Discours sur les prix de vertu 1838

Le 9 août 1838

Narcisse-Achille de SALVANDY

Discours de M. Salvandy

Directeur de l’Académie française

Sur les prix de vertu

Lu en séance le 9 août 1838

 

 

MESSIEURS,

L’Académie française, dans cette solennité, parcourt le cercle entier de sa mission agrandie par les progrès du temps.

Elle a d’abord décerné le prix séculaire à l’éloquence, et qu’il me soit permis de dire que, grâce à son interprète, elle a donné à la fois la récompense et le modèle. À quel autre, plus qu’à l’éloquent chancelier de l’Université nouvelle, appartenait-il de juger et de couronner l’éloge de son illustre devancier ?

Aux écrits brillants ont succédé ces productions de l’esprit, à la fois morales et utiles, qui sont encore de bons ouvrages, qui sont déjà de bonnes actions.

Maintenant, Messieurs, viennent les bonnes actions mêmes. Après les inspirations, qui font le moraliste ou l’orateur, nous avons à surprendre et à couronner, dépouillées de l’accessoire du talent et des formes de la pensée, ces autres inspirations quelquefois vives et soudaines, quelquefois réfléchies et patientes, que suscite l’aspect du malheur ou du péril, et qui éclatent, traduites, non en beaux livres, mais en sacrifices admirables et en dévouements sublimes. À côté du talent prend place désormais, dans nos concours académiques, la vertu qui est le génie de l’âme et de la conscience.

Messieurs, après tous les habiles et ingénieux confrères a qui votre bienveillance m’ordonne de succéder à ce fauteuil, je ne m’attacherai pas à établir de nouveau que M. de Montyon eut raison de choisir, pour prononcer sur l’art de bien faire, les juges ordinaires de l’art de bien dire. Je m’applaudirai seulement que cette pensée lui soit venue, qu’il nous ait chargés d’écrire ces simples et belles pages des annales contemporaines, et nous ait fait les historiographes de la vertu obscure et pauvre, comme nos devanciers l’étaient des rois. il est bon, en effet, que des hommes versés pour la plupart comme nous dans les affaires et les ambitions du monde, soient tenus de rechercher dans la foule la plus ignorée, pour les désigner aux hommages publics, ces hommes, en apparence disgraciés du sort, en réalité privilégiés de la Providence, qui en savent plus que les plus habiles à écrire des chefs-d’œuvre ; car ils pratiquent la première des sciences, celle d’être utiles à nos semblables, et, au lieu des bons préceptes, ils donnent les bons exemples.

Autrefois les gens de lettres menaient une vie humble et retirée ; ils traversaient, presque inaperçus, cette société superbe dont leur nom allait être l’ornement dans la postérité.

Tout est changé, ils ont pris la haute main dans les intérêts du monde. Ils ont des courtisans ; ils ne le sont plus. Grâce à M. de Montyon, nous serons tenus de reconnaître quelque chose de plus grand que les succès de l’esprit. Nous nous inclinerons devant une puissance plus haute que la nôtre. Il sera beau d’entendre chaque année cette enceinte retentir des graves paroles qui, au début de cette séance, rendaient gloire à la Morale ; d’entendre chaque année les princes des lettres proc !amer, dans leur sanctuaire, qu’elle doit dominer les lettres et les gouverner.

Me pardonnerez-vous, Messieurs, d’ajouter, à la louange de M. de Montyon et à la nôtre, que nous n’étions pas indignes de la mission qu’il nous a tracée ? Toute difficile et laborieuse qu’elle soit en réalité, nous la remplissons avec amour. Les hommes de lettres sont fort calomniés de notre temps, et c’est tout simple ; on ne devient pas impunément une puissance. Cependant, on ne saurait contester qu’ils se distinguent par un penchant naturel pour le bon et le beau. On leur reprochera de s’y attacher quelquefois jusqu’à l’utopie ; ils s’y attachent même souvent jusqu’à l’opposition : mais comment méconnaître qu’après tout, les noms auxquels ils se rallient, ceux même qui les égarent, sont les plus grands qu’il y ait dans les langues humaines ! Ce sera la religion ou la liberté, la justice ou la gloire, tout ce qui mérite, en effet, d’entraîner les nations. Leur voix s’anime involontairement au spectacle de tout ce qui fait battre tes cœurs généreux. Qu’on leur présente de brillants exploits, ou simplement une bonne action, toujours vous les verrez d’intelligence avec leurs héros par le sentiment et la pensée. Il faut le dire, c’est par là qu’ils se font écouter de la foule. Ils n’ont que ce mérite de s’émouvoir plus que personne à ce qui touche tout le monde. Pourquoi le talent fait-il perpétuellement envie, sinon parce qu’il est un écho plus marqué de cette voix intérieure qui salue dans la justice et la vérité les plus anciennes connaissances de l’homme, et les appelle comme des amis absents vers lesquels notre âme s’élance tout entière ?

Aussi, est-ce une étude attachante et curieuse que celle de relire nos archives annuelles des bonnes actions. C’est un livre auquel, depuis vingt-deux ans, bien des mains différentes ont travaillé. L’historien, le poëte comique, le savant illustre, le magistrat, l’évêque, tous les partis et toutes les croyances, ont fourni leur contingent. C’est toujours même langage, toujours même zèle, même enthousiasme. Par là se réalise naturellement parmi nous un grand problème. Les gouvernements habiles cherchent à discerner et à saisir, pour s’y appuyer, les sentiments et les intérêts communs que portent heureusement dans leur sein les sociétés le plus longtemps divisées. Quand la tourmente gronde encore, on les cherche dans les émotions de la victoire ; plus tard dans la liberté, dans l’ordre, dans les prospérités de la paix. M. de Montyon les a trouvés dans la vertu.

Quatre-vingt et une demandes ont été adressées à l’Académie française, demandes, hâtons-nous de le dire, des sociétés libres et des magistrats ; car il est remarquable que les auteurs d’actions vertueuses n’imaginent pas qu’on puisse s’en prévaloir devant les hommes. Nous voudrions croire que l’adage qui donne la modestie pour compagne au mérite est vrai à l’égard du mérite dont l’esprit est la source. Nous savons du moins qu’il est vrai pour la vertu.

La Compagnie a distingué deux ordres de faits et de dévouements : les uns où domine le courage, les autres que distingue la constance ; ceux qui résistent aux longs sacrifices, qui attestent un perpétuel oubli de soi, un sentiment opiniâtre du devoir, et ceux dans lesquels l’homme, en une seule fois, donne et prodigue sa vie : deux héroïsmes différents, entre lesquels la conscience hésiterait, si elle n’avait, pour les réunir et les confondre, ce grand nom de la vertu.

Nous parlerons d’abord des actes de dévouement intrépide. Vous remarquez, Messieurs, qu’ils nous sont presque tous fournis par la race religieuse et forte des mariniers. Le fait auquel s’adressera le premier prix s’est passé sur la Loire.

Le 15 septembre de l’année dernière, le bateau à vapeur le Vulcain descendait vers Nantes. Une catastrophe, qui fit nombre de victimes, brisa sa course. Le bruit public avait appris aux magistrats qu’au milieu de tous les malheurs s’était rencontré un rare dévouement : on ne savait rien de plus. Il a fallu qu’une compagnie qui fait comme nous, qui recherche les bonnes actions pour les récompenser en les honorant, la Société industrielle de Nantes, se livrât à une minutieuse enquête, fit subir de véritables interrogatoires, et employât pour découvrir la vertu, les ressorts jusqu’à présent mis en œuvre contre le crime. Voici ce qu’elle a trouvé :

Arrivé près d’Ingrande, le Vulcain s’était approché de terre pour embarquer des voyageurs. Dans ce mouvement, il touche, embarrasse ses roues, déchire sa chaudière, et la vapeur épanche de tous côtés son flot brûlant. Un marinier, que ce flot redoutable atteint et blesse sur le pont, pense aussitôt à cinq enfants avec lesquels une minute auparavant il jouait dans la salle commune. Ce brave homme, qui s’appelle Pierre Guillot, n’a pas d’enfants ; mais il aime les enfants ; il avait entendu ceux-là pleurer, et il était allé naturellement aider leur bonne et leur mère à les consoler. Il les tenait sur ses genoux, quand la secousse fatale l’avait rappelé précipitamment à son poste. Les infortunés vont périr. Il veut retourner à eux. L’escalier envahi avait disparu dans l’eau qui brûle, dans la vapeur qui asphyxie et qui dévore. Vainement il met ses mains sur sa figure. Avancer d’un pas est impossible. « Et cependant, comme il l’a répété dans son interrogatoire, il y avait là une mère et cinq enfants qui allaient être brûlés tout vivants. Cette idée-là, dit-il, me tue... »

Il va aux sabords, se penche et aperçoit la mère. Vous l’auriez vu se suspendre de son pied brûlé à la rampe du bâtiment, et d’un bras robuste enlever cette infortunée, mais sans la sauver. Elle était frappée à mort ! il revient, voit la servante, veut la saisir. Elle le repousse… « Non, non, s’écrie-t-elle à moitié calcinée, sauvez, sauvez mes enfants ! » – Messieurs, vous pensez que c’est là le trait sublime auquel nos palmes s’adressent. Hélas ! non. Le sacrifice a été consommé. Comme nous l’a écrit la Société industrielle de Nantes : « C’est de Dieu que cette admirable fille est allée recevoir sa couronne. »

Ah ! du moins, Messieurs, laissez-nous un moment nous arrêter sur cette mort qui égale tous les martyres, sur cette tendresse maternelle d’une étrangère qu’aucune tendresse maternelle ne surpassera ! Nous tous qui appelons près de nos enfants d’autres soins à notre aide, ne sentons-nous pas qu’on respire, en apprenant qu’il y a là des affections égales aux nôtres, une sollicitude que ne payera aucun salaire, des cœurs d’où pourrait s’échapper ce cri : Sauvez, sauvez mes enfants !

Qu’étaient-ils devenus, en effet, Messieurs ? Faut-il vous dire qu’ils étaient aussi les enfants adoptifs de Guillot ! Il s’est élancé par le sabord ; il a plongé dans la fournaise ardente. Il y fait deux voyages. Les cinq enfants sont rendus à la lumière. Leur bonne l’est à son tour. Mais Dieu n’a pas fait de miracle. Trois enfants sont morts avec leur bonne et leur mère. Deux seulement vivront.

Maintenant, Messieurs, penserez-vous que l’homme qui porte cette tendresse à la fois et cet héroïsme dans le cœur, ne compte qu’un acte de dévouement en sa vie ? Sa vie est pleine de traits semblables. Une fois soumis à l’interrogatoire, Guillot eut à rendre bien des comptes. « À Ancenis, n’avez-vous pas, au prix des plus grands dangers, éteint un incendie ? Oh ! moins que rien. C’est à peine si je m’en souviens. Il doit y avoir quatre ans de cela. » Et comme on lui demande s’il n’a pas d’autres bonnes actions à confesser : « Je ne me rappelle rien de plus. Mais à Nantes, le 7 septembre 1830, par une nuit obscure et malgré mille obstacles, n’avez-vous pas sauvé une femme qui se noyait dans la Loire ? » Et il fait ingénument son récit. « Mais encore à Nantes, mais ensuite aux Ponts de Cé, n’avez-vous pas sauvé trois hommes, en vous exposant à périr avec eux ? » Et toujours les aveux, ainsi obtenus, venaient faire admirer tout ce qu’il y a de simplicité naïve dans cet héroïsme qui se multiplie et qui s’ignore. L’Académie désigne pour un prix de 4,000 francs le généreux Pierre Guillot.

Ce ne sera point sa première récompense. La Société industrielle de Nantes fut chargée par S. A. R. monsieur le duc d’Orléans de lui remettre une médaille d’or, et elle nous a demandé de faire complète justice, d’associer, dit-elle, à nos hommages le prince qui s’honore en honorant la vertu.

Vous n’apprendrez pas sans intérêt, Messieurs, que Guillot pourrait figurer à un double titre dans nos récompenses. Il possède tous les dévouements. Il est pauvre. Ayant à sa charge un père vieux et infirme, il a recueilli dans sa maison une sœur et ses trois enfants que sa femme et lui nourrissent de leur travail, qu’ils couvrent de leurs vêtements. Il lui est arrivé, mettant le cap vers la haute Loire, de ne laisser derrière soi que 20 fr. empruntés, pour soutenir, pendant son absence, cette nombreuse famille ; et quand on conseille à ces braves gens de vendre la royale médaille d’or : « Plutôt mourir de faim ! » répondent-ils.

Ces détails n’étaient pas nécessaires pour vous faire approuver notre jugement. Ils sont pour Guillot le luxe de sa vertu. Mais ils plaisent à l’âme. On est bien aise de voir que ce courage qui se dévoue n’est point une inspiration isolée, point une fougue du sang ou du cœur : il tient à un état sain et pur de l’âme ; il est vraiment de la vertu.

Louis Brune ; de Rouen, commissionnaire sur le port, est un homme de la même famille. Des procès-verbaux réguliers attestent à l’égard de quarante-deux personnes qu’elles lui ont dû la vie. Mais il ne se montre pas seulement doué d’un intrépide courage ; il n’a pas seulement dans le cœur le sentiment de l’humanité prêt à éclater quand il y a un péril à combattre ou un malheur à prévenir. Cet homme porte en soi une inépuisable vocation de dévouement ; il fait profession de sauver ses semblables : c’est son état. Il n’attend pas les occasions ; il les cherche, il les épie avec passion. Quand la marée monte, quand le vent fraîchit, quand la brume s’élève, quand les bateaux à vapeur se croisent en grand nombre dans ce port étroit et opulent que vous connaissez, Messieurs, ou vous êtes allés inaugurer l’image du grand Corneille, Brune est là, comme les pères du mont Saint-Bernard à l’approche de l’avalanche, le cœur inquiet, l’oreille attentive, prêt à s’élancer.

Ainsi, par exemple, le 28 janvier dernier, la Seine, prise depuis plusieurs jours, était couverte de patineurs. Les hautes marées devaient rompre les glaces et engloutir cette foule imprudente qui restait sourde à tous les avertissements de l’autorité. Brune avait sa vieille mère et sa femme malades ; on le rappelle en vain à sa maison. À l’heure même de ses repas, rien ne peut l’entraîner ; il reste à son poste ; il ne désertera pas. Ces jeunes gens, ces femmes imprudentes oublient leurs dangers pour leurs plaisirs. Le plaisir et l’affaire de Brune est de penser à leurs dangers.

En effet, on entend le fleuve mugir ; la foule épouvantée se précipite. Un abîme s’est ouvert ; un couple jeune et riche a été englouti. Brune est là, il court sur la glace rompue, il arrive, plonge, ressaisit le mari et le sauve. La femme avait disparu sous les glaces : il va l’y chercher, il la retrouve mais ses efforts ont été inexprimables ; ses membres sont engourdis. Quand il veut s’enlever sur ces vastes glaçons qui le déchirent, qui l’ensanglantent, qui rompent sous sa main, ses forces épuisées échouent, et personne ne viendra à son aide : il n’y a pas un autre Brune sur le rivage. Cependant on s’agite ; on se lamente ; c’est Brune qui va périr. Que fera-t-on ? Enfin, on imagine de lui jeter une corde qui arrive à lui, qu’il saisit ; et, à son tour, il est sauvé.

Les personnes qui lui devaient tout lui proposent des récompenses : il refuse. Il a fait ainsi toujours. Les médailles sont tout ce qu’on a pu lui faire accepter ; et comme il a depuis longtemps épuisé les médailles, le roi a fini par envoyer l’étoile de l’honneur à sa noble poitrine. Cependant la ville de Rouen n’était pas quitte envers lui. Elle a adopté sa femme et sa fille ; et voulant lui faire un don qu’il ne refuserait pas, elle lui a bâti une maison sur le rivage, afin qu’il ait moins de chemin à faire pour donner sa vie. Il est là comme une sentinelle avancée en face de l’ennemi. L’Académie royale de Rouen nous a demandé pour Brune l’un des prix Montyon. Un prix de 3,000 francs lui est donné.

Jean-Marie Georges, marchand de bois de bateau à la Râpée, a droit à un prix égal. Il a disputé à la Seine tout autant de victimes que Brune. On en comptait déjà trente-quatre il y a longtemps, et il continue. Comme Brune, il a fatigué les magistrats qui lui décernaient les médailles ; il a fallu, comme Brune, le faire chevalier de cet ordre du XIXe siècle, qui confond le guerrier, le magistrat, l’écrivain le marinier de la Râpée intrépide et utile, dans une égalité d’honneur ; comme Brune, enfin, il a repoussé toute sa vie le prix qui lui était offert de ses bonnes actions. Il est dans ces âmes généreuses une fierté qui n’admet pas qu’il y ait des salaires pour de tels dévouements. Dans un incendie, car la vertu de Georges est à l’épreuve de l’eau et du feu, il a sauvé deux enfants d’une famille riche ; dans le grand incendie de Bercy, il est allé chercher dans les flammes les livres d’une grande maison de commerce. Toujours il a tout refusé. Onze fois, sa vigueur et son adresse lui ont obtenu la victoire dans les joutes publiques : jamais il n’a accepté le prix. Pour Georges, il n’y a qu’une manière d’acquérir, le travail. Faut-il ajouter que le travail lui a failli ? Il a été riche : son commerce a péri dans des revers, fruits de sa confiance et de sa bonté. Alors il s’est fait courageusement simple batelier ; et, à deux reprises, les bateaux à vapeur, qui sont sur nos rivières comme les grands d’autrefois, foulant les petits à leur passage, sans même s’en apercevoir, ont coulé bas le batelet, humble et dernière fortune de Georges. Au nom de M. de Montyon, l’Académie le lui rendra.

Les vivants n’ont pas toujours eu le privilège des soins de Georges : il y a des morts pour lesquels on l’a vu religieusement veiller sur son batelet. Au mois de février 1814, l’armée française, illustrant par d’admirables victoires les revers publics, était arrivée presque en vue de cette capitale. Elle se reporta vivement sur Montereau, dans l’élan de deux combats, enleva ses collines escarpées, et, disputant à l’ennemi les rives de la Seine, se saisit du pont sous un feu terrible. Elle le joncha de ses morts. Georges, bien jeune alors, était tristement sur son bateau, recueillant avec respect les soldats français, disputant aux flots leur dépouille, et rendant à la terre les braves qui étaient morts en combattant l’étranger. Qui nous eût dit, dans le morne et douloureux abandon de nos revers, qu’un Français obscur prenait ce soin pieux de nos frères d’armes ! Qui m’eût dit qu’un jour, à cette place, je viendrais l’en remercier au nom de l’armée, au nom de la France, et que je vous devrais, Messieurs, l’honneur de lui décerner une couronne ?

Voici, Messieurs un remarquable phénomène ce sont trois frères animés au même degré de la passion du dévouement. Leur nom est Conté ; le théâtre de leurs travaux Cahors ; le fleuve, ou plutôt le torrent contre lequel ils passent leur vie à lutter, le Lot. Depuis douze ans qu’ils habitent sur le port, ils avaient déjà retiré des flots, vingt-six personnes, dont vingt-quatre vivantes, lorsque, pendant l’enquête, une vingt-septième dut la vie à leur courage. Mais ce n’est pas tout le 28 janvier 1827, une barque montée par six hommes, dont aucun ne savait nager, va se briser contre une pile du pont ; le courant les emporte sur quelques débris et les jette contre la chaussée ou un accident les tient un moment suspendus au-dessus d’une chute profonde. Nul secours n’est possible ; tous les bateliers accourus renoncent à rien tenter. Mais voila que deux des Conté arrivent ; ils s’élancent dans leur bachot, franchissent audacieusement la chute, vont recevoir deux des mariniers que le flot emportait, reviennent disputer les quatre autres au torrent, et les sauvent avec un bonheur qui tient du miracle, comme leur courage.

Au mois d’août 1836, l’aîné, qui est teinturier, travaillait, couvert de sueur, parmi ses chaudières bouillantes. On crie que le jeune Lartigue se noie. Le jeune Lartigue est fils d’un ennemi du père des Conté. Vous pensez bien que Conté s’élance. Il se blesse le pied sur le rivage ; mais il peut marcher encore. II arrive, poursuit dans le courant rapide le jeune Lartigue, le saisit, le perd, le retrouve ; et, fatigué du fardeau après cette longue lutte, il est entraîné à son tour. Par bonheur, un autre des Conté est arrivé. À qui va-t-il d’abord ? au jeune Lartigue, et tous deux sont sauvés.

Une autre fois, le Lot s’enfle pendant la nuit, franchit toutes ses barrières, envahit un quartier populeux, et, grossissant toujours, laisse voir au lever du soleil la foule des malheureux qui se sont réfugiés d’étage en étage sur les toits de leur maison, et qui n’ont plus d’asile. L’aîné des Conté était à l’armée. Mais ils sont toujours deux pour se dévouer ; car le troisième a treize ans maintenant : il peut imiter les deux autres. Il le fait. Le torrent était furieux ; les deux intrépides bateliers lui disputent une à une toutes ses victimes. Plus de soixante lui sont arrachées par eux. Ils ne se retirent que quand la tâche est finie, épuisés de fatigue, saisis déjà par une fièvre brûlante qui, pendant deux mois entiers, fait craindre pour leur vie. Sur ces entrefaites, on crie qu’une vieille mendiante de soixante-dix ans est tombée dans le Lot. L’un des Conté l’a entendu ; et déjà l’intrépide jeune homme, oubliant sa vie menacée, est allé redemander aux flots quelques jours que la pauvre vieille femme pouvait encore passer sur la terre. Nous consacrons aux héroïques frères un troisième prix de 3,000 francs.

Edmond Cappe est limonadier à Château-Thierry. Si on se noie, il accourt ; il accourt, si le feu prend ; il accourt, si on crie à l’assassin. Si un puits s’abîme sur les ouvriers qui le creusaient, il accourt, descend, va leur prêter sa force, leur rendre le courage, et ils sont sauvés. Comme Georges, il a l’âme française. On raconte qu’à neuf ans il a vu sa ville envahie. L’ennemi avait ses armes en faisceaux le long des murailles. Cappe se glisse à travers les sentinelles, court aux armes, et, avant qu’on arrive sur lui, elles ont roulé dans la Marne. Cet enfant promettait l’homme que nous couronnons. Nous donnons une médaille de 1,000 francs au compatriote de Jean la Fontaine.

Vous ne serez pas surpris que nous destinions le même honneur à un jeune pompier de Quimper, qui, intrépide au feu, l’a été sur l’eau d’une façon héroïque. Il y a dix ans, Mollet avait déjà sauvé, quelquefois par des traits d’un admirable courage, quatorze victimes de l’Odet ou de l’Océan ; et il a du bonheur dans ses bonnes actions. On y voit tour à tour figurer des pères de six, de sept, de huit, de quatorze enfants. On devine ce qu’une bonne action met de contentement dans l’âme. Mais comment comprendre la satisfaction de ces cœurs généreux, par qui des familles entières ont conservé ce qu’elles avaient de plus cher, par qui tant de personnes sont vivantes ! Aussi remarquons-nous que les rapports nous disent également de tous ces vaillants amis de l’humanité, qu’ils sont d’honnêtes gens, dans la sévère acception du mot ; qu’ils aiment à faire le bien, et comptent les peines d’autrui, mais ne comptent pas leurs sacrifices. Leur courage les empêche de mesurer ce que vaut leur dévouement. Leur cœur les instruit de ce qu’il rapporte.

Les théâtres ont été malheureux cette année. L’incendie s’est attaché à ces rendez-vous de nos plaisirs. Un magistrat, qui se connaît en courage et qui a vu de près les actes d’intrépidité qu’il signale, nous a recommandé Victor Gordy, qui, à douze ans, sauvait un enfant prêt à se noyer, comme s’étant distingué dans le désastre du Théâtre-Italien par un rare dévouement. Nous lui offrons une médaille de 500 francs.

Maintenant, Messieurs, un autre ordre de sacrifices s’offre à nous. Les vertus que nous allons révéler sont plus réfléchies, plus patientes. Elles consistent, non pas à risquer sa vie pour autrui, mais à la donner en réalité, à l’immoler tout entière. Nous avons vu les héros du devoir et de l’humanité nous allons voir les martyrs.

Ainsi Eulalie Brumeau est une pauvre vieille fille de Donges, département de la Loire-Inférieure, qui est parvenue à l’âge de soixante-quatre ans sans avoir un seul jour vécu pour elle-même. Son existence s’est écoulée dans des privations et des travaux dont l’imagination s’épouvante, pour soigner et nourrir successivement, jeune, son père aveugle, sa sœur folle, sa mère paralytique vingt-cinq ans ; vieille, des neveux, des nièces, leurs six enfants tombés tour à tour à la charge de son indigence active, dévouée, infatigable. L’Académie française aime à lui envoyer une médaille de 500 francs.

Sophie Villain, de Lille, vivait paisiblement du travail de ses mains, quand une dame qui l’avait remarquée, madame Pers, lui proposa d’entrer à son service pour tenir à Paris, avec elle, un hôtel garni. Les avantages qu’on promettait étaient brillants. Sophie Villain fut séduite : elle vint. L’entreprise manqua ; ses gages ne furent point payés. Elle trouva tout simple d’être de moitié dans les pertes, quand elle l’avait été dans les espérances. Au bout de trois ans, la ruine était complète. Madame Pers tomba malade, et passa trois ans sur un lit de douleur, entourée de ses trois enfants sans pain. Le travail opiniâtre de Sophie pourvut à tout. Enfin, madame Pers mourut. Sophie hérita de ses sollicitudes et de ses sentiments de mère, et, mesurant la grandeur du fardeau, elle l’accepta tout entier. Nous donnons à cette généreuse fille l’une médaille de 1,000 francs.

Une autre médaille de 1,000 francs est réservée à une pauvre et honnête famille qui, depuis longues années, soutient de ses deniers et entoure de soins la vieillesse invalide et souffrante d’un colonel espagnol que diverses vicissitudes ont laissé sans fortune et sans asile. Cet officier avait eu à son service, vingt-cinq ans, le nommé Grosso qui avait fait la guerre sous ses ordres. Dans la vieillesse et l’adversité, son serviteur fidèle ne l’abandonna point. Mais Grosso mourut. Sa femme, son fils, crurent au devoir de continuer sa tâche ils s’y dévouèrent avec courage. Le fils, chaque mois, apportait tout son gain à sa mère pour faire vivre l’ancien maître de son père. Cependant, voilà que, lui aussi, à trente-trois ans, la mort est venue le frapper, et la mère, atteinte de tant de coups, est désormais incapable de travail. Deux filles restaient pour porter tout cet héritage de dévouement, et soutenir à la fois le vieillard et sa bienfaitrice. Elles sont brodeuses de leur état ; elles travaillèrent la nuit et le jour. Elles travaillèrent si bien, que l’aînée, visitée par une maladie sans remède, cessa de pouvoir payer son tribut. Elle tombait ainsi, avec son hôte et sa mère, à la charge de sa plus jeune sœur. Pétronille Grosso accepte tous les fardeaux que lui envoie la Providence. À force de travail, de privations et de courage, elle suffit à tout. Son courage ne fléchira point. Mais déjà sa santé s’épuise ; et quand les voisins, effrayés pour elle, lui offrent les moyens d’acheter des aliments plus solides, elle achète au vieillard quelque surprise qui lui rappelle sa fortune et sa patrie. Quand on lui apporte, dans les rigueurs de l’hiver, des vêtements plus chauds, elle les donne à sa sœur. Sa constance parmi tant d’infortunes semblerait surhumaine, si elle ne trouvait dans la religion le seul soutien qui puisse toujours égaler nos forces à nos devoirs et à nos misères. Mais n’admire-t-on pas cette famille que la mort frappe à coups redoublés, sans y tarir la source des sentiments généreux ! la vertu s’y transmet, comme une succession, au plus proche héritier. Rien n’atteste mieux heureuse puissance de l’éducation, et ne fait plus vivement sentir ce que peuvent les pères pour assurer à leurs enfants le trésor des bons sentiments avec celui des bons exemples.

Le dernier tableau qu’il nous reste à vous présenter, Messieurs, fait voir que c’est la seule richesse qu’il soit au pouvoir des pères de transmettre à leur postérité. Celle-là maintient toutes les autres ou les supplée. Nulle autre, si considérable ou si éclatante qu’on la suppose, n’a la puissance de suppléer.

Le grand Sully, en mourant, laissa une fortune égale à ses services et à sa renommée. Sa race s’éteignit au milieu du siècle passé. La fille du dernier duc de Sully, Maximilienne de Béthune, mariée au marquis de l’Aubespine, lui porta des biens immenses. Mais le désordre se mit dans cette maison de l’Aubespine ; rien n’est demeuré du patrimoine de Sully, et nous avons à vous dire les miracles de dévouement qui ont donné un abri et du pain à ses petits-enfants.

À Champrond en Gatinois, non loin de la Louppe, dans l’arrondissement de Nogent le Rotrou, qui appartenait autrefois tout entier à Sully, habite un menuisier nommé Alexandre Martin, dont la famille avait été au service des l’Aubespine au temps de leur opulence. Lui-même avait du son éducation et son état aux bontés du marquis de l’Aubespine, ancien colonel du régiment de la Reine, qui, pendant la révolution, l’attacha à son service, et il n’oubliait pas les premiers bienfaits de son maître. Pendant trente-cinq ans, il ne le quitta point.

Il vit tomber et se perdre toute cette fortune amassée par Sully. Tout fut engagé, détruit, vendu. Enfin, il eut la douleur, il y a peu d’années, de voir passer en des mains étrangères le château de Villebon, cher à toute la contrée, et consacré dans le respect public par le souvenir du grand homme. Le marquis de l’Aubespine ne réserva que trois rentes viagères ; l’une de 6,000 francs pour lui-même ; une autre de 2,400 francs pour son fils ; une troisième de 400 francs pour Martin. Peu après, il mourut. Martin venait de se retirer dans sa famille, comptant en vain sur la pension de 400 francs que les créanciers avaient saisie. Privé de ce secours, il avait repris tranquillement la profession de ses jeunes années, quand, le 16 juin 1830, sa porte s’ouvre ; le fils de son maître, le comte de l’Aubespine, paraît avec ses trois enfants, Angélique, âgée de cinq ans ; Joséphine, de quatre ; Louis, qui n’avait pas dix-huit mois. Le père de ces infortunés était obligé de fuir la France. Il allait s’expatrier. Il ne parle à Martin que d’une courte absence, et s’éloigne pour ne plus revenir, laissant au menuisier de Champrond en Gatinois le dépôt de tout ce qui restait du sang du grand Sully.

Martin avait lui-même trois enfants. Heureusement sa fille aînée sortait d’apprentissage ; elle était capable de travailler. Sa mère et elle gagnaient 24 sous par jour. Martin en gagne 30. C’est avec ce revenu qu’ils entendaient élever la nouvelle famille que la Providence ajoutait à la leur. Quand le travail manque, ils empruntent ; quand ils ne peuvent emprunter, ils vendent leur mobilier. Ils ne connaissent pas de privations, pourvu que les petits-fils de leur maître ne les sentent pas. Ils vivent de pain noir. Le pain blanc ne manque jamais aux jeunes l’Aubespine ; et ne croyez pas que Martin s’assoie à la même table qu’eux. Le vieux serviteur rend au sang de ses maîtres les mêmes respects qu’au temps de leur opulence ; il les sert à table dans sa chaumière comme il l’eût fait dans le château de Villebon, ne comprenant pas qu’il soit devenu leur égal parce que leur fortune est changée ; ne sachant pas surtout que la supériorité s’est déplacée, qu’il l’a mise de son côté par sa vertu.

En effet, après six années, le comte de l’Aubespine ne vit plus ; il faut aux pauvres enfants un tuteur. Quel autre le sera que Martin ? La tutelle des enfants de Sully est bien placée. Elle est dévolue au plus noble cœur.

Cependant, le dévouement de Martin s’était ébruité dans la contrée. Le pays chartrain, que remplissait autrefois la puissance, que remplit encore la mémoire de Sully, s’en est ému. Les respectables dames de Saint-Paul, à Chartres, revendiquent les petites-filles du marquis de l’Aubespine. Ces enfants ont grandi. Le curé de Champrond s’est occupé de leur esprit naissant. Mais leur éducation exige d’autres soins. Martin ne consent qu’avec douleur a une séparation devenue nécessaire, et il remet ses pupilles aux pieuses mains qui compléteront son ouvrage.

L’éducation du jeune Louis, quoique moins âgé que ses sœurs, commençait aussi à mériter une pressante sollicitude. L’hospice de Nogent le Rotrou, que Sully dota et qui garde ses cendres, envoya dans ce but quelques secours. De tout l’héritage du ministre et de l’ami de Henri IV, la part qu’il a faite aux malheureux est la seule dont une parcelle sera arrivée à sa postérité.

C’étaient là cependant des ressources insuffisantes. Quelques cœurs généreux ont imaginé d’y suppléer par la voie des souscriptions, et un prélat bienveillant a offert un pieux asile. Mais il fallait les forces vives de l’éducation publique pour donner à l’esprit et à l’âme de cet enfant la trempe qu’exige sa destinée. Le Roi, Messieurs, vient de lui accorder une bourse au collége de Henri IV. Il l’a fait pour la mémoire du ministre qui eut la fortune de servir bien la France et de laisser un nom respecté. Il l’a fait pour le vertueux serviteur qui a mérité cette consolation, de voir son élève mis en mesure de remonter, s’il veut et s’il sait, au rang dont il est déchu.

Martin, votre tâche est accomplie. Vous avez bien mérité de tous les gens de bien. Vous avez montré à notre siècle un spectacle toujours trop rare : la reconnaissance, la fidélité, le respect. L’Académie française décerne un prix de 3,000 francs à votre vertu.

Et vous, Louis de l’Aubespine, puisque vous assistez à cette solennité, puisse-t-elle faire sur votre jeune cœur une impression profonde et durable ! Vous entrez dans la vie comme on est quelquefois condamné à la parcourir plus tard, sur un théâtre, en face de tout le public qui a les yeux sur vous. Sachez que le premier bien de ce monde est l’estime de son pays, et priez Dieu, qui a veillé sur votre enfance, qu’il vous fasse conquérir cette richesse qui dépend de nous toujours, et que les événements ne nous ravissent pas. On vous dira un jour que vous avez, de tous côtés, dans les veines, du sang illustre. N’oubliez jamais qu’il vous faut remonter jusqu’à Sully pour trouver près de vous un nom que celui de Martin n’efface pas ; et grandissez résolu à vous montrer digne du souvenir de votre aïeul, du dévouement de votre bienfaiteur, de l’adoption du Roi.

Après tout, Messieurs, pourquoi nous associer aux larmes que aime à voir cet enfant verser ? Il est dans une condition heureuse. Un nom historique est un appui encore. L’esprit qui poursuivait de sa haine envieuse tous les souvenirs, est, Dieu merci, loin de nous. Seulement, l’esprit qui place le mérite personnel au-dessus de tout, est, Dieu merci, resté. L’illustration ne peut pas s’en passer, et les contrées même aristocratiques par les mœurs et les lois lui rendent hommage. Nous avons vu que si le Roi se fait représenter à l’étranger par un de ces soldats géants de nos quarante dernières années, toutes les autres grandeurs se perdent dans celle de son nom et de ses travaux. Un peuple puissant et libre s’incline devant ce cortège de nos conquêtes publiques et de nos cent batailles qu’il traîne avec lui ; et la France jouit, pour ses capitaines, d’une ovation que les Romains n’ont pas connue, l’ovation décernée par la nation même que l’on combattit !

En terminant, Messieurs, combien de réflexions utiles se pressent dans nos âmes ! À quoi servent un nom puissant et l’appui même d’une fortune héréditaire, si des principes solides ne rehaussent de bonne heure tous ces dons du sort et n’aident à les bien porter ! D’un autre côté, que ne fait pas une éducation saine et pure pour classer les hommes à leur niveau ! Enfin, que ne peut-on point espérer d’un peuple au sein de qui nous avons pu vous signaler tant et de si belles vertus !

Pardonnez-moi une observation. Si l’institution dont nous avons le dépôt, conçue par M. de Montyon dans le XVIIIe siècle, et qui se ressent de son origine, il faut le dire, par ce qu’elle a de spéculatif et de philosophique, n’était pas d’abord justifiée pleinement à vos yeux, ne le serait-elle point par cette séance même ?

Dans un temps où le registre de tous les crimes est tenu avec une fidélité inexorable, où la société, contrainte de savoir et de compter toutes ses plaies, est près de supposer que Dieu lui en envoie d’inconnues aux siècles précédents, ne trouvez-vous pas que l’âme se repose au spectacle de toutes ces bonnes actions qui seraient restées dans leur native obscurité ? Le crime éclate grâce aux organes de la pensée, il retentit ; il jette au loin l’épouvante. La vertu, au contraire, fuit la lumière. M. de Montyon a voulu la produire aux yeux des hommes, non pour recevoir d’eux des récompenses, mais pour leur porter des consolations, pour leur inspirer un noble orgueil. Et, par une juste réparation, ce seront les ministres mêmes de la pensée qui tiendront ces assises de l’humanité, du courage et du dévouement.

Toutes les classes y sont représentées les classes riches, par la fondation même qui nous rassemble ; les autres, par les sacrifices touchants qu’elle consacre. On savait que la bienfaisance règne sur le trône ; que les familles opulentes ennoblissent la fortune par la charité ; qu’un zèle pieux multiplie les créations utiles ; que, si l’incendie menace nos cités, les magistrats, les princes, s’élancent pour lui disputer sa proie. On n’aurait pas su tout ce que les rangs obscurs renferment de vertus difficiles, réfléchies, empreintes, en un mot, du sceau le plus marqué de la moralité humaine. Cette découverte nous est bonne à tous ; elle nous donne foi dans l’avenir ; elle nous inspire le sentiment sans lequel il n’y a en ce monde ni vocation généreuse, ni travaux désintéressés, ni noble ambition, le respect des hommes. Elle nous apprend que, dans la grande famille humaine, les mêmes sentiments se rencontrent partout ; que la Providence a mis partout les germes heureux ; que l’image divine est empreinte dans ses créatures les plus déshéritées. C’est à nous de la dégager par nos constants efforts. La littérature, la science, la politique, ces grandes institutrices des nations, n’ont pas à se proposer de plus noble tâche. Celle-là vaut le dévouement de toute la vie, et elle est pour nous l’unique moyen de nous égaler aux hommes simples et vertueux que nous venons de couronner, Ils n’ont servi que quelques-uns de leurs semblables par là, on a la chance de servir la patrie et l’humanité.