Discours sur les prix littéraires
PRONONCÉ PAR
M. Dany LAFERRIÈRE
Directeur en exercice
le 2 décembre 2021
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Certes, un autre Balzac, Honoré, lui fera plus tard de l’ombre, une ombre si dense qu’elle confine à l’obscurité, mais Guez de Balzac fut un ami si cher à Descartes que ce dernier le défendit ardemment, et en latin, quand il fut attaqué en 1627 pour ses fameuses Lettres. Très proche aussi de Valentin Conrart chez qui se réunissaient les premiers membres de la Compagnie, avant que Richelieu en fît une Académie, Guez de Balzac était déjà un prosateur et un épistolier qui marqua l’éloquence de son époque. Dans cette Compagnie, nous tenons à garder précieusement son nom, ne serait-ce que parce qu’il fut le fondateur de ces prix littéraires que nous attribuons depuis 1671, ce qui fait aujourd’hui trois cent cinquante ans. Un événement que nous désirons porter à l’attention du public par un prix qui ne sera donné qu’une fois : le prix Guez de Balzac. Trois cent cinquante ans d’archives pour tout chercheur qui voudrait faire une étude sur ce rituel qui contribua et contribue encore au dynamisme et à l’expansion des lettres françaises. Les prix de l’Académie française couvrent un vaste territoire puisque ses lauréats viennent de partout en France et non uniquement du quartier latin, mais aussi d’Haïti, de Djibouti, du Congo, de Macédoine, de Belgique, du Japon, du Québec, d’Algérie, du Sénégal, de Tunisie, etc. Et là encore on fait tradition puisque l’Académie a accordé son premier prix à Haïti en 1906 et a répété vingt-sept fois ce geste en comptant les lauréats d’aujourd’hui. C’est un fait peu connu, même en Haïti. Un autre fait ignoré du public est aussi la présence constante des femmes parmi les lauréats de nos prix. Bien sûr que c’est encore maigre, mais c’est beaucoup mieux que dans la Compagnie. En 1671, l’Académie accorda son premier prix d’éloquence à Mlle de Scudéry, une précieuse nullement ridicule, n’en déplaise à Molière. Elle tenait un salon que fréquentèrent des esprits aussi vifs que Mme de La Fayette, Mme de Sévigné, et des académiciens comme Conrart, Chapelain ou Pellisson. Son prix n’en était pas un de copinage car les discours étaient envoyés anonymement au bureau des prix. Elle est surtout connue pour avoir écrit le plus long roman de la littérature française, Artamène ou le Grand Cyrus, un roman en dix volumes que vous ne trouverez sûrement pas chez le libraire du coin. Pour la poésie, les femmes furent plus nombreuses, la plupart aujourd’hui oubliées, comme beaucoup d’hommes de lettres de cette époque. Mme Deshoulières l’a reçu en 1687. Dans la décennie suivante, Mlle Catherine Bernard établit un record en l’obtenant trois fois, en 1891, 1893 et 1897. On dit qu’elle est la nièce de Corneille et la cousine de Fontenelle, mais je répète que les pièces sont envoyées anonymement. Près de deux siècles plus tard, Louise Colet, l’amie de Flaubert, battit enfin le record en l’obtenant quatre fois : en 1839, 1843, 1852 et 1854. Qui dit mieux ? Mme Visme de Wegmann monta d’un étage en raflant en 1927 le Grand Prix de poésie, tandis que Marie de Régnier aura le Grand Prix de littérature en 1918 et Anna de Noailles en 1921. Des moments de vide alternant avec des décennies plus heureuses jusqu’à l’arrivée des Marguerite : Yourcenar aura le Grand Prix de littérature en 1977, et Duras, celui du théâtre en 1983. Yourcenar entrera sous la Coupole en 1980, la seule qui y soit parvenue après quatre siècles d’intense activité. Cette année, sur les 65 prix on a couronné dix-neuf femmes.
Les lauréats des Grands Prix voudront bien se lever à l’appel de leur nom et nous les applaudirons chacun, à la fin de leur éloge.
Prix Guez de Balzac : M. Michel Deguy
Né à Paris en 1930, Michel Deguy a élaboré une poésie, une prose et une interaction entre elles, aussitôt reconnaissables, afin de maintenir la généreuse ambition de la poésie. Toutes les ressources du langage sont mises en œuvre, et toute la fécondité intellectuelle d’un poète qui s’intéresse à tout, pour un discours omnivore, haletant presque, regorgeant de torsions et de surprises, émouvant et d’une beauté singulière, nous dit Michael Edwards. S’il a enseigné la philosophie et présidé le Collège international de philosophie, Deguy repense surtout la capacité de la poésie à révéler le réel en le transformant. Par la revue Po&sie, qu’il a fondée en 1977, par ses poèmes et ses essais de poétique, il fait rayonner en France et à l’étranger la poésie, la langue et la pensée françaises. Au moment où l’Académie célèbre l’attribution, en 1671, de ses premiers prix, dont un prix de poésie, il est parfaitement approprié, conclut Michael Edwards, poète lui-même, que le prix Guez de Balzac soit décerné à Michel Deguy.
Grand Prix de la Francophonie : M. Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, dit Frankétienne
Il était temps que le grand écrivain haïtien, né en 1936, reçoive une pareille consécration en France. Poète, romancier, dramaturge, peintre, musicien, comédien, à chaque fois dans une folle démesure puisqu’il a publié une quarantaine d’œuvres littéraires, écrit des centaines de chansons, peint des milliers de tableaux, et joué ses pièces dans de nombreux pays. Frankétienne fait figure d’ogre dans cette Caraïbe francophone qu’il n’a jamais quittée durant les vingt-neuf ans de la dictature des Duvalier. À chaque vague d’arrestations, on s’inquiétait de sa possible disparition. Mais les gens n’avaient pas oublié qu’il avait publié Ultravocal en 1972, ce hurlement contre la dictature. Ils n’avaient pas oublié non plus Dezafi, le premier roman jamais écrit en créole. Et, surtout, ils n’avaient pas oublié qu’il avait déclaré publiquement qu’il était né du viol d’une jeune paysanne de treize ans par un vieil industriel américain, et que c’était là l’explication de sa couleur et de sa colère, et le cœur de son œuvre. Lui qui a jadis parlé d’une « difficile émergence vers la lumière » se retrouve aujourd’hui sous les feux d’une gloire soudaine.
Grande médaille de la Francophonie : M. Abdourahman Waberi
Abdourahman Waberi est né en 1965 à Djibouti, un État situé dans la corne de l’Afrique. Il faisait partie de ces jeunes intellectuels qui contestaient le pouvoir, ce qui l’a poussé à quitter le pays en 1985. Avec son ironie mordante, il a qualifié ce temps passé hors du pays natal d’« exil provisoirement définitif ». Le Pays sans ombre paraît en 1994. Constitué de courts textes, il brosse le portrait en kaléidoscope d’un pays terrassé par ses fièvres, ses famines et ses guerres. Il publie ensuite Cahier nomade puis, deux ans plus tard, Balbala. Ces trois ouvrages constituent une trilogie sur son pays natal, une première pour Djibouti. Une voix de plus en plus audible, un regard perspicace et original, nous dit Andreï Makine.
Grand Prix de Littérature : M. Patrick Deville, pour l’ensemble de son œuvre
Dans L’Étrange Fraternité des lecteurs solitaires, Patrick Deville remarque que devenir lecteur est l’œuvre d’une vie. « Il ne s’agit pas uniquement de lire des livres », ajoute-t-il, mais aussi de découvrir des liens, des échos, des passages secrets entre les rayonnages. Pour lui, la bibliothèque est un pays avec ses villes imaginaires, ses fleuves d’encre, ses guerres et ses traités de paix, ses tragédies, ses scènes d’amour et ses jungles équatoriales qui permettent toutes les aventures. Il va partout, avec pour tout bagage son cher Spinoza. L’œuvre de Deville est un mouvement perpétuel puisque le narrateur ne cesse d’aller sur les traces de personnages hors du commun. Il vient de terminer son grand cycle « Abracadabra » qui comprend Equatoria, Kampuchéa, Viva, Taba-Taba et Amazonia. Quand on a fini un de ces livres, on s’étonne toujours d’avoir traversé tant de vies et de lieux sur un si mince espace, car il a un sens très fort pour glisser des mondes entre deux phrases.
Grand Prix de Littérature Henri Gal (Prix de l’Institut de France) : M. Claude Arnaud, pour l’ensemble de son œuvre
À propos de Claude Arnaud, Angelo Rinaldi écrit : « C’est un article de Jean-François Revel qui me le révéla. Il venait de publier une biographie de Chamfort, magicien de la maxime et de l’épigramme, remplissant un vide que ne comblait pas assez l’admiration de Nietzsche, de Chateaubriand, de Léautaud et de Jünger pour le moraliste à la vie tragique, dans les soubresauts de la Révolution française. Son œuvre se divise en deux parties, les biographies et les récits et romans d’une couleur souvent autobiographique. Un chef-d’œuvre, son Jean Cocteau, et non moins éclatant son Proust contre Cocteau, un point de vue jamais développé jusque là. La bataille entre deux insectes mondains et géniaux, aux élytres coupants. Le style d’Arnaud, souple et ferme à la fois, n’ignore ni l’ironie ni la mélancolie », conclut Angelo Rinaldi.
Prix Jacques de Fouchier : M. Alain Schnapp, pour Une histoire universelle des ruines. Des origines aux Lumières
Un livre attendu de longue date par les admirateurs de cet érudit exceptionnel. Cette somme est l’œuvre d’une vie. À partir de l’étude des monuments considérables que nous ont laissés les anciennes civilisations du Proche-Orient et de la Chine, à partir de l’héritage gréco-romain, Alain Schnapp s’interroge sur la place que ces monuments du passé ont eue pour le Moyen Âge et surtout pour la Renaissance qui sut en comprendre l’exemplarité. Les Lumières sont prétexte à une réflexion philosophique, et poétique – un mot qu’Alain Schnapp ne récuserait pas – sur l’universalité de ces ruines. Un ouvrage difficile à classer, nous dit Pierre Rosenberg, tant il aborde son sujet dans une grande diversité d’approches.
Grand Prix Michel Déon : M. François Cérésa
À son œuvre déjà abondante semblent s’appliquer des qualificatifs que Michel Déon n’aurait pu désavouer : l’impertinence, le sens de l’amitié, le goût du panache et des cavalcades. Mais il y a plus chez Cérésa, cette voix qui parfois se brise, s’étrangle, quand il évoque sa mère, son père, et leur disparition. Il a beau multiplier les cabrioles narratives, jongler avec les apparences et prendre ses rêves pour la réalité, rien n’y fait, la légèreté désinvolte du souvenir n’efface pas la gravité déchirante du propos. En témoigne aussi son dernier livre dont le titre, À un détail près, dit son sens aigu de l’observation. C’est une fantaisie pyrotechnique et romanesque aussi désinvolte que nécessaire. Ce qu’il faut appeler le ton ou le style Cérésa, nous dit Frédéric Vitoux.
Grand Prix du Roman : M. François-Henri Désérable, pour Mon maître et mon vainqueur
Dans ce roman, Tina, une femme fougueuse, sensuelle, imprévisible, est partagée entre son mari, le solide Edgar, et son amant, l’impulsif Vasco. C’est donc l’histoire d’une passion entre Tina et Vasco, avec des épisodes drolatiques, où l’auteur glisse habilement des faits authentiques dans des situations fictionnelles. Le cœur de Voltaire est conservé dans le socle de sa statue placée dans le salon d’honneur de la Bibliothèque nationale de France et on voit Vasco le voler pour en faire cadeau à Tina. Il est vrai que le revolver avec lequel Verlaine a tiré sur Rimbaud a été mis récemment aux enchères à Drouot, mais Vasco l’achète pour tirer sur Edgar, le mari de Tina. C’est donc une histoire à rebondissements, bien construite, solidement menée, qui tient en haleine jusqu’au bout, mais le livre vaut surtout, insiste Dominique Fernandez, par la grâce du style.
Prix de l’Académie française Maurice Genevoix : M. Michel Bernard, pour Le Bon Sens
Essayiste, biographe, historien, conteur, Michel Bernard est avant tout un auteur à part entière, dont l’écriture s’applique à cerner avec délicatesse, ou bienveillance, des personnages auxquels il s’attache. On remarque Claude Monet au soir de sa vie, songeant à un lointain amour tragique, Jeanne d’Arc, cette petite paysanne de dix-sept ans qui sauva le royaume de France et en mourut, ou même Napoléon dans sa dernière campagne de France, durant l’hiver 1814, et qui, de victoires en victoires ou de désillusions en désillusions, allait vers une inéluctable défaite. Après Le Bon Cœur, Michel Bernard relate l’histoire d’une poignée d’hommes en quête de justice. C’est un écrivain secret, pudique, intense, qui nous enrichit et nous émeut, conclut Frédéric Vitoux.
Grand Prix Hervé Deluen : M. Jordan Plevnes
Né dans le sud-ouest de l’actuelle Macédoine du Nord, Jordan Plevnes est un écrivain francophone, intellectuel, documentariste, dramaturge, poète et traducteur. Formé en France, il devient professeur à l’université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, tout en animant divers lieux de théâtre, notamment pour réhabiliter l’art dramatique traditionnel macédonien. Traducteur de Camus, Sartre, Artaud, Genet, il est l’auteur de nombreux livres en français, dont Le bonheur est une idée neuve en Europe. Ses pièces de théâtre ont été publiées et mises en scène dans plus de cinquante pays. Ses documentaires portent sur des personnalités aussi diverses qu’Yves Bonnefoy, Nicolas Bouvier ou Claude Lelouch. Xavier Darcos l’a chaudement recommandé pour son action énergique et obstinée en faveur de la francophonie, pour sa présence féconde dans tous les secteurs essentiels de la diffusion culturelle, pour sa volonté de restaurer le corpus intellectuel d’un humanisme européen partagé et ouvert.
Grand Prix de Poésie : M. Claude Royet-Journoud, pour l’ensemble de son œuvre poétique
« Il y a des livres qui font du bruit et d’autres qui imposent le silence », cette remarque d’Edmond Jabès peut s’appliquer à l’œuvre de Claude Royet-Journoud, depuis sa tétralogie commencée en 1972 jusqu’à son dernier livre, L’Usage et les attributs du cœur. La mise en page de ses livres est mouvementée, remarque Florence Delay. L’abondance de la ponctuation – tirets, notes, parenthèses – crée un parcours énigmatique dans la blancheur. La scénographie du poème donne un vertige grammatical qui à la fois guide et déroute, entre menace et émotion. Les mariages habituels se défont. Le poème peut se retrouver rectangle ou carré, les mots regagner leur célibat, les prépositions devenir essentielles, puisqu’un de ses titres va jusqu’à ce pronunciamiento : La poésie entière est préposition.
Grand Prix de Philosophie : M. Emmanuel Housset, pour l’ensemble de son œuvre
Depuis trente ans, ce professeur de philosophie s’est fait reconnaître comme un philosophe de plein droit, rigoureux et créateur. Il a acquis une expertise incontestable dans une interprétation renouvelée de Husserl, l’initiateur de la phénoménologie, d’abord par une thèse remarquée sur Personne et Sujet selon Husserl, puis par un exposé synthétique sur Husserl et l’énigme du monde, enfin et surtout par la reconstitution de la pensée théologique, ou déiste, d’un auteur qui n’avait jamais thématisé systématiquement ce point essentiel à toute philosophie. Ce fut, en écho à la polémique sur « le tournant théologique de la phénoménologie française », son étude désormais classique sur Husserl et l’idée de Dieu. Mais ce n’était là, nous dit Jean-Luc Marion, que le soubassement, en histoire de la philosophie, d’une œuvre originale d’un philosophe au sens strict.
Grand Prix Moron : Mme Vinciane Despret, pour l’ensemble de son œuvre
Vinciane Despret est éthologue, c’est-à-dire qu’elle traite des hommes en traitant souvent des animaux. Également ethnologue, puisqu’elle compare dans leur diversité les manières de vivre, de penser, de s’exprimer et de s’organiser dans le vaste monde. Il s’agit de savoir comment « pensent » les animaux pour comprendre ce que nous pensons nous. Deux de ses derniers ouvrages se détachent. Le premier, Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, examine la manière dont chacun, selon son pays, sa culture, son passé, vit avec ses morts. L’autre, Habiter en oiseau, raconte comment les merles s’adressent les uns aux autres en chantant, et comment chacun découpe son territoire en chantant aux quatre coins. « C’est un livre qui m’a ouvert les oreilles à ce que j’entends tous les matins au printemps », remarque, ravie, Barbara Cassin.
Grand Prix Gobert : M. François Hartog, pour Chronos. L’Occident aux prises avec le temps
L’apport potentiel du livre consiste dans la définition du concept de « régime d’historicité », c’est-à-dire l’articulation des catégories du présent, du passé et de l’avenir et le passage d’un régime d’historicité à un autre, selon les époques et les sociétés. Ce régime d’historicité serait actuellement marqué pour François Hartog par le « présentisme », qui privilégie l’approche du passé par la mémoire plutôt que par l’histoire. Cette réflexion sur les différents types d’historicité, à laquelle l’auteur a consacré depuis vingt ans plusieurs livres, a récemment abouti à son ouvrage majeur, Chronos, un essai ambitieux sur l’ordre et les époques du temps en Occident, nous dit Pierre Nora.
Prix de la Biographie littéraire : MM. Jean-Louis Cabanès et Pierre Dufief, pour Les Frères Goncourt
Voici ce qui semble être une biographie définitive, dit d’entrée de jeu Dominique Fernandez. Œuvre de deux spécialistes et éditeurs des Goncourt, elle est une leçon d’histoire autant que de littérature. Et les Goncourt, en effet, intéressent peut-être plus comme témoins de leur époque que comme créateurs. On croise leurs amis écrivains, on assiste aux grandes expositions d’art, sur fond politique du Second Empire et de la Troisième République. Bien documenté, bien écrit, cet ouvrage de presque huit cents pages intéressera sûrement les admirateurs des frères Goncourt.
Prix de la Biographie historique : Mme Pauline Dreyfus, pour Paul Morand
La biographie de Morand est adroitement menée d’un bout à l’autre. Pauline Dreyfus suit, de livre en livre, de ville en ville, de femme en femme, ce jeune attaché d’ambassade devenu instantanément célèbre par la grâce d’une préface de Proust. On voit l’écrivain au talent éclatant, dans Ouvert la nuit par exemple, avant que l’Occupation ne mette au jour ses travers. Le bolide de Morand s’embourbera dans les marécages d’un antisémitisme primaire. Pauline Dreyfus a lu les journaux intimes de Morand et ceux de sa femme, encore plus extrémiste que lui. La biographe souligne l’importance de l’argent dans sa vie, celle de la bande des hussards menée par un fringant Nimier, et celle de l’Académie française sur laquelle il comptait tant pour retrouver sa place dans la société des lettres. Tout cela est écrit dans un style nuancé mais lumineux, même si on avance dans les ténèbres.
Prix de la Critique : Mme Béatrice Didier, pour l’ensemble de ses travaux critiques
Ses recherches sur Stendhal, Chateaubriand, George Sand et de nombreux auteurs des xviiie et xixe siècles font aujourd’hui référence. Dans son récent ouvrage À l’extrême de l’écriture de soi, elle s’attache aux derniers textes autobiographiques de Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, les Dialogues et Les Rêveries du promeneur solitaire. Béatrice Didier a, durant sa carrière, porté son attention sur l’intime des auteurs. L’œuvre tardive de Jean-Jacques Rousseau est à cet égard exemplaire. Rousseau pousse la persécution à l’extrême, on le sait, avec ses inquiétantes dérives, tout en continuant ses vagabonderies poétiques sur la musique, la botanique ou cette exploration du moi. L’ouvrage montre ce que l’aventure de Jean-Jacques Rousseau a d’unique et de prémonitoire, attachante et souvent émouvante. L’œuvre novatrice de Rousseau est analysée avec perspicacité et compréhension, nous dit Pierre Rosenberg.
Prix de l’Essai : M. Jean-Claude Bonnet, pour Les Connivences secrètes. Diderot, Mercier, Chateaubriand
Jean-Claude Bonnet développe, avec Les Connivences secrètes, une thèse particulièrement féconde sur les liens qui unissent les Lumières du xviiie siècle et le romantisme du siècle suivant. Plus précisément, il établit des connivences entre Diderot et Chateaubriand. Le lien entre les deux écrivains, ou le passeur d’un siècle ou d’une sensibilité à l’autre, serait Louis-Sébastien Mercier dont Bonnet est, au demeurant, le meilleur spécialiste. C’est dire si on lui sait gré de contribuer à une nouvelle intelligence de cette double époque, souligne Frédéric Vitoux.
Prix de la Nouvelle : M. David Thomas, pour Seul entouré de chiens qui mordent
David Thomas, de livres en livres souvent primés, a développé une esthétique unique de la forme courte : des instantanés, des éclats de vie, des choses vues, avec un humour, une tendresse, une acuité du regard. Peu d’écrivains ont à ce point privilégié le « petit fait vrai » si cher à Stendhal. Il y faut une aussi sensible attention au monde qui nous entoure qu’une intelligence pour le retenir, le noter, le concentrer dans un style dépouillé de toute redondance. L’émotion, chez lui, est tissée de silences, d’allusions, de non-dits. Parfois, David Thomas retient ses mots comme on retient ses larmes, nous dit Frédéric Vitoux. Et ce kaléidoscope de notations éparses ou de nouvelles déchirantes constituent une œuvre qui mérite sans aucun doute d’être lue.
Prix d’Académie. Les lauréats sont au nombre de quatre.
M. François Azouvi, pour Français, on ne vous a rien caché. La Résistance, Vichy, notre mémoire
Appuyé sur une solide formation philosophique, dont témoignent ses travaux sur Kant, Maine de Biran et Bergson, François Azouvi a innové en histoire des idées où il a produit des enquêtes originales, très documentées et toujours justes sur l’histoire et la réception de mythes et de figures déterminantes de la mémoire culturelle française. Son dernier essai est une reconstitution très fine et équilibrée de l’histoire des débats sur la Résistance et le « résistantialisme », les interprétations mystiques et révisionnistes de la Résistance et de la collaboration, le passage du culte des héros à celui des victimes, et la lente convalescence de la mauvaise conscience nationale. Cet ensemble offre, selon Jean-Luc Marion, une étude d’histoire des idées et des mentalités de la France moderne aussi originale que convaincante.
M. Laurent Dandrieu, pour La Confrérie des intranquilles
Le livre nous offre une galerie de vingt et un portraits littéraires. Son grand mérite tient à son bel équilibre de jugement : chez les classiques, l’auteur nous fait découvrir des aspects peu connus et, chez les écrivains n’ayant pas acquis davantage de notoriété, il révèle des qualités qui nous incitent à les découvrir. Le style du livre possède une force indéniable, nous rappelle André Makine : concision, sens du détail, de la formule juste et du paradoxe, montrant ainsi un sens aigu dans l’analyse des événements historiques.
M. Gérard Guégan, pour Fraenkel, un éclair dans la nuit
Le livre commence tôt le matin chez Aragon en train de corriger les épreuves du Voyage de Hollande. Le téléphone sonne, c’est Georges Sadoul, qui peine à articuler : « Théodore est mort. » Ce début, nous dit Florence Delay, donne le ton du livre de Guégan, qui entre avec un naturel extraordinaire dans l’intimité des gens célèbres dont il parle, dadaïstes et surréalistes, pour suivre le plus secret d’entre eux, l’oublié des livres d’histoire littéraire : le docteur Théodore Fraenkel. Mobilisé en 1915 comme son ami André Breton, envoyé en mission médicale en Russie en 1917, en 1918 participant à la deuxième bataille de la Marne, en 1936 un des rares à s’engager en Espagne avec les milices antifranquistes, juif, se cachant pendant l’Occupation, en 1945 rejoignant l’escadrille Normandie-Niémen, signataire du Manifeste des 121 en 1960, l’ami de Tzara et de Robert Desnos fut de tous les combats. Sa riche et complexe vie amoureuse, ses mariages, Gérard Guégan les ressuscite aussi.
M. Pierre Joannon, pour Michel Mohrt, réfractaire stendhalien
Son court essai est un modèle du genre, qui analyse avec une ferveur scrupuleuse les romans de Michel Mohrt, ses livres de « réfractaire stendhalien » en raison de leur désinvolture parfois provocatrice et de leur intelligence exacerbée, mais si proches aussi des mélancolies d’un autre temps. Pierre Joannon rend justice à Michel Mohrt, à son caractère, à son sens de l’amitié et donc de la fidélité, à ses refus, lui qui avait le dégoût si sûr, mais aussi à ses curiosités littéraires, s’enthousiasme Frédéric Vitoux.
Prix du cardinal Grente : Père Philippe Capelle-Dumont, pour l’ensemble de son œuvre
Philippe Capelle-Dumont est l’auteur d’une œuvre puissante et prolifique consacrée aux rapports entre théologie et philosophie, et plus particulièrement aujourd’hui entre théologie et phénoménologie. Il joue un rôle essentiel dans l’organisation de l’enseignement et de la recherche en philosophie de la religion. Ancien doyen à l’Institut catholique de Paris, professeur à la faculté de philosophie de l’Université de Strasbourg, il a créé et dirigé la Chaire de métaphysique Étienne Gilson. Il préside la Conférence française des doyens des Facultés catholiques de philosophie. Il a aussi suscité de nombreux colloques, en France et à l’étranger, et dirigé de nombreux ouvrages collectifs. Cette inlassable activité de haut niveau lui a acquis, nous dit Jean-Luc Marion, un rôle éminent dans la vie intellectuelle et universitaire depuis plusieurs décennies.
Prix du Jeune Théâtre Béatrix Dussane-André Roussin : M. Dieudonné Niangouna, pour l’ensemble de ses ouvrages dramatiques
Né à Brazzaville, Dieudonné Niangouna y fonde en 1997 la compagnie Les Bruits de la rue, avant d’être reconnu sur la scène internationale. Mêlant langue classique, populaire et poétique, ses textes sont empreints de la réalité congolaise qu’il a vécue, en premier lieu les ravages causés par la guerre civile et les séquelles de la colonisation. Son théâtre est programmé à plusieurs reprises au festival d’Avignon et au Piccolo Teatro de Milan. Sa dernière pièce, Fantôme, est jouée au Berliner Ensemble. Voilà un dramaturge qui écrit sur le colonialisme allemand en Afrique, un huis clos qui se déroule exclusivement dans une vieille demeure en Allemagne. La puissance et l’originalité de cette pièce vient du fait que le drame de la colonisation ne se joue pas en Afrique mais dans le pays colonisateur.
Prix du Cinéma René Clair : M. Albert Dupontel, pour l’ensemble de son œuvre cinématographique
Il a suffi à Albert Dupontel de quelques films, parmi lesquels 9 mois ferme, en 2013, Au revoir là-haut, adapté du roman de Pierre Lemaître en 2017, ou, tout récemment, Adieu les cons, pour imposer un ton singulier dans le cinéma français : un climat de tendresse anarchique et cocasse, un regard caustique et saugrenu sur notre monde qui ne lui inspire aucune indulgence, au sein duquel tentent de survivre des marginaux dont les rêveries obstinées font d’eux des révoltés à leur corps défendant. Voilà un auteur complet, à la fois acteur, scénariste et réalisateur. Aux personnages qu’il invente et qu’il interprète, Frédéric Vitoux pense qu’il insuffle une forme d’innocence blessée et de maladresse désespérée face à la bêtise et aux violences de la société dans laquelle ils sont contraints de vivre.
Grande Médaille de la Chanson française : M. Étienne Daho, pour l’ensemble de ses chansons
Étienne Daho, soixante-cinq ans, est aujourd’hui une figure prestigieuse de la chanson française. Issu dans les années 1970 d’un groupe rennais, « Marquis de Sade », il a graduellement occupé la scène en tant que compositeur, parolier et interprète. Personnage d’une gracilité stylée et très conscient des antécédents historiques de son art, Daho se caractérise par une connaissance des modes anglo-saxonnes, qu’il a obstinément contournées en les coulant dans une mouture française. En cela, plutôt que d’élever des barrières hostiles, il joue en virtuose de la langue française. Selon Marc Lambron, sa réputation, désormais considérable, peut confiner à celle d’un Serge Gainsbourg – il a d’ailleurs produit le dernier album de Jane Birkin.
Prix du Rayonnement de la Langue et de la Littérature françaises. Les lauréats sont au nombre de cinq.
Mme Emily Beeny
Formée à Columbia mais aussi à l’École du Louvre, Emily Beeny a été stagiaire au musée d’Orsay. Elle est à l’heure actuelle conservateur des dessins au Jean Paul Getty Museum. Ses recherches portent quasi exclusivement sur l’art français. Pierre Rosenberg l’a chaudement recommandée. Son dernier livre, Poussin et la danse, est la première étude publiée consacrée à ce thème. Ce livre examine comment Poussin, dans ses œuvres, est parvenu à faire face au problème de l’arrêt du mouvement, à explorer le potentiel expressif du corps et à concevoir de nouvelles méthodes de composition.
M. Michel Foucher
Géographe, essayiste, ancien ambassadeur de France, grand voyageur, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée à la Maison des sciences de l’homme. Michel Foucher reste, selon Florence Delay, le témoin et un rapporteur du rayonnement de la langue française dans le monde. Dès 1988, son livre intitulé Fronts et Frontières, sous-titré « un tour du monde géopolitique », l’impose comme un spécialiste de la question brûlante des frontières. L’Atlas des mondes francophones, qui aujourd’hui prolonge son Atlas de l’influence française au xxie siècle, met au point de façon impressionnante, cartographie aidant, l’état des lieux.
Mme Helen Glanville
Spécialiste des questions de conservation et de restauration des biens culturels, elle a fait des études à la Sorbonne et y a enseigné de 1992 à 1996. Elle est internationalement connue pour ses travaux sur les questions de restauration et d’analyse de laboratoire concernant quelques-uns des grands peintres des xvie et xviie siècles et tout particulièrement Poussin. Elle habite une grande partie de l’année dans le Lot-et-Garonne, ce qui explique sa parfaite maîtrise du français. La liste de ses travaux est impressionnante et le nombre des conférences qu’elle consacre à son domaine de recherche est considérable. Pierre Rosenberg s’enthousiasme pour cette personnalité lumineuse.
Mme Emmelie Prophète-Milcé
Née à Port-au-Prince où elle dirige le Bureau haïtien du droit d’auteur, elle est poète et romancière, auteur de treize livres, dont Les Villages de Dieu, un roman explosif. Lauréate du Prix littéraire des Caraïbes décerné par l’Association des écrivains de langue française pour Le Testament des solitudes. Elle a été notamment à la tête de la Direction nationale du Livre, puis de la page culture du Nouvelliste, l’un des plus anciens quotidiens francophones en Amérique, et de la Bibliothèque nationale d’Haïti. Toutes ces fonctions lui permettent de faire rayonner la langue française dans la Caraïbe. Emmelie Prophète se présente volontiers comme une ouvrière de la culture et n’hésite pas à déclarer que « la francophonie est l’espace géopolitique dans lequel Haïti se meut avec le plus d’aisance ».
M. Jean-Noël Schifano
Traducteur de l’italien, et plus particulièrement d’Umberto Ecco, dont il a traduit en français tous les romans, mais aussi d’Elsa Morante et d’Italo Svevo, Jean-Noël Schifano a été directeur de l’Institut français de Naples. Il est aussi éditeur et directeur de la collection « Continents noirs » des éditions Gallimard où sont publiés entre autres Ananda Devi, Scholastique Mukasonga et Abdourahman Waberi. Romancier, il a publié un certain nombre de livres sur Naples dont Chroniques napolitaines et Sous le soleil de Naples. Son dernier ouvrage, une traversée de l’Italie avec ses tumultes des années 1960, les esquisses d’Alberto Moravia et les attentats néo-fascistes. Tout cela adouci par la présence d’une femme libre, Anna Amorosi.
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Après les Grands Prix, viennent désormais les Prix de fondations. Les lauréats se lèveront également à l’appel de leur nom mais je leur demanderai de bien vouloir accepter d’attendre la fin de la proclamation pour recevoir ensemble nos applaudissements.
PRIX DE POÉSIE
Prix Théophile Gautier : M. Pierre Dhainaut, pour Une porte après l’autre après l’autre, suivi de Quatre Éléments plus un
Les poèmes de la partie principale de ce nouveau recueil sont composés de strophes en vers très brefs truffés de réflexions poétiques. Une image, dans chacun d’eux, éclot dans l’esprit comme une intuition, une révélation, qui déborde, à chaque fois, le cadre du poème.
Prix Heredia : M. Joël Vernet, pour L’oubli est une tache dans le ciel
Ce livre est une collection de textes décrivant de minuscules sensations, des émotions intimes, des petits faits de la vie quotidienne. Rien ne pèse, et cela malgré cette tristesse que le narrateur porte en lui depuis longtemps. De pareilles sensibilités se forment dès l’enfance.
Prix François Coppée : M. Louis-Philippe Dalembert, pour Cantique du balbutiement
Ce recueil, magnifique, qui évoque l’enfance, se place sous l’égide d’un autre poète né aussi dans la Caraïbe, Saint-John Perse. On y retrouve des moments de détresse comme le passage violent des vents, cyclones et tempêtes, et de tendresse comme cet instantané : « Un jour j’ai poussé les portes de l’aube, et je me suis assis sous une véranda face à la mer Caraïbe. »
Prix Paul Verlaine : M. Réginald Gaillard, pour Hospitalité des gouffres
Bien loin de véhiculer une piété convenue, le livre constitue une authentique expérience spirituelle et poétique, nourrie de souvenirs et de pensées et soutenue par une langue alerte, finement imagée, émouvante dans sa précision et qui, parfois, évoque subtilement le travail même du poète.
Prix Henri Mondor : M. André Stanguennec, pour Novalis-Mallarmé. Une confrontation
Cette étude savante, parfois ardue vu son sujet, est cependant claire, méthodique, intéressante et convaincante. André Stanguennec montre que Novalis et Mallarmé, en dépit de la distance historique d’un siècle, offrent en commun d’indéniables correspondances de contextes et de projets, de thèmes, d’images et de formes.
Prix Maïse Ploquin-Caunan : M. Emmanuel Laugier, pour Chant tacite
Le recueil varie les formes : micro-récits, citations de lectures, rêveries. Il s’agit de donner le « sentiment de l’existence » en mêlant des réflexions ou des échos sur les choses les plus ordinaires comme sur des œuvres ou des événements majeurs. Ces poèmes, souvent, demeurent énigmatiques.
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PRIX DE LITTÉRATURE ET DE PHILOSOPHIE
Prix Montyon : M. Jean Seidengart, pour L’Univers infini dans le monde des Lumières
Savante et convaincante étude d’histoire de philosophie des sciences, qui démontre comment le xviiie siècle a critiqué la doctrine de l’infini. Il s’agit d’une réfutation de la célèbre thèse d’Alexandre Koyré Du monde clos à l’univers infini (1940), par un remarquable historien de la philosophie moderne.
Prix La Bruyère : Mme Séverine Denieul, pour Casanova. Le moraliste et ses masques
Casanova fascine encore et a suscité beaucoup d’interrogations à chaque époque. C’est qu’il est complexe : fin, nuancé, vif, redoutable dans les discussions, brillant dans les salons et en même temps capable de se vautrer dans la boue des bas quartiers. L’auteur s’ingénie à le présenter sous tous les angles, et finit par montrer la cohérence entre l’œuvre et la vie du célèbre Vénitien.
Prix Jules Janin : Mme Marguerite Bordry, pour sa traduction de Senso et autres nouvelles vénitiennes de Camillo Boito
Excellente traduction de plusieurs nouvelles, dont certaines inédites en français, d’un écrivain qui joua un grand rôle dans la vie culturelle italienne de la seconde moitié du xixe siècle. Phrases longues et ondulantes, qui épousent les remous de la lagune, et dont la traductrice a bien rendu le mouvement.
Prix Émile Faguet : M. Gérard Ferreyrolles, pour De Pascal à Bossuet. La littérature entre théologie et anthropologie
Ce recueil compte trente-sept articles écrits au cours d’une vie consacrée aux auteurs du xviie siècle, principalement à Pascal et à la littérature religieuse, théologique, historique et philosophique. Les articles ont été remaniés de façon à constituer un livre cohérent et passionnant.
Prix Louis Barthou : Mme Annick Louis, pour L’Invention de Troie. Les vies rêvées d’Heinrich Schliemann
L’auteur recompose un portrait fin, nuancé, délicat, de l’inventeur de Troie. Avant de se lancer dans la grande aventure archéologique, il s’était enrichi en achetant dans le Paris du Second Empire plusieurs immeubles cossus. Nous suivons chaque étape du passage du gros bourgeois en savant fervent avec un intérêt croissant.
Prix Anna de Noailles : Mme Tiphaine Samoyault, pour Traduction et violence
Cet ouvrage affirme la nécessité d’une politique de la traduction. Elle en décrit le potentiel de négativité à travers des expériences dures comme l’apartheid, la colonisation, les camps d’extermination, la subalternité ou l’accueil des migrants. Le style fluide en fait pourtant un livre attachant.
Prix François Mauriac : Mme Celia Levi, pour La Tannerie
Une romancière solide, capable de bâtir un récit complexe dans une langue élégante. Le roman se déroule dans une ancienne usine désaffectée, à Pantin, convertie en lieu culturel. Un regard acéré sur cette nouvelle génération qui doit se contenter d’emplois précaires.
Prix Georges Dumézil : M. Jean-Michel Robert, pour Leibniz et les universaux du langage
Il s’agit d’une étude, vaste et détaillée, qui analyse toutes les tentatives visant à élaborer la théorie de la langue universelle. Leibniz, quant à lui, s’appuie sur la construction d’une grammaire rationnelle, une entreprise à la fois linguistique et philosophique qui devait permettre de définir les universaux du langage et de corriger ainsi les imperfections des langues naturelles.
Prix Roland de Jouvenel : Mme Alexandra Lapierre, pour Belle Greene
Belle Greene construisit avec opiniâtreté sa carrière grâce à son charme, son intelligence, sa capacité de travail et son insatiable curiosité. Elle est dévorée par la question raciale. La richesse et la nouveauté de la documentation qu’Alexandra Lapierre réunit en font une captivante étude.
Prix Biguet : M. Dominique Pradelle, pour Intuition et idéalités. Phénoménologie des objets mathématiques
À la suite du livre de Jean-Toussaint Desanti sur les idéalités mathématiques, Dominique Pradelle reprend la difficile question du statut ontique et éventuellement phénoménal des objets mathématiques, question qui hante la philosophie depuis Platon et Descartes. Un impressionnant parcours des théories logiques et mathématiques contemporaines.
Prix Pierre Benoit : M. Hervé Gaillet, pour Pierre Benoit, autrement
Recueil de dix chroniques consacrées à Pierre Benoit, dont certaines sont publiées pour la première fois. La première partie se veut un examen de l’attachement de l’écrivain à la France. Dans la seconde partie, l’auteur, à travers divers prismes, éclaire quelques personnages des romans de Benoit.
Prix Jacques Lacroix : M. Loïc Bollache, pour Comment pensent les animaux
Un livre charmant, sans prétention et gorgé d’informations. Que ce soit la danse des abeilles ou le choix du partenaire sexuel, la mémoire spatio-temporelle chez les rats, le langage des dauphins ou les petits actes de la vie quotidienne chez les macaques, l’idée, c’est de rappeler le langage complexe des animaux.
Prix Sivet : M. Jean-Noël Blanc, pour Des opéras de lumière. Ravier et Thiollier
On suit la vie de deux hommes, le peintre paysagiste François-Auguste Ravier et le photographe Félix Thiollier. Ils diffèrent de caractère : Ravier est plus bourru, Thiollier plus urbain. Tout est bien vu et surtout bien dit, avec retenue et sobriété.
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PRIX D’HISTOIRE
Prix Guizot : Mme Isabelle Dasque, pour Les Diplomates de la République
Isabelle Dasque étudie l’histoire de la diplomatie française de 1871 à 1914. C’est un ouvrage complet et détaillé qui a le mérite d’éclairer une période cruciale de transformations constitutionnelles, politiques, sociales, et bien entendu internationales.
Médaille d’argent du Prix Guizot : M. Clément Oury, pour La Guerre de Succession d’Espagne. La fin tragique du Grand Siècle
À sa mort en 1700, Charles II désigne comme héritier au trône espagnol le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. Les guerres de Succession d’Espagne furent catastrophiques pour la France. Clément Oury analyse avec une grande clarté les raisons qui marquent le déclin de la France dans une Europe sur laquelle elle ne peut plus assurer son hégémonie.
Prix Thiers : M. Nicolas Schapira, pour Maîtres et Secrétaires (xvie-xviiie siècle). L’exercice du pouvoir dans la France d’Ancien Régime
Voilà un livre écrit dans un style sobre, sans effet, et pourtant on sent un regard parfois ironique mais équilibré par une certaine compassion pour les secrétaires. Ce livre est une plongée dans un monde feutré où la confiance est obligatoire, un monde pourtant truffé d’espions qu’on croise surtout dans les arcanes du pouvoir.
Prix Eugène Colas : M. Étienne Peyrat, pour Histoire du Caucase au xxe siècle
L’auteur s’est appuyé sur une excellente documentation pour décrire les situations et se livrer à une analyse géopolitique précieuse du Caucase, qui souligne son importance historique et sa valeur stratégique. Peyrat donne toutes les précisions nécessaires tout en privilégiant le tableau d’ensemble.
Médaille d’argent du Prix Eugène Colas : Mme Patricia Sorel, pour Napoléon et le livre. La censure sous le Consulat et l’Empire (1799-1815)
Travail remarquable, qui montre la volonté de Napoléon de tout contrôler, par une censure implacable. L’ensemble est très documenté, d’après des archives qui n’avaient jamais été exploitées. C’est écrit avec soin, dans un style précis, sec mais non sans élégance.
Prix Eugène Carrière : M. Alexandre Maral et Mme Valérie Carpentier-Vanhaverbeke, pour Antoine Coysevox (1640-1720), le sculpteur du Grand Siècle
Coysevox est, avec Puget, le plus grand sculpteur français du xviie siècle. Une monographie qui le célèbre manquait cruellement à ce jour. L’ouvrage, dans un style remarquable, résume les grands moments de sa brillante carrière et évoque notamment le tombeau de Mazarin qui se trouve sous cette Coupole.
Prix du maréchal Foch : M. Gaïdz Minassian, pour Les Sentiers de la victoire. Peut-on encore gagner une guerre ?
L’étude pose des questions qui nous hantent encore aujourd’hui : peut-on construire une paix après une guerre, et surtout comment ? Beaucoup de notions sont remises en discussion comme l’indistinction entre paix et guerre, ainsi que celles de la victoire militaire ou de la disparition des politiques internationales classiques.
Prix Louis Castex : Mme Armelle Faure, pour Révolution et sorcellerie. Une ethnologue au Burkina Faso
Dans cette étude, Armelle Faure entend éviter les clichés sur l’Afrique, et tout ce qu’on écrit à propos de sociétés dites primitives. Ce livre est un journal de bord des années passées au pays bissa où des batailles linguistiques remplacent l’ancienne guerre que se faisaient les fétichistes et les magiciens.
Prix Monseigneur Marcel : M. Brenton Hobart, pour La Peste à la Renaissance. L’imaginaire d’un fléau dans la littérature au xvie siècle
Le livre trace l’histoire des lectures et des réécritures que le xvie siècle fait des récits de peste. L’auteur recueille les relations originales de la peste chez Rabelais, Nostradamus, Montaigne ou d’Aubigné. Il donne ainsi à comprendre la constitution d’un imaginaire du fléau.
Médaille d’argent du Prix Monseigneur Marcel : M. Bruno Méniel, pour Anatomie de la colère. Une passion à la Renaissance
On peut dire que la colère est un sujet intéressant puisqu’il se retrouve dans de nombreuses manifestations de la vie : la guerre, l’amour, la littérature, la musique, la religion. L’auteur fait une description minutieuse, et parfois lumineuse, de cette émotion qui fut la passion d’une époque.
Prix Diane Potier-Boès : Mme Claude Denjean, pour Les Juifs et les pouvoirs. Des minorités médiévales dans l’Occident méditerranéen (xie-xve siècle)
Ce livre peut être utilisé comme un manuel, car il rassemble de façon claire toutes les informations qu’on peut souhaiter sur le sujet traité. Mais c’est beaucoup plus que cela, par la richesse d’une documentation de première main et par la finesse des analyses. L’auteur présente de façon limpide, nuancée et sereine les situations les plus complexes.
Prix François Millepierres : M. Benoît Rossignol, pour Marc Aurèle
On va traverser cette vie riche dans tous les sens : une longue bataille pour la succession, une éducation soignée, une époque hérissée de dangers, des guerres, et au bout du compte une œuvre philosophique importante, celle de Marc Aurèle. Tout est là, l’époque palpite sous nos yeux.
Prix Augustin Thierry : M. Pierre-Yves Le Pogam et Mme Sophie Jugie, pour La Sculpture gothique (1140-1430)
Ce livre est une somme magistrale et désormais l’ouvrage de référence sur le sujet. Les réponses sont savantes, minutieuses, nuancées. Il faut de l’attention pour en saisir la profondeur et la subtilité. Mais cette attention est récompensée par une lecture passionnante et une immersion dans la beauté.
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PRIX DE SOUTIEN À LA CRÉATION LITTÉRAIRE
Prix Henri de Régnier : M. Camille de Toledo, après Thésée, sa vie nouvelle
Thésée a quitté la ville de l’Ouest pour se diriger vers l’Est, seul avec ses enfants. Il croit aller vers une réinvention, mais son corps le rattrape. Un livre furtif et étalé, à la fois poème visuel et roman de vie.
Prix Amic : Mme Diane Meur, après Sous le ciel des hommes
Six amis se retrouvent clandestinement pour écrire un ouvrage qui aura pour thème une critique de « la déraison capitaliste ». Deux d’entre eux vivent une histoire d’amour secrète, contrariée par les enjeux intellectuels du complot. Diane Meur excelle à peindre le trouble et l’ambivalence.
Prix Mottart : M. Pierre Ducrozet, après Le Grand Vertige
Roman sur fond de manœuvres occultes d’un réseau de scientifiques acharné à poursuivre les ennemis de la planète. C’est ludique et très rythmé.
Les lauréats des Prix de fondations sont désormais invités à se lever tous ensemble et nous leur rendrons hommage en les applaudissant.