Le Comité de défense des hommes de science. Communication au Colloque « Missions permanentes et missions nouvelles de l’Institut de France au seuil du XXIe siècle. Bicentenaire de l’Institut de France

Le 28 septembre 1995

François JACOB

III. DIFFUSION DES SAVOIRS ET RAYONNEMENT DE L’INSTITUT

Le Comité de défense des hommes de science

 

Les gouvernements se doivent de respecter les droits de l’homme fondamentaux de leurs citoyens. C’est là une proposition simple et il aérait difficile de trouver un gouvernement qui manifeste ouvertement son désaccord. Presque tous les gouvernements ont signé un ou plusieurs documents instituant des règles internationales de protection des droits de l’homme. Le plus connu de ces documents est la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies. Toutefois, certains gouvernements qui ont signé ces accords n’hésitent pas à en violer plus ou moins systématiquement les règles. Nombreux sont les gouvernements qui emprisonnent couramment leurs citoyens pour leurs idées politiques ou religieuses. La torture est communément utilisée dans un tiers des nations du monde. Dans les pays où n’est pas respectée l’intégrité physique et mentale de la personne, sont ignorés d’autres droits, comme l’accès aux soins médicaux, des conditions de détention décente, une justice rendue par les organismes chargés de l’administrer, la défense par un avocat de son choix, des visites de la famille, etc.

Si les gouvernements ne sont pas tenus pour responsables de leurs actions, rien ne les pousse à changer. Cela s’applique tout particulièrement aux gouvernements impopulaires qui, craignant une opposition politique, utilisent la répression comme une arme contre l’expression de croyances politiques et religieuses. Mais si les gouvernements se refusent à admettre ouvertement qu’ils ne respectent pas les droits de l’homme, ils ne veulent pas non plus en être accusés. On peut donc lutter contre les infractions. Quand une accusation sérieusement étayée est portée contre un gouvernement responsable de tels abus, ce gouvernement se trouve généralement dans l’embarras. Mécontent, il cherche d’abord à réfuter ces allégations. Mais, en fin de compte, si les groupes de défense des droits de l’homme maintiennent une pression ferme, respectueuse et impartiale, les gouvernements en viennent parfois à céder.

Pour des raisons évidentes, les écrivains, artistes et scientifiques constituent une excellente cible pour les abus en matière de droits de l’homme. C’est à eux qu’il revient de protester en premier. Tout particulièrement aux scientifiques car science et liberté sont, à bien des égards, inextricablement liées. Lorsqu’une institution scientifique officielle qui a de l’autorité et du prestige, comme une académie des sciences, exprime des inquiétudes sur le sort d’un collègue emprisonné pour délit d’opinion, il est souvent difficile au gouvernement ainsi interpellé de négliger purement et simplement un tel avertissement.

En mai 1978, l’Académie des sciences décidait de s’intéresser aux violations des droits de l’homme dont sont victimes, à travers le monde, les hommes de science. Elle adoptait le texte suivant :

« Il est créé par l’Académie, un comité des droits de l’homme composé de membres et de correspondants. Le comité comprend huit à dix membres. Ceux-ci sont nommés pour deux ans par l’Académie, sur proposition du bureau.

« Le comité élit en son sein un président, un vice-président et un secrétaire. Il se réunit chaque fois que le président de l’Académie ou le président du comité le juge nécessaire, ou à la demande d’au moins deux des membres du comité. Le comité pourra inviter toute personne de son choix à prendre part à titre consultatif à l’une ou l’autre de ses séances.

« Le comité étudie les cas qui lui sont soumis par ses membres et transmet ses conclusions au bureau de l’Académie qui décide de l’opportunité des interventions et de leurs modalités. »

Ce comité fonctionne depuis lors sous le sigle CODHOS.

Le CODHOS intervient uniquement dans des cas de scientifiques persécutés pour des raisons relevant des droits de l’homme. Il s’occupe de situations qui lui sont signalées par des organismes divers et quand les informations reçues lui paraissent présenter toutes les garanties. Les interventions sont faites par lettre ou télégramme adressés aux autorités compétentes dont relève chaque cas. Dans certaines situations, et notamment lorsqu’il s’agit de s’adresser au président d’une académie étrangère, le CODHOS demande au président de notre académie d’intervenir.

Au cours des cinq dernières années, le CODHOS a ainsi mené une série d’actions en faveur de scientifiques et universitaires opprimés dans des pays variés.

Des demandes d’interventions ont été faites à plusieurs reprises, soit auprès de certaines ambassades françaises, soit au Quai d’Orsay, soit à l’Élysée, notamment avant le départ du président de la République pour des voyages à l’étranger. Ces demandes ont le plus souvent reçu un accueil favorable.

La plupart du temps, on ne sait rien des effets produits par nos interventions. Parfois on apprend, quelques semaines ou mois plus tard, une amélioration des conditions de détention, ou même une libération. Il est toujours difficile d’établir une relation de cause à effet entre l’action menée et l’amélioration constatée. Très souvent, l’action menée par le CODHOS est coordonnée avec celle menée par d’autres instances internationales, notamment par des comités symétriques établis dans certaines autres académies des sciences ou sociétés savantes de pays occidentaux, notamment aux États-Unis et en Suède. Peu à peu s’établit un réseau international d’associations de scientifiques qui se communiquent des informations et s’invitent mutuellement à coopérer pour intervenir dans certaines situations. Une telle action concertée est bien évidemment beaucoup plus efficace que celles d’associations isolées.

En mai 1993, s’est tenue à Washington, à l’Académie des sciences américaine, une réunion de travail où étaient représentées quinze académies des sciences. Cette réunion avait pour but d’améliorer la transmission d’informations entre les académies et de coordonner leurs interventions pour les droits de l’homme. Il a été décidé de créer un réseau entre les comités des droits de l’homme des différentes académies (ou leur secrétariat en l’absence de comité). Les membres de ce réseau se tiennent au courant des actions qu’ils entreprennent et échangent toutes informations possibles sur les cas où ces droits sont bafoués.

En mai 1995, s’est tenue à Amsterdam à l’Académie des lettres et des sciences néerlandaise, une seconde réunion de travail entre représentants de plusieurs académies des sciences. Un bilan a été établi de l’action menée pendant deux ans par ces académies pour les droits de l’homme. Il a été décidé de renforcer ce réseau et de mieux coordonner les actions des divers comités. Deux autres réunions sont prévues : dans deux ans à Rome et dans quatre ans à Stockholm.

L’Académie des sciences est la seule des cinq académies de l’Institut de France à avoir-installé un tel comité. D’autres académies s’adressent parfois à nous pour nous demander d’intervenir en faveur de certains de leurs collègues. Récemment, l’Académie des sciences morales a désigné un représentant qui assiste maintenant régulièrement aux réunions du CODHOS et participe à ses discussions.

Les membres du CODHOS se sont demandé s’il ne serait pas souhaitable que les autres académies participent à cette lutte des droits de l’homme en faveur d’intellectuels persécutés. J’ai écrit, pour demander leur avis, au chancelier de l’Institut, aux secrétaires perpétuels ainsi qu’à certains membres des académies. Dans l’ensemble, les réponses ont été favorables à une contribution des autres académies à l’effort du CODHOS.

Plusieurs formules peuvent être envisagées. Je souhaite vivement que, à l’occasion de ces colloques de l’Institut, cette question puisse être débattue et que, en cas de réponse positive, les premières mesures puissent être prises.