PREMIER CONGRÈS DE LA
LANGUE FRANÇAISE AU CANADA
DISCOURS
Prononcé à Québec, le 25 juin 1912
PAR
M. ÉTIENNE LAMY
DÉLÉGUÉ DE L’ACADEMIE FRANÇAISE
MESSIEURS,
Le Canada, pour célébrer des souvenirs, des espérances, des gloires à lui et à lui seul, n’aurait eu que l’embarras du choix. À l’éclat de vos assemblées suffisaient vos orateurs, vos historiens, vos poètes, et ces colons qui, à la fois poètes, historiens et conquérants, tracent en lignes infinies, sur votre sol, avec le fer des charrues, l’épopée du travail, composent chaque jour par leurs actes l’authentique récit de votre croissance et vous préparent un avenir égal au plus ambitieux des rêves. Mais le congrès conçu par vous demandait des associés autres que vous, et vos fêtes vous eussent paru incomplètes sans le concours d’hôtes lointains. Votre désir est parvenu jusqu’à l’Académie française. Aussitôt, cette personne d’habitudes sédentaires et d’un âge où l’on ne court plus le monde, a, pour être présente ici, confié la deux cent soixante-dix-septième année de sa vieillesse aux risques de terre et de mer. Pourquoi votre appel ? Pourquoi notre empressement ? Pourquoi, si loin de la Coupole, nous semble-t-il siéger « chez nous » ? Pourquoi la rencontre d’aujourd’hui nous apporte-t-elle comme la douceur d’un retour et l’émotion d’une parenté ? Parce que vous et nous sommes des fils de France, parce que, malgré les séparations de l’espace, du temps et de la politique, se célèbre en ce jour une fête de famille, la fête d’une grande famille, et qu’ici vous avez donné rendez-vous à l’unité de notre race.
Sans doute, le Canada et la France ne forment plus une même nation. Vous perdre fut une légèreté de l’ancien régime, ne pas vous pleurer fut la honte des philosophes qui, infailliblement hostiles à l’instinct national, félicitaient la Prusse de nous avoir vaincus, admiraient Frédéric, Marie-Thérèse et Catherine d’avoir dépecé la Pologne, notre alliée naturelle, et n’en voulaient pas à l’Angleterre de nous avoir pris « quelques arpents de neige ». Cette neige, du moins, avait été rougie par un sang plus français que leur encre, et le rire stupide des intellectuels qui vous abandonnaient gaiement fut compensé par la fidélité silencieuse des soldats qui, pour vous défendre, surent mourir. Vous êtes restés à l’Angleterre. Vous avez connu la diversité des régimes que l’Empire britannique prépare à ses conquêtes. Ravisseur armé et dur geôlier tant qu’il a peur de les perdre, il sait finir en époux généreux et de l’ancienne chaîne, garder seulement un anneau qu’il leur passe au doigt. S’il est de tempérament un peu polygame, il a tôt ou tard la magnifique intelligence de comprendre qu’à respecter le génie de races étrangères à lui par l’origine et égales à lui par la culture, il sert non seulement leur droit, mais son intérêt, car, en les laissant libres, il s’assure la paix, et leurs dons travaillent pour lui. Il vous a traités avec cette sagesse : au lieu de vous habiller par contrainte en Anglais, au risque de vous irriter sans vous travestir, il a, plus ambitieux, paré l’Angleterre de vos mœurs, de vos traditions, de votre esprit français. C’est en sachant vous laisser vous-mêmes qu’il vous a conquis. Sûr que votre fidélité au passé ne contient aucune haine de votre condition présente, il n’est point jaloux de vos piétés historiques. Il vous laisse arborer nos couleurs, il y joint les siennes pour unir ainsi vos deux fidélités. Il lui plaît que la splendeur de ces fêtes atteste votre indépendance et honore à la fois ce que vous fûtes et ce que vous êtes.
Pour honorer ce que vous fûtes et ce que vous êtes, rien ne vous a paru plus synthétique et plus essentiel que de redire votre attachement immuable au parler français.
Chercher les raisons de cet attachement est parcourir les évidences et les mystères qui, ensemble, collaborent à la formation des langues.
Rien d’immatériel comme la pensée. Il semblerait naturel qu’elle se transmît comme elle se crée. Or il nous faut, pour la communiquer, le secours des sens. Elle mourrait sourde et muette dans le cerveau où elle naît, si elle ne trouvait, pour se répandre, le petit muscle qui, par son va-et-vient dans les cavités sonores de la bouche, y transforme l’air en bruit. Comment les idées choisissent-elles entre ces bruits, et pourquoi se trouvent-elles traduites par ceux-ci plutôt que par ceux-là ? S’il y a des rapports secrets entre les activités de l’esprit et les vibrations de la voix, les hommes, puisqu’ils possèdent tous un fonds commun d’intelligence et de sensibilité, devraient tous, semble-t-il encore, traduire les mêmes pensées par les mêmes mots, tout comme ils traduisent partout les mêmes émotions par les mêmes gestes : l’unité de l’espèce régnerait dans l’unité du langage. Or, si l’unité de l’espèce transparaît en quelques termes qui, expressifs d’idées simples et essentielles, se ressemblent dans toutes les langues, ces langues multiples expriment d’ordinaire, par des mots différents, les mêmes choses. Ici, des populations riveraines sur les bords d’un même fleuve, voisines sur les versants d’une même montagne, mêlées le long de frontières ouvertes, s’écoutent et ne se comprennent pas. Là, sur l’étendue d’immenses espaces, un seul vocabulaire est employé par des groupes trop éloignés les uns des autres pour avoir jamais entendu le son de leur voix. Ce caprice a une loi. Parlent de même ceux qui ont le même sang, la même histoire, les mêmes mœurs. Diffèrent par le parler ceux qui diffèrent par l’origine, par les traditions, par le caractère. Ces dissemblances héréditaires influent sur les sensibilités de l’esprit et du cœur, et la diversité des émotions appelle la diversité des mots par quoi elles s’expriment. Chaque langue ainsi sollicite, révèle et consacre le génie d’une race.
Ces langues sont, comme les hommes eux-mêmes, esprit et matière. La matière est la dimension des mots, leur poli ou leur rudesse, leur légèreté ou leur pesanteur, la netteté de leurs arêtes ou l’incertitude de leurs concours. L’esprit est l’ordre selon lequel les mots s’attirent, se groupent et se hiérarchisent pour exprimer et associer les idées. La matière des langues leur semble impérieusement fournie par le sol, le climat, la place du monde où naissent les races. Les épais brouillards du septentrion, la muette matité de la neige, l’anarchie hurlante des vents se retrouvent dans les sons confus, assourdis, indistincts, rauques, de certains dialectes. Ceux des contrées torrides sont brefs, gutturaux, haletants, comme brûlés dans la bouche trop sèche des hommes. Seuls les pays tempérés où le soleil est douceur, l’atmosphère sérénité, et le sol richesse, produisent, comme leur plus belle fleur, les langues harmonieuses.
L’esprit des langues ne varie pas moins. Il y a des races à l’intelligence lente, leur conversation épaisse et comme engourdie leur ressemble. Certaines cherchent leurs pensées dans les mêmes brumes où s’effacent leurs paysages. Certaines ont des idées plus nettes, mais s’inquiétant peu de les ordonner, les battent comme des cartes dont la place ne diminue pas la valeur, pourvu que le jeu soit complet. Certaines ont le goût des contournements, des inversions, des surcharges, des incidences imbriqués, toléreraient que tout un discours formât un bloc d’une seule phrase et attendent, pour comprendre le sens de cette phrase, son dernier mot. D’autres races, au contraire, sont avides de clarté, soucieuses de précision, promptes d’intelligence. Plus elles le sont, plus elles portent ces dons dans leur langage : plus il devient donc rapide, logique et lumineux.
Entre ces langues inégalement parfaites, cette inégalité fait la hiérarchie. Les plus belles en soi, les meilleures conductrices de la pensée, les plus fécondes en chefs-d’œuvre imposent leur primauté. Les races moins habiles à produire le beau sont capables de le reconnaître et de l’aimer : c’est dans l’accord de leur admiration que se retrouve l’unité de l’espèce.
Vous avez eu deux fois raison de célébrer la nôtre. Car si le français est notre bien domestique, il est, de plus, un de ces idiomes conquérants qui dépassent leurs frontières, une richesse universelle, et l’une des plus magnifiques parures qu’ait jamais revêtues la pensée humaine.
Le nom d’universelle a tour à tour appartenu à trois langues : la grecque, la romaine, la française. Sans reprendre la vieille querelle des anciens et des modernes, et sans amoindrir l’inoubliable dette de la civilisation envers les éducateurs d’Athènes et de Rome, marquons les différences entre les caractères de ces langues. Si toutes les trois se formèrent dans les régions les plus tempérées et les plus belles de l’Europe, près de cette Méditerranée qui fut jusqu’à nos jours le centre du monde, il n’y avait, dans l’origine des deux premières, aucune vocation d’universalité. Elles furent les filles de temps où chaque peuple vivait pour soi, isolé sur son domaine. Elles furent la voix de sociétés fondées sur l’esclavage, l’omnipotence du mâle, et où les citoyens, seuls admis à vouloir, étaient une infime minorité. En Grèce, cette minorité, dispensée du travail au milieu d’une nature enchanteresse, employa ses loisirs à accroître sa joie de vivre et, affinant par l’exercice sa délicatesse native, devint une aristocratie de l’intelligence, d’une intelligence appliquée à se plaire. Elle aima les brillantes subtilités de sa dialectique, les rêves tragiques ou riants de son imagination, les légendes de son histoire, comme elle aimait les caresses de son ciel, les contours de ses montagnes et de ses rivages, les tableaux de ses peintres, les monuments de ses architectes et la compagnie divine de ses statues. Nuls philosophes, nuls écrivains, nuls orateurs ne se sentirent, à l’égal des Athéniens, soutenus, inspirés par cette attention collaboratrice, et qui récompensait en gloire les bons serviteurs de son plaisir. C’est pourquoi là toutes les puissances du génie s’exaltèrent en art. Cet art forma la langue même, qui toute claire et sonore, éclatante de voyelles et rythmée de consonnes retentissantes, chantait la pureté de ses sons dans la pureté de l’air. Le grec fut la langue de la beauté. Mais c’est pour eux seuls que les Grecs accordèrent cette lyre. Comme celle d’Orphée, si elle charma les bêtes, la sauvagerie des nations à l’entour, ce fut par la surabondance d’une harmonie qui les atteignait sans s’adresser à elles. Moins encore s’adressait à l’univers la langue romaine qui fut d’abord celle d’une ville. Le peuple romain naquit avec la religion de la force. Elle le prépara au respect des inégalités, et il se soumit aux mieux armés des siens pour soumettre par eux le monde. Une caste ambitieuse fit le destin et la langue de Rome pour déifier Rome. Son art national fut de tracer et de prolonger les voies qui reliaient l’univers à la ville, de jalonner par les arcs de triomphe les routes de sa gloire, d’élever les cirques où, même durant la paix, on put offrir à la fortune guerrière des sacrifices humains. Elle fit de ses annales le miroir où elle voulait revoir sa puissance jusque dans ses crimes. Elle fit de ses lois politiques une science des secrets qui maintiennent en possession les vainqueurs et en silence les vaincus. Elle créa la langue de l’autorité. Sa brièveté lapidaire, sa précision impérieuse, sa majesté grave conviennent à ceux qui commandent. Ce langage se répandit avec les conquêtes de cette ville ; il eut pour maîtres d’école les légionnaires, les proconsuls, les magistrats. À mesure que s’avançait plus loin la puissance de cette cité, il fut adopté dans les régions atteintes par le flux. Mais un jour se fit le reflux. Au lieu que les peuples attendissent, immobiles, la loi de Rome, ce furent eux qui, tout d’un coup, se précipitèrent vers le centre souverain du monde, poussés eux-mêmes par les flots d’une barbarie plus lointaine et irrésistible. Rome s’était imposée aux nations, sa langue les fatiguait comme la voix de leur esclavage. Elles crurent, en s’échappant de ce verbe, consacrer leur indépendance. Chaque peuple, dans la confusion qui les mêlait, ne se servit plus que de son propre dialecte. Et ce fut Babel.
Parmi eux, il en était un, le peuple gaulois, qu’avant de le vaincre Rome avait jugé et défini une race de soldats et de parleurs. Ces parleurs n’avaient pas d’écriture ; par suite, leur langue originale, que ne perpétuait aucun signe durable, avait paru sombrer dans la langue de la raison écrite, des fonctionnaires, des lettrés, des ambitieux, des villes, des armées, de l’État. Il n’eût pas été vraisemblable, pourtant, que l’idiome primitif disparût tout entier, et que, dans le fond des campagnes, les Celtes, quand ils n’avaient rien à réclamer à Rome, ne conservassent pas le parler de leurs pères. Le jour où l’administration romaine, plus apte à dominer qu’à pénétrer les peuples, leva le camp, le génie des Celtes se retrouva intact et délivré. Mais sur leur sol, les Celtes n’étaient plus seuls. Nul pays, autant que la Gaule, n’avait été traversé, envahi, submergé par les migrations qui firent, durant plusieurs siècles, les peuples mobiles sur des routes communes. Le torrent qui, du Nord, roulait vers Rome les Germains, les Goths, les Lombards, les Burgondes, se fit passage par la Gaule. C’est en Gaule encore que l’autre torrent, envahisseur de l’Europe par l’Afrique, se précipita pour rejoindre celui du Nord, et fermer le cycle des inondations. C’est en Gaule, il est vrai, que ce double fléau trouva sa double digue : à Châlons, les Huns, à Poitiers, les Sarrasins, furent refoulés, et l’Europe échappa au péril de devenir asiatique. Mais si, dans la Gaule, nulle de ces races étrangères ne remplaça l’ancienne, la plupart y firent des établissements, toutes y laissèrent des traînards ; en aucun lieu du monde, elles ne vivaient plus enchevêtrées. La confusion devint fusion. Dans ce carrefour des nations, où avaient retenti toutes leurs voix, la race primitive en écoutait les échos multiples, et, à les répéter, elle les changea en une langue. Le latin fournit son ordonnance générale et son écriture ; les idiomes barbares leur appoint de termes ; le génie celte, son art d’emprunter, de choisir, de modifier, de faire sien ce qu’il adoptait. La première nouveauté et la plus originale de cette langue fut, à l’inverse de la grecque et de la romaine, œuvre d’un seul peuple, d’être une collaboration entre toutes les races qui naissaient alors à l’avenir.
Autant que ce premier caractère, un second mettait dans le berceau même de cette langue une vocation d’universalité. Non seulement elle se formait d’éléments fournis à un peuple par les autres, mais dans ce peuple qui les assemblait, chacun eut sa part de travail. Tandis que le grec et le latin avaient été revêtus de leur perfection savante par une oligarchie, et étaient descendus sur les peuples comme Pallas sortant tout armée du cerveau de Jupiter, la langue nouvelle ne semble d’abord qu’une décomposition de la romaine. Ce sont les soldats, les ouvriers, la foule, qui introduisent jusque dans leur vocabulaire leur indiscipline. Et selon la tradition celtique, cette langue des camps et des faubourgs est d’abord parlée, et non écrite. De là l’incorrection, le sans-gêne, le mauvais goût, mais aussi la spontanéité, le naturel, la fantaisie, le mouvement habituels à l’esprit populaire. Ces mérites sont assez éclatants pour surprendre peu à peu les contemporains instruits et délicats. Ceux-ci reconnaissent dans la décomposition qui s’achève une fécondité qui grandit. S’ils continuent à rester sévères au travail qui s’improvise, ils en viennent à estimer, à accueillir les bonnes fortunes de cet effort. Ils finissent par se mettre eux-mêmes à l’œuvre, par améliorer ce qu’ils méprisaient d’abord. Et pour consacrer les nouveautés qu’ils adoptent, ils leur donnent des lettres de naturalisation en les recevant dans la langue écrite dont ils disposent seuls. Ainsi se distribue entre les uns et les autres la besogne que chacun est apte à accomplir. Par l’initiative des premiers venus, les mots se forgent sur d’innombrables enclumes, mais quand les mots sonnent tout chauds de ce martellement, ils ne sont qu’à l’essai ; pour être admis dans la langue, il faut qu’ils semblent dignes à une élite qui les consacre.
C’est ainsi que dès l’origine s’est formée notre langue et qu’elle a continué de vivre. Elle vit, c’est dire qu’elle change. Voix d’un peuple, elle est la voix de ses âges divers, de sa santé et de ses maladies. Elle a ses crises chroniques, la lutte entre les deux influences qui pour son équilibre doivent concourir et qui parfois tendent à se supplanter. Elle a duré sans se corrompre parce que cet équilibre s’est toujours maintenu ou rétabli. Le verbe des foules, purifié et comme allégé, s’élève au-dessus d’elles en leur restant accessible. Il monte vite jusqu’à la bouche des rois. Quand les fils de Louis le Débonnaire se divisent son empire et se jurent amitié, il leur faut, pour être compris par le peuple, parler comme lui, et le traité de Verdun est le premier monument de la langue française. Tandis qu’elle pousse sa végétation spontanée, parfois folle, des glaneurs vagabonds, les ménestrels, premiers amoureux de ce printemps, le moissonnent. Ils cueillent les mots bien venus, les assemblent en poésies ; puis, colporteurs des nouveautés qu’ils créent, voyagent pour les offrir de donjons en donjons, où pénètre avec eux « le gay savoir ». Il y serait mal reçu des féodaux qui ne reconnaissent pas leur sexe dans des hommes assez peu hommes pour rimer au lieu de combattre. Mais les rudes guerriers avaient des femmes et des filles à qui la vie des châteaux forts faisait les loisirs d’une prison et donnait le besoin de vivre par l’intelligence. Elles attendaient ce passant qui apportait avec lui de la pensée ; elles l’accueillirent durant les trêves qu’elles avaient hâte de changer en fêtes. Grâce aux femmes, l’esprit aussi eut ses tournois et elles le couronnèrent dans les cours d’amour où elles étaient reines. Pour leur plaire, il fallut apprendre et parler comme elles le langage où elles avaient mis quelque chose d’elles-mêmes : l’élégance, le charme, la douceur. Ce fut encore une différence avec la langue grecque et romaine, langues faites par des hommes pour des hommes. La langue française fut la première où apparut l’influence de la femme.
Cette langue, préparée par le mélange de tant de races, formée par le concours de toutes les classes, faite par la collaboration des deux sexes qui devaient en partager l’usage, complétait ainsi sa vocation à l’universalité.
Avant de devenir universelle, il lui fallait devenir une. Or, contre l’unité grandissait la divergence de deux intellects. Le Midi était plus romain par la langue et les mœurs, parce que, plus italien de climat et plus proche, il avait reçu du peuple-roi plus de colons et de cités. Dans le Nord, les habitudes et les idiomes étaient plus rudes, parce qu’il avait été parcouru par plus d’envahisseurs barbares, et qu’ils s’y étaient tassés en plus grand nombre. Les deux langues différaient à ce point que, sur l’une et l’autre rive de la Loire, les chercheurs du meilleur parler, ouvriers de la même œuvre, portaient des noms différents : ici trouvères, là troubadours. Et quand une ingéniosité très profonde songea à définir le nouveau parler par le mot de l’adhésion et de l’accord, le mot social entre tous, le mot de « oui », ce oui ne s’exprimait pas de même dans la langue « d’oc » et dans la langue « d’oïl ». Si donc le travail se fût poursuivi isolément dans les deux contrées, au lieu d’une langue, il s’en devait former deux. Mais quand, au delà et en deçà de la Loire, les éducateurs du verbe eurent rendu plus parfait l’idiome en usage autour d’eux, leur goût du beau ne se laissa pas borner par un fleuve, l’heure -vint de comparer leurs efforts. Toute comparaison prépare une préférence. La langue d’oc, sonore, éclatante et joyeuse de sons, héritière de l’intellect païen, contenait plus de passé. La langue d’oïl, moins habile, mais plus vigoureuse, contenait plus d’avenir. Le faire délicat du génie méridional et sa grâce voluptueuse luttent contre le génie tout vibrant d’action et tout pénétré de force qui inspirait le Nord. Notre race, instruite et tentée par les chants subtils et sensuels des troubadours, courait risque d’épuiser sa jeunesse en une- langueur malsaine : mais tandis qu’ils la retenaient oisive comme Achille parmi les femmes, les trouvères firent briller à ses yeux des armes. Elle reconnut sa destinée quand ils lui dirent la gloire de l’épée loyale, du courage invincible, des tendresses fidèles et héroïques. La langue d’oïl l’emporta. Elle l’eût emporté même si la guerre des Albigeois n’eût éteint la chanson du Midi.
Le dualisme fini, la divergence ne paraît d’abord que brisée en plus de fragments ; les provinces survivent s’accroissent, s’individualisent chacune en un patois, plusieurs s’élèvent jusqu’aux dialectes. Qui choisira entre eux ? À une de ces provinces, échoit ce rôle de juge reconnu et obéi. L’Ile-de-France, qui a pour centre une autre île la cité de Paris, est le domaine de la famille capétienne le fief, qui peu à peu devient royaume, et la Cité, qui devient capitale, grandissent ensemble. Là sont attirées, de tout le royaume les autorités sociales : évêques, légistes, magistrats, hommes de pensée, hommes d’épée, hommes de plume, hommes de gouvernement, et ils forment le tribunal capable de choisir le parler le meilleur pour le, divers intérêts qu’ils représentent. À ce contrôle, toutes les régions soumettent leurs initiatives, leurs variétés d’idiomes. Elles offrent en leur nom de provinces leurs essais à celle qui prononce au nom de la France. Enrichi de ces apports, renouvelé par leur mélange, affiné par leur épuration, le français triomphe d’eux en leur faisant leur part.
Après le XVe siècle, les humanistes, qui renaissaient Grecs et Romains, tentèrent de transformer le français en une langue pédantesque par une invasion de vocables et de tours étrangers, et faillirent ensevelir sa beauté vivante sous les beautés mortes de l’antiquité. Notre sève robuste résista : jamais plus de mouvement, d’originalité, de surabondance ne marque l’influence du génie populaire sur la littérature. Cette fécondité risquait même d’étouffer le goût sous son fouillis luxuriant, lorsque au XVIe siècle le français devient la langue légale par l’ordonnance de Villers-Cotterêts. La royauté, à ce moment, peut disposer du langage, parce qu’elle est devenue la maîtresse non seulement d’un État, mais d’une société. La royauté continue ce magistère en fondant l’Académie française, c’est-à-dire en confiant à une compagnie d’écrivains la charge de veiller sur cette langue. L’Académie sera un conseil de révision pour les mots : ceux qu’elle tiendra bons pour le service seront inscrits par elle dans le « dictionnaire de l’usage ». Un des premiers écrivains qui aient exercé cet office, Vaugelas, rappelait le double caractère de notre langue, quand il définissait l’usage : « La façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. »
Alors viennent les classiques jardiniers, qui, au moment où tout se régularisait dans l’État, tracent dans cette végétation spontanée leurs allées à la française. L’art) à son tour, envahissait trop la nature. Sous Louis XIV, la Cour a attiré tout ce qui dans la nation s’élève ; la France se vide de ses élites pour Versailles, et l’éclat qu’elles projettent sur la couronne semble rayonner de la couronne même. Le monarque paraît n’usurper sur personne quand il dit : « L’État, c’est moi », et choisit pour emblème le soleil. Le péril de cette magnificence solitaire serait que, trop majestueuse, elle devînt gênante pour les jours ouvrables de la vie, et imposât trop silence à la voix du peuple.
Mais au XVIIIe siècle, le soleil s’abaisse, la joie d’admirer finit, la lassitude d’obéir commence. L’opposition n’a pas de place à Versailles, ville de la Cour, mais se retrouve chez elle à Paris, ville de la Fronde. Bien avant le pouvoir politique, l’influence littéraire a ses journées des 5 et 6 octobre, est ramenée de Versailles à Paris, et ce sont les salons qui donnent la mode à la Cour. À Paris, l’élite de ceux qui parlent et écrivent fixe la langue dans la capitale du peuple par qui et pour qui la langue est faite. Ces salons prétendraient à leur tour devenir les seuls arbitres du langage. Les lettres et la science sont non seulement la gloire, mais la mode de l’époque, et toutes les modes exagèrent. Les grammairiens veulent soumettre « les fantaisies de l’usage » aux raideurs d’une syntaxe toute logique, Les savants renchérissent sur l’exactitude. Pour être précise, la langue se coupe les ailes, s’abstrait, se dessèche. Mais le peuple, qui n’a plus de place, la prend toute par la Révolution. Aux régularités minutieuses du lexique et du laboratoire, succèdent les rumeurs puissantes et capricieuses de la place publique. L’enthousiasme d’un espoir, universel rend l’éloquence au verbe anémié dans sa clarté sans chaleur. Puis, comme la félicité publique fuit devant les paroles qui l’appellent, il faut surmener l’espoir pour le soutenir. Dans les tragédies de la liberté et dans les apothéoses de la gloire, l’imagination populaire prend l’habitude du démesuré, oublie le naturel pour une façon de parler et d’écrire pompeuse, théâtrale, et qui, pour atteindre au sublime, touche au ridicule. Tout se répare, et se renouvelle au XIXe siècle par une réaction de réalité. Au milieu d’événements ramenés aux proportions ordinaires, l’homme, las de crédulités aux formules abstraites, se tourne vers ce qui trompe le moins, la nature. Il la regarde en lui et hors de lui ; il explore deux immensités, son cœur et le monde. La langue se dépouille à la fois de la maigreur didactique et de l’enflure déclamatoire. Elle ajoute à ses dons anciens une sensibilité experte à s’analyser et scrupuleuse de se peindre telle qu’elle est, une richesse renouvelée de sensations et d’images, une âpreté de mélancolie et une profondeur de lyrisme en apparence contradictoires et naturelles à qui regarde de près les misères de l’homme et la splendeur de l’univers.
Jamais donc n’a manqué à notre langue ni la source toujours jaillissante de l’imagination nationale, ni la digue intellectuelle qui filtre le flot pour en recueillir la pureté. Cette collaboration séculaire de la multitude et de l’élite, œuvre où chacun travaille pour tous, a fait la langue une et indivisible. Plus absconse et scientifique, plus conforme aux préciosités d’une aristocratie, elle fût descendue malaisément jusqu’aux multitudes, et peut-être, scindée en deux dialectes l’un savant, l’autre vulgaire, la parole faite pour unir tous ceux de la race, les aurait tenus divisés. Œuvre de tous, expression de l’unité nationale, la langue n’a pas cessé de fortifier en France une âme et un génie communs.
Elle reflète, en effet, les traits essentiels de la race française. Notre survivance celtique s’y révèle à ce qu’elle fut parlée avant d’être écrite. Elle est formée plus par l’oreille que par les yeux et avec un souci moindre de la rendre lapidaire pour l’inscription que souple pour les entretiens, de la préparer pour la magnificence que pour l’utilité. Les mots du Midi sont coupés de leurs redondances, la monotone splendeur de leurs voyelles adoucie par quelques tons neutres ; les mots du Nord émondés de leur rudesse inharmonieuse, la confusion de leurs consonnes éclairée de voyelles : raccourcis, simplifiés, comme armés en course, harmonieux dans leurs proportions, sobres jusque dans leurs sonorités, ils sont beaux de cette beauté raisonnable que donne aux choses un exact rapport entre leurs formes et leur objet. Ils doivent un surcroît de valeur à la façon infiniment diverse dont les lettres s’accentuent dans les syllabes, et dont les syllabes prennent importance dans les mots. Cet art de prononcer, qui modifie l’air des mots d’après l’intention avec laquelle ils sont employés, substitue aux harmonies toutes physiques et toujours les mêmes de la sonorité, les dissemblances innombrables et volontaires de l’expression.
La matière plastique du langage se trouve ainsi teintée, renouvelée et comme accrue par toutes les nuances de sensibilité qu’elle reflète et toutes les diversités de pensée qu’elle sert. Et c’est là seulement une forme de l’empire décisif que l’intelligence a exercé sur toute la structure de la langue française. D’autres idiomes mettent leur fierté dans la multitude de leurs vocables, reconnaissent à tout homme indépendance pour en construire de nouveaux, accumulent ainsi des termes de rechange, c’est-à-dire les chances de ne trouver que des suppléants au mot propre, de ne parvenir qu’à l’à peu près et de multiplier par la surabondance des termes l’incertitude des idées. Ils abandonnent à chacun le droit d’exposer ses idées dans l’ordre choisi par son caprice, ce caprice y mît-il du désordre et les rendît-il plus malaisées à comprendre. Même les langues grecque et romaine, plus régulières d’architecture et rigoureuses de syntaxe, n’évitaient ni les inversions, ni les incidences et sacrifiaient à la pompe ou à l’élégance un peu de la netteté. La grecque, chant d’un peuple heureux, écoutait la musique autant que le sens des paroles. La romaine, si impérative fût-elle, cadençait son allure au risque de la ralentir et laissait traîner longuement sa robe de périodes. La française, construite par une société qui se construisait elle-même, n’a pas de temps à perdre et va droit au but. D’abord elle forme son vocabulaire avec ce concept nouveau que la multitude des mots ne fait pas leur efficacité, tout comme leur verbiage ne fait pas l’éloquence, et que pour les langues comme pour les hommes les vraiment riches ne sont pas les prodigues ; que chaque chose a droit à un terme pour la définir, mais qu’il ne faut pas deux termes pour signifier la même chose ; qu’il n’y a pas de mots interchangeables et que leur superfluité fatigue la mémoire sans profit pour la pensée ; que trouver le mot propre et s’y tenir est à la fois simplifier l’étude de la langue et accroître sa puissance par son exactitude. Cette pauvreté consciente du vocabulaire est la richesse originale de notre langue. Et de cette richesse rien ne se perd, et tout est mis en valeur grâce à la manière de l’employer. Notre langue assigne à chaque mot dans chaque phrase, et à chaque phrase dans le discours une place obligatoire. Sa construction met aussitôt en évidence ce dont on parle et ce qu’on veut dire. Elle exprime iles idées dans l’ordre même où les idées apparaissent à l’esprit. Cet ordre est si suggestif pour l’intelligence que souvent le lecteur achève seul la pensée de l’écrivain, et que l’auditoire souffle orateurs la fin de leurs phrases. Aussi est-elle la mieux faite pour la causerie, et elle seule en permet le charme le plus délicat. La conversation française n’est-elle pas l’art de commencer si clairement qu’il devienne superflu de finir, n’est-elle pas la politesse des interruptions où chacun trouve l’hommage d’avoir été saisi à demi-mot, n’est-elle pas la grâce continue d’attaques et de parades indiquées avec un mouvement aussi efficace et plus rapide que si on les poussait à fond ? Essayez avec une autre langue !
Mais les dons de la nôtre ne sont pas seulement une harmonie naturelle de mots et une beauté intellectuelle logique. Son plus grand mérite est d’avoir perpétué une œuvre de beauté morale. Elle a toujours été la servante d’idées qui dépassaient les intérêts d’une race et d’un temps. Elle a été la distributrice séculaire des richesses communes au genre humain. Une affirmation de foi religieuse est son premier mot d’ordre. C’est au cri de « Dieu le veut ! » que les croisades furent prêchées dans toute l’Europe. C’est en français que furent rédigées les assises de Jérusalem et d’Antioche, les lois de la Terre-Sainte. Ses premières œuvres littéraires sont pour célébrer l’héroïsme de l’homme, les vertus de la femme et enseigner le sublime dans l’action. Quand elle atteint sa maturité, elle monte sans s’y perdre aux sommets de la raison pure. Ces objets traditionnels de la pensée française occupent ensemble l’incomparable compagnie de prosateurs et de poètes qui, au XVIIe siècle, immortalisent la foi, la philosophie, la politique, la science, les luttes de la passion et du devoir, l’étude de la nature humaine et de ses faiblesses. Le même caractère d’universalité se continue au XVIIIe siècle par les promesses de justice et d’émancipation que l’intelligence française lance au monde, promesses si vides d’expérience, si gonflées de sophismes, si sincères pourtant d’espoir en l’avenir. Toute la terre entendit, car montrer aux hommes le bonheur, c’est parler à tous leur langue.
Voilà les caractères essentiels du français. Le grec a été la langue de l’art ; le latin, la langue du gouvernement ; le français a été la langue de la conscience. Tel est le secret magnifique de son autorité. Elle doit sa beauté suprême à la beauté de ce qu’elle exprime. La noblesse de sa fonction s’est reflétée dans la noblesse de sa forme. Le rayon de sa lumière intérieure a comme illuminé ses mots. L’idéal contenu par elle a été comme l’éther subtil que le ballon enferme, et qui, sollicité par une force ascensionnelle, cherche dans les altitudes son équilibre et soulève avec lui son enveloppe. Et le genre humain les voyant ensemble passer par-dessus les frontières, lui a su gré de s’élever dans les profondeurs impartagées où monte et s’unit l’âme de tous.
Ainsi se justifie la fortune du français. Ses conquêtes furent vastes autant que rapides. Dès le XIIe siècle, les étrangers le définissent « la langue qui court le monde » et « la plus délitable parlure ». Elle paraît telle non seulement par la supériorité de ses mots et de leurs assemblages, mais pour avoir la première donné leur expression la plus parfaite à deux sentiments nés du christianisme et qui dominent la vie publique et la vie privée de ce temps : l’amour de l’honneur et l’honneur de l’amour. Nos chansons de gestes, nos romans, nos poésies galantes célèbrent le chevalier et la dame, c’est-à-dire le bon droit du courage dans l’homme, et dans la femme la dignité de la grâce ; c’est à ces sources pures que l’Europe étanche sa soif du beau. Les légendes héroïques du Nord où notre science, oublieuse de son propre bien, a cru découvrir les spontanéités du génie scandinave, ne sont que les échos de notre ancienne voix. La gloire plus proche du seul siècle que nous appelions le grand a usurpé toute notre admiration, les clartés plus lointaines s’éteignent dans l’éblouissement où il nous laisse, mais notre primauté ne fut pas moindre au XIIIe siècle qu’au XVIIe. Au XVIIIe, notre rang était si établi que l’Académie de Berlin ouvrit un concours, non pour rechercher si le français était la première des langues, mais à quelles raisons il devait son universalité et s’il la conserverait. La réponse de Rivarol est restée fameuse, et le prix qu’il obtint semblait un assentiment donné aux plus hardies des prétentions françaises. Rivarol fut peut-être le causeur le plus exquis d’une société où le suffrage suprême n’était pas « cela est vrai », mais « cela est piquant », d’une époque où l’esprit s’exerçait moins à entretenir la justesse des pensées qu’à aiguiser la finesse des mots, d’une langue où les phrases étaient jolies, provocantes et grêles comme des danseuses dressées sur leurs pointes. Ce petit-maître de nos élégances intellectuelles traita les autres langues en maître. Il insistait assez sur leurs imperfections pour paraître incrédule à leur avenir. Il comparait avec quelque dédain leurs mérites et les nôtres, et invitait ces vaincues à capituler de bonne grâce, comme si notre victoire exigeait leur défaite, comme si le français devait s’étendre en les refoulant et peu à peu se substituer à elles. Il y avait à ces illusions quelques excuses. La France était le peuple alors sans égal par la fécondité de sa population, sa gloire militaire et une influence telle que, renonçant à rivaliser avec notre goût, nos mœurs, nos caprices, l’univers poli se bornait à les copier.
Au début du XXe siècle, nous avons cessé d’être les plus nombreux, de paraître les plus forts, et ce n’est plus vers nous que les regards convergent. Seule notre langue est restée, mais sa puissance n’a pas besoin d’autre puissance. Les affirmations de jadis faussaient le problème au lieu de le résoudre. L’avantage des armes et la masse de la population ne confèrent à un peuple ni droit, ni moyen d’imposer son langage. Si le nombre était un titre, l’avenir du monde serait de parler chinois. Si la victoire était une maîtresse d’école, l’Europe eût parlé le français sous Napoléon, car il l’enseigna d’autorité. Mais le vainqueur des rois fut tenu en échec par les enfants qui ne voulurent pas oublier la langue apprise de leurs mères. Il n’y a pas à tenter de refoulement, il n’a pas à espérer de substitution entre les langues. Dédaigner aucune d’elles, en souhaiter la disparition est oublier ce que toutes représentent de durable et de légitime. Elles sont les voix des patries, elles sont pour chaque peuple sa pensée sous la forme la plus naturelle à ses instincts, la synthèse de toutes les différences qui le distinguent de tous les autres peuples, la sûreté d’un rempart contre l’étranger. Tant que subsistera la diversité des races, subsistera la diversité des langues.
Mais les peuples, même les plus glorieux de leur autonomie, même les plus jaloux de leurs qualités nationales, ne vivent pas isolés. Ils ont besoin, fût-ce pour régler leurs conflits, de rapports les uns avec les autres. Certains intérêts sont internationaux. Enfin il y a des vérités et des devoirs qui dominent les races, les unissent, sont le bien ou la loi de tous les hommes. Or, pour que les hommes communiquent de peuple à peuple, pour qu’ils s’aident par les aptitudes de chaque race à accroître le bien général, pour que le genre humain prenne conscience de son unité, il est besoin d’une langue commune. Cette langue, qui ne doit pas supprimer les langues nationales doit s’ajouter à elles.
Il faut ou la fabriquer de toutes pièces ou la choisir parmi celles qui existent. En fabriquer une est le jeu innocent auquel s’amusent depuis quelques années quelques hommes de loisir. Ils inventent des mots avec des syllabes qu’ils empruntent aux diverses langues, pour ne pas faire de jalouses. Ils croient être nouveaux et ils reprennent une méthode vieille de maints siècles et qui, sur les bords de la Méditerranée a, de fragments ramassés en Europe, en Asie et en Afrique, formé le levantin. Grâce à lui des hommes de races différentes s’entendent pour leur subsistance et les combinaisons sommaires par lesquelles l’argent des uns passe dans les poches des autres. Mais est-ce là le tout de la vie ? Que l’on tente avec ces langages artificiels et rudimentaires de rédiger un traité, de poursuivre une science, de s’abstraire dans la philosophie, de s’élever à la morale. Or ce sont là les grandes affaires du genre humain. Pour les résoudre, il faut une langue éprouvée, souple, précise, et qu’un long emploi ait rendue complète.
De ces langues en usage, laquelle adopter ? Les peuples les plus denses demandent la préférence pour celles qui sont parlées par le plus d’hommes. Mais la plus parlée de toutes ne l’est que par une minorité dans l’univers. Et, quel est l’intérêt de la majorité à qui le dernier mot appartient ? Ne pas choisir comme expression des idées et des intérêts communs à tous les hommes une langue que représente trop une race. Plus cette race se mire en son parler avec l’orgueil d’y reconnaître en quoi elle diffère de toutes les autres et en quoi elle l’emporte sur elles, plus se soumettre à ce parler orgueilleux serait pour les autres s’amoindrir et subir une hégémonie. Les langues les plus parlées dans le monde civilisé sont, avant la nôtre, l’anglais, le russe, l’allemand, et, après la nôtre, l’espagnol. Ce sont les langues des peuples qui se savent le plus de gré de ne ressembler à personne. L’allemand voudra-t-il se faire par la langue le vassal de l’anglais, ou l’anglais emprunter la confusion méthodique de l’allemand, où l’un et l’autre s’accommoder du vague que l’âme slave a mis dans le russe, ou tous payer tribut à l’inactive grandiloquence de l’espagnol ? La langue désirable est celle qui rappelle le moins les traits particuliers d’une race. Si le peuple qui l’a formée est peu nombreux, le choix fait d’elle risque moins de servir une ambition politique. L’essentiel est obtenu si cette langue, sans imposer aux étrangers qui l’emploient aucun vasselage envers le génie particulier du peuple qui l’a faite, offre à tous un instrument docile et exact pour tous les travaux de l’intelligence. La perfection serait atteinte si cette langue, pour avoir beaucoup exprimé les sentiments communs à tous les hommes, avait laissé la trace de ses efforts dans des œuvres parfaites : car l’apprendre serait alors s’instruire non seulement de mots, mais de doctrines, et trouver dans les maîtres de la langue des maîtres de la pensée. N’est-ce pas avoir nommé la langue française ? Laquelle a autant servi les idées générales ? Laquelle a créé plus d’œuvres immortelles ? Laquelle est faite d’une substance empruntée à plus de peuples ? Dans laquelle l’égoïsme de la race est-il moins visible ? Dans laquelle est plus permanente la sollicitude du genre humain ? N’est-elle pas la langue de tous ceux qui veulent compléter leur culture et par les lettres devenir plus hommes ? N’est-elle pas la plus employée, après leur idiome national, par les peuples étrangers ? Rester chez eux la seconde, voilà la forme légitime et suffisante de son universalité. Lui maintenir ce rang est l’office public de quiconque la parle, et moins un privilège à garder qu’un service à rendre. Elle ne déclinerait pas sans que son amoindrissement nous accusât, car elle ne cesserait d’être nécessaire au monde que si nous la laissions dégénérer.
Qu’elle ait déjà dégénéré, c’est le seul mais commun argument de ses adversaires. Oui, disent-ils, la France a exercé un magistère admirable, il atteignit son apogée au XVIIe siècle. La France alors était la première non seulement par les qualités de sa langue, mais par l’usage qu’elle en faisait. Elle ne cessait de rappeler les lois de l’ordre. Son génie voyait si haut et si loin qu’il embrassait du même regard la vie présente et la vie future comme les parts solidaires d’une seule destinée. Il n’avait pas trop de l’infini pour contenir sa plénitude. La foi prolongeant sa raison lui avait appris que l’homme est sur la terre non pour obtenir le bonheur, mais pour le mériter, que le présent est l’épreuve, l’avenir la récompense, que la société se fonde et dure par des sacrifices demandés aux instincts de chacun, et que les immolations de l’égoïsme individuel à l’intérêt général font le droit de la créature aux générosités compensatrices du Créateur. Cette morale ne condamnait pas l’effort de l’homme pour obtenir dès ce monde quelques avances de joie, mais elle fixait à ces joies leur rang et elle enseignait que par leur retard même elles étaient accrues, si on leur préférait le devoir. Le devoir ainsi justifié ne semblait pas trop lourd. Qu’il prescrivît à la race de croître et de multiplier, à la famille de demeurer stable, au sujet de défendre son prince, au pauvre de perpétuer par son travail l’inégalité des fortunes, aux privilégiés de payer la plus impérieuse de leurs dettes par la bonté envers les malheureux, il obtenait soumission et, sur le monde, la patience répandait sa douceur. Gardienne de cette paix, la littérature ne songeait ni à favoriser la licence des mœurs, ni à exciter les haines de classes, ni à affaiblir la société.
Cet ordre commença d’être ébranlé au XVIIIe siècle par ceux dont l’orgueil, rebelle aux humilités religieuses, se trouva par là même réduit à des hypothèses vagues sur l’existence de Dieu et sur ses desseins. Dieu à son tour et Dieu seul était chassé du paradis terrestre où l’homme, instruit par l’arbre de science, devenait le maître unique. Mais cet arbre porta bientôt des fruits inattendus. L’incertitude d’une destinée future retenait toute l’attention des incrédules sur la vie présente ; ils la considèrent donc comme un tout qui devait se justifier devant leur raison. De là leur impatience logique et toute nouvelle de transformer la société humaine et d’y faire place au bonheur immédiat. C’était rétrécir les ambitions, abaisser l’idéal, changer le caractère du génie français.
On ne s’en aperçut pas d’abord parce que la survivance de la tradition chrétienne continuait à prévenir les suites naturelles de l’incrédulité. Mais l’incrédulité par sa propagande, puis par la force des gouvernements, a peu à peu, durant le XIXe siècle, usé les croyances du peuple, et la logique des disciples, dépassant celle des maîtres, a soudain éclaté au XXe siècle contre toutes les institutions sociales. Partout où l’ancienne croyance créait le culte des intérêts généraux, la nouvelle créait l’idolâtrie de l’égoïsme individuel. Cet égoïsme a voulu se justifier et à son service une nouvelle littérature a surgi. Par ses déclamations contre le travail et l’inégalité, elle souffle la haine contre la société qu’elle nomme l’iniquité sociale. Par ses dédains de tout effort qui coûte à l’homme du temps et de la peine, elle répand le goût de tout résoudre, soudain et sans labeur, par l’autorité de l’État, et à chaque démenti que les faits ne cessent d’infliger à cette attente, elle accroît dans ceux qu’elle trompe l’impatience et la stérilité révolutionnaires. Par ses sophismes sur les droits de la passion, elle légitime toutes les inconstances du cœur, leur sacrifie, avec la famille, l’avenir, et par ses peintures lascives provoque l’immoralité publique. Railleuse surtout du désintéressement et du sacrifice comme d’illogismes périmés, elle ne prend au sérieux que la richesse. Quelles qu’en soient les origines, elle en vénère la masse et le rapide accroissement. Par le vilain mot d’« arrivisme », elle célèbre la hâte sans scrupules pour laquelle viser le succès et le saisir doit être l’œuvre d’un même instant. Après avoir ainsi exaspéré la fièvre de jouir, elle fournit de sophismes toutes les lâchetés qui craignent pour les biens acquis ou attendus. Contre la guerre, elle s’attaque à l’armée et conspue le drapeau. Contre la misère, elle appelle au sac de la société les prolétaires qu’elle invite à déserter le service de la patrie. Contre les soucis de la paternité, elle vante le remède de la stérilité volontaire, comme pour consommer tout ensemble la fin de la patrie, de la société et de la race.
Ainsi la langue française répand les erreurs les plus contraires à l’ancien génie de la France. Plus sont grandes sa clarté et sa force persuasive, plus il importe de se défendre contre elle et ses poisons. Elle n’a plus à invoquer de primauté à l’heure de sa décadence, et son espoir est vain d’étendre sur le monde une voix qui, faute d’enfants, s’éteint sur son propre sol.
Il ne sert à rien d’ignorer ces accusations. Nous faire sourds ne les rendrait pas muettes. Je ne disconviendrai pas que certaines apparences fournissent prétexte à tant de sévérités ; que nombre de romans et de pièces remplacent l’imagination par l’impudeur, le sentiment par la sensualité ; que la bassesse des pensées y trouve niveau dans la bassesse du style ; que l’esprit, jaillissement naguère spontané et intarissable de notre humeur, tourne parfois au laborieux effort et qu’un rire forcé et amèrement triste semble, dans les œuvres malsaines, sonner le glas de la gaieté nouvelle. Notre sérieux même a changé de voix. Pour annoncer aux foules les changements sociaux, ce n’était plus assez du livre. Elles veulent entendre sans cesse la nouvelle de jours meilleurs, pour elles il a fallu transformer les deux moyens les plus continus, les plus retentissants, les plus directs d’action sur le public, la presse et la tribune. L’une et l’autre, veuves d’un glorieux passé, comptent encore des écrivains et des orateurs, mais ils ont de plus en plus mérite à n’être pas gâtés par le métier, car la fécondité des médiocres transforme la tribune et la presse en deux sources permanentes de corruption pour notre langue. Dans le cours rapide de la plume sur le papier et de la parole sur les auditoires, l’improvisateur doit, coûte que coûte, s’imposer sans cesse à l’attention, sous peine qu’elle passe à d’autres et, pour qu’elle ne fuie pas, la retenir par où il peut. Il n’a les loisirs ni de la réflexion, ni du choix, ni du goût. Ce n’est ni la justesse des idées, ni l’exacte convenance entre les mots et les choses, et moins encore l’impartialité qui importent au journaliste en fièvre : c’est l’inattendu, le tapageur, le bouffon, le scandaleux. Et à l’orateur ce n’est pas le choix des raisons décisives, c’est l’accumulation des à peu près sonores, ce n’est pas d’être court, c’est de retentir tant qu’il lui reste un souffle : l’éloquence, qui se mesurait jadis à la hauteur et à la profondeur, a maintenant pour mesure la longueur. Or ces habitudes sont le plus contraires au génie de la langue française. Elles multiplient les impropriétés, les vulgarités, les incorrections. Elles déshabituent les yeux, et les oreilles de ce qui était notre don national, l’élégance dans la sobriété. Elles remplacent, par l’empire obsédant de ceux qui parlent et écrivent sans cesse, cette juridiction qui statuait avec maturité, et par une hiérarchie d’arbitres, sur les sorts des mots. Enfin, ce qu’il y a d’excessif ou de chimérique dans les programmes de réformes sociales oblige leurs auteurs à exagérer les maux contre lesquels ils provoquent les colères et les biens dont ils entretiennent le désir. De là quelque chose de perpétuellement gonflé, déclamatoire, obscur et faux dans l’hypertrophie des anathèmes et des promesses. Et le don où Rivarol saluait une vertu, la probité de la langue est atteinte par le mensonge des doctrines. Si ces sources troubles continuaient à couler, elles embourberaient à la fois notre intellect et notre langage.
Mais elles ne couleront pas toujours. Pour avoir si peu dissimulé le mal, j’ai plus de droits à être cru si j’affirme qu’il n’est pas mortel et que notre organisme encore sain lutte contre les poisons et les élimine. Il ne faut accuser la France ni de tout ce qui semble toléré par elle, ni même de tout ce qui est fait en son nom. Il y a moins d’un an, combien croyaient que les susceptibilités de notre vieil honneur étaient mortes et que, pour le réalisme sceptique des générations nouvelles, aucun intérêt ne vaudrait jamais le risque d’une guerre. L’étranger comptait sur cette réputation, et notre gouvernement comptait avec elle quand il se laissait marchander un de nos territoires par le peuple le plus armé de l’Europe. La France comprit que cette apparente disposition à tout supporter d’un cœur trop pacifique la calomniait aux yeux du monde. Il n’en fallut pas davantage. Le frémissement de tout le peuple apprit, à ses négociateurs qu’il était attentif et qu’au besoin il serait debout. C’est lui qui, par son courage, a affermi ses chefs, lui qui a rendu au drapeau ses fiers respects, un culte réparateur. L’anarchie sociale méprisait aussi les timides résistances et parfois les capitulations de ceux qui avaient la société à défendre, mais là aussi l’excès des provocations a lassé la patience publique, et le courage de l’ordre grandit. Il se manifeste par le discrédit croissant où tombent les marchands de bonheur public ; les entreprises de réédifications socialistes, après avoir déçu la curiosité, la lassent de compter trop sur l’État, et l’excès d’un bavardage infini réapprend au pays la valeur du silence. Dans la presse, lesquels dominent le bruit affreux des paroles sans pensées, comptent et durent ? Ceux-là seuls qui savent ce qu’ils disent, et savent dire. Dans les lettres, nos œuvres principales, de science, de morale, d’histoire, de poésie déshonorent-elles la France ? Si son imagination dans le roman et le théâtre n’a pas fait vœu de chasteté, même là nombre d’écrivains savent rester honnêtes, et cet honneur ne nuit pas à leur gloire. La littérature d’égout ne coule en France que sous terre et pour se déverser à l’étranger. Ceux qui nous calomnient auprès de lui par cette marchandise d’exportation ne la placent pas chez nous. Si les lecteurs du dehors, qui ont à choisir, choisissent mal, est-ce notre faute ou la leur ? Et s’ils répondent qu’il n’y aurait pas de tentés sans tentateurs, on a le droit de répliquer : les tentateurs deviennent plus rares et trouvent une opposition croissante dans notre public. La famille, depuis si longtemps attaquée, a, jusque sur le théâtre, des défenseurs imprévus parmi les écrivains. Le mari a cessé d’être la victime nécessaire, c’est lui qui devient parfois le héros de roman. Le divorce, qui eut tant d’avocats, trouve enfin des juges ; on lui demande compte de ses conséquences : l’instabilité de la famille, l’abandon des enfants, la stérilité des unions nomades. L’effroi de cette stérilité qui a atteint notre race ramène les regrets d’un grand nombre vers le foyer d’autrefois, le foyer où le père trouvait le respect, l’épouse la dignité, les enfants la sollicitude, tous les joies des affections immuables. Dans le désert où de faux guides l’égaraient, la France, à chaque heure, a plus soif de la vieille morale, et des Français chaque jour plus nombreux reconnaissent que pour revenir à cette morale il faut remonter à sa source. L’homme qui enferme tout son espoir dans la vie présente, s’il est bon, s’il s’oublie, s’il se sacrifie, vaut mieux que sa doctrine. Il est en contradiction avec elle. L’homme ne renoncera pas à être heureux : pour être raisonnablement victorieux des instincts qui le sollicitent de se préférer à tout, pour préférer à lui-même les autres et la société, pour faire attendre son bonheur dans la vie présente, il faut qu’il compte sur le bonheur dans une vie future. Encore s’il ne conçoit cet espoir qu’en philosophe, sa croyance à un monde meilleur n’est fondée que sur un postulat de sa raison, un postulat de cette même raison sera tout le fondement de sa morale. Ce n’est pas assez d’un « peut-être » pour donner à l’homme le courage du devoir. L’homme ne peut avoir une certitude trop de sa destinée et des lois qu’elle lui impose. La discipline de son existence, la paix de son esprit, la constance de ses sacrifices ont besoin d’une révélation surhumaine. Il doit tenir de son Créateur même la promesse d’immortalité et la connaissance des lois nécessaires à la société présente. Il faut qu’elles soient pour l’homme, au lieu d’hypothèses soumises à son intelligence et discutable par elle, des commandements reçus à genoux comme les ordres d’une volonté infaillible et toute-puissante. Alors seulement l’obéissance de l’homme et l’ordre du monde sont ensemble fondés sur l’inébranlable. Les architectes qui mettaient leur orgueil à bâtir sur le sable ont établi par assez de ruines la nécessité de la religion. L’évidence que l’incrédulité est antisociale prépare en France au christianisme un grand demain. Et ce jour sera grand aussi pour la langue française, car notre langue a souffert dans sa beauté toutes les fois que notre pensée a fléchi dans son inspiration. Notre splendeur littéraire est faite de notre santé morale, comme notre force historique est faite de christianisme. Avec lui, notre race aura retrouvé les grandes routes de l’idéal.
Ces routes, Messieurs, ramènent vers vous. Vous n’avez jamais cessé de garder intactes les mœurs, la foi et la langue que vous avez reçues du passé. Ces traditions, seul trésor que vous ayez porté de l’ancienne patrie dans la nouvelle, ont maintenu la sagesse dans votre volonté et l’ordre dans votre action. Vous aviez à accomplir une tâche immense : peupler et cultiver un continent. Vous la poursuivez en paix sous un pouvoir d’autant plus respecté que vous ne lui demandez pas de remplacer soudain et d’autorité les œuvres de l’effort personnel et du temps. Vous comptez sur la fécondité de la race, sur sa persévérance au travail, vous semez pour une saison où vous aurez disparu, et vous savez être les collaborateurs de l’avenir parce que votre foi vous a appris les longs sacrifices et les longs espoirs.
Vous regarder n’est donc pas pour nous seulement une joie, mais un exemple. Vous êtes nos frères, mais mieux préservés que nous des expériences où s’égarent les énergies. Tandis que nous parcourions nos destinées comme l’enfant prodigue, vous êtes restés dans la maison paternelle et nous goûtons son charme en y étant reçus par vous. Nous y voyons quelles vertus conservent une race. Vous êtes ce que nous avons été, nous apprenons de vous à redevenir ce que vous êtes. La France, en voulant se faire nouvelle, s’est vieillie. En ne vous détachant pas de vos traditions, vous avez perpétué votre jeunesse. Tandis que chez nous les vivants ont parfois semé la mort, vos morts vous ont gardé le secret de la vie. Et notre commun langage est beau dans votre bouche, parce que tout y est sain : les mots et les pensées.
Canada, petite colonie d’hier, nation d’aujourd’hui, empire de demain ; Canada séparé de la France avant que la France se séparât de son passé et qui as gardé la plénitude de notre vie ancienne ; Canada terre de fécondité, fertile en blé, fertile en hommes, fertile en avenir, qui multiplies par un travail solidaire les moissons dans tes plaines et les enfants dans tes foyers et qui, dans les solitudes immenses où se perdaient tes premiers explorateurs, verras un jour ta race à l’étroit ; Canada, terre de constance qui a affermi la sagesse de tes mœurs et de tes lois sur ta foi catholique et tiens pour ta plus précieuse liberté d’être soumis à un maître surhumain ; Canada, qui as trouvé dans la fidélité la récompense et offres au monde le modèle d’une société où les vertus privées et les vertus publiques rendent hommage à Dieu ; Canada, la France t’aime, t’admire et te salue.