Le nom patachon n’a pas encore deux siècles d’existence, et pourtant il n’est déjà plus employé que dans l’expression mener une vie de patachon. Quant au nom dont il est tiré, patache, il s’en est allé avec la chose qu’il désignait. On le rencontrait parfois, au début du siècle dernier ou à la fin du précédent, quand ce véhicule était encore en usage. Ainsi, dans Le Fleuve de feu, de Mauriac, un personnage se plaint qu’« il faut pour aller à la gare prendre la patache de six heures du matin ». Patache a pourtant une longue histoire. Avant de désigner une voiture publique lente et mal suspendue, dans laquelle on voyageait à peu de frais, c’était le nom d’une embarcation légère utilisée par la douane, et d’un petit bateau servant au transport des marchandises et des passagers dans les estuaires et sur certaines rivières. Dans Les Misérables, Hugo évoque son remplacement par des navires plus modernes : « Où il y avait la patache, il y a le bateau à vapeur. » Cette patache était employée pour de petits trajets, mais son nom a beaucoup voyagé. Il nous vient en effet, après une étape par l’espagnol pataje, désignant un bateau de guerre léger, de l’arabe batas, forme substantivée de l’adjectif batas, « rapide », qui désignait un bateau à deux mâts. Le conducteur de notre patache, le patachon, que l’on ne confondra pas avec le patachier, qui en était le propriétaire, avait mauvaise presse. Par une forme de métonymie, on a en effet supposé une vie agitée à ceux qui conduisaient une voiture dans laquelle on était constamment secoué et balloté, et qui couraient toujours les routes et les chemins. On ne s’étonnera donc pas que la vie de patachon soit semblable à la vie de bâton de chaise, ce dernier étant, comme l’écrit Richelet dans son Dictionnaire, un « morceau de bois épais de deux, ou trois pouces, et long de six, ou sept piez qu’on met dans les portans de la chaise [à porteurs] pour la soulever et la porter par la vile ». Comme le bâton de chaise, le patachon ne reste jamais en place. Cela lui permet d’être souvent hors de chez lui et d’échapper ainsi à une forme d’espionnage villageois. Les arrêts nécessaires au changement des chevaux lui étaient une occasion de rencontres et un prétexte pour boire. Ce fut d’ailleurs pour cette raison que Pierre Rousseau, un vulgarisateur scientifique de talent, porta, dans un ouvrage intitulé Histoire des techniques – ouvrage auquel l’Académie française décerna le prix Maujean en 1957 –, un dernier coup à la réputation de notre pauvre patachon. Il y parlait des « pataches bringuebalantes, menées par des postillons hilares, gueulards et généralement entre deux vins ».
À côté du patachon, le xixe siècle vit la naissance d’un autre personnage allant lui aussi de ville en ville et courant les chemins, mais cette fois-ci comme passager et non plus comme conducteur ; il sera une forme plus adoucie, plus policée, plus urbaine du patachon : le commis voyageur. Balzac en dessinera une forme d’archétype avec le héros éponyme de L’Illustre Gaudissart. Il le décrit ainsi : « Cet homme a tout vu, il sait tout, il connaît tout le monde car il est voyageur. […] Doué de l’éloquence d’un robinet d’eau chaude que l’on tourne à volonté, ne peut-il pas également arrêter et reprendre sans erreur sa collection de phrases préparées qui coulent sans arrêt et produisent sur sa victime l’effet d’une douche morale ? Conteur, égrillard, il fume, il boit. Il a des breloques, il impose aux gens de menu, passe pour un milord dans les villages. » Ce caractère enjoué fit un temps le charme du père de Charles Bovary : « Bel homme, hâbleur, […] il avait l’aspect d’un brave, avec l’entrain facile d’un commis voyageur. » Cela étant, le type du voyageur qui charme son auditoire par ses récits est bien antérieur à nos patachon et commis voyageur. Ils ont un illustre patronage avec Ulysse qui, pour remercier Alcinoos et ses Phéaciens de l’accueil qu’ils lui ont offert, accepte de leur faire le récit de ses aventures.