Inauguration du buste de Collin d’Harleville, à Maintenon

Le 27 mai 1866

Camille DOUCET

INAUGURATION DU BUSTE DE COLLIN D’HARLEVILLE

A MAINTENON

Le dimanche 27 mai 1866.

La députation était composée de M. LE Duc DE NOAILLES
ET DE M. CAMILLE DOUCET, chancelier de l’Académie.

DISCOURS

DE M. CAMILLE DOUCET
MEMBRE DE L’ACADÉMIE.

 

MESSIEURS,

Un jour, il y a cent ans de cela, un jeune enfant, ambitieux de devenir un homme, sortait de ce château souverain que nous admirons d’ici et qui abrita tant de gloires. Après avoir traversé cette place, sur laquelle une fête de famille nous rassemble aujourd’hui, il rentrait dans une humble maison située près des bords de l’Eure et annonçait à son père que, grâce à une protection puissante, il venait d’obtenir le moyen d’aller développer au collége de Lisieux tout ce qu’il sentait s’agiter en lui de dons secrets, de séve ardente et de germes féconds.

Le puissant protecteur qui avait eu le crédit et la grâce de faire cette bonne action, c’était le fils aîné du vainqueur de Girone et de Philisbourg, c’était le futur maréchal de France Louis duc de Noailles.

Le petit protégé qui ne demandait qu’à grandir, qui a grandi en effet, c’était le huitième enfant de Martin Collin, avocat à Maintenon et cultivateur à Mévoisins, c’était Jean- François Collin d’Harleville, le futur auteur de l’Optimiste et du Vieux Célibataire.

Un siècle après, et quel siècle s’est écoulé depuis lors ! voici que, par une coïncidence heureuse, sortant à son tour du palais de ses aïeux, un descendant du noble protecteur de Collin d’Harleville vient, au nom de l’Académie française, et par un choix unanime, s’associer à l’hommage public que la ville de Maintenon a voulu rendre au poëte aimé qu’elle est fière d’avoir vu naître, dont elle inspira le génie et dont la gloire lui appartient.

Ce n’est pas au choix, Messieurs, c’est encore moins à l’ancienneté que, pour ma part, je dois l’honneur d’être aussi, dans cette circonstance, le délégué et même l’interprète de l’Académie française. Par une bienveillante courtoisie, par un gracieux usage dont je profite à mon tour, il arrive qu’au lendemain même de leur réception les derniers de la compagnie sont très-surpris de se voir tout-à-coup portés au premier rang. C’est le nouveau venu, c’est le chancelier en exercice que l’Académie a chargé d’accompagner ici son représentant naturel M. le duc de Noailles et de saluer en son nom le monument modeste consacré à la mémoire d’un de ceux dont elle a le plus estimé le talent, les vertus et la bonté proverbiale; bonté telle, Messieurs, que quinze ans après la mort de Collin d’Harleville, un grand poète pouvait dire de lui sans que personne s’en étonnât :

Cet aimable Collin que Paris pleure encor,
Par l’abandon naïf de sa facile veine,
Mérita le surnom qu’ennoblit la Fontaine.

Si Casimir Delavigne faisait ainsi l’éloge de son cœur, le célèbre historien à qui il fut donné de remplacer Collin d’Harleville à l’Académie française, M. le comte Daru, avait fait l’éloge de son esprit et rendu justice à son mérite littéraire, en disant dans son discours de réception :

« L’illustre auteur du Vieux Célibataire a déjà vu sa réputation confirmée par deux jugements : celui du public; juge dangereux parce qu’il est passionné, et celui de la critique, juge encore plus redoutable, par cela même qu’elle cherche à se défendre de toute émotion. »

Confirmée ainsi tout d’abord par la critique et par le public, la réputation de Collin d’Harleville a reçu depuis, et reçoit encore à cette heure, dans sa ville natale, sa dernière consécration des mains de la postérité, juge suprême qui prononce après les autres et mieux que les autres.

La réputation pure qu’il enviait, la préférant même à la célébrité, Collin d’Harleville l’a doublement obtenue pour seul caractère et pour ses ouvrages.

Ces études de mœurs fines et délicates, piquantes et gracieuses, ces comédies ingénieuses et spirituelles, honnêtes et souriantes, personne plus que moi, Messieurs, n’aimerait à vous les rappeler ici et à louer encore devant vous leur bon goût, leur bon sens et leur bonne humeur. Mais qui de vous les a oubliées? leur éloge est sur toutes vos lèvres, et comment pourrais-je vous parler des œuvres quand le temps et le lieu me permettent à peine de vous parler de leur auteur ?

Rival heureux de Destouches et de Marivaux, Collin d’Harleville ne remporta pas seulement de brillants succès ; il eut aussi ce mérite, à la fin du dix-huitième siècle, d’exercer sur le mouvement des lettres une influence honnête et salutaire. Le public lui en sut gré, et l’Académie l’en récompensa. Appelé à faire partie de l’Institut lors de sa formation en 1795, des amitiés illustres l’y accompagnèrent et l’y suivirent. Ducis, Andrieux et Picard se partagaient son noble cœur, et leur souvenir fraternel ne saurait manquer de se joindre en ce moment à celui de l’Académie française.

Qu’il nous soit donc permis de remercier, en leur nom comme au nôtre, les compatriotes de Collin d’Harleville, d’avoir songé à honorer dignement et simplement un écrivain simple et digne. Si parfois les hommes, même les grands hommes, sont diminués par l’exagération des hommages qui veulent glorifier leur mémoire, il nous est doux de penser qu’aujourd’hui c’est plutôt le monument qui pourrait sembler petit pour le poète, que le poète pour le monument.