Discours sur les prix littéraires 1996

Le 5 décembre 1996

Alain DECAUX

Rapport sur les prix littéraires

par
M. Alain DECAUX
Directeur en exercice

Dans la Séance publique annuelle

le jeudi 5 décembre 1996

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Messieurs,

La tâche me revient donc cette année de rendre publics les prix que l’Académie française a décernés. Je tiens à saluer ceux qui, les ayant mérités, les ont obtenus. Pour cette raison qui me paraît évidente : en tant que lauréats — et eux au moins — ils doivent être convaincus que nos choix sont toujours excellents.

À cet égard, je voudrais apporter un témoignage. J’ai reçu moi-même un prix de l’Académie française. J’ai mis longtemps à m’en remettre.

Nous sommes en 1950, ici même, dans ce décor que chacun croit immuable et qui ne l’est nullement. La preuve : tout autour de la coupole, à mi-hauteur, on trouvait alors des galeries analogues aux balcons d’un théâtre. C’était hideux. On y accédait par un escalier de bois.

Lors de la proclamation des prix de cette année-là, était assis, au dernier rang de l’une de ces galeries, un jeune homme dont le cœur battait la chamade : c’était moi.

L’année précédente, à l’âge de vingt-quatre ans, j’avais publié mon second livre, un ouvrage consacré à la mère de Napoléon. Sans trop d’illusions, je pense, mon éditeur l’avait présenté aux suffrages de l’Académie. J’ai su plus tard que le rapport avait été confié à M. Louis Madelin, maître incontesté des études napoléoniennes, lequel avait non seulement déclaré que ce livre méritait un prix mais qu’il fallait le lui donner. Il me fut attribué sur les fonds que l’Académie doit aux libéralités du baron de Montyon.

Comme chacun sait, ce philanthrope a fondé le Prix de Vertu, ainsi que bien d’autres décernés aux pauvres, aux malheureux et, en général, à tous les déshérités de l’existence. Ce que l’on sait moins —et je l’ignorais en 1950 — c’est que le baron de Montyon a également fondé un prix littéraire. Eh bien, sachez-le, Messieurs, c’est ce prix-là qui me fut attribué.

Une lettre de M. Georges Lecomte, alors secrétaire perpétuel, m’apprit en même temps qu’un pactole allait couler vers moi. Le prix était doté d’une somme de 1 500 francs. Vous m’avez compris 1 500 francs anciens.

Ma joie fut à la mesure de l’événement : immense. À ce point que je courus aussitôt l’annoncer à cet homme de génie qui était mon idole Sacha Guitry. J’eus droit à un commentaire immédiat :

— Et en plus c’est un prix Montyon !

J’avais annoncé à un ami que j’étais candidat à un prix de l’Académie. Il m’avait demandé — cet âge est sans pitié — s’il y avait de l’argent à la clé. Je lui avais répondu affirmativement. Aussitôt, il s’était écrié :

— Dans ce cas, on le mangera ensemble !

J’avais promis. Je me suis exécuté. J’ai dû naturellement choisir un restaurant modeste. Au dessert, il ne restait rien des 1 500 francs que je n’avais pas encore touchés.

Il était temps de me faire rembourser. J’ai appelé le secrétariat de l’Académie afin de savoir quand je recevrais mon chèque. La manière dont on me répondit me fit comprendre que la question était mal venue : le chèque n’était pas dans les usages de l’Académie. Le montant du prix me serait délivré en espèces, à la caisse de l’Institut. On a daigné m’en faire connaître les horaires.

Dès le lendemain, je m’y suis rendu. Hélas, je suis arrivé cinq minutes après la fermeture. Guichet fermé ! Vingt-quatre heures plus tard, j’ai réédité la démarche. Me croirez-vous ? Je fus de nouveau en retard. Cette fois, j’ai désespéré vraiment de toucher mon prix. La caisse de l’Institut ne m’a plus revu.

On ne m’en a pas moins convié à la séance publique. Les huissiers m’ont regardé de très haut. Sans doute me prenait-on pour le fils ou — qui sait ? — le petit-fils d’un lauréat. D’un doigt impérieux on m’a désigné l’escalier de bois. Aux galeries, il n’y avait plus de place qu’au dernier rang. Impossible de rien apercevoir de la tribune d’où je vous parle aujourd’hui.

À cette époque, je disposais de toutes mes facultés auditives. J’ai donc écouté. C’était long. Je retenais ma respiration. Quand donc allais-je entendre mon nom ? Il ne vint pas. Il ne vint jamais. Dans la hâte sans doute d’en finir avec une liste interminable, le directeur en exercice sauta des lignes. Il sauta la ligne où était imprimé mon nom.

Telle est l’étrange histoire d’un jeune homme qui mangea inconsidérément le montant de son prix avant de l’avoir touché ; qui, faute de l’avoir encaissé, enrichit de 1 500 francs les finances de l’Académie française, mais à qui néanmoins on a refusé le bonheur d’entendre, à vingt-cinq ans, son nom proclamé sous la Coupole.

Je vous rassure. De telles choses n’arrivent plus. Vous recevrez votre chèque — et peut-être même l’avez-vous reçu. Qui plus est, grâce à une redistribution des fonds qui nous ont été légués depuis deux siècles, le nombre de nos prix s’est trouvé heureusement réduit et, de ce fait, leur montant réévalué de façon substantielle.

J’ajoute que le prix littéraire de la fondation Montyon existe toujours, qu’il a été décerné cette année à un ouvrage excellent et que je me garderai bien d’omettre de le citer.

Du moins, je l’espère.

Maintenant, passons si vous le voulez bien aux affaires sérieuses. L’Académie française décerne chaque année cinq grands prix.

 

Le Grand Prix de la Francophonie pour 1996 a été attribué à Son Excellence M. Abdou Diouf, président de la République du Sénégal.

C’est en se fondant sur l’objet précis de ce prix — « couronner une personne physique qui, dans son pays ou à l’échelle internationale, aura contribué de façon éminente au maintien et à l’illustration de la langue française » — que l’Académie a choisi, exceptionnellement, de le décerner à un chef d’État.

Président du plus ancien pays de langue française d’Afrique — il y eut des représentants du Sénégal aux États généraux de 1789 —, continuateur de la politique culturelle du président Léopold Sédar Senghor, notre illustre confrère — grand poète mais père aussi de la Francophonie institutionnalisée — M. Abdou Diouf, durant ses quinze années de présidence, n’a cessé d’œuvrer pour la présence, la qualité et la diffusion du français dans son pays ainsi que dans toute l’Afrique occidentale et centrale. Il a rendu les plus hauts services à la Conférence des pays ayant le français en partage et il a constamment usé de son autorité pour maintenir l’usage du français dans les grands organismes internationaux.

J’ai eu le bonheur, pour ma part, de rencontrer à plusieurs reprises le président Abdou Diouf. J’ai découvert l’homme et admiré son couvre. C’est chez lui, à Dakar, que s’est tenu le troisième Sommet de la Francophonie. Il a apporté au monde la preuve que la Francophonie était non seulement une réalité mais qu’elle avait le droit de s’affirmer universelle.

L’Académie a décerné également deux médailles de la Francophonie. La première à l’Association française d’Action artistique pour son rôle dans le monde francophone. L’AFAA a été fondée en 1922, au lendemain de la première guerre mondiale. En ce temps-là, le monde entier réclamait notre culture. L’AFAA fut chargée de faciliter l’envoi à l’étranger de nos troupes théâtrales, de nos orchestres, de nos expositions et, parallèlement, en accueillir d’autres sur notre territoire.

Depuis, sur tous les continents, l’AFAA a répondu aux vœux de ceux qui sont en attente de ce que la France propose.

 

Une seconde médaille de la Francophonie a été décernée à M. Adnan Zmerli. Professeur à la Faculté des Sciences de Tunis, il en a été le premier doyen. Il s’est spécialisé dans l’étude des vibrations moléculaires et cristallines. Les ouvrages qu’il a publiés reflètent un véritable don pédagogique. Leur liste est éloquente. Tous ils sont publiés dans notre langue.

 

Le Grand Prix de Littérature Paul Morand a été décerné à M. Marcel Schneider.

Romancier, essayiste, auteur de nouvelles que nous avons couronnées, Marcel Schneider s’est toujours montré proche de Paul Morand auquel il a consacré un essai et dont il fut l’un des légataires.

L’œuvre de Marcel Schneider le montre familier de ce fantastique cher à Jean Mistler. Germaniste, il a largement contribué à nous faire connaître et aimer la littérature allemande du XIXe siècle. En marge d’une carrière d’universitaire commencée sous l’égide de Georges Dumézil et poursuivie dans la complicité de Marcel Brion, son œuvre très personnelle, loin des écoles et des modes, a été tout entière consacrée au culte des lettres et de la poésie.

Paul Morand, j’en suis sûr, aurait applaudi à notre choix.

 

Le Grand Prix de Poésie a été décerné à M. Claude Vigée, poète de l’exil, poète de la langue ou plutôt des langues, poète des écritures, poète du retour.

À l’université de Brandeis aux États-Unis où il a longtemps enseigné, il a représenté un point de passage obligé de toute la littérature française de son temps.

Il s’est ensuite installé à Jérusalem où, là aussi, il a su faire de la poésie française une manière de langue universelle. Retrouvant à la fois toutes ses origines — la Bible et l’Alsace —, il a, dans une œuvre considérable, associé essais et poésies. Des réflexions premières de l’Été indien, d’Apprendre la nuit, de L’Art et le Démonique aux deux volumes du Panier de houblon, il est poète jusque dans sa prose.

 

Le Grand Prix du Roman a été décerné à Mme Calixthe Beyala pour Les Honneurs perdus.

D’un de ses précédents ouvrages, Calixthe Beyala disait : « J’écris ce livre pour une Afrique qu’on oublie. Je suis née en voie de développement. Je vis en voie de disparition. » Dans Les Honneurs perdus, c’est des femmes dont elle se préoccupe, qu’elles soient riches ou pauvres, laides ou belles, africaines ou françaises, musulmanes ou chrétiennes, servantes ou maîtresses.

Le style de Calixthe Beyala rythme sa mémoire comme une incantation. Elle s’enrage à voir l’âme de son pays lentement dégradée. Écoutez-la : « Des arbres rabougris, des herbes naines, des marigots taris, des animaux dénaturés, la fatuité des coqs, la hargne des chiens, des femmes boursouflées de ribambelles de gosses qui crèveront avant cinq ans, des hommes revenant des champs, les yeux torves et les villes-bidons où n’importe quoi ressemble à n’importe quoi d’autre. Un peuple cardiaque... »

Quand elle a su que nous lui avions décerné son prix, Calixthe Beyala a pris sa meilleure plume. Elle nous a raconté ce qui s’est passé en Afrique, lorsque la presse a annoncé qu’elle avait reçu le Grand Prix du Roman :

« Voilà quatre jours, écrit-elle, que l’Afrique chante :

Vive la France !

Vive l’Académie »

Qu’un prix de l’Académie ait pu faire chanter l’Afrique, voilà ce que n’aurait pu prévoir notre fondateur, le cardinal de Richelieu.

 

Le Grand Prix de Philosophie a été décerné à M. René Girard.

Ancien élève de l’École des Chartes, René Girard enseigne le français aux États-Unis depuis un demi-siècle. Il est membre de l’American Academy of Arts and Sciences. Il a toujours écrit ses livres en français et ses articles dans les deux langues.

Connu, traduit, lu, admiré, discuté, imité dans le monde entier, René Girard est considéré comme le fondateur d’une nouvelle anthropologie. Parmi ses ouvrages, il faut citer : Des choses cachées depuis la fondation du monde, Le Bouc émissaire, La Route antique des hommes pervers, Shakespeare, les feux de l’envie.

L’Académie française a voulu saluer celui qui a édifié son œuvre, durant toute sa vie, dans notre langue, et ceci dans le moins favorable des environnements.

 

Le Prix Moron de philosophie a été décerné à M. Marcel Conche.

Pour définir M. Marcel Conche, je ne saurais mieux faire que de le citer lui-même : « Philosopher me semble être la seule activité normale de l’homme : de l’homme quelconque, j’entends sans génie particulier, mais aussi bien de l’homme de génie (de l’artiste, du poète) en tant qu’il est, vivant et mourant, un homme comme un autre ; car ce qui est normal pour l’homme, ce n’est pas — pas simplement — de manger, de boire, de dormir, d’aimer, toutes choses que les bêtes font aussi, ce n’est pas de vivre — de se borner à vivre — ni de travailler pour manger et de manger pour vivre, mais c’est de ne pas vivre sans réfléchir, c’est-à-dire sans se demander ce qu’il fait au monde, ce qu’est le monde, ce que signifie la vie — bref, ce qui est normal pour l’homme, c’est de ne pas vivre sans philosopher. Devenir normal, c’est devenir philosophe. »

 

Le Grand Prix Gobert a été attribué à M. Jacques Le Goff pour son Saint Louis et l’ensemble de son œuvre.

De celle-ci — qui est considérable — je citerai, entre autres, Marchands et Banquiers du Moyen Âge, Les Intellectuels du Moyen Âge, La Civilisation de l’Occident médiéval, Pour un autre Moyen Age, La Naissance du purgatoire, L’Apogée de la chrétienté, L’Imaginaire médiéval.

De tels ouvrages suffisent à situer Jacques Le Goff comme l’une des têtes de file du mouvement des Annales, dont chacun sait que, longtemps, il a voué aux gémonies l’art de la biographie. Les choses ont heureusement changé. M. Georges Duby, dont la disparition vient de nous affecter si profondément, a ouvert la voie avec son superbe Guillaume le Maréchal. En publiant Saint Louis, est-ce une biographie que M. Jacques Le Goff nous a proposée ? En vérité, il s’agit d’une somme qui prend en compte toutes les recherches les plus récentes, portant non seulement sur le roi et son règne, mais aussi sur une époque qui a suscité, au cours des dernières années, de très nombreux travaux tant en France qu’à l’étranger. C’est un souverain dont la contribution à la formation de l’identité nationale aura été décisive que présente M. Jacques Le Goff.

Il faut lui savoir gré d’avoir enrichi d’une foule d’informations notre connaissance du seul de nos rois qui ait été saint et en quelque sorte d’avoir réhabilité avec éclat le rôle de l’individu dans l’histoire des sociétés. Que cela vienne d’un successeur honoré de Lucien Febvre et de Marc Bloch ne donne que plus de poids à cette vision mieux équilibrée des études historiques.

 

Voici maintenant nos Prix de la Biographie.

L’un d’eux s’adresse plus particulièrement à une biographie littéraire. Il a été attribué à M. Jean-Luc Barré pour son ouvrage sur Jacques et Raïssa Maritain. Les mendiants du ciel. Ce livre a été composé à partir d’une documentation considérable. En particulier, les archives Maritain ont été largement utilisées. Sous la plume de M. Jean-Luc Barré, s’imposent deux personnalités très différentes, parfois singulières, toujours attachantes, souvent fascinantes. C’est avec tact que l’auteur suggère parfois leur autoritarisme envers ceux qu’ils avaient décidé de convertir. On ne saurait trop apprécier la forme de ce grand travail.

 

Le Prix de la Biographie historique a été cette fois partagé entre deux auteurs. Il a été attribué d’abord à M. Éric Deschodt pour son ouvrage, Agrippa d’Aubigné, le guerrier inspiré. Si chacun connaît l’auteur des Tragiques, l’un de nos grands poètes épiques, on ignore trop l’extraordinaire foisonnement de sa vie. S’il ferraille sans cesse, s’il tue en combat loyal tant d’adversaires, c’est au nom de la seule mission qu’il se soit donnée à lui-même : défendre sa foi protestante. Sa fidélité à Henri de Navarre, futur Henri IV, est exemplaire.

Sous la plume de M. Éric Deschodt, c’est Agrippa tout entier que nous retrouvons avec ses outrances, ses folies, son génie, campé devant l’histoire en son éternelle grandeur.

 

Le second Prix de la Biographie historique a été décerné à M. Jean-Christian Petitfils pour son livre sur Louis XIV.

Cet ouvrage représente le résultat de vingt-cinq ans d’études sur le Grand Siècle. Il fallait en effet, pour proposer une nouvelle biographie du Roi-Soleil, posséder une connaissance exhaustive, non seulement de ce roi et de son règne, mais de la société de son temps.

Jean-Christian Petitfils n’a nullement dissimulé son dessein qui était avant tout de mener à bien une histoire politique. L’originalité de cet ouvrage naît entre autres de l’utilisation et de l’analyse par l’auteur des récentes études consacrées à la France du XVIIe siècle par les historiens anglo-saxons. L’exploration d’archives inconnues ou négligées a permis à Jean-Christian Petitfils de nous proposer l’une des œuvres les plus importantes de la littérature louis-quatorzième.

 

Le Prix de la Critique a été décerné à M. Christian Péchenard.

Cette fois, l’Académie a voulu attribuer ce prix à l’amoureux d’une œuvre plutôt qu’à un critique professionnel. Avocat de métier, Christian Péchenard s’est penché successivement sur Proust et Céleste, Proust à Cabourg, Proust et son père, avec la finesse d’intuition et de plume d’un écrivain accompli.

Hélas, notre lauréat a été emporté par un mal foudroyant. Notre geste, nous le savons, fut une de ses dernières joies. À son épouse, ici présente, j’exprime notre tristesse, dans la fierté d’un tel choix.

 

Le Prix de l’Essai a été décerné à M. Éric Roussel pour son Jean Monnet.

Rien de plus étonnant que cette grande existence devant laquelle on ne cesse de se poser des questions : comment ce marchand de cognac, cet ancien secrétaire général adjoint de la Société des Nations, ce banquier installé en Amérique et en Chine au cours des années 30, a-t-il pu concevoir tant d’idées neuves et les faire aboutir ?

Grâce à Éric Roussel, tout s’éclaire aujourd’hui. Comment ne pas saluer l’immensité de ses recherches ? Il a tout dépouillé des archives françaises et étrangères. Les notes inédites du père de l’Europe lui ont été ouvertes pour la première fois.

Ce livre définitif nous démontre que le non-conformisme peut déboucher parfois sur l’unification d’un continent.

 

Trois Prix d’Académie, sous forme de médailles de vermeil, ont été décernés.

Le premier au professeur Christian Cabrol, pionnier de la chirurgie cardiaque. Dans son livre, Le Don de soi, il a su examiner toutes les questions scientifiques, éthiques, humaines que pose l’un des plus importants problèmes actuels : les transplantations d’organes.

 

C’est à un autre médecin que la seconde médaille de vermeil a été attribuée : au professeur Maurice Tubiana. Radiobiologiste, cancérologue, écrivain, on lui doit de remarquables découvertes concernant les radioéléments artificiels et des livres émouvants : Le Refus du réel, La Lumière dans l’ombre, Les Chemins d’Esculape.

 

La troisième médaille a été accordée à M. Hubert Nyssen pour son livre, L’Italienne au rucher. On connaît Hubert Nyssen en tant que l’éditeur exigeant d’Actes Sud. Nous le découvrons ici comme un écrivain authentique. À côté du mystérieux affairement des ruches, se développe une grande fresque sur le temps, l’amour des corps, la corrosion qu’y apportent les jours, sur l’acharnement que mettent les hommes à défier ou à nier la mort.

 

Le Prix du jeune Théâtre Béatrix Dussane-André Roussin a été décerné à Mlle Valérie Lemercier.

Cette comédienne a présenté, seule sur scène pendant près de deux heures, un spectacle d’une rare drôlerie et d’une invention de langage constamment renouvelée. Ses sketches, écrits et interprétés par elle-même, représentent une parfaite satire des travers, des clichés et des confusions de la société contemporaine. Valérie Lemercier n’est pas sans rappeler, par la richesse et l’acuité du langage, la manière de Raymond Devos, ce qui n’est pas peu dire.

 

Le Prix René Clair du Cinéma est allé à M. Édouard Molinaro.

Combien de films le lauréat n’a-t-il pas signés ? Son talent révèle une étonnante diversité. Il suffit d’évoquer quelques-unes de ses œuvres pour jauger l’étendue de son inspiration : Le Dos au mur, La Mort de Belle, Mon oncle Benjamin, La Cage aux folles, Le Souper et, cette année même, un Beaumarchais inspiré d’un ouvrage inédit de Sacha Guitry. Ses succès à la télévision ne sont pas moindres. Que ce soit pour La Pitié dangereuse ou La Femme abandonnée, son respect de l’œuvre originale se découvre à chaque séquence. Ne va-t-il pas jusqu’à prendre ses sujets parmi nous, quand il adapte Au bon beurre ou Les Grandes Familles ?

Qui s’étonnerait que le Prix René Clair, destiné à un auteur de films, lui ait été décerné à l’unanimité ?

 

La Grande Médaille de la Chanson française va cette année à M. Robert Charlebois.

Qui ne connaît ce Canadien du Québec ? Qui ne serait capable d’identifier sa voix chaude et l’accent savoureux qui souligne son invocation poétique ? Dans combien d’oreilles aura-t-il mis des mots de notre langue commune ? Ses créations — et lui-même — ont fait le tour du monde.

L’Académie s’est souvenue de sa chanson la plus célèbre : « Je reviendrai à Montréal. »

Quand Robert Charlebois reviendra à Montréal, qu’on sache bien là-bas que, sous la Coupole, son œuvre a été saluée comme celle d’un ami qui, de la langue française, se sert en poète, accroché à sa terre canadienne, la tignasse frisée dans les étoiles, avec le charme imprévisible des éternels enfants.

 

Le Prix d’Aumale est un prix de l’Institut de France. La tradition veut que, chaque année, l’une de nos Académies soit chargée de l’attribuer. La nôtre l’a fait cette année en désignant le Louis XI de M. Emmanuel Bourassin. L’œuvre entière de M. Bourassin, spécialiste du XVe-XVIe éminent des et siècles, méritait assurément ce choix. Ce qui frappe, quand on lit les ouvrages du lauréat, c’est qu’il est de ceux, trop rares, qui savent mêler à une solide érudition un réel talent d’écrivain.

 

J’en viens maintenant aux prix que l’Académie réserve aux personnalités qui ont contribué à assurer, à travers le monde, le rayonnement de la langue et de la littérature françaises.

À sept d’entre elles, une médaille de vermeil a été attribuée

 

À Mme Svetlana Botnaras, directrice du Lycée central de Bucarest, bilingue, à la tête duquel elle assure à notre langue une diffusion qui ne cesse de s’accroître.

 

À M. Erlingur Halldorsson qui, dramaturge islandais, est devenu instituteur pour consacrer son temps et ses forces à une monumentale traduction de Rabelais dans sa langue natale.

 

À M. Abdelfattah Kilito, de nationalité marocaine, auteur de La Langue d’Adam, livre qu’il faut saluer pour la qualité et la clarté de son écriture autant que pour son intelligence et son érudition.

 

À M. Julien Lepers, animateur de l’émission « Questions pour un champion », dans laquelle notre langue est toujours bien traitée et qui sert sa diffusion en étendant ses championnats à des candidats de tous pays s’exprimant en français.

 

À M. Pierre Lexert, directeur de l’Institut Valdôtain de la Culture et rédacteur en chef des Cahiers du Ru, revue qui associe, au Val d’Aoste, culture et francophonie.

 

À MM. Francis-Noël Thomas et Mark Turner qui, professeurs d’université aux États-Unis, ont publié en anglais un parallèle entre la prose française du XVIIe siècle et la prose classique anglaise. De l’aveu même de l’un des auteurs, il s’agit d’une lettre d’amour de la part de la langue anglaise à la langue française.

 

Nous voici parvenus aux Prix de Poésie.

 

Le Prix Théophile Gautier (médaille d’argent) est allé à M. Jacques Roubaud pour Poésie, et cetera : Ménage.

 

Le Prix Heredia (médaille d’argent) à Mme. Christine Orcyanac, pour Bestiaire étrange.

 

Le Prix François Coppée (médaille de bronze) à M. le Chanoine Jean Vuaillat pour Ciels d’arrière-saison.

 

Le Prix Paul Verlaine (médaille d’argent) à M. Jean-Pierre Colombi pour La Sorte d’ombre.

 

Les médailles de bronze à M. Bernard Plin pour La Gloire des jonquilles et à M. Lucien Baumann, pour Au rendez-vous de Samarcande.

 

Le Prix Henri Mondor (médaille d’argent) à M. Bertrand Marchai pour sa présentation des Lettres à Méry Lauren4 de Stéphane Mallarmé.

 

Voici maintenant des Prix de Philosophie, de Morale, de Sociologie, de Littérature et d’Histoire :

 

Le Prix Montyon (médaille d’argent) au Frère Dominique-Marie Dauzet, pour la Petite Vie de saint Norbert.

 

Le Prix La Bruyère (médailles d’argent) :

À M. André Comte-Sponville, pour le Petit Traité des grandes vertus qui a remporté un très juste succès auprès du public, dû peut-être au fait qu’il commence par l’éloge de la politesse et se termine par celui de l’amour.

À M. Thomas De Koninck pour De la dignité humaine.

 

Le Prix Louis Castex à Mme Michèle de La Pradelle pour Les Vendredis de Carpentras.

 

Le Prix Biguet à M. Jean-Pierre Chaline pour Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France.

 

Prix Jules Janin (médailles d’argent). Ce prix, récemment rétabli, est réservé à l’art de la traduction.

Cette année, nous avons choisi de l’attribuer à Mme Ève Barre qui, par une version française aussi précise qu’élégante de l’ouvrage Paix à Ithaque !, a révélé un grand écrivain hongrois, Sandor Marai, trop peu connu jusqu’à présent en France.

M. François Cornillot a mérité ce même prix pour sa traduction exacte et poétique des Poèmes de Tiouttchev.

 

Le Prix Émile Augier (médaille d’argent) est décerné à M. Charles Charras pour l’ensemble de ses travaux et son ouvrage Mon mot à dire, livre charmant qui raconte la vie mouvementée d’un homme n’ayant vécu que pour et par le théâtre.

 

Le Prix Émile Faguet (médaille d’argent) revient à M. Rémy Poignault pour L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et histoire, recherche particulièrement approfondie sur un grand thème.

 

Prix Louis Barthou (médailles d’argent) :

À M. Jean Echenoz pour Les Grandes Blondes, ouvrage au style vif, moderne et plein d’humour.

À M. Philippe Verro pour De la vague à l’âme. Lettres et poèmes à une jeune femme, hymne simple et fervent à la nature.

Prix Anna de Noailles (médaille d’argent) à Mme Noëlle Châtelet, pour La Dame en bleu, histoire d’une femme qui, vers la cinquantaine et au milieu de l’agitation des rues, découvre une vertu, la lenteur.

 

Prix François Mauriac (médaille d’argent) à Mme Marie Ferranti pour Les Femmes de San Stefano, récit très prenant par son ton singulier et on ne sait quoi de triste et de fier.

 

Médaille de bronze à M. Yann Moix, pour Jubilations vers le ciel. « Trois cents pages, nous dit l’un de nos confrères, de pâmoisons, d’effusions, d’attouchements, de rêveries érotiques, dans un style plein de trouvailles, de raccourcis, déroutant, brillant, coruscant. » Je prédis quant à moi que l’on reparlera de M. Yann Moix. Beaucoup.

 

Prix Roland de Jouvenel à Mme Amélie Nothomb, pour Les Catilinaires. Dans ce livre, rien n’est plat — jamais — ni les héros, ni les situations. L’originalité du style saute aux yeux.

 

Médaille d’argent. M. Éric Neuhoff, pour Barbe à papa. À l’opposé du politiquement correct, un véritable réconfort pour un individu normalement constitué.

Prix Ève Delacroix à M. Philippe Le Guillon, pour Livres des guerriers d’or. D’une indiscutable qualité littéraire.

 

Médaille de bronze : M. Robert Rousse, pour Lumière sur la voie. Un ingénieur des chemins de fer explore sa mémoire avec un sens rare des responsabilités humaines.

 

Prix Jacques Lacroix à M. Georges Pasteur pour Biologie et Mimétismes. De la molécule à l’homme. Une exploration très personnelle d’un sujet peu banal.

 

Prix Guizot (médailles d’argent) :

M. Alain Boureau pour Le Droit de cuissage. La fabrication d’un mythe. Vous l’avez compris : le droit de cuissage n’a existé — nous respirons — qu’à travers des légendes séculairement ressassées.

Mme Barbara de Negroni pour Lectures interdites. Le travail des censeurs au XVIIIe siècle. La preuve que, dans une époque qui revendiquait la liberté de penser, la censure en est venue à contribuer à la naissance de ce que l’on appellera désormais l’opinion publique.

 

Prix Thiers (médailles d’argent) :

M. Gérard Ingold pour Général Ingold, figure de la France libre. Ouvrage attachant et fourmillant d’anecdotes sur un grand serviteur de la France.

Mme Anette Smedley-Weill pour Les Intendants de Louis XIV Un ouvrage savant qui parvient à dissimuler son érudition sous une écriture élégante et qui permet de mieux percevoir l’Ancien Régime.

 

Prix Eugène Colas :

M. André Tuilier pour L’Histoire de l’Université de Paris. Nul d’entre nous n’en a douté il s’agit d’une somme.

 

Médailles d’argent :

M. Ivan Gobry pour Le Procès des Templiers. Comment ne pas louer l’auteur d’avoir — enfin et pour une fois — rendu clair l’un des plus fameux procès de l’histoire ?

 

Mme Martine van Woerkens pour Le Voyageur étranglé. L’Inde des Thugs, le colonialisme et l’imaginaire. Une œuvre dont on peut dire qu’elle est définitive. Nous comprenons pourquoi ces étranges criminels ont inspiré tant de terreur.

 

Prix Eugène Carrière (médailles d’argent) :

M. Pierre Caye pour Le Savoir de Palladio. Réflexion de haut niveau sur l’architecture humaine et ses rapports avec les techniques.

Mme Anne Lajoix pour L’Âge d’or de Vallauris. Une parfaite analyse de ce que l’on peut bien appeler un phénomène de société.

Mme Pauline Prévost-Marcilhacy pour Les Rothschild, bâtisseurs et mécènes. Un univers étonnant d’amateurs et de curieux qui régna sur une fraction du goût et de la beauté.

 

Médaille de bronze : Madame la comtesse Amaudric du Chaffaut pour Gypseries en Haute-Provence. Cheminées et escaliers, XVIe-XVIIe siècles. L’auteur aura bientôt parcouru un siècle. Aixoise, elle n’a cessé de relever, dans les maisons d’Aix et de la Haute-Provence, les particularités de chacune.

 

Le Prix Georges Goyau, destiné à des ouvrages d’histoire locale, a été attribué à trois ouvrages :

Charles-Marie de Feletz, de Monsieur l’abbé Pierre Pommarède, qui se recommande par la rigueur de la recherche érudite et la clarté de la présentation.

 

Sussargues, de Jacques Robert qui a mené une enquête fructueuse sur un village du Languedoc.

 

Verneuil-sur-Seine. Une grande histoire, de Marie-Claire Tihon. Un livre élégant et fort bien informé.

 

Le Prix Monseigneur Marcel a été décerné à M. René Pillorget et Mme Suzanne Pillorget pour France baroque, France classique, tableau de la France de 1585 à 1715.

 

Médaille d’argent : M. Roland Le Mollé pour Giorgio Vasari, l’homme des Médicis. Précis et complet sur ce génie polyvalent.

 

Prix Diane Potier-Boès à M. Iradj Amini pour Napoléon et la Perse. Utile, documenté et de surcroît très divertissant.

 

Prix François Millepierres à M. Hélie Denoix de Saint Marc pour Les Champs de braises. Un grand combattant entré dans la tourmente au pire des moments. Une évocation puissante d’une génération déchirée.

 

Médaille d’argent : M. François-Yves Guillin pour Le Général Delestraint, Premier chef de l’Armée secrète. Livre indispensable pour que le nom de Delestraint ne quitte jamais la mémoire des Français.

 

Médaille de bronze : M. René Vigo pour L’Assassin qui aimait les femmes. Histoire d’Alain de Bernardy de Sigoyer. Une affaire à la fois cocasse et atroce, remarquablement racontée.

 

L’Académie a également décerné trois prix de soutien et d’encouragement à la création littéraire.

Le Prix Amic à M. Renaud Camus et à M. Jean-Claude Andro pour l’ensemble de leurs travaux.

 

Le Prix Mottart à M. Jean Laugier pour l’ensemble de son œuvre.

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Tout au long de l’année, les commissions spécialisées de l’Académie siègent pour étudier les ouvrages qui nous sont présentés.

Étudier, oui, analyser, confronter, rien d’autre. Nous sommes des confrères, voilà tout, et des consœurs bien sûr, à qui le privilège a été donné de confirmer ou de signaler les talents d’autres confrères.

J’aime ce mot, car il dit tout. J’oserai même, au moment de conclure, et pour mieux en faire ressentir le sens, vous proposer de vous reporter — et ce sera le dernier titre que je citerai ce soir — à la page 460 du tome I d’un récent et excellent ouvrage : la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française.