Réponse de M. André Chaumeix
de l'Académie française
au discours de M. François Mauriac
DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 16 novembre 1933
PARIS PALAIS DE L’INSTITUT
MONSIEUR,
Vous venez d’apprécier l’œuvre de M. Brieux à la fois en artiste et en moraliste. C’est votre privilège d’avoir qualité pour revendiquer ce double titre. Nous savions, en vous confiant le soin de faire l’éloge d’un écrivain très différent de vous, que nous ne trouverions en défaut ni votre intelligence ni votre sympathie. Nous ne nous étions pas trompés. Vous qui êtes un créateur de fictions, vous avez montré qu’un romancier peut devenir un excellent critique. Vos aînés, par d’illustres exemples, nous avaient déjà rappelé cette vérité littéraire. Vous avez apporté à votre tour un témoignage où nous reconnaissons le beau talent qui a justifié notre choix.
Mais tandis que je vous écoutais, je faisais réflexion qu’un romancier, même lorsqu’il lui prend fantaisie de devenir un critique, ne cesse jamais complètement d’être un homme d’imagination. À mesure que se développait votre discours, je voyais se transformer quelque peu la figure de M. Brieux. Son regard clair se voilait de mélancolie. Son visage qui annonçait d’habitude tant de bonhomie et de franchise paraissait soucieux. Sa simplicité n’allait plus sans tourment. Il gagnait, en arrière-pensée, ce qu’il perdait en transparence. Et, voici qu’à la fin, lorsque des applaudissements mérités ont accueilli votre péroraison, M. Brieux m’a donné l’impression de ressembler à un héros de François Mauriac.
Je ne vous en ferai pas reproche. C’est assurément, pour un romancier, une forme de l’amour du prochain, que de découvrir chez autrui un air de famille avec ce qu’il chérit le mieux, je veux dire avec les personnages qu’il a créés. C’est aussi le signe d’un vigoureux esprit que de ne rien considérer sans s’approprier son objet. Comprendre, c’est s’emparer. Quoi que nous fassions, nous ne sortons jamais de nous-mêmes. Nous projetons sans cesse notre esprit sur le monde inconnu des êtres et les choses qui nous environnent et nous sommes en vérité les poètes de l’univers. La légende raconte que le peintre Corot, déjà vieux, se promenant à la campagne avec un ami et interrogé par lui sur le spectacle magnifique qui s’offrait à leurs yeux, ait répondu : « Ah ! ne me parlez pas de la nature ! je ne vois plus que des Corot. » Aveu admirable de sincérité et de fierté ingénue, aveu d’un vivant qui se connaît et qui s’accepte.
C’est selon cette méthode toute personnelle que vous avez étudié avec bonheur l’œuvre dramatique de M. Brieux. L’histoire littéraire, comme la science, a des disciplines strictes que vous n’ignorez point. Mais vous avez pensé que le critique pouvait user d’un peu plus de liberté. Sa mission est de nous dire les aventures de son esprit parmi d’autres esprits, et c’est en demeurant ce qu’il est qu’il a chance de nous apprendre le plus de choses. Le parti pris lui-même est une grande force méconnue. Ce n’est pas nécessairement une injustice. Il est un choix, une décision, une doctrine. Il nous préserve de ce goût facile de la conformité qui est la chaîne subie par les faibles et la servitude volontaire des sceptiques. Au moment de juger, il opère comme un puissant réactif. Vous venez d’en faire l’expérience devant nous. Votre rencontre avec le théâtre de M. Brieux a eu pour effet de faire surgir immédiatement le problème le plus mystérieux que nous pose ce dramaturge : c’était un moraliste passionné dont la morale n’avait aucun fondement métaphysique.
Évangéliste sans évangile, il s’accommodait avec aisance de cette position philosophique. Il appartenait à une génération où son cas n’était pas exceptionnel. Dans la seconde partie du xixe siècle, l’esprit encyclopédique un peu fatigué s’est rajeuni parmi les merveilles des découvertes scientifiques. Alors ont paru beaucoup d’hommes de bonne volonté qui ont cru à l’avènement d’une ère nouvelle. Ils avaient trop d’enthousiasme pour avoir beaucoup de sagesse. Ils faisaient ce rêve orgueilleux d’organiser selon des lois abstraites notre modeste planète. En s’installant dans un monde désaffecté, ils ont cru élever un temple à la Science et ils ont vécu du parfum des vases vides. Le plus illustre eux, M. Renan, a été un des rares qui aient fini par concevoir des doutes sur une entreprise dont il discernait les suites ; il s’est demandé s’il n’était pas bien léger de se contenter de l’ombre d’une ombre, et il a tiré beaucoup de révérences au divin. Vous êtes d’une époque où la doctrine connue sous le nom de scientisme avait déjà perdu beaucoup de sa superbe, et où des écrivains très divers, par des efforts convergents, et par une profonde analyse d’un réalisme complet, avaient amené un renouveau du spiritualisme. Pour vous, l’état d’esprit de M. Brieux est un phénomène historique, qui vous paraît difficilement concevable. Mais lui, il l’acceptait avec tranquillité.
Ce que vous avez très bien compris, c’est qu’il était un homme excellent, d’intentions irréprochables. Ce fils spirituel du xviiie siècle avait foi dans les lumières. Il croyait à la vertu, comme son ancêtre théâtral, le bon Sedaine. Il était plein de zèle pour la prêcher. Il avait ce courage qui affronte les lieux communs, cette chaleur qui les renouvelle, cette persévérance qui en dégage la signification. Il adjurait ses contemporains d’être sains de corps et d’esprit, de faire de bonnes lois, et de rendre exactement la justice. Il a soutenu ces idées dans des pièces bien faites où il y a sans doute plus de mouvement que de beauté, mais qui forment un théâtre solide et salubre. Le public a accueilli cette œuvre avec empressement, parce qu’il discernait dans l’écrivain une âme sincère et généreuse. Le public ne se méprenait pas. M. Brieux était plein de désintéressement, de compassion, d’activité charitable. Il le prouva en maintes occasions avant, pendant et après la guerre, par son dévouement aux œuvres. C’est un titre que la postérité n’oublie pas. Dans ce peu qui reste d’une vie humaine, si elle ne laisse pas le sillage éclatant du génie ou de l’héroïsme, la plus durable mémoire n’est-elle pas réservée à la bonté ?
Vous avez eu raison de rendre justice à cet homme de cœur. Vous avez même fait effort pour vous rapprocher de lui ou pour le rapprocher de vous. Je ne suis pas sûr qu’il vous aurait tant demandé. Il était fort indépendant et ne craignait pas d’être solitaire. S’il était peu sensible aux nuances, il considérait sans déplaisir les oppositions bien tranchées. Entre vous et lui, quelle que soit votre déférente bonne volonté à son égard, il n’y aura jamais qu’un abîme. Il croyait à la bonté naturelle de l’homme ; vous croyez au péché originel. Penché sur le bord du gouffre qui vous sépare, vous lui avez tendu, comme un cordage miséricordieux, le souvenir de sa foi perdue. Son ombre indulgente mais obstinée ne vous en a certainement pas voulu. Dans l’histoire littéraire, M. Brieux demeure, selon son vœu, l’occupant paisible d’un domaine honnête et bien ordonné, que bornent des certitudes qu’il jugeait rassurantes. Vous, monsieur, vous êtes le prince orageux des inquiétudes infinies.
Vous l’avez toujours été. Au temps de votre enfance, dans cette charmante région bordelaise où vous êtes né et où vous avez grandi, ce qui vous préoccupait le plus, ce n’étaient ni les beaux vignobles ni les landes, ce n’étaient ni les forêts de pins ni les nuits descendant sur les rivages, c’était le vent d’Espagne. Vous aimiez en sentir le souffle sur votre frêle visage. Vous pensiez, qu’il était le messager des plus terribles orages. Vous vous en réjouissiez, sans souci des vendanges, avec un secret frémissement, comme si vous deviniez qu’il vous apporterait les divertissements et les enthousiasmes les plus violents. Le vent d’Espagne, ce devait être plus tard pour vous, les courses de taureaux et le tour de reins des danseuses. Ce devait être, plus tard encore, les paysages brûlés de Tolède et l’ivresse que vous versait, l’histoire de Thérèse d’Avila.
Tout était amical et paisible autour de vous. Votre enfance s’écoulait facile dans ce sud-ouest qui en formait le délicieux décor. Cependant, quand j’ai lu vos livres, j’ai cru que vous alliez troubler l’harmonieuse image que je garde de votre région où m’attache le souvenir d’heureuses journées. J’ai failli prendre la Gironde pour un fleuve de feu et la Guienne pour un nid de vipères. Je me suis rassuré en considérant votre propre famille. Vous avez été élevé chrétiennement par une mère qui, devenue veuve bien jeune, sut gouverner avec une admirable et tendre raison tous les siens. Un de vos frères entré dans les ordres est un prêtre éminent. Un autre est un juriste réputé qui a la confiance de tous ceux qui l’approchent. Le troisième est un médecin et un grand savant. Vous-même, monsieur, vous complétiez très dignement cette excellente famille française. Vous étiez studieux et sage. Vous faisiez de bonnes études sons la direction des Marianites, vous les acheviez au lycée, vous passiez votre licence, vous rêviez de l’École des Chartes, vous veniez à Paris mener l’existence enviable d’ na étudiant aisé. Mais on a beau changer de séjour : on ne se change pas soi-même. La paix du cœur vous était refusée.
Mystère d’une âme d’enfant. Ce petit garçon élevé dans les hymnes et les cantiques, appliqué à orner les reposoirs et les tombeaux du Jeudi saint, était déjà le témoin sensible de ce qui l’entourait. À mesure qu’il devenait jeune homme, il notait toutes les imperfections et toutes les contradictions dont le monde lui offrait le spectacle. Que d’heures blessées ! Vous accumuliez les impressions d’une vie provinciale où les menus incidents quotidiens, les petites affaires de préséance, les égoïsmes, les vanités vous meurtrissaient. Vous étiez l’observateur stupéfait des mœurs qu’a le peuple plein d’assurance des grandes personnes : vous considériez, bouleversé, votre propre existence Vous trouviez l’univers redoutable. Et par les beaux soirs d’été, dans la paix des chemins déserts, vous n’étiez pas réjoui par le rêve négligent de la nature. Mais vous sentiez en vous monter l’émoi de cet appel à la vie, et vous receviez comme un coup de couteau la révélation des choses inconnues et maudites, quand vous distinguiez dans l’obscurité amoureuse un couple fuyant sous les charmilles.
Vous avez parlé de la jeunesse en des pages ferventes qui sont parmi les plus belles de votre œuvre. Vous avez pour elle une admiration mêlée de colère. Vous chantez sa gloire avec un emportement où il y a tout à la fois du sarcasme et de la mélancolie, Cette efflorescence, cette faculté d’espoir que la vie n’a pas ternie, cette générosité, cette ardeur dévorante qui veut tout connaître et tout goûter, ces forces intactes vous émeuvent par ce qu’il y a en elles de grâce et d’éphémère puissance. Mais cette chaleur du sang, cet égoïsme ingénu, cette férocité naturelle, cet élan qui entraîne à la conquête et à la domination vous
effraient comme les signes d’un pouvoir maléfique. Dans ces visages d’ange que vous aimez peindre, il y a la promesse de tous les malheurs. Ils sont le songe d’une journée, flétri demain par la démesure ou ravagé par la tempête. Tous ces jeunes gens, vous les conduisez par des chemins où il n’y a que des accidents, au supplice de la vieillesse et à la mort. Et c’est pourquoi vous avez pour eux une tendresse irritée.
Ils sont pour vous le symbole même du drame qui domine l’existence. Ils recèlent en eux les puissances secrètes du bien et du mal. Si bien enfermés qu’ils soient dans un cercle vertueux, ils finissent toujours par s’évader. Age pathétique où le jeune homme qui a été élevé avec vigilance porte en lui le goût de la noblesse et de la pureté, et où il découvre autour de lui et en soi-même le monde du mensonge, de la vanité et de la débauche. Ce conflit entre tout ce qu’il a appris à aimer, et tout ce qu’il discerne des choses désirables vous épouvante. Vous l’avez éprouvé vous-même. Vous l’avez exprimé dans le langage aimé de la jeunesse, par la poésie.
Ce siècle venait de commencer quand vous avez publié deux recueils de vers. Vous avez parlé vous-même avec quelque humour de vos débuts de chérubin de sacristie qui joue un fade cantique sur un petit orgue. Vos poèmes étaient remarquables par la qualité de la sensibilité qu’ils révélaient. Vous avez eu pour votre entrée dans la littérature, un lecteur illustre, le doyen aimé et respecté des lettres françaises, notre maître Paul Bourget, qui signala votre volume à Maurice Barrès, ce grand amateur d’âmes, reconnut dans vos vers cette note de folle volupté, ce frémissement qui le ravissait, ce chant intérieur qui lui paraissait être l’essentiel d’un écrivain. Vous avez eu raison de rappeler avec reconnaissance ces parrainages. Il en est un autre que vous ignorez. Un jeudi, à l’Académie, Barrès parla de vous à Émile Faguet qui vous lut avec zèle et qui manifesta aussitôt son enthousiasme à sa manière, c’est-à-dire par un article. Il créa même en votre faveur un précédent hardi, en portant à la Revue des Deux Mondes une étude littéraire de quelques pages, destinée à être insérée hors la série accoutumée des chroniques. C’est une des traditions de notre compagnie d’établir un lien entre les générations et nous avons plaisir à évoquer quel encouragement trouva chez ses aînés le jeune homme inconnu que vous étiez alors.
Je me suis souvent demandé ce que vous auriez accompli si vous aviez continué d’être poète. J’imagine qu’avec votre véhémence, votre âpreté, votre penchant pour la polémique et votre puissance satirique, vous auriez pu écrire le chant passé par la flamme qui aurait dit les grandeurs et les absurdités de notre époque. Je vous vois forgeant une œuvre vengeresse et terrible, vouant à la damnation les coupables de notre temps, les complaisants, les incertains, tous les tièdes ; je vous vois suivant l’exemple de Dante, qui jetait pêle-mêle aux fournaises infernales tous ses adversaires et même bon nombre de ses plus chers amis. Mais le destin avait disposé de vous et c’est le roman qui vous appelait.
Ah ! monsieur, quelle aventure ! quelle aventure pour un jeune catholique venu de Bordeaux afin de conquérir la gloire parisienne ! À quelles rencontres vous exposiez-vous ! de quelles amitiés alliez-vous être la victime ! Votre famille, vos maîtres pouvaient à bon droit s’émouvoir. Vos fréquentations sont effrayantes. Cette Thérèse Desqueyroux qui empoisonne son mari ! Ce jeune Daniel qui occupe ses vacances à séduire assez facilement une jeune fille et qui l’abandonne à la rentrée en la voyant très recueillie à la messe ! Cette Florence diabolique qui se joue d’un garçon supérieur pour arranger plus commodément un mariage avec un riche Bordelais qu’elle trompe tout de suite ! Cette belle-mère qui laisse mourir sa belle-fille ! Cette courtisane bordelaise qui inspire un égal désir au père et au fils et qui se consacre platoniquement à son beau-fils ! Cette dame sage de la campagne qui est saisie dans sa maturité d’une tendresse suspecte pour un jeune homme charmant de visage et déplorable par les mœurs ! Ce vieillard plein d’amour qu’il ne sait pas exprimer, qui est détesté de son entourage et traité familialement de crocodile par ses proches ! Voilà dans l’intimité de qui vous allez vivre pendant des années. Il est vrai que vous n’avez pas choisi ces relations. Elles se sont imposées à vous et, dans cette part involontaire de votre labeur, je vois le signe du romancier né. C’étaient des personnages en quête d’un auteur. Ils vous ont trouvé. Ils se sont emparés de vous. On croit que vous les avez créés. Ce sont eux qui vous tiennent et ne vous lâchent plus. Vous vous débattez avec eux. Vous vous souvenez de votre pieuse éducation. Vous êtes strictement fidèle à vos croyances. Vous essayez de les accorder avec ce que vous décrivez. Et voici que cette lutte entre vos personnages et vous devient pénible : elle entraîne vos romans à un mélange de mysticisme et de sensualité qui n’est pas toujours plaisant et qui est trouble.
Je le dis à votre honneur. Vous avez souffert de ces conjonctures. Vous vous êtes défendu. Vous vous êtes justifié. Vous avez cette noble qualité d’être parfaitement sincère et de ne jamais tricher avec vous-même. Tandis que vous composiez vos ouvrages, revenaient à votre mémoire comme un remords, les cinglantes paroles de Nicole à Racine sur les empoisonneurs publics. Vous aviez beau vous dire que Nicole était janséniste. Vous saviez qu’avant Nicole, saint Augustin avec parlé comme lui et qu’après Nicole, Bossuet avait encore parlé comme lui. Vous admiriez dans votre cœur le grand silence de Racine après sa conversion et le jugiez inimitable. Vous invoquiez les somptueuses déclarations de Barbey d’Aurevilly qui justifiait son roman en laissant l’inquiétude aux fausses vertus et au puritanisme tondu, et qui réclamait pour le catholicisme le droit d’accepter tantes les audaces des arts. Mais vous connaissiez aussi la réponse, si mesurée pour lui, et si vigoureuse de Veuillot. Vous entendiez la sentence : « Malheur à celui par qui le scandale arrive. » Si d’aventure, vous vous réconfortiez en songeant avec quelque complaisance à votre mission d’auteur, vous n’échappiez pas à la voix bourrue du vieux Malherbe qui vous signifiait avec une humilité rude qu’un poète n’est pas plus utile à l’État qu’un joueur de quilles, Et vous saviez que l’auteur de l’Imitation n’a jamais dit son nom.
Grande épreuve que ce combat d’un jeune écrivain croyant avec le démon de la littérature. Par bonheur, dès que vous étiez devant votre table de travail, surgissaient deux génies bienveillants qui vous préservaient. L’un était sacré et vous rappelait à chaque instant les exigences de votre croyance. L’autre était tout profane, et bien utile encore, fort subtil et je crois un peu méridional, il vous conseillait les habiletés de l’homme de lettres et vous enseignait l’art délicat de côtoyer les précipices sans y tomber. « Quand on joue à la paume, dit Pascal, c’est une même balle dont on joue l’un et l’autre : mais l’un la place mieux. » Vous placez fort bien la vôtre. Mais nous avions eu peur, et peut-être vous aussi, et assurément ceux qui vous aiment et qui ont autorité pour vous guider. L’alliance des deux forces qui vous ont secouru, la foi et le talent, a fait merveille. Et nous nous réjouissons aujourd’hui, d’avoir pu voter pour vous avec des consciences apaisées.
C’est que votre œuvre a tout entière une haute intention morale. Vous jugez la terre et les hommes en chrétien pour qui le souci unique est le salut. Vous discernez partout le néant de nos divertissements et de nos joies. Cette nature même dont nous nous laissons aller à admirer les formes magnifiques, qu’est-elle d’autre à votre regard, qu’une puissance inconsciente qui se dévore et se reconstitue sans cesse ? Le cours des saisons marque cette alternance décevante de l’appel du désir et du triomphe de la mort. Partout la même chaude animalité qui finit par la même décomposition. Aucune des apparences ne détourne vos yeux de la fin qui les attend. Votre regard franchit le temps et devance l’avenir. Devant le plus bel arbre, vous voyez le tronc mort, devant la plus jeune plante, l’herbe pourrie, devant le plus charmant visage la chair périssable. Le vin même, gloire de votre région, n’est pour vous que le souvenir des étés défunts. La vie en fleurs semble l’entrée des tombeaux. Et dans cet univers, l’homme qui s’imagine en être le roi superbe, participe de son impureté et de sa fragilité. Toutes les figures de sa destinée sont celles de la faim, du désir et de l’agonie.
Comme vous détestez son amour du plaisir, sa légèreté, son oubli du ciel qui seul importe ! Il y a en vous une puissance de sarcasme, une ardeur satirique qui donne un dur relief à votre œuvre. Vous avez tracé des portraits impitoyables, d’oisifs, d’avares, d’ambitieux et de snobs. Vous ne leur pardonnez rien, ni la médiocrité de leurs occupations ni la satisfaction qu’ils ont de soi-même : vous dénoncez leurs tares physiques, leur embonpoint, leur teint congestionné, leur sclérose. Vous décrivez sans ménagement les chambres en désordre et les escaliers douteux. Et quand de l’extérieur de cette humanité peu tentante, vous passez à l’intérieur de son esprit, c’est pire encore. Vous pourchassez les pensées secrètes. D’un fils qui s’entend presque avec son père, vous dites qu’il regrettait de ne pouvoir le mépriser autant que le reste de la famille. Vous montrez un vieux propriétaire terrien qui part précipitamment pour aller au chevet de son fils mourant et vous lui prêtez cette réflexion : « Pourvu que ma bru ne se remarie pas ! » Vous racontez qu’un gendre fait sa prière, dans la pièce voisine de celle où son beau-père, médecin de grande valeur, est très malade, et il s’interrompt pour dire à sa femme : « La propriété est-elle un acquêt et ton frère est-il majeur ? » Et tous, tant qu’ils sont, deviennent la proie de la chair, demandent à la vie la satisfaction des sens, sombrent dans le dégoût ou dans le désespoir, comme dans un désert de l’amour où les êtres, incapables de se comprendre, mourraient de leur solitude en commun. Vous êtes le grand maître de l’amertume. Il y a parfois quelque chose d’hallucinant dans ces âpres tableaux où vos héros se heurtent contre les murs de leur prison charnelle et où vous regardez, autour des biens passagers, les batailles dérisoires de ces futurs cadavres.
Mais vous avez votre dessein. Ayant accablé l’homme, vous lui offrez le moyen de se relever. Vous achevez par une espérance optimiste le récit de ses turpitudes. À tous ces dévorants que rien ne rassasie, à tous ces assoiffés qu’aucune source terrestre ne rafraîchit, vous montrez la chair et le sang céleste qui les apaiseront. Vous leur révélez que l’élan même qui les précipite vers la nature peut les jeter au pied de la Croix. Vous leur annoncez qu’ils peuvent être sauvés par la grâce. Engagés comme ils sont dans leurs fautes, vous entendent-ils ? Vous ne le dites pas. Vous nous laissez sur l’impression d’un combat qui se prolonge et dont l’issue est incertaine. Vos livres sont tout remplis d’une cohorte misérable de mortels qui tendent des bras éperdus et ne saisissent avec passion que des fantômes. Et c’est à peine si quelques-uns finissent par distinguer au delà de la nuit qui les enveloppe la rose rouge de l’amour divin.
Tel est le thème essentiel de vos ouvrages. J’aurais même dit le thème unique, si je n’avais pensé à vos livres d’essais que j’apprécie grandement et qui sont riches de substance. Mais vos romans manifestent tous cette hantise du péché. Vous vivez le drame exigeant de l’âme et du corps. C’est ce qui confère à vos écrits leur originalité militante. C’est ce qui leur donne quelque chose d’oppressant et d’exclusif. Tout ce qui n’est pas le problème qui vous accapare en est absent. Vous êtes cependant un grand lettré dont l’esprit a été habité par beaucoup d’idées. Les conceptions philosophiques et morales qui ne sont pas strictement les vôtres ont glissé sur vous sans vous pénétrer. Nul souvenir de cette culture hellénique que vous avez reçue et admirée. Nulle trace de l’harmonieuse entente de la matière et de l’esprit qui fit rêver les sages antiques. Nul écho de ce beau mythe que nous montre le héros grec domptant le cheval ailé, alliant la raison et la nature et nous offrant le symbole de cet accord subtil de l’intelligence et de la sensibilité qui est la pensée. Nul reflet de ces chœurs de la tragédie où est célébré en paroles enchantées le labeur courageux des hommes. Nulle influence même de cette civilisation catholique qui n’est pas la religion elle-même, mais qui s’est développée sous l’influence de la religion, qui a été l’héritière de l’antiquité et qui a permis la formation de cet humanisme romain dont vit l’intelligence occidentale. Nulle complaisance pour les somptueux déchaînements de la Renaissance. Nulle concession à la joie ni à la beauté. Nul sourire pour la fraîcheur des eaux vives ni pour le frisson d’une épaule. On peut vous reprocher d’insister beaucoup sur le péché. On ne peut vous accuser de le rendre aimable. Les femmes qui passent dans vos romans ne font pas d’une défaillance une grâce, comme la reine d’Égypte. Et quelle distance, quel contraste, entre votre Baiser au Lépreux et cet immortel baiser que l’Antoine de Shakespeare donne à Cléopâtre en enjoignant à l’univers de les déclarer incomparables !
Cet éloignement pour une humanité si différente de celle que vous peignez vous est naturel et, de votre part, il est logique. Ce qui est plus singulier, c’est que dans votre référence constante aux enseignements de la religion, vous vous restreignez, Vous nous montrez avec intransigeance certains aspects de la vie du croyant que vous avez choisis. Il en est d’autres. Nos mémoires sont pleines de paroles d’une divine douceur. Le christianisme a apporté au monde la grande loi de la pitié et de l’amour. Nous pensons à la parole de saint Paul qui proclamait que sans la charité tout est vaine sonorité de cymbale. Nous savons avec quelle tendresse est accueillie la brebis perdue. Nous évoquons la pécheresse plus proche du royaume du ciel que le pharisien formaliste et orgueilleux. Nous nous rappelons la parabole de l’enfant prodigue. Dans vos romans, nous attendons longuement son retour. Et s’il revient, il n’y a jamais de veau gras. Vous êtes rigoureux et sévère, plus proche de l’Ecclésiaste que du Sermon sur la montagne, Vous faites penser à ces artistes du moyen âge, pleins de foi, pleins de fantaisie, pleins aussi de réalisme brutal et de terreur, qui contribuaient à la gloire des cathédrales en sculptant les figures du péché sur les portiques, et en peuplant de monstres bizarres les bas-reliefs de l’édifice sacré. Il y a dans une vieille église de France un bénitier de l’époque romane dont les parois sont ornées de démons qui s’enfuient. Les pieuses mains qui en approchent sont obligés, avant d’atteindre l’eau bénite, d’effleurer sur le parcours bien d’impures images. C’est l’aventure de vos lecteurs qui n’arrivent pas au fond de votre très noble pensée sans avoir fait en chemin quelques rencontres douteuses,
Mais si grand est le prestige de votre art, que vous ne nous laissez pas le temps de remarquer les limites du domaine où vous nous entraînez à votre suite. Il y a chez vous une véhémence brûlante, un emportement, qui sont d’un maître. Vous avez le goût passionné des âmes. Vous êtes sans cesse animé par ce souci de la vie intérieure qui est la dignité des lettres françaises. Vous savez qu’un livre est peu de chose s’il n’est méditation et poésie. Vous avez soin que les vôtres soient les deux à la fois. Vous avez réussi à faire du décor provincial et des paysages du Sud-ouest, le signe sensible, le langage imagé qui sert de support à votre pensée. Vous nous attirez dans des ténèbres déchirées de lueurs fulgurantes qui éblouissent, traversées de figures ensorcelées et fascinantes. Vous nous y retenez. Cette lourde atmosphère est pleine d’effluves et d’incantations, de bruissements mystérieux, de battements d’ailes périlleux et tentants, de promesses déconcertantes et voluptueuses. On ne s’y sent pas en sûreté, On y éprouve tour à tour une sombre ivresse et une inquiétude exaltante. On y étouffe. On redoute de s’y plaire. On y frissonne. On y vit dangereusement. Mais on y vit ! Vous êtes un puissant artiste, et vos dons d’écrivain vous ont mis tout de suite au premier rang des romanciers de votre génération.
Mon amitié se félicite des circonstances qui me permettent aujourd’hui de vous adresser ces éloges, et elle pourrait s’en tenir là si vous étiez un auteur tout profane. Mais vous invoquez les enseignements de la religion, et l’interprétation que vous en donnez inspire des scrupules. Vous êtes l’ami de la probité d’esprit, vous ne vous étonnerez pas en m’entendant exprimer librement les objections que soulèvent certaines parties de votre œuvre. Il y a en vous de la frénésie. Votre haine des accommodements séduit. Mais elle vous conduit à quelque exagération. Vous tourmentez le chrétien. Vous le voulez, non seulement attentif, mais sur le qui-vive, aux aguets, frémissant, et en péril permanent de perdition. Vous le faites avancer sur un chemin rude. Vous l’accablez de doutes et d’inquiétudes. Vous parlez comme si la seule pensée du péché était déjà toute puissante et certaine de l’emporter, oumême comme si elle était identique au péché. C’est une rigueur très affligeante. Nous sommes déjà bien assez misérables et nous n’avons que trop besoin de miséricorde. Que deviendrions-nous s’il fallait, par l’effet d’un défaitisme théologal, considérer l’image de la faute comme annonçant, d’une manière inéluctable, la faute elle-même, et tenir l’idée pour équivalente du fait. Lorsque, dans le livre de Flaubert, la reine de Saba apparaît à saint Antoine dans le désert et soulève sa jupe devant lui, le saint ne se croit pas damné pour avoir été mis à l’épreuve. La reine de Saba, je vous l’accorde, a fait école. Elle a abandonné le désert, elle court les rues. A-t-elle cependant, par magie, ruiné toutes les volontés ? Règne-t-elle en souveraine ? Il y a bien longtemps que la sagesse catholique a étudié et réglé ce délicat problème posé par l’existence des pensées involontaires que produit l’esprit. Saint François de Sales a résumé tout ce qu’on peut dire sur ce sujet en cette claire et forte maxime : sentir n’est pas consentir. Vous ne vous êtes pas arrêté à cette profonde et prévoyante définition. Vous maintenez le fidèle dans la terreur de ce qu’il va découvrir en lui-même. Peu s’en faut que le salut, qui est l’objet de la vie, ne lui apparaisse douloureusement à la fois comme nécessaire et comme inaccessible. N’y a-t-il pas là quelque jansénisme ? Si j’avais l’honneur d’être théologien, j’en discuterais davantage avec vous. Du moins, j’ai un peu lu Bossuet. J’ai gardé le souvenir que la prédication de ce grand homme, à la fois si religieux et si humain, tend à nous faire comprendre que la fidélité à la croyance est compatible avec la vie, que chaque homme, selon sa capacité et selon son état, petit remplir ici-bas sa mission sans angoisse, que l’existence de chacun sera chrétienne, que les œuvres seront chrétiennes si l’âme est chrétienne. Il aime à dire qu’il faut croire simplement et bonnement. Jamais il n’a resserré les voies du salut. Il nous conseille de nous accroître, de nous améliorer, de nous dilater, et dans une parole où l’on retrouve sa généreuse magnificence, il nous invite « à jeter tout à l’aveugle dans le sein immense de la divine bonté ».
Vos personnages ne connaissent pas cette quiétude. Vous êtes le grand spécialiste de la tentation. Vous l’épiez, vous la surprenez à l’état naissant, vous la découvrez partout. On dirait que les romanciers ont de longs tête-à-tête avec le serpent du paradis terrestre, de qui assurément ils ont beaucoup à apprendre et à qui ils sont redevables de nombreux sujets. Mais un tel dialogue, pour peu qu’il dure, n’est pas sans inconvénients. Il donne un air de complaisance pour le mal. Il tourne à une sorte d’intimité. Il insinue la cordialité dans l’antagonisme et ces conférences d’adversaires risquent de se terminer par une inimitié collaboratrice. Il y a des interlocuteurs avec lesquels il vaut mieux ne pas trop échanger ses idées. Êtes-vous certain de n’avoir pas été victime d’une subtilité d’origine démoniaque quand vous avez éprouvé tant de curiosité pour les plus récentes théories du subconscient ?Vous avez cru que l’écrivain d’imagination pouvait découvrir là de nouveaux raffinements. Et peut-être n’y avez-vous trouvé que des machines destinées à démanteler les vieilles forteresses de l’esprit. À toutes les crises dont notre époque fait collection et qui vont comme chacun sait de la monnaie à l’enseignement, en passant par le budget, l’État, l’économie, les formes parlementaires et la Constitution elle-même, il faut ajouter une crise de la personnalité humaine. L’histoire des vivants, pour certains psychologues, se réduit au calendrier des sensations, et afin d’en établir la liste, ils vont chercher, pour les ramener à la surface de là conscience, ces impressions mal définies qui dormaient dans les souterrains. Prenez garde : Satan fait aujourd’hui de la psychanalyse. Il a imaginé ce moyen de nous convier allègrement à contempler nos bas-fonds et à excuser nos fautes par le déterminisme de nos tendances inconnues. Il y avait bien de la prudence dans la méthode ancienne qui recommandait de ne pas s’arrêter aux laides images et aux laides pensées. Le secret n’est pas exclusivement une dissimulation. Il est aussi une pudeur. Il manifeste le goût de l’ordre. Sans doute il convient que le savant, le médecin, le directeur de conscience n’ignorent rien de ce qui se passe en nous. Est-il bon pour tous les humains de faire l’inventaire incessant de ce qui se passe en eux ? Faut-il accorder un état-civil à tous nos instincts et leur donner droit de suffrage ? Ne risquons-nous pas de transposer la loi du nombre dans la vie de l’esprit et de soumettre la direction de nous-mêmes à la majorité de nos sensations ? Permettez au journaliste déjà vieux que je suis de vous exprimer ses doutes. La morale, comme la politique, veut que nous fassions effort pour intervenir parmi nos fatalités. Le gouvernement de soi, comme celui des peuples, réclame de l’autorité et de la hiérarchie. Chaque individu porte en soi une petite république qui ne demande qu’à devenir insurrectionnelle et qui a besoin d’être tempérée par une monarchie absolue. Et cette monarchie pour chacun de nous, c’est ce qu’on nommait jadis du beau nom de caractère.
Toute la culture française, fidèle aux grandes traditions de la civilisation gréco-latine et de la civilisation chrétienne, a eu pour trait marquant d’affirmer la primauté, de l’esprit, de recommander l’organisation rationnelle de la vie et de la pensée, de favoriser le règne des facultés supérieures. Ailleurs, hors de nos frontières, au Nord peut-être, à l’Est surtout, d’autres conceptions ont prévalu. Ce n’est plus l’esprit qui a dominé, c’est la nature, c’est le flot de l’élémentaire, c’est le domaine des instincts et du vouloir vivre avec ses forces crépusculaires de rajeunissement, mais aussi avec son anarchie latente. Il n’est pas sûr que depuis un siècle et, demi nos écrivains aient tous très énergiquement résisté à ces courants étrangers. Mais la nation, elle, a résisté, bien n’ait guère été aidée. Elle croit toujours à la raison et aux idées claires et distinctes, à l’équilibre, à la volonté. Elle n’a rien oublié de l’histoire de Marthe et de Marie. Elle pense que Marie, qui eut la bonne part, ne fut pas une tourmentée. Et elle sait que Dieu a peuplé la terre des fils de Marthe pour qu’ils soient ici-bas artisans, paysans, soldats, marins, pour qu’ils travaillent, pour qu’ils apprennent à l’impitoyable école du réel les conditions de l’action, la nécessité des disciplines et du commandement. Ils ont eu, ces fils de Marthe, leur poète de génie. Ils ont inspiré des paroles magnifiques à l’illustre écrivain anglais que l’Institut de France a eu à cœur de s’associer et qui sera bientôt son hôte : « C’est leur affaire en tous les siècles », dit Rudyard Kipling, « de recevoir et d’amortir les chocs. Dans la foule ou dans le désert, dans les rues illuminées ou dans l’obscurité, ils restent à leur poste durant tous leurs jours pour que se prolongent les jours de leur frère. Soulevez la pierre, abattez la ronce pour faire meilleur le sentier : voici qu’une trace se découvre, noire du sang qu’un autre fils de Marthe a versé là, non pour dresser une échelle vers le ciel, mais en simple service, simplement rendu à son frère, dans le commun besoin. »
Vous leur donnerez aussi votre amitié, ils sont dignes de votre talent. Vous êtes même sans doute près de le faire si j’en juge par vos derniers ouvrages, par ce Mystère Frontenac, d’un ton plus apaisé, par cet essai sur le Bonheur du Chrétien que vous avez donné comme suite à votre beau livre sur les souffrances du Chrétien. Vous semblez un peu lassé des monstres et des pécheurs qu’un sort inclément vous a fait rencontrer jusque parmi les croyants. Vous avez le désir de connaître d’autres exemplaires de l’humanité. Il y en a fort heureusement. Et peut-être la fortune nous est-elle réservée de vous engager plus avant dans la voie où vous paraissez entrer. Votre tour viendra bientôt de parler ici des prix de vertu. C’est la part la plus émouvante de nos travaux. Vous lirez avec recueillement, avec piété, ces dossiers vénérables qui nous sont transmis. Vous aurez l’occasion d’admirer, non seulement l’œuvre de nos missionnaires qui vont dans notre empire d’outre-mer propager la foi en même temps que la langue française, non seulement les saintes filles qui au loin enseignent les petits enfants et soignent les malades, mais cette foule d’humbles de cœur, de créatures fraternelles à qui le dévouement dicté par la croyance, par le souvenir de la religion ou par leur conscience semble naturel. Vous sentirez ce qu’il y a de désintéressement dans ces actes accomplis par des êtres qui ne prétendent pas à la perfection, mais qui sont capables de sortir de soi et de se dépasser eux-mêmes, Alors, au brillant et troublant cortège des possédés qui peuplent vos livres, vous opposerez avec ravissement ce beau cortège de vivants qui, dans ce grand drame de la tentation dont vous êtes le peintre pathétique, ont été avec simplicité des vainqueurs. Ce sont eux qui ont mérité d’être comparés à ces parfums légendaires de la mer Érythrée qui, voguant sur les flots au-devant des voyageurs, leur annonçaient l’approche d’un royaume merveilleux, car ce sont eux en vérité qui nous portent ici-bas ce qui est le plus cher à votre pensée : un message de l’infini.