RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1864.
DE M. VILLEMAIN,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
Le 21 juillet 1864
MESSIEURS,
Les prix fondés par un sage du dernier siècle pour encourager l’influence morale des lettres attirent toujours des candidatures bien nombreuses. De la poésie à la statistique, de l’érudition, sous des formes diverses, aux notions techniques, il n’est aucune application de l’esprit dont quelque essai ne soit présenté à ce concours. L’Académie, sans méconnaître les mérites de plusieurs ouvrages qu’elle n’a pas choisis, doit surtout indiquer le caractère de ceux qu’elle a préférés.
Un de ces ouvrages, la Psychologie de Platon, par M. Chaignet, professeur au collége impérial de La Flèche, est un travail savant et de salutaire exemple ; car on y voit le sentiment spiritualiste appuyé sur l’observation la plus attentive et l’analyse justifiant l’enthousiasme. Le grand naturaliste de l’antiquité était, on le sait, un témoin convaincu de l’essence immortelle de l’âme. Mais l’éloquent défenseur de cette vérité, celui qui en avait été comme l’apôtre inspiré pour la Grèce idolâtre, en était aussi le démonstrateur scientifique par la plus fine étude des facultés humaines. Insister sur cet ordre de faits psychologiques mêlés aux vues sublimes de Platon, en résumer l’ensemble avec une sagacité pleine d’ardeur, et lier cette recherche de la pensée, de son origine et de ses lois, au sentiment même du beau, prouver ainsi le principe immatériel de l’âme par les grandes idées dont elle est capable et faire du divin la source nécessaire des arts, c’est l’heureux emploi d’une noble méthode sur laquelle de grands talents ont jeté leur éclat. Une étude exacte et animée, où cette conviction s’exprime avec candeur, est un livre que l’Académie doit accueillir et placer parmi les ouvrages qu’elle distingue par des prix. Elle décerne à l’auteur, M. Chaignet, un prix de 3,000 francs.
Un livre curieux, bien ordonné, d’une raison sévère et d’un style ferme et naturel, obtient de plein droit le même rang. C’est l’ouvrage ayant pour titre : des Prédicateurs du dix-septième siècle, avant Bossuet, par M. Jacquinet, directeur des études littéraires à l’École Normale supérieure. L’auteur par une vue très-juste, a voulu suivre à la trace le travail multiple et continu, le progrès de raison éloquente et de force, sous des noms divers, qui, dans la chaire chrétienne, avait précédé l’avènement du génie de Bossuet. La merveille de ce génie n’en est pas moins grande, ni son sublime moins nouveau de correction, comme de puissance ; et rien de plus instructif que l’étude des efforts tentés et du pouvoir exercé parfois, avant cette victorieuse parole.
Une introduction savante avec brièveté réunit quelques traits principaux sur la prédication au moyen âge, sur ses désordres et sa violence au XVIe siècle, sur l’âme et le génie de saint François de Sales, sur le zèle des corporations religieuses, et l’ardeur des études, redoublée par la réforme de la discipline et par le débat dogmatique. Puis, au XVIIe siècle, apparaît, avec le progrès de la société, l’action plus régulière de la parole chrétienne, dont l’auteur de cet ouvrage retrouve quelques accents mémorables sous des noms trop oubliés, ou, comme celui de Retz, célèbres à d’autres titres. La voix de Richelieu manque seule à ces souvenirs. Quoique Richelieu, évêque et controversiste, ait sans doute prêché quelquefois, avant sa toute-puissance, le savant critique ne l’a nulle part pris pour exemple de cette parole religieuse que, dans la suite, il favorisa plus qu’il ne l’affranchit. La transformation vint d’ailleurs, de Vincent t de Paul bien plus que de Balzac, de Port-Royal plus que de l’Académie. L’auteur l’a dit d’une manière piquante et vraie. Là, comme sur d’autres points, ses recherches sont précises, ses jugements libres et nettement exprimés. C’est un des signes de la forte école à laquelle il appartient ; et c’est partout le caractère de son ouvrage, moins orné que solide, quelquefois même plus classique de doctrine qu’irréprochable de langage, mais répondant bien, par le sérieux et la vivacité de ton, à l’importance du sujet.
Un livre d’une littérature plus mondaine, mais savante aussi, est placé dans le même ordre par l’Académie : c’est une étude complète, autant que le permet la bienséance, sur le théâtre anglais à côté de Shakspeare, sur les prédécesseurs, les contemporains et les successeurs immédiats de ce grand poëte, par M. Mézières, professeur de littérature étrangère à la Faculté des Lettres de Paris.
Scènes d’histoire et singularités de mœurs, imitations de l’antiquité et bruyants échos des instincts populaires du pays, excès d’horreur et de comique, rien n’est oublié de ce travail tumultueux d’imagination qui entoura ou suivit Shakspeare, avec des pressentiments, des rencontres, et plus souvent des reflets affaiblis de son génie. A la vive intelligence de ce chaos étranger le critique français joint un sentiment vrai et un juste orgueil de notre théâtre. Il n’exagère, dans son idée de l’art, ni les avantages de la liberté sans limites, dont il marque la monotonie fréquente, ni la puissance de la règle qui n’est rien, sans la passion et la vérité ; mais il fait habilement comprendre cette force du théâtre anglais liée à toute l’histoire du pays. Ce qu’il a bien étudié, il l’exprime dans un style naturel et de bon goût, et à l’instruction la plus précise il ajoute la facilité et la variété du talent.
Près de cette œuvre d’histoire littéraire et sociale sont placés au même rang d’heureux essais poétiques écrits avec art et remplis d’émotions simples et pures. L’Académie avait décerné le prix de poésie à Mlle Ernestine Drouet, pour une pièce de vers que n’a pas oubliée le goût public. Elle choisit pour une autre distinction un volume de la même main, où des souvenirs de famille, des exemples domestiques de dévouement et d’amitié fidèle, paraissent avec un charme particulier, entre de touchants récits empruntés à l’histoire de nos jours et à d’anciennes légendes. Ainsi les plus modestes devoirs de la vie dignement remplis peuvent avoir été la meilleure préparation du talent ; et la jeune fille qui en fut inspirée leur doit encore plus qu’aux avis et à l’art brillant et réfléchi du poëte célèbre, dont sa reconnaissance se plaît à honorer la mémoire.
L’Académie décerne à Mlle Ernestine Drouet, auteur du recueil de poésies Caritas, un prix de 3,000 fr., comme à chacun des auteurs que nous venons de nommer. Une étude intéressante, sous forme érudite, la Femme dans l’Inde antique, par Mlle Clarisse Bader, a fixé aussi l’attention de l’Académie, qui ne semblait pas appelée d’abord à juger cet ouvrage. Mais l’auteur n’est pas orientaliste, et n’a cherché, dans les chants sacrés, les grands poëmes et les drames de l’Inde, l’image dévouée de la femme qu’à la faveur des traductions anglaises, allemandes, italiennes, parfois même françaises. Cela suffisait pour lui dicter de touchants récits, dont quelques-uns ont été redits par des voix poétiques. Ainsi l’imagination s’étend par l’étude. À part cette influence heureuse, le choix des souvenirs, le mérite des analyses, la pureté du langage, recommandaient ce travail littéraire, qu’anime partout le sentiment moral. L’Académie décerne à l’auteur, Mlle Clarisse Bader, une médaille de 2,000 fr.
Elle a même récompense pour une œuvre de poésie composée dans de rares loisirs par l’effort de l’esprit contre la fatigue d’une autre et laborieuse occupation. Elle accueille, dans les petits poëmes de M. André Lemoyne, des vœux de l’âme bien rendus et quelques vers d’un coloris aussi pur que le sentiment qui les inspira. Elle ne trouve l’auteur ni amer ni découragé, bien qu’il ait plus à se louer de son talent que de sa destinée. Elle lui sait gré de nobles pensées sur les épreuves de la vie et les consolations du travail, et elle lui en donne un témoignage.
L’Académie choisit encore un livre de morale pratique analogue à la pensée du fondateur, les Récits de la grève, par M. Deslys. Les leçons de probité et de sympathie secourable, éparses dans ces récits, n’offrent pas un langage assez simple ; mais elles ont cette force qui agit sur l’imagination et dont l’excès même n’est pas à craindre, s’il entraîne la volonté vers le bien. L’Académie décerne à l’auteur une médaille de 2,000 fr.
L’Académie aurait voulu qu’en dehors de ce Concours bien des ouvrages, qui ne peuvent y rentrer, fussent rappelés du moins à l’estime publique. Pour quelques-uns, elle est prévenue dans son vœu par l’expression spontanée de cette estime. Elle n’a pas besoin de nommer l’auteur si respecté d’une traduction nouvelle du plus populaire des livres religieux. Dans l’ordre des sévères études, elle n’a pas besoin de désigner la traduction éloquente des Discours politiques de Démosthène, léguée par un magistrat de la Cour suprême dont la perte a laissé tant de regrets, et dont le souvenir, si cher à sa famille et à ses amis, est honoré de tous.
Le grand prix fondé par le baron Gobert pour le morceau le plus éloquent d’histoire de France est continué, dans la forme la plus honorable, à l’homme de savoir et de talent, qui depuis deux ans l’avait obtenu. Les deux volumes, publiés d’abord sur l’Administration politique et militaire de Louvois jusqu’à la paix de Nimègue, ne sont ni dépossédés par l’œuvre nouvelle d’un autre écrivain, ni maintenus sans accroissement de mérite. L’ouvrage, resté supérieur, est devenu complet, et forme, jusqu’à la mort de Louvois et à la paix de Ryswick, un des importants travaux qu’ait suscités notre histoire. C’est une grande partie d’un règne mémorable bien comprise et fortement décrite.
Ce sont deux époques de guerres et de transactions politiques, d’agrandissements acquis et de fautes commencées, de paix trop entreprenante et de difficultés nouvelles, de guerres reprises alors contre des ennemis plus nombreux, et de victoires mêlées de grands sacrifices, pour arriver à une paix glorieuse encore.
Dans la seconde moitié de l’ouvrage, ce sont presque partout les mêmes noms, Louis XIV, le prince d’Orange qui devient Guillaume III, Louvois, Vauban. Mais la scène s’est agrandie ; les temps ont changé, et, avec le sentiment de l’indépendance, s’est levé sur l’Europe un esprit de liberté secondé par la révocation de l’Édit de Nantes et la folle témérité de Jacques II.
De là, pour l’historien, matière à de graves recherches et à d’utiles vérités fortes institutions militaires de la France, et ascendant de ses armées, ou Catinat vient rejoindre Vauban, cruel abus de la guerre dans l’incendie du Palatinat, alliances perdues, hostilités redoublées, plaies intérieures du royaume, sévérité qui les accroît, Louvois servant de son énergie la persécution religieuse qu’il n’approuve pas, qu’il ne juge pas, et dont il sentira l’iniquité seulement par les maux qu’elle entraîne.
Dans cette suite du récit, dans cette crise du drame, l’auteur est de plus en plus impartial à force d’étude, mais impartial avec ardeur, exprimant le vrai dans tous ses détails, comme il l’a trouvé, n’essayant pas de portraits, mais prenant les personnages sur le fait par leurs actes et par leurs paroles, et ne leur épargnant pas ce qu’il peut leur prouver. Ce mélange de l’histoire anecdotique et de l’histoire générale accroît l’intérêt du tableau et l’évidence de la leçon.
C’est la disposition actuelle des esprits que l’histoire, si éloquente chez les anciens, souvent déclamatoire ou sceptique chez les modernes, ne puisse plus satisfaire que par l’extrême certitude, en étant à la fois l’explication des choses et l’image des hommes. M. Camille Rousset, dans le cours de son ouvrage et dans la partie qui le termine, s’est approché de cette double condition qui sera le titre de gloire de quelques grands talents de notre siècle. Il a tiré des documents originaux l’effet dramatique, et intéressé l’imagination par la véracité. Dans la durée même de son travail, il se perfectionne, en avançant vers le but, et il est juge d’autant meilleur qu’il a plus écouté, et peintre d’autant plus expressif qu’il a été plus longtemps témoin fidèle.
L’Académie maintient, pour la présente année, à l’ouvrage complet de M. Camille Rousset, Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire de Louvois jusqu’à et depuis la paix de Nimègue, le grand prix fondé par le baron Gobert.
Le second prix de ce concours avait été décerné, l’an dernier, à une œuvre non pas seulement de science exacte et de jugement solide, mais de talent et de goût, deux volumes sous ce titre : les Mémoires et l’Histoire en France, par M. Caboche, inspecteur de l’académie de Paris.
Cette œuvre instructive et piquante, où la biographie des auteurs de Mémoires sert parfois à redresser leurs vues historiques, et où le style du critique s’est empreint de la vérité de couleurs des monuments originaux, n’a pas été et ne pouvait être aisément dépassée. L’Académie maintient à l’auteur, M. Caboche, le second prix de ce concours.
Un autre concours devait, sous un titre tout littéraire, amener plus de difficultés. C’est le prix de la fondation Bordin déjà décerné à la critique savante, à la traduction en vers, au récit historique, à tout ce que peut comprendre ce terme, un ouvrage de haute littérature. Ce n’était pas sans doute qu’une telle condition manquât dans le concours actuel, et que l’Académie n’eût reçu cette fois un important travail d’érudition et d’esprit, plein de curieuses recherches, de piquantes analyses, de hardis jugements, incomplet sur quelques points, excessif sur d’autres, œuvre inégale et forte d’un savant et d’un écrivain. Mais à cette œuvre, à l’Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, était attachée une erreur que le talent ne pouvait corriger, et dont parfois il aggravait la portée. C’est la doctrine qui n’explique le monde, la pensée, le génie que par les forces vives de la matière.
Toute opinion est libre sans doute. C’est le droit même de l’intelligence et la loi de notre temps. Mais toute opinion n’est pas égale aux yeux des autres, et n’a pas droit de se faire indifféremment accepter pour un honneur public. La liberté qu’on se donne, sur les questions qui touchent aux croyances les plus intimes des âmes, doit prévoir et tolérer la libre contradiction et la libre contradiction peut refuser son suffrage à l’œuvre habile et brillante dont elle juge le principe erroné.
Il était permis de vouloir, en marquant le dissentiment, honorer, dans quelques parties, la sagacité savante, l’abondance d’idées, la verve de langage qui se mêlaient à l’erreur principale. Mais il a paru que cette erreur, sans cesse et à tout propos reproduite, était trop inséparable du livre. Une redite aussi fréquente n’a pas semblé seulement un défaut de composition : et l’Académie, dans la négation de vérités nécessaires, a vu pour elle l’impossibilité de couronner le talent qui les méconnaît. Elle a décidé qu’elle ne décernerait pas le prix cette année.
En dehors de telles questions, d’autres récompenses étaient à répartir : le prix fondé par M. Maillé-Latour-Landry pour l’écrivain dont le talent déjà remarquable mérite d’être encouragé à suivre la carrière des lettres, permettait d’hésiter entre plusieurs noms. L’Académie le décerne à M. Achille Millien, talent formé dans la retraite, distingué par quelques essais de poésie souvent heureux.
Une récompense honorifique instituée par M. Lambert, pour l’homme de lettres, ou la veuve d’homme de lettres digne d’une marque d’intérêt public, est réservée par l’Académie à la veuve d’un professeur très-honoré, M. Cartelier, dont la dernière et savante étude, la traduction d’un écrit curieux d’Isocrate, a été récemment publiée avec un travail de M. Havet, qui en augmente le prix.
Nous aurions voulu, sans négliger aucun de ces souvenirs, aucun de ces titres recommandables, arriver plus vite au grand nom qui doit être surtout rappelé dans cette séance. L’Académie avait mis au concours l’éloge de Chateaubriand ; et, malgré la difficulté du problème, comme un orateur antique le disait d’un autre sujet d’éloge qu’il s’était proposé, la réponse a été faite dès la première demande, et le prix n’a pas besoin d’être ajourné, ni l’épreuve renouvelée.
Sur un grand nombre de discours trop faibles, et sur quelques-uns où se reconnaît un degré de talent, deux ouvrages de proportions inégales ont paru devoir se partager le prix, pour leurs mérites et pour leurs dissemblances. L’un, l’ouvrage inscrit sous le n°17, avec cette épigraphe dérivée de Bossuet : « La louange languit auprès des grands noms, et la seule simplicité d’un récit fidèle pourrait soutenir la gloire de Chateaubriand, » s’est affranchi des formes oratoires, tout en gardant l’accent de l’admiration. L’auteur a fait un livre, au lieu d’un discours : il a dans ce livre des lenteurs et des redites. La vie publique de Chateaubriand lui est moins intimement connue que son génie littéraire, bien que les incidents et les passions de cette vie publique aient été souvent les plus puissantes occasions de ce génie. Mais il montre bien, par une forte analyse de l’Essai sur les révolutions, quelle place la politique devra tenir dans la pensée et dans la carrière du jeune voyageur, soldat émigré, écrivain solitaire, puis en France le plus illustre écrivain d’une époque guerrière, resté grand et libre de cœur sous le pouvoir absolu.
Les événements prodigieux de ce siècle secondent cette disposition innée de l’auteur d’Atala. Le poëte, l’homme d’imagination, le critique éloquent, le créateur un peu artificiel, mais admirable encore, d’une épopée tardive, est tout à coup transformé en polémiste puissant contre le conquérant, dont il s’était séparé, avant la fortune ; et bientôt il devient le publiciste tantôt zélé, tantôt mécontent, le ministre, l’opposant de la monarchie qu’il voudrait consacrer par la tradition et rajeunir par la liberté. Un renversement nouveau, qui ne sera pas le dernier, rendra au loisir forcé de l’étude ce talent indomptable ; et pendant de longues années, entre les travaux de critique et d’histoire, il écrira des Mémoires qui sont un monument vrai de lui-même, plutôt encore que de son pays et de son temps.
C’est surtout l’ensemble et la variété des ouvrages inspirés par cette vie diverse que notre habile et sincère biographe juge avec une rare sagacité, depuis le Génie du christianisme jusqu’à la Monarchie selon la Charte, depuis les rêves mélancoliques de René jusqu’à l’histoire du Congrès de Vérone, depuis le gracieux roman du Dernier des Abencérages jusqu’aux discours véhéments pour la guerre d’Espagne.
Le judicieux admirateur de cette activité du génie, étudiée dans ses écrits, n’épargne pas les restrictions et le blâme. Il affirme le noble caractère de l’homme ; il avoue, il célèbre son vœu pour la liberté, son amour sincère des Institutions qui seules l’affermissent. Mais ce qu’il consacre surtout, c’est la gloire durable de l’écrivain chez qui, dans l’éclat de l’imagination, dans la force et l’harmonie du langage, apparaît toujours un sentiment élevé de patrie et d’honneur. A ce titre, il montre la France comme intéressée à une telle gloire par le sentiment même de la sienne.
L’auteur de cet ouvrage est M. Benoît, professeur et doyen de la Faculté des Lettres de Nancy.
L’autre ouvrage, inscrit sous le n°38, avec cette épigraphe de Dante :
Intanto voce fu per me udita:
Onorate l’altissimo poeta.
vrai discours par le mouvement, l’ordre et la brièveté, l’est aussi par un accent plus marqué d’éloge enthousiaste. Les ouvrages y sont moins analysés avec un art sévère que sentis avec âme. Le génie de Chateaubriand est là moins démontré en lui-même que mêlé à tous les traits de sa vie, à son culte du passé et à son esprit novateur. L’homme public est plus en vue, ou plutôt ne fait qu’un avec l’écrivain et le mot de grandeur est le seul que le panégyriste ému croie suffisant, pour caractériser l’un et l’autre. Cette grandeur, il l’admire dès l’origine et la retrouve partout, dans la pureté de la jeunesse, dans les souffrances de l’exil, dans la passion de la gloire littéraire, dans les sacrifices à l’honneur, dans les ruptures hardies et les protestations contre l’iniquité, dans l’ardeur de l’ambition politique, et, au moment nécessaire, dans l’inflexible volonté de la retraite. Cette louange vivement donnée, on ne voudrait ni l’affaiblir, ni la discuter. Elle est vraie pour les choses mémorables. Elle anime d’une noble pensée et d’une généreuse unité ce discours, incomplet en quelques parties. Elle en fait un hommage à la dignité des lettres, autant qu’à l’éclat d’un admirable talent.
Cette dignité des lettres, cette élévation d’âme qui fait leur grandeur par leur indépendance, nulle part l’auteur ne l’a mieux signalée que par le soin qu’il a mis à décrire l’amitié de M. de Fontanes pour Chateaubriand, noble et touchante amitié qui s’accroissait par la gloire de celui dont elle avait deviné et assuré le génie, et qui le défendait par une admiration redoublée devant la colère de la toute-puissance alors partout victorieuse.
Ces sentiments qu’inspirait Chateaubriand, il les portait dans le cœur, et souvent il les montra, autant qu’il les méritait. C’est par là que son panégyriste a pu faire ressortir plus d’une fois avec éloquence quelques traits de cette grandeur, dont il voit la source en lui, la réalité dans ses actes publics et privés et l’image dans ses écrits.
L’auteur de ce discours est M. Henri de Bornier, déjà couronné deux fois, dans les concours de poésie, sur des souvenirs récents et glorieux au nom français. Son discours, qui partage le prix, l’aurait obtenu seul, sans la rivalité d’un autre et digne talent ; et les deux ouvrages, dont quelques fragments trop courts vont intéresser cet auditoire, après un tel accueil, seront lus en France.
Un autre discours, inscrit sous le n°37, avec cette épigraphe : Triginta annos gloriae suae superfuit, obtient une mention honorable bien méritée par quelques considérations littéraires et un goût d’élégance qui promettent à l’auteur plus de succès dans une nouvelle épreuve.
L’Académie n’a pas toujours de grands noms à proposer pour exciter l’enthousiasme des jeunes talents ; mais elle sait qu’il convient parfois de réveiller un lointain souvenir, de signaler un point à rechercher dans l’histoire des lettres, de demander un travail de patiente justesse et de soin érudit, pour servir à l’étude de notre langue, de cette langue déjà classique dans l’Europe et dans le monde, mobile et diverse de puissance, comme le peuple qui la parle, mais soumise à des lois de logique, de passion et d’esprit, qui nulle part ne sont plus présentes et mieux suivies.
Pour le prix de poésie à décerner l’an prochain, l’Académie a choisi le nom d’un grand homme gaulois, du pays aujourd’hui l’immortelle France. Elle ne sait pas encore quand sera dressée, sur le territoire d’Alesia, la statue promise de Vercingétorix ; mais elle croit le nom digne d’hommage ; et, retrouvant, même à date si ancienne, l’unité nationale, elle propose de célébrer celui qui fut le dernier obstacle à l’invasion romaine et qui, dans la Gaule transformée par les arts romains, sans cesser d’être elle-même, resta en souvenir, comme le type et le glorieux martyr de la race, dont le nom même devait changer, sans que son génie se lassât jamais de grandir ou de renaître.
Dans l’ordre de la critique dirigée par l’histoire et le goût, l’Académie propose pour le concours d’éloquence à juger dans deux ans, non pas un éloge, mais une étude de Saint-Évremond, du Français qui passa quelque temps pour le plus bel esprit de France, et qui parmi d’éclatants génies, et sur la fin d’un grand siècle, qu’un autre plus agité devait suivre, eut sa physionomie à part, sa nuance de nouveauté dans l’expression indigène, et son caractère de libre jugement.
L’Académie propose encore pour la même époque un prix de 4,000 francs, qui s’attacherait à une étude laborieuse de langue, à un travail de philologie et de goût, comme celui qu’elle a demandé déjà sur deux génies inventeurs dans la pensée et dans le langage, Corneille et Molière. Le nom qu’elle désigne cette fois est Mme de Sévigné. L’étude qu’elle demande est celle du langage français, dans son époque la plus heureuse et sous l’empreinte de l’imagination la plus aimable et la plus vive, animée du sentiment le plus vrai. Ainsi se succèdent et peuvent se mêler à propos l’étude finement historique des matériaux de l’art et le culte pour le génie qui les embellit, les renouvelle et les immortalise.