Monsieur,
Avant toute chose, laissez que je me libère d’un reproche à votre endroit. Pourquoi avez-vous mis si longtemps à nous rejoindre ?
Serait-ce que sur votre route, si fréquemment illuminée de succès et d’honneurs, nos appels de phares n’auraient pas été assez insistants ?
Serait-ce coquetterie de votre part envers une Compagnie dont la sagesse tricentenaire lui fait demander, à ceux-mêmes qu’elle peut souhaiter le plus, de s’imposer les formalités et les aléas d’une candidature ?
Ne serait-ce pas plutôt que vous auriez dû surmonter quelque crainte d’apparaître céder à un certain conformisme ?
À nous regarder de l’intérieur, comme vous allez le faire désormais, vous apercevrez bientôt qu’il n’est presque aucun d’entre nous qui ne se soit, à un moment de son destin, et qui n’est pas toujours la jeunesse, cabré contre son milieu familial ou social, professionnel ou politique, ou qui n’ait, par les idées ou l’action, rué dans les brancards de l’opinion commune. Et c’est à cette ruade, ou cette cabrade, que nous devons souvent le meilleur de nos accomplissements.
Au lendemain de votre élection, on put lire dans un journal du soir parisien : « Consécration d’un hérétique ». Mais qui de nous n’a pas été, de quelque façon, peu ou prou hérétique ? Que nous soyons ici, et dans l’habit que voilà, ne signifie pas forcément que nous avons abjuré, mais plutôt que le monde, lentement, autour de nous s’est converti.
À l’origine de tout conformisme, on peut reconnaître un initiateur, donc un non-conformiste par tempérament. Ce sont ses disciples, ses suiveurs, plus ou moins fidèles, qui installent le conformisme, fût-ce à se donner les gants de le faire passer indéfiniment pour un anti-conformisme.
Il nous plaît d’accueillir en vous un initiateur, un fondateur d’école, un ouvreur d’horizons.
J’étais un peu instruit de votre œuvre, forcément, et savais son importance, mais je n’avais jamais eu l’avantage de vous parler en tête à tête avant la visite que vous eûtes, l’an dernier, la courtoisie d’insister à me faire.
Il est de mise que ces entretiens-là durent autour d’une demi-heure. Vous êtes resté deux heures ; et je vous aurais volontiers gardé pendant quatre.
C’est depuis ce jour-là que j’ai mon reproche coincé `dans la gorge. Pendant combien d’années m’avez-vous privé des agréments de votre commerce et des richesses de votre savoir, sans parler des épices savoureuses de votre humour ?
Je reconnais que depuis lors vous avez mis beaucoup de bonne grâce pour m’aider à rattraper ce temps perdu.
Mais l’enthousiasme d’une amitié neuve entraîne à bien des imprudences. Je mesure celle que j’ai commise en me risquant à peindre un Braudel en majesté. Vous reconnaîtrez pour votre part que vous n’êtes pas tout à fait étranger à la désignation du peintre ; dans l’imprudence, nous sommes de compte à demi.
Me voici donc devant vos travaux et vos œuvres, devant ce massif montagneux, avec ses Alpes et ses sierras, ses Abruzzes et ses olympes, d’où émergent, comme au fond des tableaux mythologiques, vos yeux verts et votre front neigeux.
Vous voudrez bien, Monsieur, me pardonner ; je suis un événementiel et un chronologique. Pour me lancer à votre escalade, il me faut m’aider de la corde de la chronologie et du crampon de l’événement.
« Observateur aussi détaché que possible, l’historien doit se condamner à une sorte de silence personnel », écrivez-vous dans l’introduction d’un ouvrage à paraître dont vous m’avez fait la faveur de m’entrouvrir les pages.
Eh bien, voilà venu le jour où il faut sortir du silence.
Votre cas est assez extraordinaire ; vous êtes illustre et, en même temps, d’une certaine manière, vous êtes inconnu. Votre œuvre a donné lieu à des centaines d’études, d’essais et d’analyses. Votre nom est prononcé presque aussi souvent qu’on formule l’expression de « nouvelle histoire ». Mais l’on ne sait presque rien de vous. On n’accroche pas d’anecdotes à votre personne ; on ne cite pas de « mots » de vous, alors que vous pouvez en avoir de féroces. Aux yeux du public, vous figurez une manière d’abstraction, tandis qu’à vous connaître on découvre l’être le plus vivant, vivace, charnel, loquace, imprévu, primesautier, passionné, qui se puisse rencontrer. Quel est donc cet homme Braudel que l’œuvre braudélienne dissimule à la foule ?
Ce siècle avait deux ans... quand vous avez vu le jour. Où cela ? Dans le Barois, à la lisière de la Champagne et de la Lorraine. Commençons, ainsi qu’il se doit, par la géographie, « la seule composante invariable de l’Histoire », comme disait Bismark.
Vous êtes de ces pays de marches battus et rebattus par les guerres. Vous êtes né sur la route classique des invasions. Il y a une manière lorraine d’être français, une manière lorraine d’aimer la France. Lorrain de sang et de cœur, vous appartenez à ces populations adossées à la France qui ont toujours fourni les premières poitrines opposées au malheur.
Patriote, comment ne le seriez-vous pas, quand il vous a fallu attendre l’âge de seize ans pour voir restituées la Lorraine et l’Alsace ? Patriote vous l’êtes, si j’ose dire, géographiquement, comme ces grands Lorrains qui ont avant vous siégé sous cette coupole : Barrès, Poincaré, Lyautey, le cardinal Tisserant.
La maison de votre enfance, à Luméville-en-Ornois, avait été construite, ou reconstruite, en 1806, l’année d’Iéna ; une maison de village à la patte d’oie de trois routes, l’une qui va vers Dijon, l’autre vers Joinville, la dernière vers Bar-le-Duc. Luméville comptait deux cents habitants. Vous vous rappelez que dans le ruisseau au bas de vos prés, on rouissait encore le chanvre. Colombey n’est pas bien éloigné, ni bien différent par le paysage. Nous aurons à repasser par là.
J’interroge à présent vos ascendances.
Votre grand-père du côté paternel était un paysan de belle prestance qui fut tiré au sort pour sept ans, selon la loi militaire d’alors. De 1857 à 1864, il usa ses semelles sur bien des routes. À son retour, il se fit cordonnier. Ses ancêtres étaient tailleurs de pierre, manouvriers, meuniers ; des gens aux mains habiles. Mais on trouve aussi un Braudel qui, parti en Autriche avec la cour de Lorraine, fut, assez singulièrement, consul de Vienne en Alger. Il vous aura précédé là-bas.
Votre grand-mère était du même village. Elle semble avoir été la douce figure de vos jeunes années. Vous rayonnez, quand vous parlez d’elle, d’un attendrissement touchant. « Elle fut la joie de mon enfance », dites-vous. Elle vous appelait « mon homme ».
Votre père fut instituteur. Fort doué intellectuellement et d’une nature assez autoritaire, il avait choisi d’entrer dans l’enseignement, cette voie royale de la République. Elle vous a conduit où vous êtes.
Dans cette Lorraine atavique, votre mère va apporter le vent de l’Océan et le soleil du midi. Par le sang maternel, elle tenait à une famille de marins de Lorient. Mais son père était un Nîmois à la tête chaude. Il fut communard, condamné à six ans de bagne à l’île de Ré, et il mourut du choléra. Votre mère n’en fut pas moins élevée chez les religieuses.
Voilà qui vous constituait un patrimoine génétique fort riche et varié. La chance du destin, c’est que vous ayez, en plus, reçu le don d’en organiser la diversité et d’en surmonter les contradictions.
À la racine de votre formation, un autre instituteur, un maître d’école rurale. « Je l’aimais de façon excessive », dites-vous de lui, « mais la réciproque était vraie ». Et vous ajoutez : « Il récitait l’histoire de France comme un office divin ».
Votre père ayant été nommé directeur, à Paris, vous voilà parti pour la capitale, mais avec un arrêt en Seine-et-Oise. Vous connaissiez cette période de fragilité que traverse toute enfance, et qui commandait qu’on vous laissât au bon air. Ainsi vous fîtes quelques classes primaires à Mériel. Vous y eûtes pour condisciple un Jean Moncorgé qui n’était pas encore Jean Gabin, et qui semble vous avoir fort impressionné parce qu’il était le parangon du mauvais élève, alors que vous étiez celui du bon élève. Vous éprouviez à son égard, sinon la fascination, au moins la stupéfaction du contraire.
Suffisamment ragaillardi, vous pûtes passer par une école du boulevard de Belleville, avant d’entrer au Lycée Voltaire qui abrita toutes vos études secondaires.
Durant ces années d’apprentissage, vous avez révélé une vivacité d’esprit exceptionnelle, et une allègre aisance. Vous étiez fort doué pour le grec et le latin. Au vrai, vous étiez doué tout court.
À l’heure de faire choix d’une carrière, vous annonçâtes que vous vouliez devenir médecin. Votre père vous opposa un refus assez brutal. Il avait décidé que l’enseignement serait votre voie, prolongeant la sienne. L’Histoire vous recueillit.
Sans doute, dans le moment, avez-vous jugé votre père bien tyrannique. Avouez que vous auriez mauvaise grâce, aujourd’hui, à lui en vouloir.
Vous fûtes un étudiant d’une précocité stupéfiante. Licencié ès lettres quelques semaines avant d’avoir dix-neuf ans, il vous manquait quinze jours pour en atteindre vingt-et-un quand vous fûtes reçu à l’agrégation. Agrégé trois ans après le baccalauréat, et avant même d’être majeur, c’est un exploit peu courant !
Vous voilà professeur, avec une bonne longueur d’avance sur votre génération. Votre rêve : être nommé à Bar-le-Duc. On vous envoie au lycée de Constantine, d’abord, puis à celui d’Alger.
Comme tous les gens du Nord qui arrivent pour la première fois en ces pays du Maghreb, vous prenez un grand coup de soleil sur l’âme. Vous n’aurez pas reçu la Méditerranée par la route habituelle, la Provence des vacances, la Côte d’Azur des loisirs, l’Italie des voyages artistiques, l’otium avec plus ou moins de dignitate. Bien sûr, vous êtes descendu par la vallée du Rhône, mais pour vous embarquer aussitôt et constater avec satisfaction que vous aviez le pied assez marin, ce qui vous sera bien utile.
Vous aurez abordé la Méditerranée par sa face sud, par ses grands rivages dorés, ses terres riches et dures, ses peuplements variés, ses bâtisses d’un blanc éblouissant, ses vestiges de romanité, ses traditions déposées par les siècles, ses structures islamiques, ses empreintes de domination ottomane, ses apports d’Europe et de chrétienté, ses marchés qui sentent l’Orient.
Et vous n’y venez pas en voyageur rapide, avide de pittoresque et d’exotisme. Vous y venez pour y demeurer, pour y accomplir un labeur, pour y vivre. Vous découvrez la Méditerranée de la manière qui permet le mieux d’en deviner l’amplitude et d’en mesurer la diversité. Elle vous séduit et vous intrigue ; elle vous berce et vous éveille. Elle ravive, comme elle le fait pour les galets des plages, les couleurs de vos lectures scolaires. Mais aussi elle vous pose des questions innombrables. Pourquoi elle ? Par quelle prédestination géographique, par quels échanges humains, par quelles volontés de puissance, par quelles représentations du monde apparues sur ses bords ou y déferlant, par quels surgissements de méthodes et d’inventions, par quelles nécessités de la subsistance, du commerce et de la guerre, est-elle devenue le lac des civilisations ?
Elle vous a enchanté les yeux et capté l’esprit. Vous ne vous en dépendrez plus.
Il faut toujours être attentif à la première œuvre d’un grand écrivain. Elle est généralement révélatrice des orientations et dispositions profondes de son auteur.
Votre première publication importante, parue en 1928 dans la Revue Africaine, s’appelait : « Les Espagnols et l’Afrique du Nord, 1492-1577 ». Écoutons bien le titre et retenons les dates. Votre avenir y est en grande partie préfiguré.
Auparavant, entre deux années d’enseignement, vous aviez rempli vos obligations militaires dans les troupes de l’armée du Rhin, en occupation. Il ne paraît pas que vous en ayez gardé mauvais souvenir. D’abord vous vous étiez découvert cavalier. Le cavalier qui voit le monde d’un peu plus haut que les autres ; le cavalier seigneur de la plaine...
Vous n’eûtes jamais de difficulté avec la discipline, que vous ayez eu à vous y plier ou que vous ayez eu à l’imposer aux autres. Pas un jour vous ne fûtes un professeur chahuté. Autorité naturelle, certes ; mais également art de saisir l’attention et de la nourrir. Vous aimiez fortement votre magnifique métier. Je vous ai entendu vous écrier: « Constantine, ma plus belle année d’enseignement ! J’avais un proviseur merveilleux... » Vos élèves d’alors se rappellent encore le tout jeune et éblouissant professeur que vous étiez.
Qui éblouit peut être ébloui lui-même. Dans votre khâgne d’Alger, vous aviez une élève... Allons ! Me permettez-vous, Monsieur, d’évoquer la part la plus privée de votre vie, et, je ne crois pas me tromper, la plus précieuse ?
La Méditerranée où vous exerciez maîtrise prit un visage de jeune fille. Mediterraneum mare captum egregium magistrum cepit.
D’où venait-elle, cette captive triomphante ? D’une famille de l’Oranais, qui y possédait de grandes terres, et où elle était, elle aussi, un mélange d’ascendances inattendues. Une souche mi-ardéchoise, mi-anglaise, transplantée d’abord en Alsace, puis, après 70, en Algérie, et pour y recevoir une greffe d’Espagne.
Les séductions, même réciproques et intenses, observaient, du temps de nos jeunesses, quelques délais. La certitude des sentiments exigeait qu’on triomphât d’épreuves, et d’abord celle de la durée. C’est après trois ans, à Paris, que votre étudiante algéroise devint la compagne de vos jours comme de vos travaux.
Nous avons plaisir à saluer à vos côtés votre collaboratrice première, permanente, indispensable, pour lui faire partage de l’hommage qui vous est rendu.
Les deux enfants nés de votre union et les neuf petits-enfants qu’ils vous ont donnés attestent que, de tous vos ouvrages, votre foyer n’est pas le moins réussi.
Ce foyer, vous le fondez donc à Paris où vous passez trois ans, d’abord au lycée Pasteur, puis à Condorcet. « Condorcet fut le lycée de mes rêves », vous écriez-vous encore à ces souvenirs. « J’avais des élèves merveilleux qui ressemblaient au Silbermann de Lacretelle ».
Après une halte d’un trimestre au lycée Henri IV, vous êtes appelé à la Faculté des Lettres de São Paulo. Vous y resterez trois ans. « Le Brésil, c’est la grande période de ma vie », avez-vous déclaré dans une interview. Mais quand donc ne fût-ce pas pour vous une grande période ? Ah ! vous n’avez jamais boudé la vie, et toujours accueilli ce qu’elle vous apportait avec une disposition naturelle à l’émerveillement !
Notre confrère Claude Lévi-Strauss nous a conté l’autre jour, en vous remettant votre épée, l’événement que fut l’arrivée de votre ménage, voici cinquante ans, dans la Mission universitaire française, dont il faisait partie.
Et de décrire Madame Braudel, « émouvante par son extrême jeunesse ». Et de vous décrire vous-même, impressionnant déjà par votre autorité personnelle, votre personnage promis aux grands établissements, vos méthodes de recherche aussi, qui innovaient. Vous étiez allé, l’an précédent, photographier, par milliers de pages, les archives de Venise, en vous servant d’une caméra portative qui se déclenchait image par image, et qui fit de vous à la fois le dernier utilisateur sérieux des lanternes magiques, et l’inventeur du travail sur microfilm.
« Ni à cette époque ni par la suite, vous a dit Claude Lévi-Strauss, je ne vous ai vu, averti d’une manœuvre ou d’une injustice, hésiter à jeter votre poids dans la balance pour rétablir le bon droit ». Exprimé par un penseur dont nous apprécions le scrupule autant que l’intelligence adamantine, le témoignage est d’importance.
Sans doute est-ce ce même esprit de justice, à toutes choses et toutes gens appliqué, qui vous fait déclarer, quand vous évoquez ce que vous devez à votre expérience du Brésil : « Aimer les gens qui reçoivent les coups de trique est facile. Ceux qui les donnent méritent aussi considération ou indulgence, mais les comprendre demande plus d’effort ».
En 1937, vous repassez l’Océan pour prendre fonction à l’École Pratique des Hautes Études où vous vous liez avec Lucien Febvre. Amitié cardinale.
Lucien Febvre, de vingt-quatre ans votre aîné, le précurseur avec Henri Hauser de la nouvelle école historique française, vous reconnaît très vite pour celui qui conduira la secte et bientôt l’instituera en église.
Lucien Febvre fut le premier à penser qu’il fallait intégrer à l’Histoire les autres sciences humaines.
Le premier, vraiment ? Derrière tout précurseur, il y a des précurseurs ; derrière celui qui voit, ceux qui ont entrevu.
Je n’en citerai qu’un, qui écrivait voici un bon siècle et demi : « Maintenant l’Histoire est une encyclopédie ; il y faut tout faire entrer, depuis l’astronomie jusqu’à la chimie ; depuis l’art du financier jusqu’à celui du manufacturier ; depuis la connaissance du peintre, du sculpteur et de l’architecte, jusqu’à la science de l’économiste ; depuis l’étude des lois ecclésiastiques, civiles et criminelles, jusqu’à celle des lois politiques. L’historien se laisse-t-il aller au récit d’une scène de mœurs et de passions, la gabelle survient au beau milieu ; la guerre, la navigation, le commerce accourent. Comment les armes étaient-elles faites alors ? D’où tirait-on les bois de construction ? Combien valait la livre de poivre ?... »
Cet annonciateur, si reconnaissable à son style, c’est Chateaubriand.
La gratitude, réfléchie, est une de vos vertus innées et pour quoi l’on vous aime. Vous ne manquerez jamais une occasion de rappeler ce que vous devez à Lucien Febvre ; vous venez encore de le faire tout à l’heure ; et je sais bien que si je manquais moi-même d’insister aujourd’hui sur sa mémoire, vous en seriez malheureux. « Il avait besoin d’un fils ; j’avais besoin d’un père », dites-vous de lui, en ajoutant avec tendresse : « Il avait la générosité ».
De Marc Bloch, son inséparable chef d’état-major ou, pour poursuivre notre comparaison, son premier diacre, vous reconnaissez : « Il était plus raisonnable », marquant par là que l’organisation, l’administration n’étaient peut-être pas le fort de Lucien Febvre.
Marc Bloch, résistant, devait mourir fusillé près de Lyon, au printemps de 44, double crime, en soi et contre l’esprit. Son dernier ouvrage, posthume, s’intitule Le Métier d’historien. Le dernier ouvrage de Lucien Febvre, quinze ans plus tard, s’appellera Combats pour l’Histoire. Dans ces titres testamentaires apparaissent la différence de tempérament et la complémentarité de ces deux hommes qui pour vous ont tellement compté.
C’est à leur propos que fut inventé le terme d’« histoire non-événementielle ».
Or l’événement, le brutal événement, l’événement qui, avant de devenir historique, roule les hommes dans son flot, allait se saisir de vous.
Mobilisé en 38, malheureusement pour rien d’autre qu’un séjour sur la frontière des Alpes, vous vous apprêtiez, en 39, à aller faire passer le bachot en Égypte quand vous fûtes remobilisé, et envoyé cette fois à l’extrémité de la ligne Maginot.
Votre jeunesse, Monsieur, était terminée.
Vous pourrez peut-être un jour nous expliquer pourquoi et comment les peuples sont, à certains moments, frappés de cécité devant les plus flagrantes évidences, de paralysie devant les plus immédiates menaces. Munich vous avait empli de fureur. Moi aussi. Reconnaissons que cela ne changea guère le cours des choses. Nous étions noyés parmi les aveugles. Et pourtant ce qui nous attendait était de l’ordre des certitudes.
Vous pourrez peut-être également expliquer pourquoi les nations qui fondent leur stratégie sur la seule défensive finissent toujours par être battues.
La France d’entre les deux guerres s’était pourvue, à grands frais, d’une fortification réputée infranchissable, mais elle l’avait laissée contournable.
Cela vous valut d’être coincé devant ce rempart et de compter parmi les dernières troupes faites prisonnières, dix jours après les armistices.
J’ai dit que vous aviez le respect de la discipline. Il ne paraît pas toutefois que vous ayez été, au regard de vos geôliers s’entend, un prisonnier modèle.
En dépit de votre qualité de recteur de l’université du camp, et du titre de magnificentz dont vous saluaient vos gardiens, votre comportement et vos initiatives dans l’oflag de Mayence vous valurent d’être expédié au camp de représailles de Lübeck, près de la Baltique. Les hivers y sont froids.
Avec l’étonnante franchise dont vous faites preuve à l’égard de vous-même, vous vous posez, aujourd’hui encore, la question : « Pourquoi ne me suis-je pas évadé ? Pourquoi n’ai-je tenté qu’une fois de m’évader ? » Et vous répondez, lucide : « Parce que pour s’évader, il ne faut penser qu’à cela, sans arrêt ». Or, vous y pensiez, bien sûr, mais vous pensiez aussi à autre chose, à votre thèse entreprise, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. Elle était là, votre évasion.
Exploit plus rare encore que de s’échapper d’un camp de représailles, vous rédigez en détention, sur une petite planche coincée derrière un lit, dans une chambrée de vingt hommes, vous rédigez sans livres, sans notes, sans fiches, servi seulement par votre prodigieuse mémoire, cet ouvrage de mille deux cents pages serrées qui est le premier monument de la « nouvelle histoire ».
Il a été si abondamment étudié, il a fourni le sujet de tant de commentaires, il a été si nombreusement et diversement imité, que j’hésite, je le confesse, à me livrer à l’exégèse de vos exégètes et à gloser sur vos glossateurs.
Je vois, pour ma part, trois éléments qui ont concouru à faire de votre « Méditerranée » ce qu’elle est : la méthode, le concept, le style.
La méthode n’est pas vôtre entièrement. Vous en êtes le plus brillant utilisateur, celui qui l’a mise en éclatante lumière ; mais vous insistez à ne vous présenter, sur ce point, que comme le continuateur de Marc Bloch et de Lucien Febvre.
Je remarque toutefois qu’à la qualification de non-événementielle, vous préférez donner à votre histoire celle de globale. Vous revenez souvent sur ce terme : « Il n’y a pour moi d’histoire que globale... En dehors de l’histoire, aucune science humaine n’a la perspective globale ». Et du coup, vous les annexez toutes, pour jeter un regard sur le globe, ou au moins sur cette partie du globe où vous vous ébattez le plus à l’aise.
Du fond de votre oflag, vous gagnez par le déplacement de l’esprit votre Méditerranée, et vous la sillonnez, escorté de la géographie, de la géologie, de l’anthropologie, de l’ethnologie, de l’économie, de la sociologie, de la statistique, comme un Poséidon escorté d’autant de Néréides.
Ce n’est pas à vous, Monsieur, que je rappellerai que tous les enfants qu’eut Poséidon, de toutes ses maîtresses, furent bizarres ou mal conformés et certains assez malfaisants. L’un avait plusieurs bras, l’autre un seul œil au front, un autre encore trois corps qui lui partaient des hanches. Sans parler des six garnements qui violèrent leur mère Malia. Il n’y eut d’exception que le merveilleux Orion, le chasseur dont s’éprit l’Aurore.
Je ne veux pas inférer par là que votre descendance intellectuelle n’a donné que des monstres, certes non ! Mais enfin, surveillez-la.
Vous, vous êtes indemne de tout déséquilibre et toute difformité. Quand vous vous faites sociologue, ce n’est que pour appoint : vous restez historien. Économiste, pour appoint toujours. Et géographe. Ah ! quel somptueux géographe vous êtes !
Vous n’acceptez pas que, traitant de .l’histoire d’un pays ou d’un continent, on se débarrasse de la géographie en quelques pages liminaires, pour qu’il ne soit ensuite plus question, jamais, du sol, de l’hydrologie et de la flore, « comme si, écrivez-vous, les fleurs ne revenaient pas avec chaque printemps, comme si les troupeaux s’arrêtaient dans leurs déplacements, comme si les navires n’avaient pas à voguer sur une mer réelle, qui change avec les saisons ».
Vous voyez large ; votre regard historique embrasse simultanément la Lombardie, l’Andalousie, le Maghreb, les Balkans, l’Anatolie. Votre Méditerranée, vous l’étendez avec allégresse jusqu’aux sources des rivières qui s’y jettent, jusqu’aux terres extrêmes où parviennent ses influences et son commerce. Vous nous représentez le Sahara comme « le second visage de la Méditerranée ». Vous nous faites apercevoir « l’immense chaîne de déserts qui traverse sans interruption l’épaisseur entière de l’ancien monde », cette longue zone de dénuement où ont surgi tant d’illuminations religieuses, ces étendues dénudées qu’on pourrait appeler les terres de la Révélation ; et soudain l’on comprend mieux qu’on ait pu dire du prophète Mahomet : « Il sortit de ce monde sans s’être une seule fois rassasié de pain d’orge ».
Depuis César et Salluste qu’on écrit sur la nostrum mare, depuis qu’on l’évoque et l’invoque en toutes langues et à tous propos, depuis qu’elle est matière d’une littérature indéfiniment reprise et augmentée, c’est un exploit vraiment que de se l’approprier. Vous y avez réussi ; vous êtes une manière de conquérant.
Ajouterai-je, pour en finir avec l’examen de votre méthode, que vous avez un appétit de papier aussi dévorant que votre appétit d’espace ?
« J’ai une passion démesurée, avez-vous avoué, pour le document que personne ne connaît, pour les liasses que personne n’a feuilletées. Je préfère infiniment le manuscrit à l’imprimé. »
Cette préférence vous aura évité, comme il en va si souvent en Histoire, de transmettre pieusement l’erreur dix fois répétée par vos devanciers.
Dans l’inventaire de vos liasses bien-aimées, vous n’accumulez pas le petit pour le petit, comme tant qui croient faire œuvre de chercheurs en pratiquant la compilation obsessionnelle.
Vous vous servez du petit, petit fait, petit témoignage, petit événement même, pour expliquer le grand.
Ainsi l’on nous a souvent parlé du rôle du commerce des épices au moyen âge et à la Renaissance. Mais, comme cela, en passant. Et chacun répète, les épices, sans vraiment savoir. Et vous, soudain, de vos liasses, vous nous sortez les tractations internationales autour du poivre portugais, étonnamment superposables aux tractations modernes, et le contrat enlevé par Venise, qui ferait aujourd’hui un gros titre du Financial Times ou du Wall Street Journal.
Venons-en à présent au concept. C’est là que vous êtes le plus évidemment et le plus certainement novateur ; c’est là que vous avez fait la trouvaille qui s’inscrit dans l’histoire de la pensée.
Un peu de la même façon que Georges Dumézil a changé, avec sa découverte de la trifonctionnalité dans les sociétés indo-européennes, notre vision des assises de nos civilisations, de même vous avez, par votre distinction des rythmes de l’Histoire, modifié notre vision du passé et même notre sentiment de l’écoulement du présent.
Vous percevez et instituez trois étages dans l’Histoire, ou, si l’on veut, une histoire à trois vitesses.
Vous discernez l’histoire à grande lenteur, quasi immobile pour le spectateur humain, celle de la dérive des continents, du mouvement des plaques tectoniques, des modifications de climat, de l’ensablement des embouchures, et qui se déroule sur des ères entières, l’histoire spatiale, l’histoire géographique en somme, la seule qui nous permette de partir d’un point zéro.
Au-dessus, vous voyez une histoire rythmée selon de longues durées, l’histoire des peuples, de leurs migrations, de leurs installations, de la formation des empires et de leur décomposition, l’histoire des mouvements qui se produisent à l’intérieur des nations, mouvements d’idées, mouvements commerciaux ; en bref, l’histoire sociale.
Et puis enfin une histoire rapide, celle qui va à la vitesse de l’existence humaine, qui est composée de nos actes décisifs, ou que nous tenons pour décisifs, histoire la plus immédiatement perceptible sans doute, mais non forcément la plus exacte, l’histoire des individus.
Comme l’individu, dont le temps est mesuré et qui donc se hâte, doit gérer le social, et comme les sociétés, qui ont, elles, un mouvement bien plus lent, doivent survivre dans un espace dont les transformations sont certaines, mais imperceptibles, il en résulte des décalages, des heurts, et comme une sorte de houle, les événements en étant l’écume apparente à la crête des vagues.
Tout homme qui a eu partage des responsabilités publiques n’a pas pu ne pas constater ce décalage entre la décision, histoire rapide, et ses effets sur les réalités sociales, histoire lente. Et tous ont connu ces coups de ressac, avant que l’avenir n’accomplisse ce que le présent leur avait refusé. Ils peuvent, dans votre histoire à plusieurs vitesses, trouver l’explication.
Prenons l’un des grands paradoxes des années récentes. Nous avons eu, de 1958 au début des années 70, des gouvernements composés d’hommes férus des valeurs nationales les plus solides, des principes éthiques les plus fermes et du sens des hiérarchies le plus affirmé. Or, pendant ce temps, la société est pénétrée par des influences tout à fait contraires, investie par des philosophies et des idéologies qui prônent le refus de toute contrainte civique, de tous freins moraux, de toute tradition, de toute autorité, en bref de toute vertu, jusqu’à produire, crête de la lame, écume du flot, le bouillonnement tempétueux de mai 68. « Situation insaisissable », selon le mot fameux. Parce que, dans l’action, l’esprit ne peut guère faire le départ entre ce qui appartient à l’histoire véloce et ce qui est manifestation de l’histoire lente, et que le gouvernail ne semble plus répondre à la main du pilote.
Arrivent les années 80, où accèdent aux affaires des hommes dont certains applaudissaient au psychodrame universitaire de 68, ou qui se voyaient déjà se saisir d’un État qui leur semblait s’en aller en poudre. Or, depuis 68, le balancier est reparti de l’autre côté ; et voilà que, bon gré mal gré, parce que l’histoire lente est la plus forte, c’est sous leur gouvernement que l’on voit rétablir l’instruction civique, que l’on restaure la notion d’élite, que l’on redécouvre la nécessité de la discipline, que le travail est reconnu comme une meilleure activité d’éveil que le bavardage et le chahut, et que l’on réapprend à la jeunesse l’hymne national.
Je ne puis que saluer ce redressement. Mais en même temps, je ne puis oublier ce que Georges Pompidou me répétait, en 69, en 70 : « Tout est à reprendre, à partir de l’école primaire. » Il aura fallu quinze ans pour que l’évidence s’impose.
Alors, la leçon de votre histoire lente, ne serait-ce pas : « Malgré nous, malgré eux » ?
Vous voudrez bien me concéder seulement que le rôle de l’individu n’est pas aussi insignifiant qu’on a voulu vous le faire dire. L’individu peut être déterminant en ceci qu’il lui arrive de lancer le balancier ; il le voit rarement parvenir en fin de course, voilà tout. Mais l’Histoire a du mal à se passer de grands hommes.
Ainsi de Gaulle. Vous m’avez confié dans un élan : « C’est le seul homme que j’aie aimé », ce qui m’est allé au cœur. Seul homme historique, entendons bien. Et puis vous avez ajouté : « Surtout celui de 40 à 45... »
Je vous ai demandé la raison de cette nuance. « Parce qu’il aurait pu faire l’Europe », m’avez-vous répondu.
Ah ! Monsieur, et l’histoire de longue durée ? Nous avons cru, vous peut-être, moi sûrement, et bien d’autres, au sortir de la grande tourmente, que nos ardents plaidoyers allaient soulever la conscience des peuples et que l’Europe unie serait pour le lendemain. Nous avons cru qu’il suffisait de la volonté des dirigeants, à condition qu’ils en eussent, pour que la nécessaire, l’« imposante » confédération devint réalité immédiate.
De Gaulle a fait autant qu’il se pouvait, et nul n’a fait plus que lui. Il a accompli l’indispensable condition de tout : la réconciliation franco-allemande. Il a proposé aux partenaires de la Communauté économique un embryon de pouvoir exécutif, c’est-à-dire de structures politiques. L’Angleterre, qui était encore une île, a fait échouer son plan. Nous avançons néanmoins, à petit pas. Voyez où nous en sommes. C’est vous qui nous avez appris les pesanteurs de l’histoire lente ; aussi nous persévérons ; mais nous avons compris qu’il y faudrait cent ans.
Dans ce concept de la longue durée, on ne vous voit guère de prédécesseur que Tocqueville dont vous avez dit vous-même qu’il était « ramené constamment, comme au centre de gravité de sa pensée, vers une histoire profonde, lente à s’écouler qu’il distingue de l’accidentel ».
Et maintenant votre style.
Vous êtes un écrivain superbe. Et un écrivain très contrôlé, ce qui va ensemble.
Vous dites : « Bien écrire, ce n’est pas écrire joliment ; c’est écrire exactement ». Et nous vous sommes reconnaissants d’affirmer : « Si vous ne connaissez pas le latin, il y a des siècles d’histoire qui vous échapperont, et une maîtrise de la langue que vous n’aurez jamais. »
C’est pour une bonne part votre style qui a fait que vous soyez devenu, de votre vivant, un classique.
Les classiques avaient l’art de communiquer leur savoir avec élégance, et de se faire entendre de tout esprit convenablement meublé. Le savoir, durant le dernier demi-siècle, s’est immensément enrichi. Mais l’élégance, la qualité, l’aisance de l’écriture se sont dégradées, et l’on dirait, dans maints ouvrages, que la connaissance y est entassée pour l’usage des seuls spécialistes.
Vous avez, vous, retrouvé la grande voie classique, faisant, par un art inné de la composition et de l’écriture, que vos connaissances innombrables soient si agréablement présentées que chacun puisse en bénéficier. L’art d’écriture en vos ouvrages est partout loué, même dans leur traduction, ce qui montre assez combien votre style s’impose.
Je n’ai relevé – mais était-ce dans un journal d’Angleterre ou d’Amérique ? – qu’un reproche, un seul, celui d’être trop éloquent. Ce critique-là ne devait pas aimer non plus Gibbon, et le Decline and Fall.
Votre style n’est pas sans rappeler aussi un autre grand style, plus proche de nous. Quand je vous écoute écrire, pour évoquer les cultures en transit : « l’immense Afrique noire, entre le nouvel océan Atlantique, le vieil océan Indien, le très vieux Sahara, et, vers le Sud, les masses primitives de la forêt équatoriale », je retrouve comme un écho de la voix qui nous fut familière depuis les années 40.
Ampleur de vision, mémoire gigantesque, style souverain ; je vous avais bien dit que nous repasserions par Colombey.
Reprenant ma corde chronologique, j’y empoigne quatre dates : 1947, 1949, 1956, 1962.
En 1947, donc avant même la parution de La Méditerranée, Lucien Febvre vous transmet, car c’est bien d’une transmission qu’il s’agit, la direction des Annales.
Je ne puis mieux faire que de vous en laisser le commentaire.
« C’est une revue à laquelle il est arrivé un malheur, le malheur de la réussite. Depuis sa naissance, elle avait été la revue des hérétiques, au point qu’en héritant de Lucien Febvre, j’ai hérité aussi de toutes les haines qu’il s’était attirées. Il faut savoir que l’Université est un conservatoire d’antipathies virulentes. »
Malheur relatif, et haines qui ont eu leur contrepoids de ferveur et de dévotion. Nul n’ignore le rassemblement de talents opéré là, par vous et autour de vous, non plus que nul n’ignore la considération attachée à cette publication et l’influence qu’elle a exercée.
En 1949, vous succédez à Lucien Febvre à la chaire d’histoire de la civilisation moderne, au Collège de France.
De votre leçon inaugurale, on a peut-être trop uniquement retenu votre déclaration, assez brutale en vérité : « Nous sommes contre l’orgueilleuse parole unilatérale de Treitschke : les hommes font l’Histoire ». Peut-être aviez-vous un différend à régler avec Treitschke, directeur d’autres et anciennes annales, les Annales prussiennes, apologiste de la partialité en Histoire, et l’un des inspirateurs de l’hyper nationalisme allemand. On n’a peut-être pas assez écouté les mesures qui précédaient votre coup de cymbales : « Le problème ne consiste pas à nier l’individuel, sous prétexte qu’il est frappé de contingences, mais bien à le dépasser, à le distinguer des forces différentes de lui, à réagir contre une histoire arbitrairement réduite au rôle des héros quintessenciés. »
Ces paroles-là sont plus rassurantes ; elles n’excommunient pas totalement les biographes qui, s’ils ont de l’art, n’enferment pas « l’individu en lui-même » et font toujours leur part, dans un moment du monde, aux forces différentes, à tout ce que vous appelez, avec les sociologues, « la réalité entrecroisée ».
Vous enseignerez pendant vingt-trois ans au Collège. Cette institution, dont vous direz qu’elle est « une machine à mettre un savant ou intellectuel au-dessus de lui-même », est de cent six ans l’aînée de notre Compagnie. Le Collège de France a ses mystères comme nous avons les nôtres. En de si vieilles maisons, les clefs ont leur usure et les serrures leurs secrets. Vous y avez laissé, en tout cas, de bons souvenirs. Car dès qu’il fut question, ici, de votre venue, ceux de vos collègues de la rue des Écoles que nous avons l’avantage de compter parmi nous ont montré, à votre propos, une détermination sans tapage, comme il se doit, mais fort impressionnante par sa chaleur et son unanimité.
Avec Lucien Febvre, lui encore, lui toujours, et Charles Morazé, vous aviez fondé la Sixième section de l’École des Hautes Études. Vous en devenez le Président en 1956 et le resterez seize ans.
Fameuse Sixième section, unité d’élite formée uniquement d’officiers supérieurs, entraînée à combattre sur tous les fronts des sciences économiques et sociales, traversant les frontières par des actions audacieuses, pénétrant profondément sur les territoires étrangers, assurant sa domination sur les principautés en litige, et, naturellement, comme toute troupe consciente de son prestige et de ses exploits, marchant avec une certaine superbe dans la cité du savoir !
Sans quitter son commandement, vous prenez, en 1962 celui de la Maison des Sciences de l’Homme. Celle-ci est votre œuvre propre, si même Gaston Berger participa à sa création avec efficacité. Elle vous doit tout. Vous l’avez rêvée, conçue, pensée et l’on peut dire bâtie. Vous l’administrez depuis sa fondation, à votre manière dont on n’entend, aujourd’hui en tout cas, que des éloges. Car vous êtes effectivement un fondateur et un administrateur, pas seulement un homme de recherche et de méditation.
Votre maison s’élève, très symboliquement, comme un triomphe de la lumière sur l’ombre, à l’emplacement de l’ancienne prison du Cherche-Midi. Là où se dressaient naguère des murs aveugles, ce ne sont que larges vitres offertes au soleil. Dans votre bureau, vous êtes un peu comme un commandant sur sa passerelle, téléphonant ses ordres pour une navigation en haute mer. Quatre centaines de personnes, pas moins, en forment l’équipage, qui vous saluent, lorsque vous passez, d’un sourire où il entre autant de confiance que de respect, de tendresse que de vénération. Parmi ceux qui assurent avec vous la conduite du navire, je ne saurais manquer de citer votre capitaine en second, chef ingénieur et officier de quart tout à la fois, depuis vingt-trois ans, Clemens Heller.
Votre Maison est à votre semblance, une maison de générosité et de curiosité infinie, une place d’échange et de communication, en prise directe, grâce aux plus modernes procédés d’informatique, avec les autres grandes places du savoir dans le monde, et d’abord l’université de Cambridge ; un lieu d’accueil à la jeunesse afin de lui donner ses chances, une sorte de Bourse des idées et des connaissances, embrassant largement siècles et disciplines. Une maison aussi qui édite et diffuse des travaux étonnants qui, sans elle, auraient moindre retentissement.
Pareil à l’enfant américain devant un éventaire de glaces et sorbets, à la vanille, la pistache, la framboise, la fraise, le café, le chocolat, l’ananas, et qui, invité à choisir entre ces parfums, répond : « Tout ! », devant la vitrine de l’Histoire, vous dites de la même manière : « Tout ! » La Maison des Sciences de l’Homme traduit votre besoin de totalité.
Le risque d’une si robuste avidité pourrait être de brouiller parfois le discernement. Mais là, vous possédez vos défenses et vos freins. L’honnêteté d’esprit est votre sauvegarde.
Ni la fortune ni la pendaison ne pourraient vous faire revenir sur votre jugement lorsque vous estimez n’être pas estimable une personne, une œuvre, une méthode, une action. Tout juste prenez-vous les gants de le formuler de façon à ne pas blesser votre interlocuteur s’il a une opinion différente. Il y a du roc sous votre aménité.
Annales, Collège de France, VIe section, Maison des Sciences de l’Homme : à travers ces grandes institutions, anciennes ou nouvelles, vous avez exercé, étant qui vous étiez, une influence vaste et profonde. Certains de vos élèves et principaux disciples sont déjà devenus des maîtres dont nous savons bien les travaux. Deux d’entre eux, Pierre Chaunu, Georges Duby, vous auront précédé à l’Institut de France. Et nous devinons bien qu’ils ne seront pas seuls à y entrer. Hélas, vous avez aussi perdu en chemin de bons compagnons tels que Maurice Lombard et Jean Meuvret.
Mais d’autres ont feint de s’enrôler sous votre bannière qui poursuivaient des desseins bien éloignés des vôtres. Vous avez servi de prétexte ou d’excuse à une pédagogie délirante qui aura réussi à priver de l’enseignement de l’histoire une génération infortunée, ou à l’en dégoûter. Est-il convenable de donner pour programme d’étude, en classe de sixième, « l’évolution de l’outillage agricole au XVIe siècle », à des enfants qui, l’expérience a été faite, lorsqu’on les interrogeaient sur l’époque où vivait Jules César, avaient des estimations variables entre trois mille avant Jésus-Christ et quinze cents après ? Tout cela, prétendûment, au nom de la « nouvelle histoire ». À faire de la sociologie en maternelle, on produit des semi-analphabètes en terminale.
Alors vous n’avez pas hésité, quand notre ami Alain Decaux se mit à sonner le tocsin, à prendre place entre Michel Debré et Jean-Pierre Chevènement, sur l’estrade qu’avaient dressée Christian Melchior-Bonnet et la revue Historia, devant une salle qui refusait du monde et où se trouvaient rassemblées nouvelle histoire, ancienne histoire, histoire vulgarisée, et même histoire romancée, pour condamner ces billevesées délétères et réclamer la restauration de l’apprentissage de l’Histoire, en commençant par ses rudiments. Ce jour-là, nous fîmes, tous ensemble, du bon travail.
La Méditerranée et le monde méditerranéen avait été l’aboutissement d’un travail de vingt-cinq années. Vous en mîtes trente à préparer votre second massif historique : Civilisation matérielle, économie et capitalisme du XVe siècle au XVIIIe.
Entre temps, vous aviez publié, quantité d’articles et d’essais. Les principaux furent recueillis dans Écrits sur l’Histoire, paru en 1969 et qui constitue un livre de méthode et de critique. Vous aviez aussi apporté d’amples contributions à la Cambridge Economic History of Europe ainsi qu’à l’Encyclopedia Americana.
Les trois pics de Civilisation matérielle se nomment Les Structures du quotidien, Les Jeux de l’échange, Le temps du monde. J’ai noté, chez certains de vos commentateurs, une insistance particulière sur ce dernier titre. J’aurais personnellement une prédilection pour Les Jeux de l’échange.
En vérité, c’est l’ensemble qui compte, et il est impossible de détacher des autres un des volets de cet énorme triptyque de huit cent mille mots.
Tout ce qui a été dit, remarques et louanges, de La Méditerranée peut s’appliquer à Civilisation matérielle et capitalisme. Même méthode, même conception, même style, mais avec encore plus de certitude, d’ampleur et de maîtrise.
La planète entière est devenue votre champ de manœuvres où vous vous déplacez avec une belle aisance. Généralissime cette fois, vous répartissez vos forces entre les ports de la mer du Nord et les cités d’Islam « aux maisons serrées comme les grains d’une grenade ». Vous n’hésitez pas à embrasser d’un même regard, dans une même phrase, pour les comparer, l’empire des Osmanlis et celui des Tokugawa.
Vous renouvelez complètement nos idées et nos vues sur le capitalisme dont vous révélez à la fois les structures réelles, le fonctionnement obligé, et l’ancienneté, pour ne pas dire l’antiquité.
Du coup, un certain nombre de dogmes politiques s’en trouvent sérieusement ébranlés. Les colonnes du temple vacillent quand vous annoncez tranquillement : « La première révolution industrielle s’est produite dans l’Égypte hellénistique ». Et les tuiles commencent à glisser du toit lorsque vous affirmez aussi sereinement : « Les sociétés ne sont valables que conduites par une élite. Pas de société qui ne soit hiérarchisée. »
L’Histoire, nous le savons bien, ne nous retient qu’autant qu’elle nous parle, implicitement, de nous-mêmes et qu’elle nous ramène à nos propres soucis ou à nos propres rêves. On pourrait passer une saison entière, saison de convalescence, d’exil ou de revers, avec votre Civilisation matérielle, économie et capitalisme, comme on le fait avec Balzac ou avec Proust. N’est-ce pas, d’ailleurs, d’autre manière, tout ensemble une Comédie humaine et un Temps retrouvé ?
La publication de cette œuvre, en France, mais surtout hors de France, dans l’excellente version anglaise qui valut à votre traductrice, Mrs Sian Reynolds, l’enviable Scott Moncrieff Prize, eut un retentissement vraiment exceptionnel.
Car je ne vois pas que la presse française vous ait réservé ces pages entières, voire ces doubles pages que quotidiens et hebdomadaires anglais ou magazines américains vous ont consacrées. N’est-ce pas dans le Sunday Times, qui ne se distingue pas d’ordinaire par le ton laudatif, que j’ai lu : « Un livre sans égal dans ce domaine, et dont il ne semble pas qu’il puisse être surpassé » ? Il n’est pas courant non plus qu’un livre d’histoire, et français de surcroît, soit choisi aux États-Unis comme « book of the month », ce qui le popularise aussitôt. Et le même enthousiasme parcourt l’autre Amérique, puis l’Europe non insulaire et déborde même sur le reste des continents.
Alors là, Monsieur, il me faut tout de même constater l’étrange paradoxe dont vous êtes le siège. Vous, si attaché aux faits, aux chiffres, à la rigueur démonstrative, vous provoquez, dès qu’on écrit de vous, le lyrisme et l’hyperbole. J’y ai cédé moi-même, parce qu’on ne peut faire autrement.
Autour de vous, qui n’accordez à l’individu qu’un rôle mesuré dans l’Histoire, s’est institué, et sans que vous ayez rien fait que d’être vous-même, une sorte de culte de la personnalité.
Des plumes réputées n’oseraient vous désigner autrement que comme « le pape », « l’empereur de la nouvelle histoire ». « A master historian », s’écrie un critique d’outre-Manche. « Un prince », répond Duby.
Au Brésil, vous êtes l’historiador. En Italie, Don Fernando, citoyen d’honneur de Gênes et de Prato, et tenant chaque mois tribunal des idées dans le Corriere della Sera. Quand vous écrivez un article sur Naples, le Conseil municipal vous télégraphie une adresse de remerciements. Et à Venise, sur laquelle vous avez définitivement assuré votre souveraineté par un livre aussi somptueusement imagé qu’il est somptueusement écrit, vous êtes une manière de doge.
On vous célèbre à Edimbourg comme à Varsovie ; à Moscou même on vous révère ; on vous vénère en Tanzanie, cependant que dans l’État de New York un grand centre universitaire, déjà, porte votre nom.
Vingt toques de docteur honoris causa s’accumulent sur votre front, que vous ont tendues aussi bien Genève que Padoue, Leyde que Montréal, et Cologne que Chicago. Cinq croix de commandeur pèsent à votre cou ; douze académies, de Budapest comme de Munich, et de Madrid comme de Belgrade, se sont fait honneur de vous appeler à elles ; et l’on dirait que partout où vous passez, on vous apporte les clefs de la ville sur un coussin de velours.
Enfin, vous avez réussi l’exploit de devenir prophète, en votre propre pays.
Tout cela, me direz-vous, est de l’histoire individuelle, de l’histoire rapide ; vous voudrez bien quand même nous expliquer un jour, en termes non-événementiels, cette aventure-là.
Vue ainsi, à vol d’homme, votre vie semble n’avoir été qu’une longue route triomphale. Vous seul en savez les saisons d’amertume, les oppositions cruelles supportées, les murs d’incompréhension rencontrés, les trahisons essuyées. Vous avez eu l’élégance, toujours, de les garder pour vous, et si vous portez des cicatrices, de ne les exhiber jamais, pas même pour vous faire pardonner vos succès. Cela aussi est dans la nature et le devoir du prince.
Je tiens que toute vocation d’historien traduit, trahit ou dissimule une volonté de puissance.
Même chez les plus timides, et justement parce qu’ils sont timides, l’Histoire est un substitut à l’appétit de pouvoir. On règne sur le passé, faute de pouvoir régner sur le présent.
L’historien événementiel se glisse dans la peau des rois, les traite d’égal à égal, les critique, les juge, les redresse, les condamne. Voir Machiavel, exilé, dans son auberge de rouliers.
L’historien non-événementiel, l’historien des globalités, est plus ambitieux encore ; il révèle un plus haut désir de domination. Il veut embrasser le monde et s’assoit sur le nuage de Dieu.
Et demain ?
Demain, le petit garçon de Luméville-en-Ornois, l’enfant des marches de Lorraine va revenir habiter l’historiador universel. Demain vous allez offrir une Histoire de France, en six tomes, et dont le premier est déjà prêt.
Pourquoi, après tant d’histoires de notre pays, après celle de Michelet, que vous dîtes vous-même « inégalable », après celle de Lavisse, que vous jugez « admirable », après celle de Madaule qui vous « séduit par son équilibre », après cent, après mille qui brodent et rebrodent sur nos souvenirs nationaux, vous êtes-vous résolu à écrire la vôtre ?
Pour une raison générale : « L’Histoire change, avez-vous déclaré, parce que les questions qu’on lui pose changent ». Et puis pour une raison plus personnelle. « Je me suis dit qu’il n’était ni sérieux ni élégant de ma part de n’avoir jamais parlé longuement de la France ». Un noble remords en somme.
Ne soyons donc pas surpris si l’œuvre qui verra le jour demain commence par ces mots. « Je le dis une fois pour toutes : j’aime la France avec la même passion, exigeante et compliquée, que Jules Michelet. Sans distinguer entre ses vertus et ses défauts, entre ce que je préfère et ce que j’accepte moins facilement ». Aussi promettez-vous à votre lecteur de tenir cette passion en bride, de la surveiller de près et d’éviter qu’elle ne vous surprenne, afin de parler de la France avec la même équanimité, la même rigueur, le même détachement que vous auriez pour parler d’une autre patrie. Mais tout aussitôt vous ajoutez : « L’historien n’est de plain-pied qu’avec l’histoire de son propre pays. Il en comprend presque d’instinct les détours, les méandres, les originalités, les faiblesses. Jamais, si érudit qu’il soit, il ne possède de tels atouts quand il se loge chez autrui. Ainsi, je n’ai pas mangé mon pain blanc en premier ; il m’en reste pour mes vieux jours ».
Nous savons bien que l’Histoire est le catalogue des erreurs humaines. Vous allez nous dire les nôtres et leurs causes. Vous allez nous dire comment et pourquoi la France, douée pour la grandeur, l’est aussi pour le contretemps, et pourquoi, si régulièrement, il lui advient d’être en retard, d’une guerre, y compris la guerre économique.
Vous répondrez aux questions que posent à chacun de nous « les catastrophes béantes, gouffres, puits de lumière triste » dont notre histoire est remplie « et qui n’ont pas épargné les générations auxquelles nous appartenons, non plus que les déchirures, les monstrueuses blessures » que nous avons subies. « Une histoire dramatiquement saturée », écrivez-vous. Vous nous expliquerez pourquoi et comment, de siècle et siècle, « la vraie France, la France en réserve, la France profonde » a survécu malgré tout, et comment elle survivra à nos inquiétudes et nos exigences.
Il n’est pas interdit au patriotisme d’être intelligent.
Votre prédécesseur, Monsieur, que vous n’avez pas connu et que pourtant vous avez peint si justement que vous l’avez fait revivre à nos propres souvenirs, était porteur d’une de ces déchirures ataviques, d’une de ces blessures à la France qu’il se faisait devoir et honneur de ne pas laisser tout à fait se refermer, la blessure des guerres de religion et de la Révocation. Il puisait aux souffrances de ses ancêtres une part de son talent.
On dit communément que l’insatisfaction est le moteur de la création littéraire. André Chamson en aura fourni en notre temps une manière d’exemple.
Plusieurs destins eussent pu être taillés dans le sien qui chacun eût suffi à combler une âme moins douloureusement exigeante.
Il avait accédé au plus haut de la fonction publique et exercé des responsabilités comparables à celles, naguère, d’un Mérimée, ou, plus récemment, d’un Julien Cain. Les plus hautes dignités dans les Ordres nationaux l’assuraient que ses actions civiques, ses combats, son vaste talent, avaient été reconnus. Il avait un public fidèle à ses ouvrages ; ceux-ci lui valaient d’être à la fois le grand homme d’un vieux terroir et comme le porte-bannière de ses coreligionnaires. Pendant vingt-huit ans membre de notre Compagnie, il bénéficiait d’un évident prestige.
Il avait, dans sa vie conjugale, l’assurance quotidienne de l’amour le plus attentif, le plus admiratif et le plus dévoué. Il avait une fille dont la tendresse, le talent personnel et les larges succès de romancier pouvaient réjouir son orgueil paternel.
Et pourtant, dans ses propos, son commerce avec ses semblables, ses écrits souvent, et sur son visage même, on devinait cette insatisfaction native, comme s’il avait toujours attendu plus et mieux de la patrie, de l’État, du monde, des autres, de la vie et, secrètement peut-être, de lui-même.
Autant que du Huguenot, il y avait, qui sait ? du Cathare dans son affaire ; et il semblait que son sang brûlât encore du bûcher intérieur qui jadis consumait les Parfaits.
À la réflexion, Monsieur, je me repens du reproche que je vous adressais en mon exorde. Je cédais à un mouvement trop personnel.
Aux hommes de grand destin, tout arrive à son heure, même ce qui est apparemment intempestif. Plus tôt intervenue, votre entrée parmi nous n’eût peut-être pas eu toute sa signification.
Si la vocation de l’Académie, telle que son fondateur l’a voulue, est de conférer une certaine gloire, au moins provisoire, à ceux qui bénéficiaient de la notoriété, vous lui permettez de prouver qu’elle peut aussi, en certains cas, ajouter de la célébrité à celui qui déjà possédait la gloire.
Si la tradition de l’Académie, telle que trois siècles et demi l’ont fixée, est d’intégrer l’histoire du pays, toute son histoire, tous ses drames, toutes ses splendeurs, tous les progrès de ses sciences, toutes ses batailles intellectuelles et politiques, à travers les hommes qui y ont pris une part spécialement éminente, et en les réconciliant, alors il est juste que vous y preniez place, vous qui aurez marqué l’histoire de l’Histoire, et fait que l’école historique française soit aujourd’hui reconnue, partout, comme la première.
Si la destination de l’Académie, telle que l’époque la lui désigne, est d’être l’une des dernières grandes façades de la France sur le monde, alors nous savons bien l’aide que vous nous apportez pour en ouvrir plus largement les fenêtres.
Avant que notre confraternité ne s’installe dans le quotidien, levez les yeux, Monsieur, je vous en prie, vers la phrase d’Ezechiel qui court autour de cette coupole... et pensez à votre instituteur qui vous récitait l’histoire de France comme un office divin.
Sedebit sub umbraculo ejus in medio nationum.
Oui, c’est bien ici que vous deviez vous asseoir.
Vous tendant les bras avec chaleur et amitié, nous vous souhaitons, Fernand Braudel, la bienvenue.