Hommage à M. Maurice Schumann*
prononcé par M. Hector Bianciotti
Séance du jeudi 12 février 1998
Messieurs,
Avec la disparition de notre confrère Maurice Schumann se brise l’une des voix de l’histoire de France ; la voix d’un combattant, d’un inspiré, d’un soldat aimanté par toutes les causes à défendre, afin de préserver la cohérence des idées conformes à sa foi, pour le bien des hommes.
Tout jeune il prit, une fois pour toutes, parti pour la civilisation, qui est lutte permanente contre le mal, et qui suppose que l’on soit soumis sans trêve au labeur, à la discipline, aux accidents de parcours, et prompt même à faire le sacrifice de sa vie pour authentifier son action.
Il avait vingt-neuf ans lorsque, en 1940, il rejoignit la poignée d’hommes ralliés à leurs risques et périls au général de Gaulle, à Londres — remplissant pendant quatre ans la mission que le Général lui avait imposée : être le porte-parole de la France libre à l’antenne de la B.B.C. pour assurer l’espérance des Français.
Rares sont les hommes qui ont été autant d’hommes que notre confrère il semblait posséder le don d’ubiquité et une manière d’omniscience être, comme l’ange des théologiens et des poètes, le point de vue de tous les points de vue — dans ces temps de détresse, comme a dit un philosophe contemporain, où la splendeur de la divinité s’est éteinte dans l’histoire d’un monde devenu incapable de retenir le défaut de dieu comme défaut.
Cette tête comme taillée dans la pierre des commémorations, cette tête qui renvoyait si bien la pensée, aura toujours été un modèle d’intelligence, d’équité, de compréhension et, aussi, de courtoisie, et d’aménité.
Député neuf fois élu par le département du Nord, président de la commission des Affaires étrangères, ministre de l’Aménagement du territoire, ministre d’État chargé des Affaires sociales, ministre d’État chargé de la Recherche scientifique, ministre des Affaires étrangères, président de la Fondation de France, de la commission des Affaires culturelles du Sénat... Et, depuis quinze ans, président, passionné, du collège des conservateurs du domaine de Chantilly.
Un soldat, Maurice Schumann, un soldat toujours dans la bataille. Et pourtant, le philosophe qu’il était, trouva le temps de se pencher sur Bergson, sur Péguy, sur sa chère Simone Veil, qu’il connut à Londres; sur bien des sujets où la théologie avait sa part; l’historien, pour écrire, parmi d’autres, cet ouvrage admirable : Un certain 18 Juin. Tandis que le « littéraire », pour ainsi dire, fit ses débuts dans le roman au seuil de la cinquantaine, son œuvre romanesque dévoilant la veine intime du savant amoureux de la poésie et de la musique — alors que, dans les autres genres, son style fut de penser tout haut.
Si j’ose m’aventurer à une confidence, je dirai que, avant que je ne devienne son confrère, j’ai rencontré Maurice Schumann une fois; une seule fois; quelques minutes : d’emblée, il me parla de mes écrits, de façon si chaleureuse que je crus à un éloge de circonstance ; mais je dus me rendre à l’évidence : il les avait lus, ces écrits, il en parlait comme s’il venait de les lire. Sa mémoire était aussi prodigieuse que sa générosité.
Parfois découragé à en éprouver l’envie d’abandonner le travail, c’est la voix de Maurice Schumann qui revient, et c’est un rappel à l’ordre. Je suis sûr que, dans tous les domaines, ceux qui lui sont redevables de ces encouragements qu’il dispensait sans même se le proposer, sont légion.
Nous avons un devoir envers lui : avoir toujours présents à l’esprit ces mots, plus que jamais d’actualité, de son Discours de réception à l’Académie, qu’il prononça le 30 janvier 1975 : « Le temps n’est plus où l’Académie française régnait sur un héritage. L’attrait du français est intact, son rayonnement et son cheminement sont contrariés. Il nous faut maintenant forger pour la défense et l’illustration de la langue les armes d’une vraie reconquête. »
Si elle a, depuis, effectué des progrès, nous savons que ses inlassables efforts n’y sont pas étrangers.
Nous ne l’oublierons pas.
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* décédé le 9 février 1998.