Réception de M. Elme-Marie Caro
M. Caro, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Vitet, y est venu prendre séance le jeudi 11 mars 1875, et a prononcé le discours qui suit :
Messieurs,
Quand je me suis présenté à vos suffrages. Je n’avais à vous offrir qu’une vie d’étude et de travail. Vous m’avez accueilli avec une bonne grâce qui a comblé toutes mes ambitions. Mais je craindrais d’insister sur les motifs personnels qui m’ont rendu si précieuse votre bienveillance : il m’a toujours semblé que la vraie manière d’être modeste est de ne pas donner avec trop de complaisance les raisons de sa modestie. Vous avez montré, une fois de plus, en m’appelant à l’honneur de remplacer M. Vitet, que la liberté de vos choix est entière et que rien ne vous oblige à suivre la loi des ressemblances dans l’ordre des successions. À ceux qui s’en étonneraient, mon illustre prédécesseur avait répondu d’avance en expliquant à sa manière ces diversités et ces contrastes où se plaît l’Académie : « Vous êtes, disait-il un jour, une vivante galerie de quarante portraits que par malheur il faut remplacer tour à tour. Chaque fois que vous en perdez un, vous mettez tous vos soins à n’en pas acquérir la copie. Plus il vous était cher, plus il vous donnait d’orgueil, moins vous cherchez qui lui ressemble ( 1). » Mais, si vous n’exigez pas qu’on rappelle de trop près, par l’analogie des travaux, ceux que vous avez perdus, vous demandez qu’on essaye de comprendre leur œuvre. Et, bien que le nom et le souvenir d’un tel homme m’accablent, je sens que vous me pardonnerez plus facilement d’occuper sa place, si je parviens à ranimer cette noble figure devant vous et à tromper pour un instant des regrets qui seront éternels.
Votre éminent confrère est né à Paris, mais sa patrie d’origine était Lyon. Son aïeul, un médecin célèbre, fut à plusieurs reprises élu maire de sa ville natale. Député à la Convention, ami des Girondins jusqu’à la séance du 17 janvier 1793 où il vota intrépidement contre la mort du roi, il semble que la nature ait voulu essayer dans l’ancêtre quelques-uns des traits dont elle devait plus tard composer la figure du petit-fils, en qui devait s’achever l’illustration de la famille. Voyez plutôt ce curieux portrait dans les Souvenirs du baron Desgenettes, qui traversa Lyon, pour se rendre à l’armée d’Égypte, dans l’année 1798 : « J’allai remettre à M. Vitet, le maire de la ville, les lettres qu’on m’avait données pour lui. Au moins sexagénaire alors, il avait un aspect plus qu’austère. Deux énormes sourcils noirs, quoique les cheveux fussent blancs, donnaient à sa physionomie très-mobile et qu’animaient des yeux de feu, un air de rudesse, bien qu’il fût plein de bonté et d’humanité... Comme on louait pendant le repas les services de tout genre qu’il avait rendus à la ville de Lyon, M. Vitet, qui avait quelque chose de Caton le censeur, entendit ces propos avec une sorte d’indifférence, d’impatience même, et détourna la conversation. » Ne pensez-vous pas reconnaître cette physionomie austère animée par des yeux de feu ? Et cet embarras du maire de Lyon, quand on vient à parler du bien qu’il a fait, ce stoïcisme empressé à fuir l’éloge, ne rappellent-ils pas la modestie fière et presque sauvage de votre confrère, quand on venait à parler de ses œuvres, et cette pudeur virile qui souffrait d’une louange comme d’une indiscrétion ?
Les deux grands événements de la jeunesse de M. Vitet furent le bienfait d’un enseignement incomparable et la rencontre d’une amitié rare. C’était le moment où M. Jouffroy, sacrifié avec l’élite de l’Université à une réaction aveugle, venait de fonder dans un coin de Paris cet enseignement restreint par le nombre des disciples, mais si actif par la propagande des doctrines, si étendu par le nombre des idées qui en sortirent et des vocations qui s’y éveillèrent. Le jeune M. Vitet fut admis dans le cénacle. Parmi les quinze ou vingt noms qui le composaient, presque tous sont devenus célèbres soit dans les lettres, soit dans la politique ; tous, dans les fortunes les plus diverses, sont restés fidèles au culte des idées. L’enthousiasme des auditeurs et la piété de leurs souvenirs ont formé autour du jeune maître comme une auréole d’apostolat persécuté. On a retracé plusieurs fois l’attitude de ce philosophe de vingt-six ans tandis qu’il poursuivait les grands problèmes, sous la forme d’une méditation parlée, et se livrait tout entier dans ces entretiens qui n’étaient que la pensée même prise à sa source, grandissant par l’effort continu, se répandant à flots larges et lents sur des questions sans limites. Et, quand il exposait ses théories en voie de formation sur le principe du beau ou les lois de la destinée humaine, les disciples n’étaient pas loin de se croire des initiés à quelque mystère ou à quelque enseignement secret, comme il y en avait dans les philosophies antiques.
C’est à cette source que M. Vitet, puisa une foi vive dans ces vérités « qui auront toujours pour elles, même en dépit d’éclipses temporaires, la saine conscience du genre humain. Voilà bientôt un siècle écoulé, disait-il au déclin de sa vie, et chaque jour je bénis Dieu d’être né encore assez tôt pour ne pas manquer l’heure où ces nobles doctrines sortaient de leur sommeil, conservant je ne sais quelle fraîcheur que le sophisme n’avait point flétrie, et qui prêtait aux vérités qu’elles proclament comme un attrait de nouveauté. » Aussi bien le temps était à l’enthousiasme ; un temps vraiment unique pour la fécondité des idées et des talents, pour toutes les nobles curiosités à la fois éveillées, pour l’activité presque héroïque de l’esprit qui se précipitait dans tous les sens à la conquête de l’inconnu, et aussi pour la candeur du public, prêt à toutes les belles émotions. Était-ce donc un grand siècle qui se levait à l’horizon ? À l’éclat de son aurore on pouvait le croire. M. Vitet salua d’un ardent espoir cette jeunesse du siècle qui se mêlait et se confondait avec la sienne. Que de fois plus tard il rappelait avec délices « la flamme presque amoureuse » que ces nouveautés d’idée avaient allumée dans son cœur !
Cette noble ivresse, il la partageait avec un jeune homme qui, dès leur première rencontre chez M. Jouffroy, était venu à lui d’un élan irrésistible et spontané. Ils prirent aussitôt « un tel besoin l’un de l’autre » que leurs journées ne se passèrent plus guère sans qu’ils eussent échangé leurs pensées, et cette habitude dura toute une vie. Cet ami, c’était le comte Duchâtel. Un voyage à travers la Suisse et l’Italie consacra cette affection naissante. Pour ces deux jeunes gens, infatigables dans leur curiosité, ce fut un perpétuel ravissement. On se reposait de l’admiration de la nature dans des stations qui semblaient préparées pour leur donner toutes les fêtes de l’esprit. Tantôt c’était sur un versant du Jura, chez le maître adoré, M. Jouffroy, tantôt, près de Milan, chez l’auteur des Promessi Sposi, le noble poëte, le grand homme de bien, Alexandre Manzoni. Au retour, de l’autre côté des Alpes, c’était Coppet, tout plein encore de Mme de Staël, de sa pensée, presque de sa présence. Chaque soir, en face de ce beau lac, de ces majestueuses montagnes, on trouvait là réunis des hommes tels que Sismondi, encore dans sa verdeur, Rossi, laissant percer sous sa taciturne enveloppe les éclairs de son esprit ( 2), bien d’autres, et avant tout les maîtres de la maison, le baron Auguste de Staël, le duc de Broglie, jeune encore, mûr par la pensée et déjà incliné, comme nous le vîmes plus tard, sous l’habitude de la méditation.
Malgré la sympathie de ces premières émotions M. Duchâtel et M. Vitet avaient commencé de bonne heure à sentir la diversité de leurs goûts, l’un attiré vers le beau sous toutes ses formes, l’autre vers l’utile dans ses plus larges applications, l’économie sociale et la politique. Mais cette divergence d’études ne nuisit en rien au commerce intime de ces deux jeunes gens devenus des hommes. Bien au contraire, chacun d’eux doubla ainsi l’horizon de ses idées. Si plus tard M. Vitet put faire bonne figure, dans les assemblées, quand il fut aux prises avec les questions les plus ardues des finances ou de l’administration, c’est que, moitié plaisir et moitié complaisance, il s’était prêté sans cesse aux explications de son ami qui lui en exposait le mécanisme et lui en montrait les plus secrets ressorts (3 ). Et, d’autre part, lorsque le comte Duchâtel fut condamné par les événements à un repos douloureux et prématuré, quel noble refuge lui réservait cette amitié plus assidue que jamais, l’élevant sans effort dans ces régions idéales où la contemplation partagée du beau les consolait du spectacle des sociétés humaines ! Peut-on douter que votre confrère, au moins par ses avis, n’ait eu sa large part dans ce choix de chefs-d’œuvre, dans la formation de ce musée domestique, l’honneur d’une exposition récente qui a consolé un peu notre patriotisme, non-seulement en répandant l’or avec la sympathie publique sur nos frères émigrés d’Alsace et de Lorraine, mais en révélant au grand jour ces trésors d’art, un des joyaux de la France, un de ceux que la force elle-même n’a pu ravir à sa couronne ?
C’est au retour du voyage en Italie que M. Vitet fit avec son ami ses premières armes comme écrivain. Le Globe venait de naître. Ce n’était, à certains égards, que la continuation et comme l’élargissement du petit cénacle philosophique fondé autour de M. Jouffroy. On y parlait plus haut et à ciel ouvert. On y traitait librement tous les sujets, politique, art, philosophie, littérature. Au fond, l’inspiration était la même, avec quelque chose de plus militant peut-être. C’est sur ce théâtre, fort en vue, que se produisit l’élite de la jeunesse libérale, à côté de l’École normale en disgrâce : tous s’unissant dans une pensée commune à travers des dissidences sur les questions d’art ou de religion, chacun s’enrôlant, selon ses aptitudes, au service du beau et du vrai, les cherchant et les admirant sous toutes leurs formes, sans partialité, sans système, chacun enfin réclamant le droit et l’honneur de cette liberté, invoquée comme l’inspiration même de l’œuvre et le drapeau de cette petite armée.
Mais déjà, dans l’intervalle de ces pages rapides que le jeune écrivain du Globe semait avec la belle prodigalité de son âge, M. Vitet avait conquis tout d’un coup la célébrité. La Ligue avait paru, révélant un genre nouveau, puisque les tentatives du président Hénaut étaient tombées dans le plus profond et le plus juste oubli. On nous a raconté comment, dès l’âge de dix-sept ans, l’idée des Scènes historiques vint à votre futur confrère. Il s’arrêtait volontiers, chaque jour, devant les boutiques des petits libraires, s’attardant sur le chemin d’une étude d’avoué où il n’apportait qu’un zèle médiocre, s’attachant surtout aux vieux livres, cherchant le nouveau dans l’antique et l’inconnu dans le passé. C’est ainsi qu’il fit connaissance avec l’Estoile, Palma Cayet, la Satire Ménippée, avec ces innombrables pamphlets ligueurs, politiques, huguenots, et ces grossières vignettes sur bois dont le seul aspect le transportait dans le temps qui les a vues naître. À ce jeu, moitié curiosité d’imagination adolescente, moitié pressentiment, il finit par s’éprendre de la France du XVIe siècle et surtout de cette période de la Ligue, la plus dramatique peut-être de notre histoire. Ces mœurs étranges, cette politique d’aventure, ces amours tragiques, ces brutalités inouïes dans une société raffinée, le sang et la volupté mêlés, la corruption dans le fanatisme, cette facilité égale aux crimes et à la pénitence, ces chocs de passions exaltées et d’égoïsmes féroces, ces coups de fortune qui élèvent un homme et ces coups de foudre qui renversent un trône, tout cela, qui est de l’histoire, aurait tenté le génie de Shakspeare, si Shakspeare avait vécu là.
Avec une étonnante sûreté d’instinct, le jeune étudiant devina quel parti on pouvait tirer d’un pareil sujet. Mais il ne se pressa pas, et, avec une patience plus étonnante que sa conception même, il mûrit son œuvre pendant plus de sept années. Il poursuivait l’idée d’un genre mixte qui ne serait ni le drame ni l’histoire proprement dite, moins que le drame, plus que l’histoire, ou plutôt autre chose. Ici la réalité devait fournir tous les matériaux, l’art devait les disposer et construire l’édifice, mais disparaître ensuite pour ne laisser voir que l’histoire mise dans un plus éclatant relief.
Ainsi naquit la Ligue. L’ouvrage se distribuait naturellement en trois parties, représentant les phases variées d’une même action : ces trois faits, la journée des Barricades, la mort de Guise à Blois, celle de Henri III à Saint-Cloud, s’expliquent en effet, se complètent, se dénouent les uns par les autres. Ils sont liés entre eux comme ces antiques légendes où le génie grec puisait l’inspiration de ces tragédies successives que l’on appelait une trilogie. De plus, par une loi de symétrie singulière, ces faits dominateurs se trouvent répartis dans les années 1588 et 1589, à une distance égale de mois et de jours, comme si la réalité même invitait l’auteur à la suivre jusque dans les divisions de son œuvre. L’histoire a de ces coïncidences étranges et de ces retours tragiques, qui ressemblent aux conceptions d’un Eschyle.
Le succès dépassa les plus beaux rêves de l’auteur. Ce n’était cependant ni le prestige de la scène ni l’imprévu de l’action qui attiraient à cet ouvrage l’intérêt passionné du public. Le dénouement, les péripéties qui l’amènent, les personnages qui s’y montrent, tout est scrupuleusement emprunté à l’histoire, et chaque lecteur savait d’avance où le conduisait l’écrivain. Où donc était l’attrait, bien vif et bien réel pourtant, de la curiosité publique ? Il était tout entier dans cette double faculté du jeune auteur : le sens psychologique appliqué à l’histoire, et le sens pittoresque de la réalité ressuscitée avec éclat.
L’invention, elle est là : dans la peinture des caractères d’abord. Analyser ainsi, c’est découvrir. Comme tout s’éclaircit, se démêle dans les trames obscures de ces intrigues ! Comme tout devient réel en même temps que logique, dans ce chaos d’événements invraisemblables ! C’est que l’auteur déplace habilement le foyer d’où il fait jaillir la lumière. Il éclaire ses personnages du dedans, en montrant leurs passions, au lieu de les éclairer du dehors, en montrant seulement leurs actions. Il a entendu ces entretiens secrets de Henri III et de sa mère ; il était là, n’en doutez pas, aux conférences de l’hôtel de Guise ; il a surpris la confession du roi, la veille de l’assassinat de Blois ; il s’est glissé dans le cloître des Jacobins, lorsque s’y préparait, dans une extase malsaine, le poignard de Jacques Clément. — À quoi s’attacher dans cette mêlée, si ce n’est au drame lui-même et au talent qui nous conduit ? Que choisir entre l’ambition effrénée des Guises et l’égoïsme tortueux de la vieille Catherine de Médicis ? Entre la basse démagogie conduite par des moines fanatiques ou les intrigues de cour tramées par les mignons ? À peine si de loin en loin, dans ces ténébreuses horreurs, on voit passer l’éclair d’une brave épée comme celle de Crillon, qui fait pâlir Henri III lui proposant un assassinat, ou la lueur d’une parole honnête comme celle du président de Harlay, qui décontenance le vainqueur des Barricades. Cependant, une grande consolation brille à l’horizon de ce sombre drame. En face de ce personnage si finement analysé, de cet Henri III, assemblage monstrueux de vices qui grandissaient toujours et de qualités qui s’évanouissaient une à une, lâche dans la rue et dans son palais, capable encore d’éloquence et même de dignité, comme devant les États à Blois, ou de bravoure sur un champ de bataille, libertin sceptique et dévot, perdant en un moment de frivolité le bénéfice d’une longue dissimulation, jeune et si vieux, si usé de corps et d’âme, devant cette dernière ruine d’une race qui n’avait pas été sans gloire, paraît un homme, un homme enfin. C’est un soldat, c’est un roi, et il porte en lui l’âme de la France.
À cette faculté d’analyse se joint, à un degré rare, le sens pittoresque de l’histoire. Voyez comme le jeune auteur sait garder la note exacte du langage du temps, comme il observe chaque détail, comme il décrit minutieusement les costumes. Voici les conjurés du château de Blois avec le pourpoint de soie et le petit manteau de velours, les dames avec la gibecière suspendue à la ceinture et le demi-masque noir, les ligueurs avec le grand manteau de serge brune, le chapelet au cou et la croix blanche. Tout ce monde s’agite, se meut dans une succession de scènes qui ressemblent à la vie. L’auteur, qui devient poëte, ranime l’histoire au feu de son imagination, il l’évoque du fond du temps et de l’oubli. Avec quel art il introduit sur la scène ce personnage nouveau, anonyme, le peuple ! Comme il excelle à nous montrer ses meneurs, ses héros, ses victimes ! Avant lui, personne n’avait songé en France à rien de semblable. Ici c’est le tumulte humain des capitales soulevées, les bas-fonds de l’histoire montrés au jour, les convoitises de la rue ameutées autour des ambitions d’en haut. C’est l’orageuse démocratie de la Ligue saisie dans sa réalité, dans les églises, sur la place de Grève, à l’Hôtel-de-Ville ; les bourgeois de Paris, comme Crucé, qui sont Ligueurs parce que la Ligue, c’est l’opposition ; les personnages avisés comme le président Brisson qui, voulant ménager un alibi à sa conscience, jure fidélité à l’Union et dépose en même temps une protestation chez son notaire ; les mariniers, les portefaix qui remplissent les carrefours de rumeurs insensées ; les plaintes contre le duc de Mayenne, que l’émeute a proclamé lieutenant général, qu’elle veut destituer aujourd’hui, avec ce mot sublime : « C’est nous qui l’avons nommé, il doit nous obéir ; » le pillage des maisons suspectes sous prétexte d’y trouver des armes, la guerre aux écussons royaux ; l’élection improvisée des officiers de la garde civique, leur impopularité du lendemain, les sobriquets dont on accable, sous les piliers des halles, « ces capitaines de la morue ou ces capitaines de l’aloyau » ; c’est enfin l’irruption du peuple dans la salle du conseil des Quarante, venant dénoncer les traîtres et demander leur tête. Tout ce tumulte de cris et de coups, ces orgies de parole, ces fureurs entremêlées de bouffonneries, la populace en face de la Cour ou des Guises, tour à tour maîtresse et dupe, voilà vraiment une partie du drame de Shakspeare retrouvée. On croit entendre là comme un écho terrible ou grotesque des foules que le poëte anglais jette sur son théâtre et que les révolutions, ces émules de Shakspeare, lancent à travers notre histoire ; c’en est tantôt le rire brutal, tantôt le rugissement.
Il n’est pas douteux que ce soin scrupuleux de la mise en scène, cette préoccupation de la couleur locale et cette idée hardie de faire passer la rue au travers de son drame, ne marquent la participation de l’auteur, dans une certaine mesure, au mouvement de la nouvelle école et une intelligence rare de ce qu’il y avait de juste dans ces innovations. Il fut même, dans cette voie, un précurseur. La Journée des Barricades est de 1826. Le Cromwell de M. Victor Hugo est de 1827, la Jacquerie de M. Mérimée de 1828. Enfin un homme d’une puissante imagination, qui n’a pas été lui-même votre confrère, mais qui l’est devenu par une sorte d’adoption rétrospective dans la personne de son fils, M. Alexandre Dumas, donnait en 1829 au Théâtre-Français une pièce fameuse, Henri III et sa cour, visiblement inspirée par les Scènes de la Ligue. De tels noms et de telles œuvres ne sont-ils pas le plus bel éloge d’un auteur et le plus délicat hommage à ce talent inventif qui, dès sa première jeunesse, avait créé un genre dans notre littérature et préparé l’avénement du drame historique sur notre scène ?
Malgré le succès, M. Vitet n’insista pas dans cette voie qu’il avait ouverte. Il n’y revint qu’une fois, beaucoup plus tard et en passant, avec les États d’Orléans. C’est au moment où il achevait la Ligue que, dans un voyage à Bruges, devant les vieilles peintures d’Hemling, il sentit se révéler avec une force irrésistible sa vocation pour l’interprétation du beau, ou, comme il le disait, pour la psychologie appliquée à l’art (4 ). De l’histoire il passait à l’art, en y transportant les mêmes et rares qualités du sens pittoresque et de l’analyse. La période d’initiation est terminée, avec quel éclat, nous l’avons vu. C’est l’heure décisive de la vie où il faut comprendre l’appel de sa destinée, mesurer ses forces, bien choisir son but et n’en plus dévier. La gloire, ou à son défaut l’estime des hommes, est à ce prix.
Si l’on veut se rendre compte de cette existence et du labeur immense qui la remplit, que l’on ouvre les quatre volumes où il a recueilli lui-même, sous un titre modeste, ses principales Études sur l’Histoire de l’Art. Il y faut joindre plusieurs autres publications, l’Histoire du Louvre, l’Académie royale de peinture et de sculpture, et un grand nombre d’études, semées dans divers recueils selon l’occasion et l’attrait des sujets. De 1829 à 1870, les contemporains de M. Vitet ont vu s’élever pièce à pièce ce monument inachevé, mais dont le regard peut saisir la sévère ordonnance, sensible encore à travers tant de lacunes, depuis les Marbres d’Éleusis jusqu’au Nouveau Louvre.
N’est-ce pas son propre esprit que M. Vitet décrit, sans y penser, quand il demande à l’historien de l’art d’entrer dans la vie de chaque siècle, dans l’esprit de chaque société, de s’initier à toutes les écoles, de compter avec tous les goûts, de comprendre tous les succès, ceux-là même qu’il approuve le moins, en se gardant bien pourtant de porter jusqu’à l’indifférence cette sorte d’impartialité ? Il n’appartient ni à l’école érudite qui n’aboutit qu’à des nomenclatures, ni à l’école dogmatique qui ne produit que des généralités, encore moins à l’école réaliste qui, au lieu de juger les œuvres, n’aspire qu’à en donner la sensation en les peignant avec des mots. Il abonde en idées générales ; mais ce ne sont pas chez lui des thèses, ce sont des vues d’ensemble sortant de l’examen des faits. Le fond de sa critique, sa substance pour ainsi dire, c’est une quantité presque incroyable de notions exactes sur des matières obscures et difficiles. Un grand talent d’écrire l’aide à porter sans peine et même avec une sorte de grâce le poids de cette érudition. Technique et pittoresque, sa critique est à la fois science et vie. Elle a l’autorité, parce qu’elle a la précision des connaissances et la fermeté du jugement. Elle a le charme, parce qu’elle joint à ces qualités sévères l’imagination et la passion qui animent et colorent tout.
Une science entière relève de M. Vitet, l’archéologie chrétienne. Dans les domaines illimités de l’art, c’est là sa conquête propre. Le moyen âge et particulièrement notre architecture nationale, ses origines démêlées, ses phases diverses décrites et distinguées, son épanouissement, son déclin, voilà le champ nouveau où l’originalité de M. Vitet se déploie, sans précédents et sans tradition. C’est par là qu’il continue Winckelmann, qu’il le complète et l’agrandit. Il comble l’intervalle qui séparait deux mondes : Rome et la Renaissance. On semblait croire, dans une école faussement classique, que pendant plus de dix siècles l’humanité n’avait pas vécu de la vie de l’art, comme si ces longs silences ou ces longs sommeils des facultés les plus vives étaient possibles ou vraisemblables, comme s’il pouvait se faire que, à travers tant de générations, l’homme n’eût empreint nulle part ses émotions ou ses rêves, ni sur un monument, ni sur un marbre, ni sur une toile, ni dans une strophe digne d’être conservée ! N’exagérons rien pourtant. La renaissance d’un christianisme pittoresque avec l’école de Chateaubriand avait mis quelques esprits en éveil. Il y avait eu çà et là de vaillants pionniers, frayant la route vers ce monde nouveau ou perdu. Mais à ces efforts isolés manquait quelque chose, la méthode. C’est elle qu’apportait cet esprit ardent et scientifique, inventif et sagace, hardi et réglé. En ce sens, on peut dire que M. Vitet a été le révélateur de ce monde si complexe de l’art au moyen âge, où tout se lie, tout s’enchaîne comme dans les autres époques de l’art, l’architecture, la poésie, la musique, et dont toutes les régions ont été au moins une fois visitées par cet explorateur infatigable, depuis les Neumes jusqu’à la Chanson de Roland, depuis Notre-Dame de Noyon jusqu’aux premiers essais des peintres flamands.
Au lieu de définir cette méthode, voyons-la en acte. C’est toujours quelque problème d’origine que se pose M. Vitet, une date à rétablir, un nom à retrouver. Problèmes restreints et limités en apparence, mais qui portent en eux un monde d’idées et de faits. Aussi quelle patiente enquête, quel discernement de toutes les circonstances les plus minutieuses d’où peut sortir une indication, jaillir un trait de lumière ! Jamais le sens de l’analogie et de l’analyse n’a été appliqué avec plus de finesse, ni l’induction conduite par une connaissance plus sûre du milieu historique ou social qui explique les monuments. Quelle plus belle conquête que cette victoire sur le passé qui veut garder son secret ? Et quel plus délicat plaisir que de faire cesser cette anarchie grossière des idées, cette confusion barbare des temps, s’il est vrai « que le goût véritable consiste à sentir les différences dans les choses qui se ressemblent » ?
Grâce à lui, plusieurs des grandes lois de l’architecture chrétienne sont entrées dans le trésor commun de l’histoire. Quelques-unes nous sont devenues familières à ce point qu’il semble étrange aujourd’hui qu’on ait eu quelque mérite à les découvrir. Mais n’est-ce pas le signe des belles inventions qu’elles passent dans l’esprit humain sans nom d’auteur et finissent par perdre, dans l’usage de tous, la marque de leur origine ? Ne poussons pas cependant jusqu’à l’ingratitude ce droit qu’exerce l’humanité de s’emparer des découvertes du talent ou du génie, en oubliant le nom de celui qui les a faites. Rappelons au moins une des vues qui dominent l’œuvre de M. Vitet. C’est lui qui a mis en lumière ce grand fait, à savoir que le style qu’on appelle improprement gothique, le style à ogive, est indigène, au moins comme système. Il n’est pas né en Orient, comme on l’a cru longtemps. Il n’est pas né au-delà du Rhin, comme on le soutient aujourd’hui dans un pays où l’on aime les annexions, où l’on essaye d’en faire jusque dans le passé. Il est essentiellement français et national.
Dans ces démonstrations, votre confrère mettait, avec son imagination et sa raison, tout son cœur. L’art ogival, c’était pour lui la France du moyen âge à l’heure la plus intéressante de son histoire. C’est un admirable chapitre de nos annales qu’il écrit à cette occasion. Dans l’histoire de l’ogive, dans la simple apparition de l’arc brisé, il se plaît à voir tout un mouvement d’idées : c’est l’esprit du douzième siècle, esprit novateur, hasardeux, systématique ( 5). Le plein cintre est le symbole attardé de l’ancien état social, le type de l’art hiératique, vivant de traditions et de règles. L’ogive marque une évolution en voie de s’accomplir. Elle est le signe architectural d’une société nouvelle, tourmentée d’une fièvre d’affranchissement. C’est la pensée laïque qui se révèle. « La foi ne perd rien de son ardeur, mais elle se sécularise, pour ainsi dire. »
L’art fait de même. Les architectes n’appartiennent plus ni à l’église ni à aucun ordre ; ils sont tous des bourgeois, vivant de leur travail et gagnant leur salaire. À peine reste-t-il dans le fond des cloîtres quelques vieux moines essayant encore de manier l’équerre et le compas. Mais l’ogive n’est pas à eux ; ils n’en comprennent pas la langue, ils en redoutent même les hardiesses. Ces formes insolites, ces défis superbes aux lois de la pesanteur, ces aspirations et ces élans de la pensée en dehors de toute tradition, les troublent vaguement. Ces poëmes de pierre les inquiètent par leur fantaisie. Ils y voient quelque chose comme un paradoxe contre les règles de leur art, peut-être même une tentative audacieuse contre la nature. Et, tandis qu’ils se retirent, des chantiers où s’élèvent nos cathédrales, voici que partout se fondent des associations puissantes et nombreuses de travailleurs, qui s’emparent de la construction des églises et des châteaux. Ces fraternitates, confréries laïques, premier type des corporations ouvrières, tout à la fois libres dans une certaine mesure et obéissantes, disciplinées sous un mot d’ordre qui contient le secret de l’art nouveau, c’est le travail associé, la liberté associée, parce qu’elle se sent faible encore, mais c’est déjà la liberté. Ce n’est pas la révolte, c’est le réveil.
On voit ce que deviennent les questions les plus arides, vues de si haut, l’art interprété avec cette puissance, l’histoire associée à l’art et comprise avec cette largeur d’idées. Cette méthode qui produisit de si belles découvertes, cette passion qui anime les problèmes les plus abstraits, M. Vitet les apportait également dans les autres régions de l’art où l’entraînait sa vive curiosité. La passion ! Le mot n’est pas trop fort pour peindre et cette ardeur de poursuite, tant que le résultat n’est encore qu’entrevu, et cette plénitude de jouissance quand il est enfin conquis et possédé. Le signe de la passion est de se communiquer. Or je défie qu’on lise sans une émotion croissante soit les pages où le génie primitif de la Grèce, le génie archaïque et dorien, est retracé en traits si vifs à propos de Pindare et des Marbres d’Éleusis, soit les études sur les Peintres flamands et hollandais ou les Fresques de San-Onofrio. À l’occasion de cette fresque célèbre et de son auteur inconnu, il faut voir quelle gradation d’intérêt dans tout le morceau, moitié enquête, moitié récit, quel art dans la construction des preuves, dans la préparation de la certitude finale ; c’est tout un petit drame. M. Vitet arrive à un tel degré de conviction qu’il ne permettrait pas à Raphaël lui-même, s’il revenait au monde, de nier que ce soit là son œuvre. « Vous avez vos raisons pour n’en pas convenir, répondrait-il lui aussi à Raphaël, mais cette fresque est bien de vous. » Pour se représenter quelque état d’esprit analogue à celui de M. Vitet, trouvant la preuve sans réplique et inscrivant sur cette page le nom de Raphaël, il faudrait imaginer M. Cousin retrouvant le Discours sur les Passions de l’amour et reconnaissant à chaque ligne la marque souveraine de Pascal. Il ne faut pas moins que cela pour donner l’idée de la joie de M. Vitet, montrant dans chaque détail de la fresque, à mesure qu’elle sort de l’ombre, le signe du dieu de la peinture, éclatant comme le jour.
Ce n’est pas sans regret que l’on quitte la région de ces beaux problèmes et de ces luttes où vainqueurs et vaincus s’estiment et s’éclairent, pour rentrer dans le monde des controverses âpres et sans merci, des victoires sans lendemain, des défaites sans consolation. Nous devons suivre un instant M. Vitet sur le terrain de la politique où il se laissa entraîner par ceux de ses amis qui l’y avaient précédé. Est-ce un bien, est-ce un mal qu’une intelligence née pour d’autres emplois ait cédé à ce dangereux appel ? Si l’on ne consulte que l’intérêt de M. Vitet, son bonheur ou ses études, la question n’est pas douteuse, l’abstention eût mieux valu. D’autre part, n’est-il pas d’un bon exemple de voir des esprits de cette trempe se mêler aux débats où se décident les grands intérêts du pays, ne fût-ce que pour maintenir l’habitude des principes, l’élévation et la pureté du langage, dans cette mêlée où le goût exclusif des faits et des calculs, la familiarité des discussions improvisées, la violence des passions, risqueraient d’abaisser le niveau des intelligences ? Député de 1834 à 1848, président du comité des finances au conseil d’État, rapporteur plusieurs fois élu de la commission du budget devant la chambre, plus tard membre de l’assemblée législative en 1849 et de l’assemblée nationale en 1871, il étonna ses collègues par la précision de ses connaissances, par sa compétence dans les questions les plus difficiles. Esprit vaste et généralisateur, capable de traiter de haut les plus grandes affaires, il ne se produisit que rarement par des discours ; il se défiait à la fois de son ardeur et de sa timidité devant les assemblées et redoutait cette épreuve de la tribune où la haute culture et le goût ne sont pas toujours des garanties de faveur ou de succès. Il préférait la considération au pouvoir. Il l’obtint. Mais, bien qu’il fît grande figure dans les assemblées et que la supériorité de son esprit se fit partout reconnaître et sentir, bien qu’on l’invoquât souvent d’un côté de la chambre et qu’on le redoutât de l’autre, on peut dire que le désir d’être utile à ses amis fut pour beaucoup dans l’activité qu’il y déploya. Sa politique se composait, pour une moitié, de ses idées, pour une autre moitié, de ses affections. Ajoutons que ses affections ne furent jamais en désaccord avec ses principes, puisqu’elles s’appelaient Casimir Périer, le duc de Broglie, M. Guizot. Ce nom, Messieurs, me rappelle un témoignage récent, présent à toutes vos pensées, de cette noble et mutuelle sympathie. Le dernier travail de M. Vitet a pour objet l’Histoire de France de M. Guizot, et, par une réciprocité vraiment touchante, les dernières pages de l’illustre historien sont dédiées à la mémoire du vaillant témoin de ses luttes politiques, qui l’avait de si peu précédé dans la mort ( 6). Ne dirait-on pas que ces deux amitiés ont voulu se consacrer l’une et l’autre devant l’histoire, dans leur attitude d’inviolable fidélité, par cette suprême et fraternelle étreinte de deux mains tendues sur le bord du tombeau ?
Parlementaire convaincu, libéral incorrigible, modéré avec passion, après qu’il eut vu successivement tomber sous une émeute la monarchie constitutionnelle et le régime parlementaire sous un coup d’État, ayant épuisé la résistance, le cœur brisé mais l’âme fière, il se retira de la vie politique et reprit son métier d’écrivain. Sur le rivage où l’avait rejeté la tempête, avec des sentiments bien contraires à l’indifférence voluptueuse du sage de Lucrèce, il suivait des yeux et du cœur cette navigation incertaine qui depuis plus de quatre-vingts ans promène d’écueils en écueils la fortune de la France et son histoire. Il agitait dans sa pensée solitaire ce problème qui a préoccupé tous les grands esprits de notre temps : Pourquoi la révolution française n’a-t-elle pas encore réussi ? Son but légitime sera-t-il atteint un jour ? Jouirons-nous enfin d’une France libre et pacifiée où les partis ne seront plus, comme aujourd’hui, des passions irréconciliables, mais des opinions également raisonnées, bien que différentes, sur la manière d’entendre le progrès ou l’opportunité des applications ? Et reportant sur l’Angleterre un regard noblement jaloux : « En vérité, s’écriait-il, si l’Angleterre n’avait pas son ciel gris, son froid soleil, sa brumeuse atmosphère, et l’ennui, cet autre brouillard qui la couvre et l’enveloppe, sa part serait trop belle parmi les nations. » Il ne voulait parler ni de sa richesse, ni de sa puissance, c’est d’un bien plus rare qu’il s’agissait. L’Angleterre a fait une révolution, elle a couru cette terrible chance ; elle en a subi les maux, les excès, les folies, et la conquête qu’elle s’était promise au début de cette grande épreuve, non-seulement ne lui a point manqué, mais depuis bientôt deux siècles elle l’a gardée.
Pourquoi cela et d’où vient cette différence entre les deux nations ? M. Vitet repoussait bien loin les explications fatalistes que produit ou l’indolence humaine ou une fausse science ( 7). Tout en faisant la part des circonstances, il soutient cette fière doctrine que notre liberté est l’ouvrière de nos destins, et que les peuples comme les individus sont, quand ils le veulent, maîtres de leur histoire. Mais, pour cela, il faut que les peuples fassent ce que font les individus qui se conduisent et se redressent par la raison. Il faut que la nation française tâche de réformer son tempérament mobile à l’excès, avide de nouveauté, passionné pour le drame dans l’histoire ; qu’elle comprenne que l’esprit révolutionnaire est le pire ennemi de la Révolution dont il compromet les plus justes conquêtes ; surtout qu’elle essaye de se créer des habitudes de stabilité dans des institutions définies et comme une discipline de liberté raisonnable, de liberté se modérant par la loi. Enfin M. Vitet sentait et proclamait par son exemple que le respect du droit ne sera fondé parmi nous qu’à la condition que tous les partis le pratiquent également, qu’aucun d’eux ne crée de lois d’exception à son profit, que le droit se manifeste comme le pacte de la raison imposé à tous, quand il n’est trop souvent que l’instrument variable des intérêts et la parure des ambitions.
À ce moment de sa vie où la politique, le trahissant de nouveau, rejetait M. Vitet dans les lettres, depuis six ans déjà, il était des vôtres, et depuis plus longtemps encore, devançant vos suffrages, une Académie voisine avait associé comme membre libre à ses travaux l’auteur du savant rapport sur les églises du nord-ouest de la France, l’inspecteur général des monuments historiques qui avait sauvé de la ruine et de l’oubli, plus injurieux que la ruine, tant de précieuses reliques de l’art national. Vous, Messieurs, vous aviez récompensé en lui d’autres mérites : la fermeté de sa critique, la hauteur de ses doctrines, cette vivacité pleine de feu, cette flamme d’imagination qui colore la science, le mouvement de la pensée sensible à travers les formes les plus sévères, une noblesse sans roideur qui n’excluait ni les tours familiers ni la grâce, l’austérité enfin de ce style qui avait à l’occasion son éclair ou son sourire.
Lorsque M. Vitet se présenta devant vous, parmi les écrivains de son temps, il en était peut-être dont le nom était entouré d’un plus grand éclat de célébrité, il n’en était pas dont la réputation fût fondée sur une plus belle élite de suffrages. Il avait mieux que la popularité, il avait l’autorité. Populaire, il ne l’était pas, il ne pouvait pas l’être. On ne l’est qu’au prix de certaines complaisances ou de concessions qui n’allaient guère à la libre et fière allure de son talent. Mais ce qu’on a peine à croire, c’est que, dans les rangs les plus élevés de la société on trouvait des hommes d’un esprit très-cultivé auprès desquels ces grands travaux, ce rare mérite n’avaient pas encore pénétré. En voici une preuve singulière. Un ami de M. Vitet nous a raconté qu’au moment où se produisit cette candidature digne de tous vos suffrages, étant allé voir le comte Molé, il rencontra dans l’homme d’État un silence peu bienveillant. M. Molé avait bien, il est vrai, quelque raison d’en vouloir à l’un de ces transfuges de la majorité parlementaire qui avaient décidé du triomphe de la coalition. Il faut pardonner beaucoup à un ministre renversé : il faut même lui accorder le droit de ne pas lire avec empressement les œuvres d’un homme qui a voté contre lui. « Mais enfin, lui dit son interlocuteur devenu plus pressant, connaissez-vous l’étude sur Eustache Lesueur ? — Assurément non. — Eh bien ! promettez-moi d’y jeter les yeux et nous reprendrons cet entretien. » Cette étude avait été le plus grand succès des dernières années dans le public des lettrés et des artistes. Heureux ceux qui, à une heure bénie du travail et de l’inspiration, « se sont élevés d’un jet à l’idéal d’eux-mêmes » et donnent enfin dans un sujet choisi, étudié avec soin, traité avec amour, la plus haute mesure de leurs plus nobles et de leurs plus délicates facultés ! Cette heure était venue pour M. Vitet. C’est là qu’il se montre sous son plus beau jour, dans le plus harmonieux résumé de ses connaissances si exactes, de son goût le plus pur, de son talent d’écrivain. Il semble que, par une sorte d’harmonie préétablie entre le peintre et son critique, cette simplicité de Lesueur, cette absence complète de recherche et d’apparat, ce don de l’expression par lequel il nous pénètre et nous ravit, cette chasteté, cette tendresse de pinceau, toutes ces qualités exquises et rares ont passé dans chaque page de cette étude et l’ont comme animée d’un souffle de l’âme du peintre. On s’aperçut que le charme avait agi lorsque, peu de jours après, M. Molé répondit loyalement à de nouvelles ouvertures : « Je suis à lui ; un homme qui a écrit de telles pages appartient à l’Académie. » On s’en aperçut mieux encore au discours par lequel M. Vitet fut accueilli dans cette enceinte : par une rencontre piquante, c’était M. Molé qui devait recevoir votre nouveau confrère. Comme vous le pensez, Eustache Lesueur ne fut pas absent de la fête : un siècle et demi après sa mort notre grand peintre avait fait un académicien et lui souhaitait la bienvenue sur le seuil du temple.
Ce que fut ici la vie de M. Vitet, il ne m’appartient pas de le dire. Je ne puis cependant passer sous silence ces témoignages publics qu’elle a laissés d’elle-même, soit les paroles d’adieu suprême, prononcées au nom de l’Académie sur la tombe d’Alfred de Musset, avec l’accent des vraies douleurs et de la plus éloquente pitié, soit les discours qu’il adressa, comme directeur de votre compagnie, à quelques-uns de vos confrères, un poëte, l’hôte et l’ami des solitudes alpestres, plus tard deux écrivains célèbres qui, par l’éclat et le charme du talent, avaient conquis pour le roman droit de cité parmi vous ; un prêtre enfin, philosophe éloquent, une âme pure, sœur de Fénelon pour la recherche ardente, héroïque de la vérité, comme pour l’héroïsme le plus difficile, celui de la soumission ( 8). Avec quelle grâce et quelle souplesse d’esprit M. Vitet s’acquitta de ces tâches si variées, on s’en souvient. Le public, avant cette épreuve, avait peine à se figurer qu’un tel homme, consacré à l’art antique, pût être à l’aise pour louer, dans une séance comme celle-ci, ces œuvres d’un accent si moderne, ces peintures émues et fines de nos mœurs, Marianna ou la Maison de Penarvan, la Petite Comtesse ou Sibylle. Comme il triompha de cette difficulté nouvelle et dans quelle belle langue, élevée et transparente, il nous entretint du roman et du théâtre ! Je l’entends comme si c’était hier j’entends cette voix ferme, accentuée, vibrante, ce débit noble et fin, où se peignaient les nuances de la pensée sans aucune de ces affectations de détail qui nuisent aux effets d’ensemble ou aux mâles impressions d’un discours. L’auditoire était ravi. Des traits charmants ou profonds renouvelaient à chaque instant et soutenaient l’attention. Et ce n’étaient pas de ces éclairs de mots qui surprennent d’abord le regard et ne laissent, après le premier éblouissement, qu’une impression confuse et pour ainsi dire matérielle. C’étaient ces lumières d’idées qui jaillissent d’une raison vive, laissant derrière elles une clarté immatérielle et durable.
Dans les salons comme à l’Académie, votre confrère exerçait une sorte de magistrature du goût. Si quelque nouveau Roederer fait l’histoire de la société polie au XIXe siècle, on verra quelle place y occupait M. Vitet, sans y avoir jamais songé. Dès qu’il paraissait quelque part, on tendait à sa réserve habituelle des piéges innocents pour lui faire dire ce qu’il pensait de telle œuvre, de tel écrivain ou artiste nouveau. Il le disait simplement, mais avec précision, en donnant à l’appui de son opinion quelques motifs décisifs. Il était par excellence, dans les choses de l’esprit ou de l’art, un juge presque infaillible. Dans ses entretiens les plus familiers se répandait quelque chose de ce goût exquis, formé de la fleur et comme du parfum des chefs-d’œuvre qu’il avait respirés, avec lesquels il avait vécu. L’art moderne lui donnait plus d’une occasion de censure ; son goût si pur s’attristait et blâmait souvent. Puis, quand il avait jugé l’œuvre d’hier ou réduit, à sa juste mesure le succès du jour, il revenait à ses études de prédilection et se réfugiait très-haut dans l’art ou très-loin dans l’histoire, cherchant, loin de la foule et du bruit, l’austère et jalouse ivresse de la solitude.
Faut-il s’étonner qu’une telle âme fût naturellement religieuse ? M. Vitet trouvait le christianisme partout en lui et autour de lui, dans son cœur, dans ses études, dans sa famille. Mais il se tint longtemps, à l’égard des idées religieuses, dans les termes d’une sympathie respectueuse, ce qu’il appelait spirituellement lui-même « une conviction théorique ». Du jour où il eut perdu une femme tendrement aimée ( 9), dont le souvenir représentait pour lui vingt-cinq années de bonheur, il se sentit attiré plus près vers le sanctuaire par une force irrésistible, comme si c’était là le chemin de ses plus chères espérances. Ce retour n’était-il pas, d’ailleurs, la suite naturelle et comme la récompense mystique de ces études sur l’art chrétien, qui avaient rempli la meilleure part de sa vie ? Après avoir bâti sa cathédrale avec un soin et un amour infinis, dans le style le plus hardi et le plus pur, après l’avoir ornée des plus fines sculptures et l’avoir remplie des divines harmonies dont il avait retrouvé la langue dans les manuscrits du moyen âge,il sentit combien tout cela serait froid, abstrait et vide, si la foi ne l’animait pas. Comme par une dernière bienséance et par un pieux scrupule d’artiste qui ne voulait pas laisser son œuvre inachevée, — disons mieux, — touché lui-même des émotions et des sentiments qui avaient renouvelé l’art et qu’il avait peints avec tant de feu, une fois son église idéale construite, il y vint s’agenouiller et prier. La prière complétait l’œuvre de sa vie et donnait pour ainsi dire une âme à son monument.
M. Vitet n’eut à faire aucun sacrifice douloureux à sa foi nouvelle ; il garda toutes ses convictions anciennes, en les élevant à cette hauteur où les vérités qui se combattent dans la sphère des passions humaines, s’éclairent et se concilient comme sous un rayon divin. Qu’on relise les pages généreuses dans lesquelles il étudie l’état actuel du Christianisme en France. De quelle main ferme il saisit les termes du grand problème qui nous divise les uns les autres, et souvent même partage chacun de nous comme en deux esprits irréconciliables ! Tout en constatant le réveil des croyances religieuses, leur développement continu à travers les crises apparentes et les hostilités conjurées, avec sa grande expérience des temps modernes, il déclare hautement que tout cela n’est qu’une conquête sans lendemain, s’il ne s’établit une sincère et profonde harmonie entre l’Église et la société telle que l’a faite le dix-neuvième siècle. Est-ce donc un rêve ? Est-ce une utopie que l’idée d’un tel accord qui assurerait la paix des consciences et le respect de tous les droits ? M. Vitet jugeait cet accord possible, parce qu’il le proclamait nécessaire. Le respect de la liberté humaine, l’amour du droit, la protection des faibles, la lutte contre la force tyrannique et barbare, n’est-ce pas là l’origine historique, la raison humaine de l’Église, le secret de ses triomphes et sa gloire la plus pure ? Ne peut-elle faire une paix durable avec la liberté, s’accommoder à son régime, comprendre et bénir ses bienfaits, sans absoudre ses erreurs et sans approuver ses crimes ? Puis, se tournant vers la Démocratie et reprenant avec force une doctrine chère à M. de Tocqueville : « Qu’espérez-vous fonder toute seule, disait-il ? Vous ne pouvez vivre, vous ne pouvez durer qu’avec une discipline morale qui s’impose à cette multitude de libertés affranchies et souveraines. Cette discipline salutaire, ce frein sauveur, vous ne les trouvez nulle part en dehors du Christianisme. Croyez-vous donc pouvoir le remplacer quand vous l’aurez détruit ? Ne crée pas qui veut une foi religieuse. C’est folie seulement de le tenter. »
Nous n’avons pas à chercher pourquoi, d’un côté ou de l’autre, les conseils de M. Vitet furent si peu écoutés. Mais c’est notre droit de prévoir que, si l’on y reste obstinément sourd, si deux intolérances contraires se tiennent résolument en armes l’une en face de l’autre, comme pour se détruire, nous sommes condamnés à des épreuves pires que celles que nos pères ont connues. Rien ne serait plus à craindre pour l’avenir du monde que l’antagonisme devenu implacable entre la société civile et la société religieuse, et la triste nécessité pour nos descendants d’avoir à choisir entre une église sans tolérance ou une démocratie sans Dieu.
C’est dans cet ordre de graves méditations qu’une autre tempête, bien imprévue celle-là, vint surprendre M. Vitet : c’était la guerre de 1870. Il se fit en lui comme une transformation. Le vieillard méditatif se redressa sous le coup de nos malheurs, animé d’un sombre enthousiasme. Quelle que soit la tristesse de ces souvenirs, je ne puis ni ne dois m’y soustraire. Vous me reprocheriez de ne rien dire de ces Lettres fameuses du siége que la Revue des Deux-Mondes, faisant campagne à sa manière, publia de quinzaine en quinzaine jusqu’au lendemain de l’armistice. Je viens de relire ces lettres avec une émotion poignante et je ne voudrais en ôter qu’une page. J’ai revu la physionomie de Paris assiégé ; j’ai entendu encore une fois l’écho lugubre des coups de canon qui pendant quatre mois ébranlèrent nos remparts. De loin et de sang-froid on raillait ces petits écrits où respire l’odeur de la poudre, où frémit la fièvre de la bataille. On critiquait cet optimisme indomptable, qui, à la distance des événements, nous fait douloureusement sourire, cette obstination à prévoir des retours impossibles de fortune, ces naïvetés dans l’interprétation des desseins de la Providence qui devait jusqu’au bout rester inexorable, ces prophéties victorieuses tant de fois démenties, cet espoir contre tout espoir qui se relevait de chaque chute et croyait voir, après chaque nuit d’angoisses, l’aurore d’un jour de délivrance. Ce serait un jeu facile et triste que de relever une à une ces erreurs de prévision ou de jugement. Je ne veux me souvenir que de la mâle vertu qui sortait de ces pages enflammées et vengeresses. L’auteur s’est-il trompé. ? Oui, mille fois. A-t-il fait quelque bien à nos âmes en détresse ? Cela seul importe. Quand on songe à ces jours sinistres, à ces ténèbres morales où nous nous consumions, à l’affolement de cette population immense, qui pourrait en vouloir à un écrivain d’avoir entrepris de relever les cœurs ? Cet optimisme, ces illusions, ce patriotisme obstiné dans l’espoir, tout cela nous était aussi nécessaire que le pain misérable dont Paris se nourrissait alors, tout cela faisait partie des provisions du siège. —Folie ! disaient les gens sages du dehors. Mais j’en appelle à tous ceux qui ont vécu alors avec nous, sans cette folie aurions-nous pu lutter, aurions-nous pu vivre ? Et nous avons lutté, et le 1er février 1871 M. Vitet pouvait écrire fièrement ces mots comme l’adieu aux assiégés et l’épitaphe de la grande ville tombée : « Paris a fait plus que son devoir, il a satisfait à l’honneur. »
Il pensait alors avoir rempli la mesure de ses épreuves. Une de ses consolations avait été de croire que cette guerre marquerait la fin de l’hostilité des classes, réconciliées dans le sentiment pieux de la patrie vaincue et de sa grandeur à refaire. Dernière compensation pour tant de maux subis, que vint lui ravir tout d’un coup la plus odieuse des guerres civiles. De quelle hauteur d’illusion il retomba, et dans quel abîme ! Que devint-il quand il apprit que son vieux Paris était en feu et que ces flammes avaient été allumées par des mains françaises ? Imaginez M. Vitet contemplant des hauteurs de Meudon l’incendie qui dévorait plus que la fortune de la France, plus que sa gloire, son honneur même. Là-bas, vers le vieux Châtelet, dans ce foyer plus ardent qu’ailleurs, n’est-ce pas la Sainte-Chapelle qui s’écroule, ce tabernacle aérien sous lequel il avait autrefois évoqué Joinville et son royal ami (10 ) ? Et voilà que, plus près encore, la fournaise s’allume ; elle enveloppe ce cher et noble palais du Louvre dont il a raconté l’histoire. Ces tourbillons de fumée, est-ce la belle conception de Pierre Lescot qui s’abîme dans les flammes ? Et ces toiles qui devaient être immortelles sous la garde du vieux Louvre, les voilà peut-être qui s’évanouissent dans les airs avec l’irréparable pensée de Lesueur et de Raphaël !
Grâce à Dieu, ce grand chagrin fut épargné à cette âme de patriote et d’artiste. Le vieux Louvre reparut intact dans sa sévère beauté, et le premier rayon qui perça le nuage sinistre amassé sur le Palais de justice fit étinceler au soleil la flèche d’or de la Sainte-Chapelle, seule debout au milieu des ruines, comme si une main invisible, celle de saint Louis, en eût écarté les flammes.
Ces angoisses, ces désastres, coup sur coup, avaient frappé M. Vitet au cœur. La politique, dans une assemblée profondément divisée, ne lui offrait non plus que des amertumes. Est-ce bien l’heure de rappeler ces difficultés sans cesse renaissantes, ces négociations entre les divers groupes de l’assemblée, ces vieilles amitiés refroidies ou rompues au gré d’événements plus forts que la sagacité ou la bonne volonté des hommes, plus forts surtout que le patriotisme des partis ? Ce que M. Vitet souffrit dans ces déchirements, quelques personnes le savent. Il y eut alors des crises terribles, bien qu’inaperçues au dehors, dans sa vie intérieure. Il s’efforçait de voir clair dans le conflit de ses devoirs politiques, et, pour expliquer une de ses décisions les plus graves, il écrivait en 1872 à un ami ce mot simple et profond : « Quand deux devoirs se contrarient, ma règle est d’opter pour celui qui me plaît personnellement le moins. » Excellente maxime en morale comme en politique : se défier de l’amorce d’un plaisir ou d’une amitié qui prennent l’apparence d’un devoir, choisir entre deux devoirs celui qui ne risque pas d’être un intérêt ou un sentiment déguisé, voilà le trait d’une belle conscience.
À tous ces conflits la vie s’use vite. Les natures délicates présentent trop de parties vulnérables pour se risquer impunément dans ces chocs d’intérêts ou de passions. Il y a là pour elles trop de blessures à recevoir. Elles en souffrent jusqu’au jour où elles en meurent. Ce jour approchait pour votre confrère. Tant d’épreuves avaient épuisé sa force de souffrir. À mesure que la vie lui échappait, il semblait ne plus tenir à la terre que par une pensée : la France. Il ne voulait à aucun prix entendre parler de décadence : « Non, non ! s’écriait-il, repoussant avec horreur ce mot sinistre, il n’est pas vrai que ce glas funèbre ait sonné pour notre cher pays... Cet abîme de douleurs où nous sommes n’est ni le seul abîme, ni le plus profond peut-être où nous soyons tombés... Notre histoire en fait foi. Au lendemain de nos ruines, même de nos folies, quelqu’un nous tend la main., quelqu’un combat pour nous, invisible puissance qui semble n’autoriser ces châtiments de notre orgueil que pour mieux laisser voir qu’elle s’obstine à nous protéger et qu’elle nous a donné ce privilége étrange de travailler au progrès de ce monde par nos désastres comme par nos succès. » C’était bien là le sens de ses dernières paroles. Après une courte maladie qui trompa sa famille elle-même, il s’affaiblit rapidement, et dans la soirée du 5 juin 1873 se répandait la nouvelle de sa mort : une mort sereine et calme, bénie par les Pères de cet Oratoire où il avait tant d’amis, consolée par l’admirable dévouement d’une sœur et la piété filiale d’un neveu, son vrai fils par cette génération de l’âme aussi sacrée que l’autre.
Ici et au dehors, partout où il y aura une âme éprise de ces deux grandes choses, l’art et la patrie, le nom de M. Vitet sera honoré. Il a fait mieux que juger des œuvres ; il a composé une œuvre d’un prix infini, sa vie. Il en a maintenu la sévère harmonie à travers de cruelles épreuves. Pas un jour cette âme saine et virile n’a connu la fatigue de vivre. Quand on saisit d’un seul regard l’histoire de cet esprit, qui n’a été occupé que de grandes pensées et dominé que par des passions ions nobles, la condition humaine se relève à nos yeux, on se remet avec plus de cœur à la tâche de chaque jour, et, quelle que soit la vanité de nos efforts au milieu des événements qui nous emportent, on apprend par ce bel exemple que le devoir de la vie est de penser et d’agir comme si l’on était maître de la fortune, et que la première vertu de l’honnête homme est de ne désespérer jamais ni de son temps ni de son pays.
Notes :
2 Étude sur le comte Duchâtel.
3 Étude sur le comte Duchâtel.
4 Les Peintres flamands et hollandais.
5 Notre-Dame de Noyon. — Étude sur Joinville.
6 L’étude de M. Vitet est du 15 mai 1872, celle de M. Guizot, du 1er mars 1874, dans la Revue des Deux-Mondes.
7 Essais historiques et littéraires. — La Convention.
8 MM. de Laprade, Jules Sandeau, Octave Feuillet, l’abbé Gratry.
9 Madame Vitet, fille de M. Scipion Périer, mourut le 12 février 1858.
10 Joinville et saint Louis.