Académie des Beaux-Arts
Funérailles de M. Jean-Gabriel Domergue
Membre de la section de peinture
Directeur des Musées Jacquemart-André
En l’église Saint-Philippe-du-Roule
Paris, le 20 novembre 1962
DISCOURS
DE
M. ANDRÉ FRANÇOIS-PONCET
de l’Académie française
Chancelier de l’Institut de France
L’Institut de France a de grandes obligations à l’égard de Jean-Gabriel Domergue. Il tient à les reconnaître et à s’en acquitter, à l’heure douloureuse où disparaît celui qui l’a servi avec infiniment d’intelligence et de dévouement.
En Jean-Gabriel Domergue le Président de l’Académie des Beaux-Arts a célébré comme il convenait l’artiste élégant, richement doué, plein de fantaisie, mais toujours plein de goût dans les hardiesses de sa palette ou de son crayon, et dont le nom et le talent resteront caractéristiques d’un moment de notre époque et de la succession de ses modes.
Mais il y avait aussi en lui un personnage que l’on ne connaissait pas et que lui-même, peut-être, ne soupçonnait pas, avant que l’occasion ne le lui révélât : un organisateur, un administrateur.
Et c’est sur cet aspect de sa nature que je voudrais m’arrêter un instant.
Oui ! cet homme gai, fin, exquis, aux yeux rieurs, tout de primesaut, amusé, amusant, allant de fleur en fleur et d’objet en objet, recherché dans le monde pour ses bons mots et ses anecdotes, en même temps que pour ses portraits, toujours insinuants et flatteurs, cet homme séduisant, gâté par la vie et qui portait la même barbe que l’empereur Hadrien, a prouvé qu’il était capable, autant et mieux qu’un autre, de gérer un immeuble, un château, un domaine forestier et rural, et de s’en tirer avec avantage.
Lorsque lui fut confié le musée Jacquemart-André, en juin 1955, la maison plongée dans l’ombre et le silence, était poussiéreuse et, malgré les trésors qu’elle abritait, ennuyeuse. La vie s’en était retirée avec la donatrice et n’y était pas revenue. Le public en avait, peu à peu, oublié le chemin. Par endroits, d’ailleurs, les toitures laissaient filtrer la pluie ; les ferrures se rouillaient ; les canalisations s’obstruaient. Pour remédier aux injures du temps, des sommes considérables eussent été nécessaires ; et l’Institut de ne les possédait pas.
C’est alors que Jean-Gabriel Domergue, nullement découragé, piqué d’honneur, plutôt, par la difficulté de la tâche dont on l’avait chargé, se mit en devoir de réparer et de réveiller son musée endormi.
Il eut l’idée d’organiser dans cet hôtel, qui est par lui-même une exposition et constitue un cadre exceptionnel, des expositions consacrées à des maîtres prestigieux et rassemblant leurs chefs-d’œuvre, comme on ne les avait jamais encore vus rassemblés, si bien que tous les Parisiens qui se respectent tous les provinciaux et les étrangers qui veulent être parisiens se devaient de les visiter.
Il commença, en 1956, comme pour se faire la main, par une exposition consacrée à Léonard de Vinci; puis l’année suivante par une autre évoquant le Second Empire. En 57, il présenta les œuvres de Seurat, en 58, celles de Prud’hon. Chaque fois l’exposition gagnait en ampleur, en splendeur : celle des œuvres de Toulouse-Lautrec, en 58, fut retentissante ; l’exposition Van Gogh, suivie par celle des œuvres de Berthe Morisot et celle toute récente de Goya, eurent les proportions d’un événement. Elles battirent tous les records.
De l’une à l’autre le succès avait été plus éclatant. Les recettes ne furent pas moins brillantes.
Le musée Jacquemart-André, débordant d’activité, devint l’un des centres les plus vivants de la vie artistique de la capitale française. Grâce à quoi, la maison, dont une affluence croissante apprit de nouveau à gravir la rampe d’accès, put être remise en état. Libéré du poids qui pesait sur sa poitrine, l’Institut respira.
Quand on songe aux problèmes, aux responsabilités, aux démarches, aux tracas, aux critiques de toute sorte, aux risques qu’entraîne pareille entreprise, on doit admirer l’intrépidité avec laquelle Jean-Gabriel Domergue s’y est attaché, une intrépidité animée par une foi si ardente, un élan si juvénile, une bonne humeur et une gentillesse si constantes, qu’elle ne laissait transparaître aucune trace d’effort. Modeste, aimable, Jean-Gabriel Domergue faisait des miracles en se jouant.
Que de fatigue, pourtant, lui coûtaient ces tours de force !
Ce qu’il a accompli à Paris, au musée Jacquemart-André, Domergue l’a également réalisé à Chââlis. Il a fait en sorte que le château, rempli de belles choses, se présentât sous son meilleur jour et que le domaine environnant se suffît à lui-même.
L’Institut n’a pas oublié la belle réception qu’il offrit à ses membres dans le plus noble des décors.
Que l’ombre légère de Jean-Gabriel Domergue soit donc louée et remerciée ! L’Institut de France lui exprime avec une émotion profondément ressentie sa reconnaissance. Il s’incline respectueusement devant celle — elle-même grande artiste — qui fut sa vaillante épouse et dont nous partageons l’affliction.
Lorsque la mort l’a frappé, en pleine rue, Jean-Gabriel Domergue préparait une exposition de Boldini. Dans ce souci de remettre en lumière un peintre dont il avait subi l’influence et qui pourrait être regardé comme son maître, se manifestaient sa délicatesse et sa bonté foncière. Nous tiendrons, naturellement, à honneur de mener à bien le projet qu’il avait conçu. Nous consacrerons, aussitôt après, une exposition à ses propres œuvres et nous en ferons hommage à la mémoire de celui qui fut, pour les membres de l’Institut, comme pour ceux de son Académie, le plus vif, le plus souriant, le plus charmant et le plus aimé des confrères.