Centenaire de la naissance de Henri de Régnier
INAUGURATION D’UNE PLAQUE COMMÉMORATIVE
À LA MAISON DU POÈTE
24, rue Boissière, PARIS
le samedi 20 février 1965
Monsieur le Président du Conseil Municipal,
Monsieur le Président des Poètes Français,
Mesdames, Messieurs,
L’Académie Française m’a délégué ce matin devant cette demeure pour vous remercier de l’hommage que vous rendez à un grand poète qui fut l’un de ses membres et auquel j’ai succédé sous la Coupole.
En présidant cette cérémonie et en prononçant l’allocution émue que vous venez d’écouter, M. Jean Legaret a montré avec quelle intelligente piété la Ville de Paris entend perpétuer la mémoire de nos écrivains.
Et en rallumant cette flamme pour le centenaire d’Henri de Régnier, M. Pascal Bonetti a voulu prouver que le culte de la poésie ne meurt pas, ne mourra jamais, quels que soient les accents qu’elle prenne, quel que soit, pour employer le mot de Victor Hugo à Baudelaire, « le frisson nouveau » qu’elle invente.
Puis-je vous décrire l’intérieur de cette maison où vous venez l’accrocher le double blason d’un grand poète et de son épouse ? Rien ne m’est plus facile car j’y ai fait, en quelque sorte, les premiers pas de ma carrière littéraire. Voici comment.
J’avais une grande admiration pour Henri de Régnier. Pour les hommes de ma génération, il avait été le jeune poète un peu mystérieux, qui apporte un rythme inédit et entraîne l’enthousiasme.
Son œuvre romanesque avait aussi une séduction à part. Cette manière de rendre le passé vivant (l’expression est restée) sans tomber dans la pédanterie ou le pastiche, cette psychologie nuancée, cette ironie un peu hautaine, ce goût du personnage excentrique, tout m’attirait dans ses romans.
Bref, lorsque j’eus moi-même, il y a bien près d’un demi-siècle, achevé le manuscrit de mon premier livre, à qui le montrer, sinon à celui dont l’œuvre entière garnissait les rayons de ma bibliothèque ?
J’obtins un rendez-vous et, un matin, je pénétrai avec une certaine émotion dans cet appartement dont vous voyez les fenêtres. C’était un décor sans faste, mais d’un ami des choses belles, d’un fureteur qui avait su réunir autour de lui, sur les murs, sur les étagères, sur sa table de travail, vingt souvenirs qui lui rappelaient la beauté du monde et la singularité de l’espèce humaine.
Venise, la ville qu’il préférait à toute autre, avec Versailles, et sur laquelle il a écrit de si belles pages, régnait dans ce calme intérieur parisien. Henri de Régnier était un de ces esprits qui « cristallisent » autour d’une vieille estampe ou d’un vieux bibelot. Au milieu de ces témoins qui comptaient beaucoup pour lui, il ressemblait à un mandarin narquois qui sourit de la turbulence et de la vaine agitation où les hommes se laissent entraîner.
Mais ne croyez pas qu’il fût indifférent ou que son cœur manquât de générosité. Ce ne -fut pas ma seule visite à ce 24 de la rue Boissière que vous venez d’illustrer. Il y en eut bien d’autres, et toutes m’ont montré une figure exemplaire, attentive aux jeunes talents, loyale envers ses confrères, aimant son art plus que tout, mais avec une discrétion et un dédain du tapage qui nous paraît aujourd’hui appartenir, hélas ! à une époque révolue.
Voilà, Messieurs, en quelques traits rapides, le portrait de l’homme auquel nous rendons hommage aujourd’hui. Désormais ses dons, ses mérites sont gravés sur le marbre et rappelleront au passant qu’un écrivain qui fut un enchanteur pour plus d’une génération a vécu et est mort dans cette maison.
L’un de ces inconnus se redira peut-être tel beau vers sur Venise ou Versailles qui est resté inscrit à jamais dans sa mémoire. Un autre se souviendra seulement d’un titre. Je souhaite que ce titre soit celui que Régnier a donné à l’un de ses derniers recueils de poèmes : Flamma tenax. Ainsi le message que l’on lira sur cette plaque nous enseignera que la poésie est un don aussi lumineux qu’une flamme et que cette flamme tenace ne s’éteindra jamais.