DISCOURS
PRONONCÉ PAR
Le Professeur Jean BERNARD
Directeur de l’Académie
à l’occasion de la mort de
M. le Duc de LEVIS-MIREPOIX[1]
Séance du jeudi 24 septembre 1981.
La courtoisie la plus généreuse, l’intelligence la plus précise, le respect le plus assuré des traditions, la perception la plus aiguë des nouveautés, du moderne, ces alliances définissaient le Duc de Lévis Mirepoix.
Il n’était pas très loin d’avoir cent ans. Il était un des plus jeunes d’entre nous.
Nous le revoyons à cette place où nous ne le reverrons plus, fidèle, perspicace, écoutant, intervenant avec sagesse, heureux toujours d’apprendre quelque tour nouveau, quelque formule inédite.
Il y avait en lui une grande fraîcheur d’amitié et d’approche comme si d’une vie si longue, il n’avait retenu que l’indulgence.
Rien de plus remarquable que la lettre écrite par lui à celui d’entre nous qui lui avait envoyé son dernier livre. Point d’indifférence, ni d’approximation. Point non plus de sévérité sinon par omission. Il avait manifestement lu et peut-être relu votre livre. Il portait sur l’ouvrage un jugement subtil, pénétrant. « La louange détend l’être et lui rend toutes choses suavement confuses », a dit un des plus grands d’entre nous. On se sentait tout détendu, tout suave, tout confus après avoir reçu une lettre du Duc de Lévis Mirepoix.
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Le 3 juillet 1955, le bicentenaire de la mort de Saint-Simon est célébré à la Ferté-Vidame. Le Duc de Lévis Mirepoix, élu de l’année précédente, est délégué de l’Académie. Deux courants nous entraînent au long de son discours.
Le premier, apparent, remonte vers Saint-Simon, surpris d’abord dans sa tente à Guinsheim lorsque, grand jour pour les lettres françaises, il commence ses Mémoires, éclairé ensuite tout à la fin de sa vie, « caché, pauvre, débile, retiré en son manoir de la Ferté dont les murailles aujourd’hui disparues sont comme ressuscitées par le souvenir de ce vieillard d’apparence hautaine et de profonde humilité de cœur qui consacra trente années de sa vie à méditer sur la destinée humaine ».
Le second courant, plus secret, descend des Mémoires vers Antoine de Lévis Mirepoix, décrit en quelque sorte à l’avance par Saint-Simon dessinant les Ducs de Lévis de son temps, ses amis. « Un fond naturel de douceur et de complaisance, une juste mesure entre l’aisance dans toutes ses manières et la retenue, un art infini mais toujours caché dans ses propos et dans ses démarches, une insinuation délicate et rarement aperçue, une attention et une précaution continuelles dans tous ses pas et tous ses discours. »
ou encore :
« Conduit et soutenu par l’esprit, le travail, la persévérance infatigable, l’art et la capacité. »
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Ces vertus inspirent l’œuvre historique du Duc de Lévis Mirepoix, œuvre tout entière gouvernée, définie par des principes simples, l’union, l’unité. L’union des méthodes. L’unité de l’objet. Dans cette recherche du temps perdu qui, comme le rappelait Jacques de Lacretelle, est la mission de l’histoire, le Duc de Lévis Mirepoix tout à la fois fait poser devant lui les figures illustres qui sont de grands exemples et analyse les aspirations, les évolutions des peuples.
Avec esprit : « Une des contradictions les plus constantes du peuple français en face du pouvoir, écrit-il, consiste à compliquer sa tâche autant qu’il est possible, tout en souhaitant de la voir s’affirmer » ce qui est probablement vrai en 1981, comme au temps de François Ier et de son Concordat.
L’unité ensuite : « J’ai voulu, dit-il, pratiquer cette sorte d’histoire qui, sans s’arrêter à ce qui divise, poursuit sa marche vers ce qui rassemble. »
C’est d’abord l’histoire de sa haute lignée et dans les archives le sa maison, les premiers efforts de rassemblement, le rattachement le la Normandie à la Couronne, la Croisade contre les Albigeois, la conquête du Midi par le Nord et plus tard la Nouvelle France.
Ce sont ensuite les admirables portraits des grands rois qui ont construit et maintenu :
Robert : roi biblique, roi médiéval, apôtre avec sa haute taille un peu voûtée, ses larges épaules, sa longue chevelure, sa barbe bien peignée », Philippe Auguste, la mesure dans sa grandeur, Philippe le Bel et le siècle des Universités, de la philosophie et des inventions, le temps aussi des légistes et de l’administration, François Ier et ses rivaux, Charles Quint, Henry VIII.
Ces grands rois, nous les voyons vivre, aimer, agir. Peut-être parce qu’à vingt-huit ans, il avait été romancier, le duc de Lévis Mirepoix sait nous faire entendre autour de ses héros, le grondement lointain des événements, celui qu’on entend dans la Chartreuse ou dans Guerre et Paix. Il aimait allier à l’analyse rigoureuse des concepts ou des mœurs, la relation d’un fait inattendu merveilleux comme ce Conte de fée dans l’Histoire, le royaume de Majorque qui, enchantant tous les auditeurs, colora voici dix ans, la solennité parfois assez grise de la séance publique annuelle des Cinq Académies.
Tel fut, pareil à son aïeul que décrit Saint-Simon, le Duc de Lévis Mirepoix, homme d’honneur et de valeur.
[1] Mort le 16 juillet 1981, à Lavelanet.