STANCES ÉCRITES À OLYMPIE,
LUES DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 2 MAI 1833,
PAR M. LEBRUN.
Sur les bords de l’Alphée accouru dans m’Elide,
Que j’aime, avide et curieux,
Égarant mes pas et mes yeux,
À me sentir seul et sans guide !
Voilà Pise ! enfin je le vois
Ce lieu si bruyant autrefois
Et maintenant si solitaire !
Où nul secours né de la terre
Ne pourrait répondre à ma voix !
J’éprouve, en parcourant cette muette enceinte,
Je ne sais quel trouble étranger,
Qui naît peut-être du danger,
Et qui pourtant n’est pas la crainte.
Mon sein aime à laisser venir
Ce trouble, doux à retenir,
Qu’au fond des âmes insinue
Une solitude inconnue,
Le silence et le souvenir.
Mille pensers de gloire, au soleil d’Olympie,
Se sont réveillés dans mon sein,
Comme se réveille un essaim
Qu’enfermait sa ruche assoupie.
J’ai remonté le cours des ans ;
J ai revu ces jours triomphants,
Lorsqu’aux yeux de toute la Grèce
Les pères mouraient d’allégresse
Sur les lauriers de leurs enfants.
Grands jours ! où sur ces bords tous les peuples sans armes,
Suspendant leurs sanglants débats,
Venaient dans de plus doux combats
Chercher des triomphes sans larmes !
Quel autre âge en a vu de tels !
Les vainqueurs gagnaient des autels,
Et, nés de la foule où nous sommes,
Venus à Pise simples hommes,
Rentraient dans leur ville immortels.
Mais soudain, quelles voix ! derrière la colline,
Noire de pins et de débris,
Quelle foule élève des cris ?
Quoi ! la lice était si voisine !
Peut-être on salue un vainqueur.
Le long bruit, comme un vaste chœur,
Monte, croît, cesse et recommence ;
À ces transports d un peuple immense
J’ai senti palpiter mon cœur.
Courons, j’entends d’ici l’éclatante trompette
Ouvrir les olympiques jeux ;
J’entends plus forts les cris joyeux
Que le mont Saturne répète ;
Je vois, assis sous mes regards,
Les jeunes hommes, les vieillards,
Les enfants de la Grèce entière ;
Et la gloire dans la carrière,
De loin encourageant tes chars.
Le voila ! Voilà l’aigle ! Au signal de ses ailes,
Les combattants ont répondu ;
Un bruit léger s’est répandu
Autour des lices solennelles.
Du haut des collines, les dieux
Sur la plaine abaissent les yeux,
Debout en airain dans leur temple ;
Et la Grèce attend et contemple,
Cercle immobile et curieux.
Oh ! que j’aime la gloire ! et combien elle est belle !
Que son nom seul a de douceur !
Quel sort d’être son possesseur !
De naître et de mourir pour elle !
Quels sacrifices quels travaux
Coûtent à ces jeunes rivaux
Qu’un but si désirable enflamme !
Le prix est déjà dans leur âme
Et lui promet des prix nouveaux.
J’irai, plein de l’espoir qui de mon cœur s’empare,
En les chantant les partager.
Que la lyre d’un étranger
Lutte avec celle de Pindare.
Enfants de la Grèce, écoutez
Les chants, par vous-mêmes excités,
Qu’élève ce fils de la Seine,
Venu de la France lointaine
S’asseoir à vos solennités.
Où suis-je ? ai-je rêvé ? Quel désert ! quel silence !
À qui donc parlais-je ? et comment
Ont-ils fui tous en un moment ?
Erreur ! illusion démence !
Ces cris que j’entendais lointains,
C’est le vent qui parmi ces pins,
Du bruit que dans leur cime il roule,
Imite les bruits de la foule,
Ni plus durables ni moins vains.
Hélas ! sur d’autres bords, aux jours d’une autre gloire,
Combien mon oreille a de fois
Entendu de semblables voix
Saluer un char de victoire !
Ce bruit dans les airs élancé,
Dont un peuple en foule pressé
D’un héros suivait le passage,
C’était du vent dans du feuillage :
Le vent cesse, et tout a cessé.
De cette erreur nouvelle ainsi fuit le mensonge.
Pise, ainsi devant mes regards
Tes jeux tes couronnes, tes chars,
Tes cris s’envolent comme un songe ;
Et je me trouve de nouveau
Seul et du magique tableau
L’âme doucement échauffée,
Sous les platanes de l’Alphée,
Assis rêveur au bruit de l’eau.
Voilà bien les contours du vallon olympique ;
C’est l’hippodrome que je vois ;
C’est Saturne qui devant moi
Elève encor sa cime antique
De ces gradins tumultueux
Qu’agitait un peuple nombreux,
Par le sol l’empreinte est gardée ;
Et les nobles eaux du Cladée
Mouillent encore un lit ombreux ;
Mais j’interroge en vain sur ses rives muettes
Ces échos sacrés dont la voix,
Aux cris de la Grèce, sept fois
Répétait le nom des athlètes ;
Mais ces spectateurs assemblés
Qui de leurs flots amoncelés
Inondaient tout ce vaste espace,
Rapides comme l’eau qui passe,
Dès longtemps se sont écoulés.
Le vallon est muet, et vide, et solitaire ;
La voix des hommes n’y vient pas ;
Le bruit de mes sonores pas
Seul y fait retentir la terre.
Seul, le sauvage chevrier,
Etendu sous quelque olivier,
D’Olympie occupe la place,
Et jette au passant la menace
D’un regard inhospitalier.
O France ! ma patrie ! un jour, si fortunée !
Louvre, colonne, arcs triomphaux !
Sujets du temps et de sa faux,
Voilà donc votre destinée !
Ainsi, le voyageur épris
De la gloire et de ses débris,
Viendra donc, de quelque contrée
Maintenant peut-être ignorée,
Chercher la place où fut Paris !
Quand il suivra, pensif, les rives de la Seine
Et ses rares et basses eaux,
Qu’entre l’épaisseur des roseaux
L’œil verra scintiller à peine,
De nos arts fouillant les trésors,
S’il demande le Louvre alors,
Aux lieux où s’éleva sa gloire
Trouvera-t-il plus de mémoire
Que je n’en trouve sur ces bords !
J’ai demandé l’Alphée à ses propres rivages ;
Mais ils ne m’ont pas entendu,
Et m’ont seulement répondu
Des mots bizarres et sauvages.
Pise est veuve de son renom ;
Et, passager de ce vallon,
Moi seul dans l’Elide peut-être
Connais au bord qui la vit naître
Sa place, sa gloire et son nom.
Et les rois cependant élèvent des colonnes
Pour les porter à l’avenir !
Et l’athlète au long souvenir
Cherche a consacrer des couronnes !
Et moi-même, dans ces déserts,
Loin des bords qui me sont si chers,
Poussé d’une aussi forte envie
.le poursuis, au prix de ma vie,
Un bruit qu’emporteront les airs !
Quoi, la gloire ! la gloire, à tout homme si chère,
Serait-elle un songe aussi vain
Que celui dont j’ai vu soudain
S’enfuir l’image mensongère ?...
Non, non, ce n’est point une erreur
Que ce bruit des tombeaux vainqueur
Qui, prolongeant nos destinées,
À travers quatre mille années
Fait battre encore un noble cœur.