un panégyrique, l’esprit de Saint-Évremond préféré au génie de Montaigne, et son scepticisme célébré : mais les deux ouvrages n’en sont pas moins d’un ordre élevé. L’Académie couronne dans le premier M. Gidel, professeur de rhétorique au lycée Bonaparte ; et elle décerne l’autre moitié du prix au talent, à la justesse heureuse, à la forme oratoire, à la vivacité piquante de M. Gilbert, déjà distingué par elle, et de mieux en mieux préparé pour d’autres succès.

Un mémoire développé sous le n° 2, avec cette épigraphe :

J’aime la vertu sans rudesse,
J’aime le plaisir sans mollesse,
J’aime la vie, et n’en crains pas la fin,

a mérité laccessit par des qualités heureuses qui le rapprochent du mémoire nommé d’abord. Et enfin, une mention à part désigne à l’estime des hommes de goût le n° 7, dont l’épigraphe rappelle Pétrone et Tacite.

Telles sont les études, les essais de goût et d’émulation que l’Académie s’honore dencourager. C’est ainsi qu’elle propose au talent d’attirer l’estime publique, et qu’elle mêle parfois de paisibles travaux à de grands souvenirs. L’exemple s’en rencontre aujourd’hui. On sait à quels événements le monde vient d’assister, pendant plusieurs années : la guerre civile sur le plus vaste théâtre ; un grand peuple divisé en nations qui se combattent, la liberté démocratique répudiant l’esclavage, et voulant régner par le droit rigoureux et le travail libre ; puis le fanatisme politique s’armant du crime individuel pour lutter contre le progrès moral, pour maintenir le monopole de l’homme sur l’homme et l’oppression dans la liberté apparente.

Un homme d’État, sorti du rang le plus humble, un ouvrier devenu premier magistrat d’un empire, un grand citoyen poursuivant une grande idée, a été la victime sanglante de l’intérêt égoïste enrichi par l’oppression et la voulant sans terme. Lincoln est mort assassiné, au milieu de la victoire du droit et de la liberté. Qu’un hommage public lui soit décerné par la pensée de l’Europe, que son nom soit grandi par la mémoire de son sacrifice, que la liberté, que la dignité humaine dans le nouveau monde soient continuées et protégées par l’horreur du crime isolé qui a voulu les frapper dans leur noble défenseur !

À ce titre, l’Académie propose pour sujet d’un prix de poésie à décerner en 1867 : la Mort du président Lincoln, et elle espère que, parmi tant d’œuvres de science et d’art qui seront attirées en France, l’inspiration ne manquera pas pour une pensée de charité sociale et de grandeur humaine.

Une autre étude historique et philosophique sera réservée pour le prix d’éloquence. Ce prix ne saurait être ramené toujours à une admiration uniforme et traditionnelle. Il ne doit pas méconnaître non plus ce que les difficultés du temps et les erreurs du talent peuvent mettre d’obstacles à la vérité. Parmi nos écrivains célèbres, J.-J. Rousseau s’est trompé souvent ; mais il a beaucoup osé et beaucoup fait pour la morale, la justice, et même pour le sentiment religieux. Il a été philosophe, avec de graves erreurs, et grand écrivain, avec de dangereuses illusions. En se trompant sur l’excès du droit populaire, il en a rendu la modération plus nécessaire. Ses livres doivent être interrogés, discutés, éclaircis, et non pas exclusivement adoptés. L’admiration qu’il mérite doit être tempérée par les défiances qu’il inspire. C’est dans ce point de vue que l’Académie propose à l’esprit de recherche et de moralité un Discours sur J.-J. Rousseau. C’est un hommage au génie, sans doute ; mais ce qu’elle demande à un tel travail, ce sont des motifs de plus offerts à la raison et à l’équité sociale ; c’est une réfutation dernière des erreurs dont Diderot et d’Holbach imprégnaient le XVIIIe siècle ; c’est une réaction contre le matérialisme affirmatif ou sceptique ; ce sont de nouveaux encouragements à la culture religieuse de l’âme, au sentiment du droit et à l’adoration enthousiaste de la suprême Intelligence.